01 | une journée et le souvenir d'été
INA SOURIT devant son miroir. Elle se force parfois à le faire, pour examiner plus précisément comment elle sourit face aux autres. Elle trouve sa tête tellement asymétrique que ça la perturbe un peu. Ses yeux sont-ils vraiment au même niveau ? Pourquoi est-ce qu'elle a l'impression que ses lèvres la piègent à chaque fois, ne sachant jamais où elles s'arrêtent quand elle se met du baume à lèvres.
— Fini de se mater ? lance Ingrid en entrant dans la salle de bain, des sacs de toilette remplissant ses bras.
Ina grimace puis attrape sa brosse à dents. Ah... sa charmante sœur. Pas besoin de répliquer par la parole, elle lui pince juste le bras, pour signifier son agacement. La blonde à côté d'elle abandonne et débute sa routine du matin, en mettant de l'eau micellaire sur du coton. À côté, Ina la regarde attentivement, trouvant ses gestes bien plus précis que les siens.
— Comment tu fais pour ne jamais être en retard avec tout ça... à faire ?
Ina se maquille très peu tandis que sa sœur suit des tutos chaque matin pour avoir des makeup originaux et différents tout le temps. La brune trouve ça inutile mais sa sœur adore.
— Bah je cours tout le temps, répond-elle simplement.
La brune sort de la salle de bain, attrape son sac, enfile ses converses et panique lorsqu'elle croise les yeux de son père dans le salon.
— Quelque chose ne va pas chérie ?
Elle le toise.
— Je t'ai préparé des œufs brouillés, assure-t-il.
Ina ne cède pas.
— J'y vais, dit-elle simplement à sa mère.
Elle n'aime pas trop cette situation. Cette guerre de silence contre son père. Mais à chaque fois, qu'elle est sur le point de céder, elle se souvient des messages envoyés à une autre femme qu'elle avait repérée depuis toute petite. Il trompe sa femme depuis longtemps et seule Ina est au courant. Elle l'ignore depuis deux mois déjà, et personne ne comprend pourquoi. Ina veut que ce soit lui qui fasse le premier pas.
Ingrid, elle, ne comprendrait pas. Elle ne jure que par les gâteries du papa.
— Attends ta sœur, conseille sa mère.
La blonde arrive dans la salle à manger dix minutes après, prend son petit déjeuner en vitesse et va se brosser les dents. Ina n'a pas vraiment envie d'être en retard pour sa première journée de cours. Mais Ingrid lui assure que ça ira et qu'elle connaît les horaires des bus par cœur.
— J'suis là !
La grande sœur de la famille fait la bise aux parents et échange une blague avec le père. Ina ouvre la porte, prête à décamper avant de voir Ingrid la rattraper.
— On y va ?
Et puis, après, tout ce dont se souvient Ina, ce sont juste des pas. Des pas qui foulent le sol. Des allures rapides jusqu'au bus. Et un très long essoufflement. Ingrid sourit à sa sœur, toujours de bonne humeur quand elles arrivent à monter dedans.
— Tu cours vite ! remarque la blonde.
— Mouais.
Les deux ont fait de l'athlétisme quand elles étaient petites. Puis Ina s'est consacrée à ses cours de piano et Ingrid à la natation.
— T'as repéré des beaux gosses ? demande-t-elle en montant dans le bus.
— Non, pas vraiment.
— Tu t'es faite des amies ?
— Non, avoue-t-elle.
Puis elle se rappelle de Mélissa mais s'abstient de rebondir sur ce sujet.
— Tu t'es remise avec Hugo ? interroge cette fois Ina.
Hugo et Ingrid sortent ensemble depuis la cinquième et n'ont fait que rompre ces derniers temps.
— Non, j'en peux plus, avoue Ingrid en baissant les yeux.
La discussion entre sœurs s'arrête là. Mais ça suffit amplement pour Ina. Après tout, le fait même qu'elle se pose une ou deux questions prouve qu'elles ne sont dans une période de conflits.
— On descend !
Et puis elles courent à nouveau. Le portail est sur le point de se fermer quand elles arrivent pile poil au moment de la sonnerie. Elles passent de justesse et Ingrid lève les pouces en l'air en remontant les escaliers.
— T'es dans quelle salle ?
Elle est interrompue par deux grands gars et une fille qui bondissent littéralement sur Ingrid. Ina voit très bien qui c'est. Samuel, Hugo en personne et Octavia. C'est le cercle proche de sa sœur. Ina grimpe quelques marches de plus et les salue, tout en croisant le regard de Samuel, le grand brun. Les souvenirs remontent alors en bloc d'un seul coup.
Le feu de camp. Les étoiles. L'été.
— Tu peux manger avec nous ce midi, assure Ingrid.
Ina prend ça bien. Même si ça lui rappelle son début de solitude.
— Je verrai, répond-elle simplement.
—————————
QUAND INA RENTRE dans la classe, tout le monde est déjà installé. Puis elle repère Mélissa qui lui sourit, au milieu de la classe, avec une place libre à côté d'elle. Ina s'y installe, se sentant un peu flattée par le geste de la brune.
