12ème Chapitre (2/2)
Le long des murs entourant le parc, divers étals et boutiques proposaient des produits en tout genre, comme dans chaque building suffisamment grand et peuplé pour permettre aux marchands de faire des bénéfices. Les habitants avaient accès à tout sans devoir s'éloigner de chez eux, ils en profitaient. C'était avantageux autant pour eux que pour les commerçants et le système de transport, qui ne se retrouvait pas submergé par le nombre de demandes.
Une fois qu'ils eurent pris de quoi se restaurer, ils quittèrent le centre pour emprunter un couloir latéral bien éclairé. Un panneau d'affichage retint leur attention, Denunsi vérifia leur destination. Le bureau de location et d'achat ne se trouvait pas très loin, ils y seraient rapidement.
— On ne peut pas manger maintenant ? se plaignit Vay en même temps que son ventre se mettait à gargouiller.
— La chambre est prioritaire.
— Pour une fois, j'suis d'acc' avec toi. Faut pas qu'on reste là, y vont finir par nous retrouver, et là on s'ra dans la merde. J'y vais seul, attendez-moi là.
— Mauvaise idée, tu n'es pas encore majeur et ton badge risque de déclencher une alerte.
— Ben le tien c'est pas mieux, rétorqua un Denunsi vexé.
— Il suffit que j'y aille alors, intervint Vay.
— Non, asséna Rinual d'un ton ferme. Tu n'y connais rien, tu risques de te faire duper en plus de te mettre en danger. Nous ne savons pas si des photos de toi circulent, ça pourrait être dangereux.
— Il fallait le dire plus tôt, j'aurais arrangé ça.
— Qu'est-ce que tu veux dire ?
Sans lui répondre, Vay s'arrêta au milieu d'un passage latéral et désert avant de fermer les yeux. Les deux hommes assistèrent alors à un spectacle inattendu. Ses cheveux bruns aux multiples reflets prirent une nuance plus claire, ils s'éclaircirent de la racine aux pointes jusqu'à finir complètement blonds, presque blancs. Lorsque les paupières de la jeune femme se relevèrent, ses iris avaient changé pour devenir d'un bleu saisissant, aussi profond que la nuit. Sa peau se para également une teinte plus foncée, comme si elle s'était longtemps exposée au soleil.
— Vous en faites, une de ces têtes, se moqua-t-elle gentiment. Je peux avoir l'argent ? enchaina-t-elle en tendant la main vers Denunsi. Et pour les négociations, ne t'en fais pas, je gère. Tu peux me faire confiance, Rin.
Ébaubi par son assurance et une fois de plus surpris par ses compétences insoupçonnées, le scientifique mit un moment à se rendre compte qu'elle était partie pour aller leur dénicher un endroit où être tranquilles.
— Tu peux fermer ta bouche, maintenant.
Le ton sarcastique employé par son frère ne lui échappa pas, il reprit contenance. La fratrie trouva un banc d'où ils pouvaient surveiller la porte du bureau de location et d'achat.
— Dis, tu te souviens de ta mère ? demanda inopinément Denunsi dans le silence qui s'était installé entre eux.
— Je ne vois pas le rapport avec la situation actuelle.
— Y en a pas, j'voulais juste savoir. J'me disais qu'avoir une mère aimante qui a disparu c'est mieux qu'une mère qui abandonne son enfant.
Affalé sur la banquette, les mains dans les poches et le visage tourné vers le plafond, l'adolescent ne donnait pas l'impression de se confier. C'était pourtant le sentiment de Rinual, les paroles de son frère sonnaient comme un épanchement. Il hésita un instant à couper court à la conversation, ne voulant lui-même pas spécialement s'ouvrir. Cependant, il se souvient de l'étonnement de Vay lorsqu'il lui avait annoncé le matin même n'avoir pas pris de nouvelles de son cadet. Cela lui semblait si lointain... Toujours était-il que c'était l'occasion parfaite pour essayer de se rapprocher de Denunsi. Après tout, ils formaient une famille, rester distants ne les mènerait à rien.
— Honnêtement, tu n'as pas de quoi te plaindre. Même si ta mère t'a laissé, tu n'as jamais été seul. Tu as de la facilité à te faire des amis, et si ta mère te manque vraiment, tu peux à tout moment prendre contact avec elle en faisant quelques recherches. Même pas, il te suffit de demander à l'administration pour recevoir toutes les informations qu'il te faut sur elle.
