29 | une fin de terminale


INA S'EST LITTÉRALEMENT PISSÉE DESSUS en lisant les sujets du BAC d'histoire-géo. En sortant des quatre heures, sa tête est lessivée, elle a l'impression d'avoir déjà tout oublié.

C'est fini. Toutes ces années passées à bosser pour Mr. Téton, tous ces efforts pour réussir dans cette matière. Tout ça. Terminé.

Pour la philo', elle se souvient d'avoir compté des carreaux et pour l'épreuve d'anglais à venir, elle sait qu'elle prendra sûrement le sujet de réflexion.

Le BAC, c'est comme une claque de fatigue. Tout le monde s'y attend, personne n'assume et on finit par sortir un peu plus épuisé. Les gens s'essuient les yeux, d'autres entament leurs prochaines révisions.

— On va à la bibli', annonce Mathilde, clope à la main à l'entrée du lycée.

Les terminales s'activent. Ina se ramollit. Trois ans passés au lycée pour saigner des copies à petits carreaux. Son t-pex l'a lâchée au troisième paragraphe et l'étude de documents la hante encore.

***

C'EST TERMINÉ ! On a fini ! chantent des ES.

Les L non latinistes les rejoint, pendant qu'une ribambelle de S spé maths dépriment encore par rapport à l'épreuve du matin. Mélissa est devant le lycée le regard vide.

— Qu'est-ce qui s'est passé ?

— Les maths. Et la spé. La putain de spé, marmonne-t-elle en traçant sa route.

Mathilde, derrière elle, soupire.

— Ils nous ont enculés, avoue la blonde.

Ina compatit. Ils ont encore SVT lundi.

— Tu vas faire quoi là ? interroge Math'.

— Je sais pas. Théodore et Florence sont sortis ?

— Oui, ils sont avec les autres L de ta classe.

La brune sourit, salue Mathilde, puis rejoint ses autres amis. Théodore affiche une mine radieuse.

— Soy bilingüe ! s'amuse Théo'.

— Halt's Maul, bredouille Florence.

— Ça veut dire quoi ? demande Théodore à Ina, confus par la langue germanique.

— Aucune idée. Nous les LV2 allemand, à part Flo', on sait pas parler allemand.

Les trois amis rient ensemble. Fini, le BAC, terminé. Dernière ligne droite, les résultats, puis après, l'avenir qui leur ouvre les bras.

***

L'IDÉE DU DÉJEUNER provient d'Ingrid. La grande sœur, de retour pour ses vacances et ayant enfin réussi son concours d'entrée pour la médecine est la femme la plus joyeuse au monde.

Profitant de l'absence de leur père, Ina et Ingrid ont invité leur mère et Edgar. La brune va officiellement présenter son petit-ami à sa famille. Son père, qui a eu l'habitude de voir passer le brun pendant deux ans n'a plus vraiment besoin de présentation tandis que les deux autres femmes n'ont jamais vraiment discuté avec lui.

Au menu, pleins de bons plats végétariens comme Ingrid aime, et des tonnes de crêpes sans gluten. Ina est stressée. Sa mère est déjà en train de mettre la table et tout le monde n'attend plus que l'heureux invité.

On toque.

La brune s'élance vers la porte et l'entrouvre. Elle reconnaît le sourire d'Edgar, habillé d'une chemise décontractée et une bouteille de vin à la main.

— Hey, débute-t-il en croisant le regard tendu de sa petite-amie.

Edgar lui pose un vif baiser sur la joue avant de faire la bise à Ingrid et la mère d'Ina.

— Alors tu es Edgar Reybaud ! J'ai tellement entendu parler de toi, remarque la maman.

Ina, cramoisie, baisse le regard. Ingrid, amusée en ajoute une couche en lui décochant un sourire espiègle.

— On entame le déjeuner ? propose-t-elle.

— Volontiers, bredouille Ina, mal à l'aise.

Le déjeuner se déroule bien. La discussion se déplie tranquillement et les questions s'enchaînent. Ina reste toutefois muette. Le fait que sa mère et sa sœur découvrent le jeune homme qui remplit son quotidien l'intimide. Est-ce qu'Edgar ressentait ça quand elle a rencontré ses parents ?

— Ça va ? T'as pas l'air dans ton assiette, demande sa mère.

Ina déglutit.

— Non ça va, tout va bien, assure-t-elle en se servant de l'eau.

Ingrid arque un sourcil, puis poursuit ;

— Vous vous êtes rencontrés comment déjà tous les deux ?

Edgar est sur le point de raconter l'épisode des taches sur son jean :

— Elle venait de...

— On peut changer de question, propose Ina.

Sa mère, qui sent la gêne de sa fille, tente de la sauver.

— Et tu fais quoi Edgar l'année prochaine ?

Le brun répond :

— Je vais sur Paris, comme prévu l'année dernière.

— Oh ! Paris ? Comme Ina...

— Ah bon ? réagit soudainement Edgar.

