13ème Chapitre (2/2)
— Vay, est-ce que je peux entrer ?
Il ne reçut aucune réponse, ce qui ne l'étonna pas outre mesure. Hésitant sur la marche à suivre, il finit par décider de la laisser tranquille et se dirigea vers le salon. S'asseyant sur le canapé, il posa ses coudes sur ses genoux avant d'appuyer son menton sur ses mains jointes. Son regard se fit lointain, il fixait l'horizon par-delà les murs de la ville, perdu dans ses pensées.
Elle n'allait pas bien. Depuis toute petite, elle passait la majorité de son temps seule. Lorsque le professeur venait la voir, un flot d'émotions l'envahissait toujours. Au début, c'était de la joie, de la curiosité. L'enfant qu'elle était alors aimait jouer avec lui et découvrir de nouvelles choses. Ensuite, l'impatience d'avoir des réponses à ses questions ainsi que le simple plaisir de parler avec quelqu'un et de se cultiver intellectuellement avaient rendu leurs entrevues indispensables à son quotidien. Adolescente, elle était épanouie en passant du temps avec lui. Il était toujours prévenant et à l'écoute de ses besoins, autant émotionnels que mentaux. Sans lui, elle aurait sombré dans un cercle vicieux de solitude et d'idées noires.
La solitude. Apprendre qu'elle ne pourrait plus jamais revoir le professeur la rendait malheureuse, non seulement parce qu'elle avait noué de forts liens avec lui, mais aussi car elle se sentait abandonnée. Il ne la réprimanderait plus jamais si elle faisait une bêtise. Il ne la soutiendrait plus quand elle aurait une baisse de moral. Il ne serait plus à ses côtés avec son sourire bienveillant lorsqu'elle éclaterait de rire.
Vayter avait peur. Au plus profond de son cœur, elle savait qu'il se trouvait quelque chose de sombre, de malsain qui n'avait cessé de grandir tout au long de son existence passée dans la chambre de la section d'expérimentation. Jusque-là, elle avait réussi à tenir la noirceur à distance, nonobstant la nouvelle de l'emprisonnement du professeur l'ébranlait toute entière. La colère envers le gouvernement à l'origine de tous ses problèmes, la rancœur envers le centre de recherche qui l'avait forcé à subir ces expérimentations, l'incompréhension envers le peuple qui ne faisait rien pour améliorer leurs conditions de vie actuelles, ainsi qu'une myriade d'autres émotions et de reproches s'ancraient en elle, occupant de plus en plus de place. Elle savait qu'elle ne devait pas écouter sa rage, elle ne pouvait pas l'ignorer non plus.
Vay prit une grande inspiration en se relevant lentement du carrelage glacé sur lequel elle s'était avachie. Elle fit face au miroir, qui lui dévoila ses yeux rougis par les larmes. En voyant leur teinte bleu foncé, elle se rappela la douleur des opérations qui lui avaient octroyé cette capacité à changer en partie son apparence. Elle se rinça le visage avec de l'eau froide puis arrêta le robinet. La jeune femme en profita pour reprendre son aspect normal. Avant de quitter la pièce, elle rencontra son regard orange et y lut tant de peine qu'elle eut du mal à se reconnaître. Ressemblait-elle véritablement à cette personne malheureuse et misérable qui lui faisait face ?
Ne pouvant le supporter plus longtemps, elle sortit de la salle d'eau sans se soucier d'être discrète ou délicate. Assis sur le canapé, Rinual se retourna en entendant du bruit. Il croisa ses yeux, elle faillit se remettre à pleurer. Elle marcha dans sa direction sans réfléchir, s'installa à ses côtés et se blottit contre lui en quête de réconfort. Il passa ses bras autour d'elle, la serrant doucement contre lui. L'homme lui chuchota des paroles rassurantes à l'oreille, sa voix grave l'apaisa. Elle se laissa bercer, fermant les paupières.
— Tu crois que tout est écrit ?
— Comment ça ?
— Le professeur disait souvent qu'il existe un être supérieur appelé Dieu, et qu'Il veille sur chacun d'entre nous.
— Dieu ? Je n'en ai jamais entendu parler.
— Mmh. Peut-être que c'était juste pour se rassurer, alors, mais il parlait de lui comme d'un confident et d'un ami capable de faire des choses grandioses, d'accomplir des miracles.
— Et toi, tu crois que Dieu existe ?
— Je n'en sais rien, mais si c'est le cas, j'espère qu'Il veille sur le professeur.
— Ça me rappelle un vieux mot que plus personne n'utilise... c'était... ah oui, le destin. Une ancienne croyance déclarant que tout est déjà décidé bien avant notre naissance et que, quels que soient nos choix, nous accomplirons ce pour quoi nous sommes nés.
— D'un côté, c'est rassurant, d'un autre, angoissant. Je déteste me dire que l'avenir est immuable, ça rend le présent et notre existence si futiles.
L'après-midi avançait, le soleil amorçait sa descente dans le ciel nuageux. La fin de l'année approchait à grands pas, les jours étaient de plus en plus courts.
— Au fait, où est Den ?
— Parti faire des courses.
