5-Captive


Je reconnais le timbre chaud de Célestin.

- Passates, soyez bénis dit-il aux gardes.

- Passates, bénis soyez, répondent-ils.

- Y a-t-il un problème ? demande-t-il d'une voix hautaine.

- Non, ils sont en règle, frère Célestin.

-Alors, laissez-les passer, mes frères. Sœur Gabrielle et son maître ont le médicament du chef des armées !

- Tout de suite, frère Célestin.

Les rues silencieuses de la ville sont ornées de chalets en bois. Émir avance d'un pas pressé aux côtés de Célestin. Nous empruntons une ruelle au bout de laquelle un chalet nous tend son immense terrasse. Nous montons les marches sous les gémissements d'une voix à l'étage. Je sais que Célestin empoisonne son supérieur depuis une semaine pour justifier notre présence.

Nous entrons dans une chambre. Je reste en retrait tandis que Célestin et Émir s'avancent au chevet du chef des armées. Sa barbe noire descend jusque sur sa poitrine et sa tignasse tout aussi sombre se dresse dans tous les sens. Celui qui a l'habitude de commander agrippe d'une main puissante celle de Célestin.

- Frère Célestin, m'apportes-tu mon remède ?

-Oui, Frère en chef. Je vais demander à votre servante de le préparer.

Le malade acquiesce des yeux et une femme, dans la même tenue que la mienne vient me prendre les lianes de periploca. Quelques instants plus tard, elle lui apporte la décoction qu'elle a préparée avec les lianes.

-C'est bouillant, imbécile, crache-t-il en repoussant la femme.

La domestique ne dit rien et va d'un pas pressé rajouter de l'eau froide. L'homme boit l'infusion. Il ne faudra que quelques heures pour le remettre d'aplomb.

Émir et moi avons le droit de nous restaurer dans la cuisine, puis nous quittons le chalet. Nous devons traverser toute la ville jusqu'au Nord. Célestin nous accompagne aussi loin qu'il peut, mais il doit reprendre son service. Il nous souhaite bonne chance et nous laisse poursuivre notre route. Nous sommes presque arrivés lorsqu'un hurlement retentit. Une troupe de cinq Jovites, reconnaissables à leur tenue blanche, tuent deux Passates et s'emparent de leurs servantes. Ils arrivent au grand galop dans notre direction. Je ne peux m'empêcher de fixer les chevaux. Eux aussi sont rares. Mais je n'ai pas le temps de m'attarder, un filet me tombe dessus et deux Jovites me capturent, me hissent sur la monture et nous nous enfuyons au galop. Émir heureusement n'a rien, mais je vais devoir m'en sortir toute seule. Nous arrivons au poste de sécurité. À coup de machettes, ils massacrent les gardes sans la moindre émotion.

Je chevauche, inconfortable, comme un paquet, en travers du cheval. Chaque galop m'écrase l'estomac et me coupe la respiration. La poussière de sable soulevée par les sabots, m'imprègne les cheveux, me rentre dans les yeux, les oreilles et la bouche. Lorsqu'enfin, la course s'arrête, je respire longuement. Bien sûr, j'ai peur, mais je la bâillonne bien au fond de moi. Les Passates ne nous poursuivront pas. Ils ne prêtent que peu de cas à leurs esclaves. Finalement, les chevaux s'arrêtent et l'on me descend.

Des femmes me libèrent du filet. Je regarde la grange. Dehors crépite un feu de joie autour duquel des femmes à moitié nues se trémoussent au son d'instruments dont je ne connais pas le nom. Cela fait du bien d'entendre une musique différente.

Deux filles s'occupent de moi, me nettoient, comme elles le font avec leurs deux autres captives. Les femmes Jovites n'arrêtent pas de sourire. Elles sont maquillées à outrance et portent une tenue blanche provocante, leur poitrine à peine voilée, leurs jambes dévoilées. Les hommes, chauves, pour la plupart, ont les yeux clairs. De longues chaînes en or pendent sur leur torse nu et leurs yeux sont soulignés au khôl. Il est difficile de concevoir de peuples plus opposés que les Jovites et les Passates. Pourtant, à bien des égards, leurs attitudes sont similaires. La femme Jovite a le droit de parler, de se maquiller à l'excès. Elle est même encouragée à chanter et à danser. Mais jamais elle ne doit prendre la place d'un homme ni le mettre en position d'infériorité.

- Comment t'appelles-tu, me demande l'une d'entre elles ?

- Gabrielle.

-N'aie pas peur, tu t'habitueras vite. Regarde, ici tu peux chanter, danser, être coquette !

- Elle s'apprête à me déboutonner, mais j'entame un mouvement de recul.

- Allez, allez ne sois pas timide !

Je ne sais pas très bien ce qui se passe dans ma tête à ce moment, mais je mets littéralement les jambes à mon cou. J'étais la plus rapide au campement. Sans réfléchir, j'accroche la crinière d'un cheval et enfourche la monture, priant que je réussisse à rester dessus. Au triple galop, mué uniquement par un réflexe de survie, je talonne les flancs de l'animal et m'agrippe à son encolure désespérément, de peur de tomber. Heureusement, la robe du cheval est aussi noire que ma tenue. Nous serons difficiles à poursuivre dans la nuit. Les Jovites aussi ne se soucient guère de leurs femmes, surtout que j'étais une cible improvisée. Je réalise pourtant qu'ils vont vouloir récupérer le cheval, alors à regret, je descends de la monture qui, sans demander son reste, retourne d'où elle vient.

Je continue à marcher pendant des heures sur une terre molle, qui sous le faible éclat de la lune, semble dépourvue de verdure. Exténuée, je me relâche et me laisse alors envahir de désespoir. Que vais-je faire seule au milieu de nulle part, sans moyens de subsistance ? Je regarde autour de moi. De la terre battue dans toutes les directions. Je lève la tête en direction du ciel et c'est à ce moment que je décide de suivre l'étoile Polaire. Je marche ainsi toute la nuit à la force de l'espoir et de la persévérance jusqu'à ce qu'épuisée, je m'écroule.

Les rayons déjà chauds du soleil matinal me réveillent. Je me redresse. Mes yeux s'arrêtent sur le sol rouge et balayent le désert à perte de vue jusqu'à ce que je me retourne : à des centaines de pas de moi, un mur de cristal blanc se dresse comme un mirage. J'ai atteint la porte d'Eudora.

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