La surprise est totale. Ina n'en avait pas parlé à personne à part sa sœur. Elle avait été acceptée pour sa licence d'histoire à la Sorbonne. Le sujet est tombé.

— Wow, t'aurais pu me le dire, remarque le brun.

— C'est parce que j'étais pas sûre, ment-elle.

Elle attendait de lui faire la surprise quand il aurait emménagé à la capitale. Le plan vient de foirer, Ina est trop déçue pour continuer à manger.

— C'était un secret ? demande Ingrid.

— Bah oui.

— Ah.

Les sœurs se sentent bêtes.

— Tu sais, y a une deuxième chambre dans mon appart'. Je devais avoir un coloc' mais...

— Non, coupe la mère.

Ina, cette fois-ci éberluée, se tourne vers sa figure maternelle.

— Pourquoi non ?

— Vous allez pas vivre ensemble sur Paris quand même ? Vous êtes trop jeunes.

Ingrid est la première à éclater de rire en entendant sa remarque.

— Désolée, c'est juste que notre discussion est trop bizarre.

Ina rit à son tour. Edgar, perplexe, n'arrive pas à effacer son petit sourire. La maman, par contre, n'a pas l'air très amusée.

— Vous êtes très jeunes, faut pas tout précipiter.

— Non mais maman, sa proposition c'est quand même mieux que ma chambre étudiante. Je suis sur liste d'attente en plus.

— T'en parleras avec ton père.

Le sujet s'essouffle, Ina reprend de l'eau tandis qu'Ingrid n'arrive pas à arrêter de se foutre de sa gueule. Edgar, pour faire passer le temps, ouvre carrément la bouteille de vin rouge.

***

ALLONGÉS DANS LE LIT D'EDGAR, le chat Jul rodant dans le chambre, le couple parle du déjeuner foireux. Ina s'excuse pour avoir été aussi crispée pendant le repas tandis qu'Edgar essaye de la rassurer à tout prix.

— Par contre, j'avais l'impression que ta sœur voulait me piéger.

— Carrément. Elle attendait juste que tu fasses une petite erreur.

— Elle est vicieuse dis donc.

— Grave.

Elle sourit bêtement, et se roule avec Edgar dans les draps. Leurs nez se chatouillent. Les deux tourtereaux sont plus apaisés que d'habitude et Ina se met à fredonner une chanson après qu'il l'ait embrassée.

— Tu veux qu'on vive ensemble ? demande-t-elle timidement.

La question est terriblement mal posée. En fait, elle sait très bien qu'il va dire « oui » mais ça ne répond pas à la vraie question qui taraude son esprit.

— Bah oui, répond-il avec évidence.

Ina réfléchit.

— Mais tu penses qu'on est prêt pour vivre ensemble ? Fin, on réapprend tout juste à se connaître. Et... t'imagines, on se verra TOUS les jours.

— Ouais, c'est cool non ?

— Oui mais... tu penses pas qu'on va se fatiguer l'un de l'autre ?

La brune pose la question sérieusement et attend une réponse développée de la part de son petit-ami.

— De temps en temps ouais, mais le reste du temps je pense pas, on va être trop amoureux pour ça.

Ina lève les yeux au ciel et Edgar pose ses lèvres sur son cou.

— T'es un peu trop canard sur les bords.

— Moi ? Canard ?

— Oui, toi, canard.

Il arrête de la prendre dans ses bras.

— Tu veux jouer à ça ?

— Hein ?

— Tu veux que je fasse mon gars détaché ?

— Peut-être ? réplique Ina, amusée.

— OK, bah tu l'auras voulu.

Sans attendre, il sort du lit et ouvre en grand la porte de sa chambre. Seulement en soutien-gorge, Ina ramasse son t-shirt par terre. Elle se relève et le suit, prête à relever le défi.

— Tu sais que je peux faire ma grosse peste moi aussi.

— Quelqu'un me parle ?

Ina le rattrape dans le couloir, en faisant attention à ne pas écraser le chat.

— T'es un gamin.

Tout à coup, ça lui fait moins rire. Elle aime bien avoir l'attention moelleuse de son petit-ami. Edgar se verse un verre de jus d'orange dans la cuisine, sans parler. Pas de tension palpable, juste une distance ridicule qu'il s'amuse à imposer.

— Edgar ?

— Mh.

— Eeeeedgar ?

— Mh.

— J'aime bien les canards. Je te jure.

— Mh.

Il boit son jus d'orange en fixant son portable.

— Boude pas.

— Mh.

Ina perd vite patience.

— Je vais sortir mon arme secrète. Tu pourras plus répondre ton vieux « Mh » nul.

— Mh.

La brune hésite. Ça fait deux mois qu'ils se sont remis ensemble mais c'est la première fois qu'elle va le lui redire...

— T'es pas prêt.

Il reste de marbre, la paille dans sa bouche.

— Je t'aime !