Un ricanement moqueur lui parvint, Rinual se tendit.
— Tu dis ça, mais tu sais rien de moi. Entre un père jamais là et un frère toujours avec un bouquin, j'vois pas en quoi j'suis entouré. De la facilité à avoir des amis ? Tu parles, personne me connait vraiment. Ils s'en foutent de moi, dès qu'ils savent qu'mon père est politicien et qu'mon frère travaille comme chercheur, ils font tout pour qu'je sois de leur côté. Wah, que d'amis, comme tu dis. Et ma mère... Ben j'vois pas pourquoi j'voudrais lui parler, elle a jamais rien fait pour moi.
— Elle reste ta mère, malgré tous les reproches que tu peux lui faire.
— Pff, j'préférerais en avoir une qui m'aime, même si elle est pas là.
— Ne nous compare pas. Tu n'as absolument rien à m'envier.
— Ben c'est qu'tu t'es pas vu, même si t'es devenu encore plus insupportable depuis qu'tu travailles au centre. Avant, tu m'calculais pas, mais t'étais un minimum sympa, là tu m'ignores complètement. Enfin, pas là maint'nant, mais là en temps normal. T'as compris, quoi.
— Tu ne sais pas ce que c'est de grandir seul, sans ami ni famille. Comme tu l'as dit, père n'est presque jamais là, et tout ce que j'ai toujours eu pour m'occuper, ce sont des livres. Nous avons neuf ans d'écart, tu ne t'attendais quand même pas à ce que nous partagions les mêmes jeux ?
— Non, mais t'aurais pu faire un effort ! Comme, j'sais pas, discuter avec moi. J'suis pas con et il m'arrive aussi de m'intéresser à des trucs, on aurait pu parler. 'Fin, t'aurais au moins pu essayer, ça coûte rien.
Rinual était forcé de reconnaitre que son frère n'avait pas tort. Il était l'aîné, pourtant il n'avait jamais fait le premier pas. S'il avait délaissé ses ouvrages pour aller au-devant de Denunsi, ne serait-ce qu'une seule fois, tous les deux auraient une relation bien différente.
— Alors ? reprit le cadet.
— Alors quoi ?
— Tu t'souviens d'ta mère ?
— Non, pas vraiment. Juste de sa chaleur. C'est un peu étrange, dit comme ça.
— Pas du tout, le rassura involontairement l'adolescent. Moi, j'ai pas d'souvenirs. J'me rappelle même pas d'son apparence.
— Tu lui ressembles, surtout le visage. Vous avez le même air autoritaire et indiscipliné.
— J'vois pas d'quoi tu parles, j'suis pas du tout indiscipliné.
Un sourire naquit sur leurs lèvres, c'était la première fois qu'ils partageaient un moment de complicité.
— Dis, t'as jamais voulu changer d'place ?
— Avec toi ou avec n'importe qui ?
— N'importe qui.
— Oui, une fois. Et toi ?
— Tout le temps. À chaque fois qu'je vois quelqu'un qui a l'air heureux, comme un père avec son fils ou un couple, j'me dis qu'ils doivent avoir une vie facile. J'voudrais être à leur place, juste pour pouvoir sourire comme eux.
— Ils doivent bien avoir d'autres problèmes.
— J'sais, mais ils ont l'air heureux. Et toi, juste une fois ?
— C'est ça. J'étais dans la réserve et j'ai vu un oiseau s'envoler. Je me suis demandé ce que ça faisait de pouvoir aller où on le souhaitait, sans aucune obligation ni aucun souci. Être libre, tout simplement.
— Les oiseaux, c'est bien l'animal avec des plumes ?
— Exact.
— Pouvoir aller où on veut... C'est vrai qu'c'est tentant, mais en même temps ça veut dire tout laisser derrière soi. T'as plus rien, il reste que toi.
— C'est ça qui est attrayant.
— Bof, j'préfère être entouré.
— De quoi parlez-vous ?
Tous les deux sursautèrent, ils n'avaient pas entendu Vay arriver. Elle se tenait devant eux, tout sourire. Elle agita joyeusement une feuille sous leurs yeux sans attendre leur réponse.
