12ème Chapitre (1/2)

Tu es condamné depuis ton premier essai

Qu'est-ce qu'on fait maintenant ?

— On attend. Sauf si tu as une autre idée de génie pour nous séparer ? ne put s'empêcher de lancer Rinual.

Ses propos blessèrent Denunsi, qui se referma un peu plus sur lui-même. Vay était bloquée à l'intérieur et ils ne pouvaient la rejoindre. Ils ne savaient pas si elle s'en sortait très bien ou était en danger de mort, leurs propres ignorance et impuissance mettaient leurs nerfs à rude épreuve.

— On peut vraiment rien faire pour elle ?

— Je te signale que c'est toi qui connais le mieux la ville-basse. Si on peut faire quelque chose, c'est à toi de me le dire.

Ils gardèrent le silence, aussi pensifs qu'inquiets. Les minutes passèrent, longues, pesantes. Aucun bruit ne leur parvenait de l'intérieur.

Finalement, après une attente qui leur parut interminable, la porte finit par s'ouvrir. La jeune femme aux cheveux bruns tressés sortit, l'air fier. Elle brandit sous leurs yeux une carte magnétique sur laquelle était gravée : « Visn Kisamata ». Vay avait enfin un badge.

— Bien, on fait quoi maintenant ?

— Il est presque midi, on devrait aller manger.

Une clameur diffuse leur parvint, Denunsi regarda en direction du sol. Il vit un groupe armé pousser sans ménagement les habitants des bas quartiers. Leur uniforme et leur arsenal ne laissaient aucun doute sur leur identité, il s'agissait de la sécurité de la ville. Depuis où ils se situaient, en hauteur, l'adolescent ne distinguait pas les enseignes des commerces tout en bas, cependant il lui sembla reconnaitre le café dans lequel ils se trouvaient plus tôt dans la matinée. Plusieurs agents en sortirent, ils poussèrent sans ménagement un homme qui tomba par terre.

— On est mal. Vraiment très mal.

— Quoi ? Qu'est-ce qu'il se passe ?

— C'est la sécu, ils sont là pour nous. Et merde.

Il partit sans perdre plus de temps, immédiatement suivi des deux autres. Avançant à grandes et vives enjambées, il emprunta un couloir latéral pour quitter l'espace central. S'enfonçant dans les méandres du bâtiment, il leur fit gravir plusieurs escaliers pour monter toujours plus haut dans le gratte-ciel. De leur groupe, seule Vay ne montrait aucun signe d'épuisement, les deux hommes commençaient à fatiguer. Ils avaient beau être endurants, ils atteignaient leurs limites. Marcher autant rapidement et longuement les abrutissait. Ils firent une pause dans un recoin sombre.

— Au fait, on va où ?

— En haut.

— Ça, j'avais saisi, mais après ? On fait quoi une fois qu'on est tout en haut ?

— On prend une navette.

— Je ne savais pas qu'il y en avait aussi dans la ville-basse.

— Elles sont en mauvais état, mais elles fonctionnent, expliqua Denunsi. Au fait, comment t'as fait pour le badge ? J'veux dire, sans argent.

— Mes informations lui ont plu, c'est tout, répondit-elle en haussant nonchalamment les épaules.

— Quelles informations ? questionna Rinual, qui ne comprenait pas leurs propos.

— Quelques petits trucs sur la réserve, rien de bien compromettant.

Les yeux bleus s'écarquillèrent, le scientifique était choqué. Elle n'avait pas vraiment fait ça ?

— Quoi ? Tu aurais préféré que je ne dise rien à propos de la réserve et qu'on perde un temps précieux parce que je n'ai pas de badge ? En plus, ce n'est pas savoir qu'il y a encore un endroit avec de la terre fertile et un écosystème naturel qui se développe sans intervention humaine qui va changer quelque chose. Ils ne peuvent pas y accéder.

— Attends, quoi ? s'exclama Denunsi qui n'était au courant de rien. Tu veux dire que des plantes poussent vraiment sans technologie ? Mais c'est... c'est... c'est...

— Incroyable, fantastique, merveilleux ? Privé, secret défense, passible de la peine de mort de divulguer ces informations ? Complètement.

— Ils ne sauront jamais que c'est moi, et même s'ils remontent ma piste, ça ne changera pas grand-chose.

La désinvolture avec laquelle conclut Vay fit soupirer Rinual, qui ne chercha pas à la contredire. Au fond, elle n'avait pas tort.

— Vous vous êtes assez reposés ?

Se relevant, la jeune femme attendit que les deux hommes fassent de même. Ils l'imitèrent, Denunsi reprit la tête du groupe. Ils repartirent en direction de la station.

— Et une fois qu'on y sera, où ira-t-on avec la navette ?

