13ème Chapitre (1/2)

Hasard, destin ou encore fatalité

Rinual et Denunsi la regardèrent, incrédules. Qu'est-ce qu'elle voulait dire par « J'ai un problème » ?

Vay continua à dévorer bien tranquillement son repas, se remplissant le ventre. Elle avait rarement autant savouré un plat, c'était un vrai régal pour ses papilles.

— Comment ça, tu as un problème ?

— 'ous 'oulez 'as 'ous acheoir ? formula-t-elle la bouche pleine en leur désignant les chaises.

Ils prirent place et patientèrent jusqu'à ce qu'elle ait avalé.

— En fait, il semblerait que le directeur soit un ami du professeur. Il avait une photo de lui dans son bureau, quand je suis passée devant avec un employé, je l'ai remarquée et je n'ai pas pu m'empêcher d'aller voir plus près.

— Attends, tu es en train de nous dire que tu es entrée sans permission dans le bureau du directeur de la section de location et d'achat à cause d'une photo ? Tu ne trouves pas qu'il y a un problème quelque part ?

— Pas vraiment, énonça-t-elle en haussant les épaules et en se resservant. Vous devriez aussi manger. Je disais... Ah oui, la photo. Le directeur n'était pas là, il est entré alors que je tenais le cliché dans mes mains. Un vrai, pas un hologramme. C'est dingue, non ? Le professeur m'avait parlé des vieux appareils photo qui sont devenus de véritables reliques pour tous les collectionneurs de l'ancien temps, mais de là à pouvoir observer de près un vrai...

— Vay, concentre-toi. Il t'a surprise dans son bureau, et après ?

— Je lui ai dit que je connaissais le professeur, alors nous avons discuté. En privé, bien entendu, le centre de recherche est un sujet sensible.

— Ensuite ? la pressa Rinual alors que la jeune femme se resservait une nouvelle fois.

— Enchuite, commença-t-elle avant de déglutir, nous avons sympathisé. C'est une personne avec l'esprit ouvert, il connaît toutes les astuces du système. Impressionnant, vraiment, sans parler de sa passion pour l'avant-guerre et le monde sans...

— Vay.

— Oui, oui, je me concentre. Il m'a dit que le professeur lui avait parlé de moi, il me considère comme sa fille.

Elle fit une pause, les yeux humides. C'était la seule personne qu'elle avait côtoyée toute son enfance, c'était un membre de sa famille. Elle ne pourrait jamais le remplacer, il occupait une place unique dans son cœur, malgré son air souvent distant et son ton parfois dur.

— C'est grâce au professeur que le directeur a décidé de me venir en aide. Il a fait en sorte de rendre la location normale en plus de la cacher aux yeux indiscrets et de nous faire payer l'appartement presque rien.

— Jusque-là, je ne saisis pas où est le problème. En dehors de ton absence de bon sens, évidemment.

— Comment ça, évidemment ? rétorqua Vay en se tournant vers Rinual, vexée.

Il se contenta de lui sourire, ce qui eut pour seul effet d'augmenter sa frustration. Elle prit une grande inspiration pour se calmer et revenir au sujet qui la préoccupait.

— Le professeur a été arrêté. Il va être jugé pour faute professionnelle, visiblement on veut lui mettre ma fuite sur le dos alors qu'il n'a absolument rien fait.

— Donc ? l'incita doucement le scientifique à continuer.

— Je veux aller le chercher.

Un silence suivit ses propos, Rinual se reprit avant Denunsi.

— Par chercher, tu entends délivrer ? Soit pénétrer par effraction dans la prison pour voler à son secours ?

Elle acquiesça, décidée. Son air assuré ne faisait aucun doute, elle était prête à aller jusqu'au bout. L'homme prit soin de peser ses paroles, il devait la convaincre que c'était une mauvaise idée sans qu'elle se mette à le détester. Voilà qui était surprenant, il ne désirait pas qu'elle lui en veuille alors qu'il s'apprêtait à lui demander d'abandonner la seule personne qu'elle considérait comme sa famille. Il se trouvait lâche, et pourtant ne pouvait se résoudre à la laisser courir à sa perte.

— Vay.

Il attendit d'avoir toute son attention avant de continuer.