— Je nous ai pris un appartement ! Je l'ai loué pour une semaine, comme ça on aura le temps de se poser et de réfléchir à la suite. Quoi, je n'aurais pas dû ? demanda-t-elle faisant face à Rinual.
— Si, tu as bien fait. J'avais simplement oublié que tu étais blonde.
Un rire clair s'échappa de la jeune femme, elle fit un tour sur elle-même puis rejoignit un plan holographique. Elle observa la structure du bâtiment et repéra le trajet qu'ils devaient effectuer avant de faire signe à la fratrie de la suivre.
— Vous ne m'avez pas répondu.
— Sur notre discussion ? C'est privé, glissa le scientifique en faisant naturellement un clin d'œil à Denunsi.
Ce simple geste ne gêna nullement l'adolescent, qui se réjouit d'un tel comportement de la part de son frère. Bien entendu, il ne l'avouerait pour rien au monde.
— J'ai vraiment faim, on peut accélérer ? réclama Vay.
Elle n'attendit pas de voir leur réaction pour forcer le pas. Ils arrivèrent devant une porte menant à une cage d'escalier, elle dévala gracieusement les marches, comme si elle flottait au-dessus sans les toucher. Ils descendirent jusqu'au vingt-et-unième étage.
Comme les buildings d'habitation traditionnels, un parc central permettait aux enfants de jouer tout en offrant de la couleur et des espaces pour se promener ainsi que se reposer. La lumière artificielle imitait la clarté du soleil, le plafond holographique représentait un ciel bleu parsemé de quelques nuages. Un jour idéal dans un monde idéal pour un peuple idéal.
— Numéro trente-six... trente-six... C'est là ! s'exclama Vay en désignant une porte près d'eux.
— Attends, tu nous as pris un appartement d'angle ?
— Il parait que ce sont les plus beaux. Pourquoi ?
— Ils coûtent une blinde ! Me dis pas qu'tu m'as ruiné ? s'insurgea Denunsi.
— Pas du tout. À vrai dire, il m'a même fait un rabais. C'est gentil de sa part, je trouve.
— Attends deux secondes... ça t'a coûté combien, et qui ça, « il » ?
— Pour une semaine, deux cents jetons, et je parle du directeur.
— Le directeur du bureau de location et d'achat, on est bien d'accord ? voulut s'assurer le jeune, dont le visage affichait autant d'effarement que d'exaspération.
— C'est ça, le directeur. Pourquoi, quelque chose ne va pas ?
Il porta la main à sa tête, se pinçant l'arête du nez. Rinual prit la relève de son frère.
— Vay, comment t'es-tu retrouvée à négocier avec le directeur ?
— Alors ça... même si je te dis que c'est un secret, tu ne vas pas me lâcher, je me trompe ?
Son regard répondit pour lui, elle se mordilla la lèvre inférieure.
— Commençons par entrer, on sera plus à l'aise pour discuter.
Sortant son badge, elle le passa sur le boîtier à côté de la porte. Un cliquetis lui signala que c'était bien déverrouillé, elle abaissa la poignée avant de pousser le battant. Ils pénétrèrent dans un spacieux lieu de vie sans la moindre trace de poussière. Un robot ménager s'alluma à leur arrivée, il s'approcha d'eux et dit d'une voix mécanique sans intonation :
— Quels sont vos ordres ?
— Veille, lui intima Rinual.
L'appareil alla reprendre sa place, laissant le temps à ses nouveaux propriétaires de faire le tour de l'endroit.
Un grand salon jouxté par une cuisine ouverte et meublé par de confortables fauteuils, une table à manger, quatre chaises, deux chambres avec des lits simples ainsi qu'une salle de bain et des toilettes séparées constituaient l'appartement. La baie vitrée donnait vue sur le sud-est, en direction de la réserve bien que cette dernière reste cachée par le mur qui la protégeait.
— Alors ? Pas mal, vous ne trouvez pas ? J'ai faim, enchaina Vay en se saisissant du sac contenant le poulet. J'espère qu'il n'est pas trop froid.
Elle s'installa à table tandis que Rinual et Denunsi n'en croyaient pas leurs yeux. Comment avait-elle bien pu faire pour dénicher un tel endroit à un prix si dérisoire ? Il devait forcément y avoir une astuce.
— Bon, j'ai un problème, déclara Vay après avoir avalé une grande bouchée de poulet.
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