— J'sais pas, là où y a personne.

— Ce ne serait pas mieux s'il y avait du monde ? On passerait plus inaperçus.

Acquiesçant à la remarque de Vay, l'adolescent réfléchit à un building qui leur conviendrait. Il finit par faire son choix au moment où ils arrivaient devant un énième escalier. Ils gravirent les marches en silence, atteignant toujours sans un bruit une porte en métal. Poussant le battant qui grinça en s'ouvrant, Denunsi sortit au sommet du gratte-ciel. Le vent fouetta instantanément son visage, son sifflement coupa toute possibilité de discussion et leurs vêtements claquèrent contre leur peau, entravant quelque peu leurs mouvements.

Le toit, ceinturé par un solide grillage, servait autant de station que de décharge. D'anciennes navettes en mauvais état, certaines en pièces détachées côtoyaient d'autres encore en fonction. L'ensemble n'inspirait pas confiance, nonobstant, il s'agissait de leur seule option.

L'adolescent se rendit à l'espèce de cabane située au milieu des carcasses de capsules, il discuta un court instant avec une sorte de gérant. L'homme au front dégarni et aux rares cheveux blancs épars les conduisit jusqu'à un appareil, ils prirent tous les trois place dedans. Le petit espace les força à se serrer les uns contre les autres, Vay se retrouva coincée entre les deux.

Le responsable tapota sur le tableau de bord, il programma l'engin pour les emmener à bonne destination. La porte coulissante se referma, les moteurs se mirent presque silencieusement en marche, la capsule décolla. Elle passa au-dessus le grillage, dévoilant le spectacle de la ville-basse à leurs yeux. Le ciel nuageux cachait le soleil, les gratte-ciel étaient éclairés par une lumière diffuse qui leur donnait un aspect surnaturel. Vay se pencha par-dessus Rinual sans se gêner afin de mieux profiter du paysage, un air émerveillé sur le visage. Au loin, des buildings vitrés scintillaient dans la ville-haute. Entre les deux parties se dressait un mur surmonté par des tours de guet. En se concentrant, elle vit que des gardes armés patrouillaient le long de l'enceinte.

Une secousse due au vent fit perdre son équilibre à la jeune femme, elle s'appuya contre Rinual. Il mit instinctivement son bras autour de son épaule pour la soutenir, elle l'en remercia avant de regagner à sa place. Vay sentit une vague de chaleur l'envahir, elle ressentait autant de gêne face à la situation que d'envie de se blottir contre lui. Qu'est-ce qui lui prenait tout à coup ? Elle se mordilla la lèvre en chassant au loin ces étranges pensées.

— Où est-ce qu'on va exactement ? finit-elle par demander en se tournant vers Denunsi.

— Là-bas, lui répondit-il en désignant un bâtiment plus imposant que les autres.

Prenant garde à préserver son équilibre, Vay se pencha en avant pour observer la grande structure vers laquelle ils se dirigeaient. Le gratte-ciel arrondi dépassait ceux aux alentours, il paraissait également plus entretenu. La façade claire ressortait par rapport aux tours environnantes, plus brunes de saleté que grises.

La jeune femme aperçut un élément à l'horizon qui la troubla. Au premier abord, elle pensait que c'était le ciel, pourtant quelque chose clochait. Il ne semblait pas assez complexe comparé à celui qui se trouvait au-dessus de sa tête.

— Dites, c'est normal que le ciel soit comme ça ?

Regardant dans la direction qu'elle désignait, Rinual mit quelques secondes avant de comprendre de quoi elle voulait parler.

— Oui, lui expliqua-t-il, c'est une simple imitation. Des hologrammes géants posés contre le mur reproduisent le ciel.

— Mais pourquoi ?

— Pour qu'on ne voie pas le mur.

Vay resta silencieuse un moment, elle prit le temps d'intégrer cette nouvelle information et d'en tirer ses propres conclusions.

— Le gouvernement ne veut pas que les gens soient tentés d'aller au-delà du mur, ils font comme s'il n'y avait rien d'intéressant. Une autre possibilité, c'est que les politiciens ne veulent pas que les habitants comprennent qu'ils sont enfermés à l'intérieur de la ville. S'ils savaient, ils pourraient choisir de partir et s'insurger contre le système en place.

Songeurs, ils ne pipèrent mot durant un moment. La navette se rapproche à bonne vitesse du bâtiment, ils en avaient cependant encore pour quelques minutes.

— J'avoue, j'y ai jamais pensé. On est enfermé, et après on s'étonne d'être traité comme des animaux. J'pense pas qu'le gouvernement fasse la diff' entre eux et nous.

— Nous ? Tu parles du peuple de la ville-basse, j'imagine, ne put s'empêcher d'intervenir le scientifique.

