25 | d'histoire et de passé
THÉODORE AVAIT RAISON. C'était la réponse b qu'il fallait mettre dans son dernier contrôle d'anglais. Ina, fatiguée de se ressasser toutes ses dernières mauvaises copies, range ses affaires. Se taper deux 10 en une journée, ça l'a dégoûtée des cours.
— J'ai vraiment besoin d'une pause.
Théo' comprend, enlève un de ses écouteurs pour mieux écouter râler son amie.
— Pareil, réplique-t-il en s'étirant.
Les deux bossent depuis deux heures sur leur dernière dissertation. Ina n'en peut plus de la philo, trouvant la matière beaucoup trop somnolente trois fois sur quatre. Parfois, elle trouve ça intéressant, mais vraiment tout ça reste assommant.
La brune, les cheveux emmêlés, la gorge sèche et le teint fatigué, se vautre sur le canapé.
— On fait quoi ?
Théodore hausse les épaules.
— Rien.
Ina sourit : les deux amis ont l'habitude de ne rien faire la plupart du temps. C'est assez enrichissant de procrastiner en compagnie de Théodore. Glander paraît totalement divertissant.
Dans le salon, les baies vitrées de l'appartement du jeune homme offrent une jolie vue sur le quartier. Ina, fascinée par les habitants qui traversent la route, s'imagine tous pleins d'histoires à raconter. Elle est interrompue dans ses rêveries par le toussotement forcé de Théo'.
— Faut que je te dise un truc au fait, débute-t-il avec une légère hésitation.
Ina se tourne vers lui, surprise par le ton indécis de son meilleur ami.
— Je crois que je suis vraiment passé à autre chose, pour Flo' tout ça. Tu penses qu'elle voudra encore me parler après six mois à l'ignorer ?
Le sourire de la jeune fille se perd. Pour Florence, ça va être compliqué. Elle sait que son amie est blessée. D'abord par lui qui l'ignore et aussi par Ina, qui passe plus de temps avec Théo' qu'elle. Et être optimiste dans cette situation paraît inespéré.
— J'sais pas, avoue-t-elle.
— Le truc c'est que j'ai plus mal maintenant quand je la vois, et genre c'est bon, ça fait des mois que je me tracasse beaucoup moins la tête. Et je lui ai un peu parlé hier, vite fait, et je ressentais plus rien. Du coup, j'crois que c'est bon, je suis de nouveau dans le marché du célibat actif.
Son amie comprend. Rassurée et contente de voir le brun en pleine forme, Ina demande :
— Ça fait quoi de plus aimer quelqu'un ?
— Du bien.
Et les deux amis se sourient. Parce qu'il n'y a que du soulagement dans ces mots.
***
— VADIME, MONTRE-MOI tes devoirs.
Depuis quelques semaines, Ina donne des cours particuliers à son demi-frère.
— Ina, je comprends pas.
Elle lui raconte un peu tout ce qu'elle sait sur Lucy, leur ancêtre australopithèque depuis une bonne demi-heure. Mais il n'a pas l'air très intéressé, et passe son temps à fixer l'heure.
— Donc elle est morte en tombant d'un arbre ? demande le petit blond.
— Peut-être.
Vadime affiche une grimace.
— Comment est-ce que tu peux comprendre l'histoire si à chaque fois t'es jamais sûre de ce qui est dit ?
Ina fronce les sourcils et esquive la question :
— Rien n'est sûr dans la vie mon coco.
Vadime soupire. Il n'a vraiment pas envie d'apprendre sa leçon.
— J'ai envie de jouer à Minecraft, avoue-t-il.
— On finit ça d'abord.
Une trentaine de minutes plus tard, Ina sort de la chambre du garçon, fatiguée mais fière d'avoir fait apprendre au gosse un peu d'histoire.
Dans le salon, elle croise les yeux bienveillants de Daphné. Ina ne sait jamais comment se comporter avec elle, même si la femme lui paye les leçons, gentiment.
— Il a eu 18 la dernière fois grâce à toi, remarque la mère.
— Oh non, c'est juste lui qui a été super efficace, assure-t-elle sincèrement.
Léger blanc. Ina décroche sa veste.
— Tu sais ce que tu fais l'année prochaine ?
On est déjà fin février, le temps passe trop vite. Elle se voit encore en train de galérer sur Parcoursup début janvier. La saisie des vœux se clôture dans une semaine et Ina ne sait toujours pas si elle a fait les bons choix.
— J'ai déjà rentré mes vœux. Sûrement tout ce qui est histoire et anthropo'.