— C'est gentil de m'avoir gardé une place, lâche-t-elle finalement.
Mélissa fait des yeux ronds, surprise.
— T'es de bonne humeur toi !
Ina sourit. En fait, elle est toujours un peu de bonne humeur quand elle croise Samuel. Les bienfaits d'un coup de cœur de longue date.
— On a cours de quoi ? demande Mélissa, faisant ainsi un effort pour ne pas perdre la conversation.
Elle est tellement pétillante que la bonne humeur d'Ina paraît maussade.
— Maths.
La brune soupire.
— T'es forte ?
Mélissa sourit.
— Ça va, au brevet, j'ai eu 18, répond-elle simplement.
C'est vrai que le brevet, c'était y a pas si longtemps.
—————————
À LA PAUSE de 10 heures, Mélissa force Ina à sortir avec elle dans la cour. Elle a envie de se jeter dans la gueule du loup.
Dehors, quand les secondes sortent, certaines personnes de niveau supérieur braquent leur regard sur eux, d'autres s'en foutent. De manière générale, Ina repère rapidement les bandes de gars en chien.
Même s'ils sont adolescents et qu'ils ne les impressionnent pas vraiment, Ina reconnaît se sentir légèrement petite face à tout ce monde. La seule chose qui les différencie reste l'expérience. Mais elle l'acquerra bientôt.
— Ta sœur nous fait signe de venir ! s'extasie Mélissa.
Ina soupire. Elle n'aime pas trop l'obsession de sa nouvelle partenaire de classe pour sa grande sœur. Mais Ina repère Samuel et ne peut s'empêcher de s'approcher un peu. Elle aime le regarder de loin depuis qu'elle est toute petite après tout.
— Alors cette matinée ? demande Ingrid.
— Grisante, répond Ina sur-le-champ.
Mélissa fronce les sourcils.
— Non, ça va, on a des profs cools.
— Bof.
Ina entend le rire des garçons derrière sa sœur.
— On a Mr. Téton juste après, annonce Mélissa.
C'est étrange l'aisance qu'a Mélissa à parler aux gens. Ina aimerait bien avoir ça. Un superpouvoir de communication. À part sa sœur et ses anciens potes du collège, elle n'est jamais vraiment à l'aise avec les autres. Elle a même une tendance à mépriser les gens.
— Monsieur Téton ? s'esclaffe Ingrid.
Elle se tourne vers Samuel, en train de discuter avec Octavia et deux autres personnes de leur énorme groupe.
— Sam' tu te souviens de Mr. Téton ? On l'avait en seconde.
Sam.
Le brun se tourne vers les deux Secondes et croise le regard d'Ina mais celui-ci se pose davantage sur Mélissa. Il l'examine.
— Bah ouais, c'est un malade ce mec.
Ina n'ose pas répondre. Mais la brune à côté d'elle, si.
— À ce qui paraît, il a fait agenouiller des élèves.
— Il est sadomaso obligé, ajoute Ingrid.
À l'écart, Ina se sent de trop. Alors elle prétend vouloir aller aux toilettes mais Mélissa insiste pour l'accompagner. Elle croise le regard de Samuel et se demande s'il a déjà oublié ce qui s'est passé cet été.
Cette soirée où elle lui a offert son premier baiser.
—————————
AU MENU, rien de bon.
— Tu peux m'appeler Mél', assure Mélissa en prenant un plateau.
Elle y dépose presque rien, trouvant la bouffe vraiment dégueulasse.
— OK.
— Tu traînes encore avec tes potes du collège ?... Comment ils s'appellent déjà ? interroge la brune.
— Élise et Issa ?
— Oui voilà, exactement.
— Oui, je les vois souvent, ment-elle.
Ina soupire. La bonne humeur de la matinée s'est évaporée au cours de Mr. Téton. Ce mec est un grand malade mais il enseigne bien. Mélissa devient un peu lourde à supporter et Ina espère retrouver un peu de calme et de sérénité.
— On mange où ?
— Partout sauf à la table de ma sœur, réplique Ina d'un ton tranché.
Mélissa obéit. Mais c'est sans compter le fait que la bande d'Ingrid n'est pas encore sortie de cours et qu'elle s'installe à la table d'Ina quelques minutes après.
— Tu manges vraiment rien toi, remarque Hugo à l'attention de Mél'.
Mélissa blague beaucoup, s'intègre parfaitement, sourit, rit, est authentique à elle-même. Tout le monde l'apprécie. Surtout les garçons qui l'appellent déjà « Mél » et la taquinent à fond. De son côté, Ina mange son yaourt en silence.
— Elle est reloue ta cop', murmure Ingrid à Ina.
La brune grimace face à la jalousie naissante de sa sœur.
— Hugo fait une soirée ce soir, vous voulez venir ? propose un autre mec.
Mélissa ouvre grand les yeux et cherche de l'aide dans les yeux d'Ina. « Viens avec moi ! » crient ses yeux brillants. Après tout, Ina est le liant entre cette bande de terminales et elle.
— Je viens si Ina... débute Mél.
— Non, répond simplement Ina.