Un ricanement lui parvint, il attendit que son frère s'explique. L'adolescent ne comptait rien dire, mais il aperçut l'air intéressé de Rinual. Il soupira.

— Ben non, j'te signale qu'on est tous bloqués. Y a pas de ville-basse ou haute, juste les gens et le gouvernement. T'as toujours pas pigé ça ? finit-il avec une moue moqueuse.

Ne trouvant rien à lui répondre, l'homme se détourna, le regard dans le vague. Enfermés... comme des animaux... Il ne l'avait jamais vu de cette manière, sans doute parce qu'il n'avait jamais réfléchi à ce qui existait au-delà de Farshlisn. Quel intérêt aurait-il eu à s'interroger là-dessus, de toute façon ? Il avait tout ce qu'il lui fallait, un toit, un travail, suffisamment d'argent pour vivre confortablement. Dans ce cas, pourquoi prenait-il le risque de tout perdre en secourant Vay ? Par pitié, par désir de sensation forte, par envie d'enfreindre les règles ? Ou pour tout autre chose ?

En réalité, qu'est-ce qui le faisait agir ?

Il s'était promis de venir en aide à la jeune femme et il tiendrait parole. Nonobstant, il ne pouvait nier qu'il n'avait aucune raison particulière de se comporter ainsi, si ce n'était une impulsion au moment de leur rencontre. Était-ce vraiment suffisant pour le pousser à aller jusqu'au bout ?

— Eh, Rin, bouge-toi. On y est.

Surpris d'entendre son frère utiliser son diminutif, il releva la tête pour découvrir Vay qui affichait un grand sourire.

— Rin... J'aime bien ! Je t'appellerai comme ça désormais, annonça-t-elle en lui tendant la main.

Il la prit, la douceur de sa paume réchauffa la sienne. Son insouciance le rafraichissait, il avait l'impression que rien de mal ne pouvait advenir tant qu'elle était à ses côtés.

Quelle pensée étrange, et qui sonnait pourtant si juste. Il en prit conscience avant de reporter son attention sur les environs, il n'était pas temps de trainer.

— Où est-ce que nous sommes ?

— Dans une station. C'est visible.

En effet, plusieurs navettes arrivaient et décollaient dans un rythme fluide, des personnes montaient et descendaient tandis que des agents s'occupaient de programmer les engins. Ils se dirigèrent tous les trois vers la porte coulissante au centre d'un des murs, le plus jeune passa devant. Il montra son badge au gardien, qui ne prit pas la peine de le scanner et lui fit simplement signe de continuer. Sans plus de cérémonie, ils quittèrent la grande salle d'accès pour se retrouver dans un large couloir. L'endroit ressemblait aux buildings de la ville-haute, Rinual s'orientait facilement.

— Par là.

Denunsi s'engagea dans le passage de gauche, suivi par les deux adultes. Ils marchèrent un peu avant de déboucher sur un parc central artificiel. La fausse verdure bordant des bancs mis à disposition des habitants rappela l'étage où se situait son appartement à Rinual, qui se demanda comment un tel bâtiment, si propre et bien entretenu, pouvait appartenir aux bas quartiers. Il garda son interrogation pour plus tard, ils avaient plus important à faire : trouver un endroit où ils pourraient se poser sans être vus ni entendus. Et à manger, accessoirement. Il commençait à avoir faim.

Vay s'arrêta brusquement, ses yeux orange parcoururent les alentours tandis que ses narines frémissaient. Denunsi fit demi-tour en se rendant compte qu'ils ne le suivaient plus.

— Qu'est-ce qu'vous foutez ? Faut pas trainer là.

— Tu ne sens pas ?

— Quoi ?

— Cette odeur... c'est du poulet grillé.

Son ton catégorique ne laissait souffrir aucune contestation, elle ne put s'empêcher de passer sa langue sur ses lèvres. Ah, elle avait envie d'en manger. De la viande, même synthétique, restait de la viande, et elle avait vraiment faim.

— Nous pouvons bien faire un petit détour. Il nous faut de toute manière à manger, autant que ce soit un plat qui nous tente.

En voyant le regard empli d'espoir de la jeune femme, Denunsi se résigna. Il n'arriverait pas à la faire changer d'avis. De plus, son ventre n'allait pas tarder à crier lui aussi famine.

— Ouais, on y va. Mais on prend à emporter et on va direct louer une chambre.

— Une chambre ? relevèrent dans un bel ensemble Vay et Rinual.

Les yeux bruns passèrent de l'un à l'autre, s'interrogeant sur ce qu'il y avait entre eux. Le jeune finit par soupirer et partir en direction du stand cuisant les poulets.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top