Daphné sourit, ce qui donne à Ina l'envie de se barrer au plus vite. Elle ne veut pas la forcer à être sympa avec elle ; surtout qu'elles n'ont pas la meilleure relation au monde depuis leur dîner chaotique de l'an passé.
Alors elle lui fait la bise et dit au revoir à Vadime, pour mieux partir ensuite.
***
CE QU'INA N'AIME PAS DANS SA ROUTINE, c'est le peu de temps qu'elle accorde à elle-même. Souvent, elle s'oublie dans cette masse de choses à faire. Alors, ce soir, allongée dans son lit, un masque sur le visage, elle lit un livre.
Lire, c'est tout simple et pourtant si efficace. La brune vient d'être transportée dans un autre monde en quelques pages. Ça lui fait oublier le sien. Celui où elle se sent toujours trop épuisée d'exister ces derniers temps.
Mais Ina va globalement bien, à part quand elle revoit les notes moyennes qu'elle se tape en cours. Elle voudrait rectifier ça, mais c'est sûrement à cause de sa fatigue constante. La seule chose qui cloche chez elle, ce sont ses insomnies.
Elle ne repense plus trop à l'amour, même si elle parle encore par messages avec Samuel de temps en temps. Il doit passer la voir ce samedi. C'est sûrement un rendez-vous même si Ina appelle plutôt ça une « rencontre » tranquille. Mélissa est persuadée qu'elle va le pécho. Mais la brune n'a plus la tête à ça dernièrement.
Elle aime juste se retrouver seule, passer du temps avec ses amies, apprendre à grandir sans soucis.
Cette ambiguïté avec Samuel, ça la tracasse de plus en plus chaque jour. Parce qu'elle ne sait pas vraiment si elle veut se lancer ou non, avec lui.
« Ina... »
Le message provient d'Issa. Ina ne l'a pas trop vu dernièrement. Comme toujours, il y a des phases où elle ne le voit pas souvent. Mais ce qu'elle aime bien avec son autre meilleur ami, c'est cette complicité qui ne s'érode pas, même avec le manque de temps.
« Oui ? »
« Élise est venue me parler »
Ina soupire, repense à Élise, qui a annulé tous leurs plans le weekend où elles devaient prendre un café ensemble en janvier. Elle repense à toutes les teintes de cheveux de son ancienne meilleure amie.
« Et ? »
« Elle m'a dit que son père est mort dans un accident de voiture la semaine dernière. Et qu'elle aimerait bien qu'on se voit bientôt... Quand t'aurais du temps... »
Le sang d'Ina ne fait qu'un tour.
Accident ? Mort ? Père d'Élise ?
Dans ses souvenirs remontant au collège, Ina pourrait réentendre la voix joyeuse du père d'Élise. C'était un monsieur très drôle et rempli d'optimisme. Un peu comme la Élise du collège qu'Ina appréciait voir chaque jour.
« Elle est libre ce soir ? »
« Je crois qu'elle est chez elle »
Ina se sent mal, sentant la situation lui échapper des doigts. Comment réconforter une ancienne meilleure amie qui a besoin de vous ? Ina n'en sait rien. Mais elle s'habille déjà. Elle donne rendez-vous à Issa et sort de chez elle sans prévenir son père.
***
INA N'A PAS REPOSÉ les pieds chez Élise depuis la seconde. Dans le couloir de son étage, elle se revoit, collégienne, venir faire ses projets d'anglais chez son amie.
— Salut.
Sur la palier, Issa est déjà devant la porte. Les deux amis se regardent, inconfortables. Puis, Ina prend son courage à deux mains et toque. Elle toque plusieurs fois.
— Qu'est-ce que vous faîtes là ?
Issa répond quelque chose. Ina, elle, se contente d'observer Élise. Elle n'a pas vraiment changé, à part pour son nouveau piercing au nez. Un air triste traverse son regard, serrant le cœur d'Ina par la même occasion.
— Élise... on s'inquiétait, avoue Ina.
Elle ne sait pas si elle est maladroite. En tout cas, elle fait du mieux pour lui faire comprendre qu'elle est au courant, et que même si c'est pas évident, qu'elle est là pour la soutenir.
Élise pousse alors un soupir, baisse les yeux, puis les relève quelques secondes avant de craquer.
Ina découvre alors la blonde en train de pleurer, pour la première fois.
***
— VOUS VOUS SOUVENEZ du prof de techno ? Mr. Gonzo, lance Issa en se souvenant d'un dossier.
Les trois adolescents sont allongés sur le lit d'Élise. Ina sent que ses cheveux s'entremêlent dans d'autres cheveux. Depuis deux bonnes heures, Élise reste silencieuse, écoutant, souriant et pleurant de temps en temps. Ina et Issa font de leur mieux pour lui remonter le moral. Mais c'est difficile, parce que la mort récente d'un proche, c'est tout sauf surmontable là, tout de suite.