Saisissant la main de Rinual dans la sienne, Vay entrelaça leurs doigts. Elle joua un moment avec, sentant la chaleur et la bienveillance de l'homme à travers ce contact. Réprimant un bâillement, elle posa nonchalamment sa tête sur son épaule. Il la laissa faire.
— Je te préfère avec tes cheveux bruns.
Elle sourit et défit sa tresse avant de se réinstaller tout contre lui, il prit délicatement une de ses mèches. Cet instant précis était si doux, leur temps aurait pu s'arrêter qu'ils ne l'auraient pas remarqué, profitant simplement de ce moment qui n'appartenait qu'à eux deux.
On toqua à la porte d'entrée, Vay tendit l'oreille. Un piétinement étouffé lui parvint, il n'y avait qu'une personne. Se levant à regret, elle alla ouvrir tandis que Rinual se préparait au pire. La sécurité ne pouvait pas les avoir déjà retrouvés, si ?
Le battant pivota, révélant Denunsi encombré par deux sacs pleins.
— J'ai cru qu'vous alliez me laisser dehors.
— Tu n'as pas encore synchronisé ton badge, constata le scientifique.
Cette étape était nécessaire pour que le boîtier de sécurité à côté de l'entrée reconnaisse la personne comme un résident et déverrouille la porte.
— Pourquoi, tu l'as déjà fait ?
Grimaçant face à la justesse de la question, il se dirigea vers le robot domestique. Son frère confia les provisions à Vay avant de le suivre, ils profitèrent d'interagir avec le système pour paramétrer la machine selon leurs préférences. De son côté, la jeune femme rangea les aliments dans le frigo et les armoires. Elle étudia ensuite les différents éléments de la cuisine, c'était la première fois qu'elle observait un four ou un lave-vaisselle. Au sous-sol du centre de recherche, elle n'était allée que rarement dans la petite salle dédiée à la préparation des repas, pièce qui était bien mal équipée et toujours déserte.
— Les gars, comment ça fonctionne ?
— Tu parles du four ? Tu vois, là tu as un bouton qui...
Vay et Rinual passèrent l'heure suivante à discuter de nourriture et de recettes, Denunsi était étonné par les connaissances de son frère dans ce domaine. Il n'essaya pas d'en savoir plus et partit dans l'une des chambres avec l'intention de faire quelques recherches cryptées. Pour ne pas se faire repérer par l'interface, il prit le temps de bien coder sa montre et sa lentille connectées.
L'après-midi s'écoula tranquillement, ils se reposèrent, conversant de choses et d'autres dans une atmosphère détendue. Vay avait toujours de la peine à accepter qu'elle ne pouvait rien faire pour aider le professeur, elle se changeait les idées comme elle le pouvait. De son côté, Rinual ne cessait de lui jeter des coups d'œil pour s'assurer qu'elle allait bien, inquiet. À chaque fois qu'il se surprenait à le faire, il secouait la tête et tentait d'arrêter. Après tout, il ne l'aidait qu'à titre provisoire, c'était clair depuis le début. Une fois qu'elle aurait décidé de comment elle souhaitait vivre et qu'elle aurait une situation relativement stable, il couperait tout lien avec elle avant de revenir à sa vie tranquille. En y pensant, ils étaient samedi, et il devait théoriquement retourner au travail le lundi. Il se demanda s'il devrait passer devant l'administration pour être interrogé au sujet du cobaye disparu. La réponse à sa question lui sauta aux yeux. Bien entendu. Une part de lui craignait cette entrevue, une autre restait indifférente. Ce qui importait pour le moment, c'était Vay.
— Ça sent bon, dit Denunsi en arrivant dans la cuisine où la jeune femme et Rinual préparaient le repas du soir. Vous faites quoi ?
— Rien de particulier, un simple risotto aux champignons.
— Je n'avais jamais cuisiné avant, c'est passionnant. J'ai l'impression d'assembler des pièces pour créer un ensemble délicieux.
— C'est presque c'que tu fais, sauf qu'c'est pas des pièces mais des ingrédients.
— J'ai envie de cuisiner tous les jours.
Sa demande innocente les fit tous sourire. Pour la première fois, ils se sentaient tous les trois parfaitement à leur place et ne souhaitaient pour rien au monde se trouver ailleurs.
— Rin, c'est prêt ?
— Il faut goûter pour savoir, lui répondit-il en remplissant une cuillère.
Soufflant dessus, il attendit quelques secondes qu'elle refroidisse avant de la tendre à Vay. Cette dernière préféra ouvrir la bouche plutôt que de prendre le service dans sa main. Elle dégusta en faisant de grands gestes enfantins. Son visage ravi par la saveur qui emplissait ses papilles valait tout l'or du monde. Elle est belle, pensa distraitement Rinual.
— C'est cuit ! s'exclama la jeune femme avant de sortir des couverts. Den, tu peux poser ça sur la table ? S'il te plait.
Il acquiesça. Quelques minutes plus tard, ils étaient tous assis et commençaient à manger.
— Au fait, comment fait-on pour cette nuit ? Il n'y a que deux lits.
— Je ne vois pas où est le problème, il suffit que je dorme avec Rinual.
Sous le regard ébaubi des deux frères, Vay prit une grande bouchée de risotto.
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