Elle le crie à ses oreilles, comme pour lui faire peur. Elle le défie du regard. Osera-t-il répondre « Mh. » cette fois-ci ?

— Mh.

Ina en perd ses mots, choquée de le voir aussi impassible face à son aveu. Elle est sincère. Vexée, la brune s'apprête à partir de la pièce. Mais une main l'attrape par la taille. Elle se tourne directement vers lui.

— Convaincs ton père.

Ses yeux sont brûlants de désir cette fois-ci. Ina vire au rouge, intimidée par l'intensité de son petit-ami.

— Vis avec moi à Paris.

C'est limite mieux qu'un « moi aussi ».

***

POUR LES VACANCES, Ina a déjà tout planifié. Elle travaillera en août à Troyes dans un resto. Quant à juillet, après les résultats du BAC, la bande et elle partiront pour un road trip. En effet, Théodore veut profiter à fond de son permis.

— Tu fais déjà tes cartons ? demande Ezéchiel en voyant sa fille ranger des affaires.

— Je fais le tri, informe Ina.

Son père n'a pas été d'accord pour la cohabitation du couple. Mais Ina comprend pourquoi. Toutefois, ça n'empêche pas le fait qu'elle traînera très souvent chez son petit-ami. Et puis c'est peut-être mieux ainsi, chacun dans sa petite bulle d'intimité.

— Vadime m'a dit que tu lui manquais.

— Je vais le voir ce soir avec Élise, rassure-t-elle.

Tout est bien mieux chronométré qu'avant dans sa vie. Elle arrive à parler à son père sans se disputer aujourd'hui. Même si elle a l'impression de parler à un total inconnu parfois.

— Je peux te demander quelque chose ?

— Oui ?

— T'es heureuse en ce moment ?

Ina relève la tête, surprise par la question.

— C'est-à-dire ?

— Je veux juste savoir si t'es heureuse.

La brune acquiesce, sûre d'elle.

— Oui, je suis heureuse. Vraiment.

Son cœur se serre. C'est bizarre d'entendre son père poser la question avec autant d'hésitation. Ils ont encore beaucoup d'étapes à franchir pour retrouver leur complicité.

— Je suis rentrée ! crie sa sœur à l'autre bout de l'appartement.

Ina et son père sourient en voyant la grande sœur excentrique débarquer dans le couloir.

— J'interromps quelque chose ?

— Non, on discutait juste, assure la petite sœur.

— Vous allez pas en croire vos oreilles !

Ingrid raconte alors une anecdote incroyable. Elle a croisé un gars de sa fac au supermarché. Elle est maintenant persuadée qu'ils sont faits l'un pour l'autre. Ina trouve ça trop marrant et son père paraît méfiant.

— Fais gaffe quand même. C'est peut-être un stalker qui t'a suivi jusqu'à notre ville ! tente de faire peur Ina.

— Écoute ta petite sœur.

La blonde, plus ou moins convaincue réplique :

— Vous allez voir ce que vous allez voir.

S'en suit une discussion à trois, avec quelques rires parfois. Les temps changent, la vie avance et Ina sent que le monde grandit plus vite que prévu.

En seconde et première, elle n'aurait jamais cru pouvoir rigoler un bon coup avec son père et sa sœur, comme ça, sans se préoccuper des fissures de son cœur.

Aujourd'hui, c'est pansé. Sa mère voit quelqu'un, son père poursuit sa rédemption. Ingrid est définitivement sortie de sa relation amoureuse avec Hugo. Ina, elle, accepte enfin d'avancer vers le futur.

— Samuel m'a demandé pour tes résultats au BAC.

— C'est après-demain.

— Tu stresses ?

— Un peu. Mais pas trop.

Ingrid lui sourit.

— Vous parlez encore à Samuel ? demande leur père.

— Longue histoire.

Ina acquiesce. Ouais, trop longue histoire.

Samuel méritait mieux qu'une fille qui sortait d'une relation amoureuse. Elle lui parle encore de temps en temps, sans soucis d'ambiguïté.

Au fond, elle sait qu'elle aurait pu être heureuse seule dans cette histoire. Sans garçon pour lui faire battre son cœur. C'est juste un plus dans cet amas de positivité qu'elle a accumulé autour d'elle. Ce qu'Ina apprend un peu plus chaque jour, c'est le fait que les erreurs se réparent, qu'elle n'appréhende plus l'avenir au point de s'en ronger les ongles.

Quand elle visualise ce qui la rend heureuse : il y a sa famille, ses amis, son petit copain, les vidéos pour chats, la piano, l'histoire, les attrape-rêves. Elle se voit aussi. Et c'est beau de s'imaginer heureuse puis réaliser qu'on l'est même dans la vraie vie.

Ina est juste qui elle est, tout juste sortie d'une année de Terminale compliquée. Et elle hâte de rencontrer qui elle sera, avec qui elle grandira, plus tard, dans cette vie aussi intrigante qu'infinie.

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