— Grave. Il était chéper... On l'avait cramé lui et la remplaçante vers la photocopieuse. N'importe quoi, réplique Ina.
Les trois anciens amis se remémorent ces drôles de souvenirs. Puis Ina sent que le silence qui suit n'est pas facile à supporter. Parce qu'Élise n'a pas ri, et qu'elle pense encore à son père parti.
— J'ai mal, avoue la blonde.
Ina a mal aussi. Incomparablement moins qu'elle, mais quand même. Elle s'imagine à sa place et se demande comment elle aurait réagi. Elle se souvient de la fois où elle avait dit « Crève » à son père, il y a deux ans. Ça remonte à loin, mais Ina se sent presque honteuse d'avoir dit ça.
— Et vous savez c'est quoi le pire ? poursuit Élise.
Les deux autres se taisent, patients et attristés par la fragilité de sa voix.
— Le comble c'est que y a que vous deux qui puissiez m'aider là tout de suite. Vous voir, c'est comme s'il n'était pas parti et que j'étais une gosse épanouie. Et même si toi, tu m'as brisée le cœur, trompée, et fait du mal ; et que toi, t'as juste... abandonné notre amitié... Malgré tout ça... Je suis tellement soulagée de vous avoir à mes côtés. J'sais pas, je me fais pitié... Je sais pas... J'ai l'impression que rien a changé.
Ina lui serre la main. Issa éteint la lumière du lampadaire. Ils faisaient ça avant, quand ils avaient treize ans. C'est drôle comme âge, treize ans. On découvre la vie, on pense avoir tout compris ou tout à comprendre. On se croit grand. Trop grand.
Cinq ans plus tard, il n'y a rien de vraiment acquis. Et leur grand trio fait partie du passé.
— Élise... chuchote Ina.
Elle sanglote dans ses draps, et la brune lui caresse les cheveux tendrement. C'est impossible de ne pas être percée au cœur en écoutant la scène. Car être aux côtés d'une personne vulnérable, c'est comme se prendre une grosse claque qui nous rappelle que rien n'est tout blanc dans la vie.
Mais rien n'est tout noir non plus. Et d'une voix teintée d'espoir et de bonne volonté, Issa chante pour Élise afin de lui faire oublier l'impuissance du monde face à la vie.
***
SAMUEL VIENT DE LUI ENVOYER un texto :
« Ça me bouffe de pas te voir plus souvent. ».
Ina sert le téléphone contre son cœur. Il s'attache trop vite.
Elle ne sait pas si elle a la force de lui répondre quelque chose qui lui ferait plaisir. Elle écoute le silence de la chambre d'Élise, repense à la Ina qui aimait tout chez Samuel par le passé, qui est sceptique face à ce retournement de situation trop peu envisagée.
Il faut qu'elle lui dise...
***
QUAND SAMUEL arrive ce samedi, il pleut. Ina, trempée, est assise devant chez elle à l'attendre. Elle a beaucoup réfléchi sur lui, sur elle et sur ce qu'elle va lui dire ce jour précis.
— Hey jolie cœur. T'as mauvaise mine, remarque-t-il d'un ton dragueur.
Elle l'observe avec son parapluie, ses grands yeux brillants et son teint resplendissant. Elle mentirait si elle disait qu'elle ne le trouvait pas attirant.
— J'étais à un enterrement ce matin, ça m'a fait beaucoup réfléchir, avoue-t-elle tout simplement.
— Oh.
Samuel s'assoit à côté d'elle, glisse sa main dans la sienne et la pluie cesse de clapoter sur les cheveux d'Ina. Samuel a fait tellement de route pour elle. Elle aurait juste pu lâcher la bombe par message... mais elle voulait quand même le faire en face, par respect pour lui.
— Sam'...
Elle se souvient de la fois où il lui a offert son premier baiser, le sentiment de bonheur envoûtant qui l'avait émue tout l'été. Elle se souvient de la fois où ils s'étaient échangé ce long regard à la soirée. Où Ina de 15 ans n'avait plus peur d'être intimidée. Elle se souvient du klaxon, de la neige, de toutes ces fois où ça avait raté.
— Désolée.
Elle espère qu'il comprend, qu'il voit où elle veut en venir. Mais il n'a pas l'air de déchiffrer ce qu'elle veut dire. Alors Ina se tourne entièrement vers lui.
— Pardon.