L'ambiance de la table retombe et la brune sent que c'est le bon moment pour se barrer de la table.
Ingrid semble rassurée par la réponse de sa sœur.
— Venez, encourage soudainement Samuel.
— Allez, c'est bon, c'est juste une soirée... insiste Mél.
Ina, debout face à la table, a tous les regards braqués sur elle. Celui de Samuel lui fait un peu mal.
— Votre première soirée du lycée ! vend Hugo.
Elle voit qu'Ingrid n'a vraiment pas envie que Mélissa vienne. Et que même si Mél est gentille, Ina n'a pas envie de faire chier sa sœur. Et puis, elle n'aime pas les soirées. Alors elle lâche, égoïstement et de manière butée :
— Non, on s'en passera.
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QUAND INA RENTRE CHEZ ELLE ce soir-là, elle a les jambes en compote. Cette première journée de cours lui a paru interminable. Mélissa a forcé toute l'après-midi et s'est finalement résignée.
Dans le bus, avec les écouteurs sur les oreilles, Ina repense à l'été. Ingrid avait invité ses amis à la maison de vacances des Aurel. Samuel et elle traînaient peu ensemble mais quand ils le faisaient, elle se souvenait très bien de l'ambiguïté.
C'était bien. C'était agréable. C'était enfantin.
Finalement, elle aime bien Mél. Même si elle est un peu superficielle avec les garçons, elle reste fondamentalement gentille avec Ina. Et puis avec elle, Ina ne se sent pas vraiment seule dans ce grand lycée. Sa présence la rassure et elle sait que c'est mutuel.
Elle repense à ses amis d'avant. Avant qu'Issa et Élise se mettent ensemble et se mettent à ignorer leur meilleure amie. Ça lui manque un peu de ne pas pouvoir blaguer avec des gens.
Cette première journée de seconde ressemblera à beaucoup d'autres. Elle a l'impression d'être dans une bulle, ailleurs, perdue dans ce monde.
« On y va vrm pas ce soir ? :///// »
Le message de Mél ressemble à un reproche. Mais Ina fait avec.
— Salut.
Ina enlève un écouteur et relève la tête pour croiser le regard de Samuel, qui est en train d'attendre Ingrid devant chez elle. Ses yeux azur et ses cheveux bruns foncés la rendent toujours un peu molle.
— Salut, répond Ina.
Elle le voit poireauter sur son portable, en train de jouer à des jeux bêtes.
— Tu veux entrer ? propose la brune, trouvant l'attente du brun dehors un peu apitoyante.
Surtout qu'Ingrid prend toujours vingt ans à se préparer.
— Non, tranquille, j'ai l'habitude.
Elle hésite à rentrer mais espère que Sam' continue la discussion. Elle aimerait que tout le monde soit comme Mélissa au fond, pour toujours un peu faire perdurer la discussion. Mais ça ne vient pas. Alors Ina se rend compte que c'est à elle de faire l'effort de parler comme Mélissa.
— Alors ta première journée en Terminale S ?
Il lui sourit. Et elle se souvient de l'été, en boucle.
— Ça va ça va. Ils foutent la pression mais les profs dans ce lycée sont toujours comme ça. Sinon... elle était marrante ta copine quand même, avec la bande ça nous a changer les idées.
Ina fait mine de comprendre.
— Et toi ? Toujours aussi blasée ?
La question de Samuel lui fait bizarre.
— Comme d'hab, marmonne-t-elle en poussant un soupir.
Il la regarde mais elle n'ose pas croiser son regard.
— Dommage, lâche-t-il.
— Mh ?
Elle fronce les sourcils.
— Non rien.
Le silence perdure. Puis, elle sent qu'il va aborder le sujet :
— Tu sais... pour cet été... c'était juste pour...
— Me réconforter. Je sais, finit-elle la bouche pâteuse.
Ingrid apparaît à ce moment précis, rompant le moment de gêne. Ina aimerait la prendre dans ses bras pour ce timing parfait. Elle rentre chez elle, salue le duo de meilleurs amis et file dans sa chambre sans saluer son père. Elle vient de fuir le gars qu'elle aime.
Sur son lit, elle se souvient du soir précis. Il l'avait trouvée en train de pleurer sur la plage. Ina qui pleure, une grande première.
C'était le soir de l'anniversaire de son père. Et voir sa mère faire de son mieux dans la maison de vacances, en train de tout faire pour que son mari soit heureux, ça lui brisait le cœur.
Samuel a tenté de la réconforter tout en sachant rien de ce qui se passait. Et, vulnérable comme elle était, Ina s'est confiée.
Et puis ils se sont embrassés.
Et ils n'ont jamais cessé de faire comme si de rien était.
C'est tout. Mais c'est déjà trop à oublier pour elle, au fond.
nda: ce premier chapitre installe un début de routine et les personnages avec leurs petites intrigues ou caractères. en vrai ina elle est tellement blasée par la life que quand j'écris, j'suis toute blasée.
mais j'laime bien;
les personnages ont chacun leurs défauts et j'espère qu'ils vous plaisent;
que pensez-vous du chap? des persos et leurs attitudes?
merci de me lire encore!
elo
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