— Écoute-moi jusqu'au bout, s'il te plait. Je saisis ton envie de lui venir en aide, cependant il faut que tu comprennes que c'est impossible. Personne n'a jamais réussi à s'évader de la prison, encore moins à y entrer avant d'en ressortir avec un prisonnier. Même si nous y arrivions, que se passerait-il ensuite ? Une vie de cavalcade et de peur, où nous ne cesserions de regarder derrière nous pour nous assurer de ne pas être rattrapés par la sécurité. Je sais, on pourrait croire que c'est déjà le cas, sauf qu'actuellement tu es la seule vraiment recherchée. Tu m'as dit que la section d'expérimentation n'avait plus besoin de toi, ce qui signifie que tant que tu ne divulgues pas d'informations compromettantes ils ne vont pas retourner toute la ville pour te retrouver. En jouant la montre, ils finiront par laisser tomber les recherches. À ce moment-là, avec un peu de chance, tu pourras avoir une vie normale. Mais cette normalité deviendrait inaccessible si le professeur venait à nous rejoindre. Jamais le gouvernement ne laissera une ancienne cobaye et un scientifique condamné en liberté.

« Tout ceci étant uniquement si nous réussissons à le faire évader. Il faudrait déjà y arriver, ce qui est en théorie impossible, même avec tes compétences hors normes. De plus, tu as songé à ce que le professeur voulait ? Penses-tu qu'il préfère te voir tout tenter pour le sauver, au risque que tu te retrouves également enfermée ou que vous deviez fuir toute votre vie ? Ou qu'il préfère que tu profites des nombreuses années qu'il te reste à vivre ?

Un long silence suivit sa tirade, Vay demeura soucieuse, jouant avec un os de poulet. Denunsi, distrait par le bout de carcasse, se demanda pourquoi les industries n'avaient pas retiré le squelette de la viande synthétique. Sans doute pour une question de poids et de coût.

— Je comprends ce que tu dis, Rin, mais je n'y arrive pas. Le laisser là-bas, c'est le condamner à mort, et je ne peux pas m'y résoudre. Il a tant fait pour moi, il m'a tout appris. Je ne peux pas...

Une larme perla le long de sa joue, sa lèvre tremblait. L'os tomba avec un bruit sourd sur la table, elle se leva et quitta la pièce pour gagner la salle de bain. Un son d'eau qui coule leur parvint, ainsi que des sanglots.

— Super, vraiment.

Rinual se prit la tête entre les mains, la remarque de son frère ne faisait que lui rendre la tâche plus compliquée.

— Tu aurais voulu que je fasse quoi ?

— J'sais pas, mais là elle va pas bien et c'est entièrement ta faute.

— Je ne pouvais quand même pas la laisser y aller !

— J'ai pas dit l'contraire.

— Alors qu'est-ce que tu voulais que je fasse ? Il fallait bien que quelqu'un le lui dise ! s'exclama-t-il, son ton ne cessant de monter sous l'effet de la colère.

— Eh, calme-toi. J'dis juste que là elle va pas bien, faut pas la laisser seule.

L'homme souffla un grand coup. Il prit plusieurs longues inspirations avant de retrouver son calme.

— Tu veux qu'je m'en occupe ou tu l'fais ?

— Laisse-moi gérer. J'imagine que le frigo est vide, pourquoi tu n'irais pas faire quelques courses ? Et te renseigner, si possible. Le tout discrètement, bien entendu.

C'était sa manière de demander du temps et de l'espace à Denunsi, qui hocha la tête. Lui aussi avait besoin d'un peu de calme et de place pour réfléchir, la situation le touchait tout autant que les autres. Sa rancœur envers la société ne faisait qu'augmenter au fur et à mesure de ses découvertes, il voulait agir. L'occasion se présentait enfin à lui, il pouvait lutter à sa façon en aidant Vay.

Le battant se referma sur lui, Rinual rangea les restes du repas. Il s'approcha ensuite de la porte de la salle de bain et s'appuya contre le chambranle.

— Vay ?

Seul le son de l'eau qui coulait toujours lui parvint. Les sanglots avaient cessé, il ne savait s'il devait s'en réjouir ou s'en inquiéter.

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