« Cher journal,

            Toute ma vie, j'ai cru que les Grands Sage disaient la vérité et je n'ai jamais remis en doute la bonne parole de l'État. Je croyais mes parents et mes enseignants quand ils affirmaient que le réchauffement climatique était derrière nous et que le monde d'aujourd'hui était bien meilleur que celui d'hier. J'avais foi en l'État et je croyais qu'il était là pour nous protéger et nous offrir un monde plus vert, plus pur et plus sûr. Je me trompais.

            J'ai rejoint Extinction Rébellion il y a un mois et je suis toujours sous le choc de ce que j'y ai découvert. Les jeunes que j'y ai rencontrés sont tous investis dans la résistance contre l'État et la lutte contre le réchauffement climatique. Au début, je suis resté en retrait, n'osant toujours pas croire que j'étais bien dans la réalité. Je me demandais si ces jeunes n'étaient pas des complotistes et s'ils ne cherchaient à véhiculer de la peur parmi la population, uniquement pour s'amuser ou renverser le gouvernement.

            Severn1992, qui s'appelle en réalité Ania Brundtland, est une jeune fille de bonne famille, étudiante, dont les parents sont tous les deux cadres supérieurs. Son père est Agent d'État et travaille au Ministère de la Sécurité et de la Protection où il rédige des rapports d'incarcération. Quant à sa mère, elle est chercheuse et écrit actuellement une thèse en géohistoire qui s'intitule Les baleines. Une espèce récemment disparue. Ania fait des études pour devenir biologiste. Elle veut travailler sur la biodiversité et sur les espèces en voie de disparition. C'est grâce à ses parents et par ses études qu'elle a pris conscience que les médias nous mentaient et manipulaient l'opinion publique.

            Les Grands Sages ont créé un monde mensonger et façonné de toute pièce. Ils nous ont fait croire que le réchauffement climatique était de l'histoire ancienne et ils continuent à manipuler, via leurs ministères, l'information pour que la population reste ignorante.

            Je croyais que l'humanité avait appris de ses erreurs et des catastrophes de 2030-2050. À l'école, on nous a mille fois répété que nous en étions sortis plus sage. On nous a dit que nous nous étions adaptés. Grâce à l'intelligence humaine et l'usage de la géo-ingénierie, nous avions développé des techniques pour nous adapter aux effets causés par la modification du climat. Certes, le changement global avait entrainé des modifications majeures sur le monde et des conséquences irrémédiables, mais nous avions appris de nos erreurs pour éviter de les reproduire. Nous nous étions même affranchis de la nature en créant des eaux artificielles, de la nourriture de synthèse et on nous promettait que nos usines et leurs rejets toxiques et polluants n'avaient plus d'impact sur le vivant, ni sur un possible réchauffement. On nous a dit que nos ressources, qu'on disait jusqu'alors limitées, étaient devenues illimitées puisque nous étions capables de les multiplier dans des laboratoires.

            Et pourtant, depuis que je côtoie mes nouveaux camarades et que j'ai rejoint cette antenne locale, je m'aperçois qu'on nous a toujours menti et que toute ma vie, j'ai vécu dans le mensonge. Mes parents aussi sont des menteurs. Et surtout mon père. Car, comment un chercheur et ingénieur, spécialiste de l'eau, peut-il ignorer ce que fait l'État ?

            Je me sens trahi, dupé, trompé. Et je suis en colère. Au lycée, je ne suis plus concentré en classe. À la maison, j'ai l'esprit ailleurs et mes parents me reprochent de ne plus travailler aussi bien qu'avant. Ils pensent que je suis amoureux et que l'amour me distrait. Ils ont faux sur toute la ligne. Je suis seulement révolté.

            Le 8 décembre, j'ai suivi Ania dans la rue. Comme elle et les autres partisans du mouvement, j'ai pris une pancarte, je l'ai dressée au-dessus de ma tête et j'ai scandé des slogans pour alerter la population sur l'urgence climatique. J'ai moi aussi appelé le gouvernement a cessé ses mensonges et prendre des mesures. « Elle pleure, ma planète. Elle sent que sa fin et proche et ça la rend folle. Dites-leur qu'ils sont fous. La terre en a ras le bol un point c'est tout ! ». C'était tellement grisant. J'étais dans l'action. J'avais l'impression, pour la première fois de ma vie, de faire quelque chose de vraiment utile, même si c'était interdit.

            Je me suis senti envahi d'une force indescriptible, comme si rien ni personne ne pouvait m'empêcher de chanter. Et puis, les CRS sont arrivés et ils ont commencé à nous jeter des gaz à la figure. Ania et moi avons réussi à sortir du cortège avant qu'ils procèdent à des arrestations. Heureusement, car j'ignore comment mes parents auraient réagi s'ils avaient dû venir me chercher au commissariat.

            J'ai continué à marcher dans la rue jusqu'à ce que le gouvernement proclame l'État d'Urgence et interdise toute manifestation et rassemblement. Maintenant, j'ignore quoi faire. Doit-on développer d'autres modes d'actions ou rentrer bien sagement dans les rangs en attendant que la situation s'apaise ?

            Je ne suis qu'un ado de seize ans et j'ai parfois l'impression que cette lutte est vaine. Je ne veux pas céder au fatalisme, mais je me sens dépassé. Comment puis-je réellement lutter contre le réchauffement de la planète ? Comment puis-je lutter contre un système politique corrompu ? Je me sens déprimé depuis que l'État d'Urgence a été déclaré. Au lieu de nous museler, ne feraient-ils pas mieux de soutenir de notre action ? Ne pourraient-ils pas plutôt déclarer l'urgence climatique que la répression ?

            De quels leviers d'actions disposent la jeunesse pour faire changer les choses ? Au secours Mme Moulin, j'ai besoin de vous.

            Journal de Romain, 27 janvier 2150.

Extrait de la chanson de Ridan, Objectif Terre. C'est un hymne à l'environnement dans lequel l'auteur exhorte le peuple français a réagir pour sauver la planète, par la voix des enfants.