Elle reprend son souffle, et lui explique :
— J'ai pas les mots pour décrire à quel point tu es une bouffée d'air dans cette vie. À quel point t'as été là pour moi quand j'en avais besoin parfois. Merci, vraiment. Tu vois, j'ai beaucoup réfléchi, et je me suis dit : « est-ce que je te tente un truc ? » pour toi et moi. Et j'ai réfléchi, vraiment, vraiment longtemps. Et puis, y a cet accident qui frappe la famille d'une de mes amies, et j'ai commencé à tout remettre en question. Et je crois que...
— Tu me recales.
Elle acquiesce fatalement.
— Désolée. Je veux vraiment pas que tu t'investisses pour rien. Je veux pas que tu donnes de l'énergie pour quelqu'un d'aussi indécis que moi.
Samuel sourit tristement, se gratte la tempe et croise son regard sombre. Elle ajoute :
— Cette année, j'ai l'impression d'avoir vécu à travers les autres. Et j'ai vécu grâce à toi aussi. Avant, quand y avait Edgar, je vivais aussi à travers lui. Puis, y a eu mes amis, et j'ai été là pour Théodore. Et je me suis retrouvée partiellement. Ça m'a fait autant de mal que de bien. Après, t'es arrivé et je me suis dit : « wow ». Parce que t'es génial.
— Mais y a un « mais »...
— Le « mais » c'est moi Sam'. Et... j'ai pas envie de jouer avec tes sentiments, de te bouffer du temps alors que je veux juste être bien avec moi-même. Parce que j'ai pas envie d'être égoïste : de faire croire que je peux tomber amoureuse de toi alors que je ne sais pas si j'en ai envie. Je veux pouvoir te rendre ce que tu vas m'offrir, toi. Je veux te respecter et te voir épanoui. Et j'ai pas envie que ces petits moments où des cœurs peuvent battre légèrement te suffisent. Parce que ce sera pas suffisant, à la longue. Parce que dès le départ, j'aurais pas parié sur nous.
Ina finit par lâcher :
— T'as dit une fois que t'étais ma relation-pansement. Mais tu sais quoi, Samuel, pas du tout. Vraiment pas. T'es juste un putain d'ange qui m'a aidé à traverser la cassure de ma famille et la fin de ma première histoire d'amour. T'es Samsam' quoi. Et je veux pas qu'on s'impose de fausses limites.
Elle lâche délicatement sa main.
— Excuse-moi.
Et Samuel, d'une main douce et compréhensive, remet en ordre les cheveux d'Ina.
— T'as le droit de pas tomber amoureuse de moi. C'est chiant mais ça arrive... tente-t-il avec un sourire.
Puis, sans grande once de colère, il replie son parapluie en ajoutant:
— Mais... juste fais-le galérer, s'il revient.
Ina sait très bien qu'il parle d'Edgar. Mais la brune n'est concentrée que sur les réactions de Sam'. Elle veut qu'il comprenne qu'elle ne veut que son bien. Et que leur rapprochement n'est pas superficiel.
— J'suis plus amoureuse de lui.
Il comprend. Samuel voit bien qu'elle dit la vérité, qu'Ina est passée à autre chose malgré toutes les phases de doute par lesquelles elle est passée. Elle lui avait parlé du mail des mois derniers qui avait touché son cœur mais qui n'avait fait que la faire rechuter. Et que petit à petit, elle s'est rendue compte que mieux valait juste arrêter de s'accrocher. Parce que dans cette situation, on doit continuer d'avancer.
— Amis alors ?
— J'crois bien que ouais, répond-il en haussant les épaules.
Ina voit bien qu'il a envie de l'embrasser et qu'elle a piétiné son cœur, d'une certaine façon. Elle voit bien que ses yeux sont moins brillants que quand il est arrivé. Mais Ina se sent tellement apaisée dans cette bulle éclatée, où elle peut enfin continuer à le fréquenter sans s'imposer la pression d'un éventuel baiser.
Elle ne veut pas jouer avec les cœurs et laisser l'incertitude la guider. Ina en a assez de douter.
***
nda: woah, vous vous souvenez de moi qui disais que j'étais inspirée? bah non en fait mdrrrr retournement de veste avec la rentrée et le manque de temps :///
j'ai réecrit ce chapitre quatre fois avec quatre versions différentes. j'ai gardé celle-là parce qu'en relisant, elle avait pas l'air trop dég.
le problème avec Ina et sa terminale, c'est que y a pas mal de redondance et j'ai peur de mal finir le bouquin. puis je sais plus qui est vraiment ina bizarrement, parce qu'elle ne sait plus trop qui elle est non plus. donc je stresse et me voilà à écrire 4 fois 3000 mots passés à la poubelle.
j'espère que vous appréciez quand même,
elo
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