4 - En route
Je connais le plan par cœur.
Avec Émir, nous devons marcher pendant cinq jours dans la forêt à destination de la ville de Aël Gui Loch. Émir me dit de conserver ma tenue noire, car la forêt est suffisamment dense pour nous protéger des harpies féroces. À la nuit du deuxième jour, alors que nous avons installé notre hamac sous un arbre gigantesque, une série d'éternuements successifs me saisit. Maudites allergies ! Émir se redresse, prend son arc et guette.
L'attente n'est pas longue. Un claquement d'ailes frappe le silence. Je cligne des yeux. Il fait noir. Et puis je les vois : des petits yeux rouges perçants. Le vent chasse les nuages et la lune réapparaît. Mon regard se précise. Une énorme créature verdâtre aux ailes membraneuses, suspendue à l'envers par les pouces, nous observe de sa branche. Ses oreilles pointues, ses dents aiguisées n'augurent rien de bon. Elle est colossale. Un mouvement de trop et ma jugulaire sera sucée jusqu'à l'os.
Les chauves-souris Passates sont dressées pour tuer en aspirant le sang de leurs victimes. La créature ne me quitte pas des yeux et je reste pétrifiée. Le temps ralentit. Le chiroptère pousse un cri strident et déploie ses ailes. Son patagium révèle une amplitude d'un bon mètre. Il s'envole. Je le perds de vue. Mon cœur s'arrête de battre. J'entends le battement d'ailes se rapprocher. Un sifflement sourd. Une chute. Émir, rapide, l'a harponné de sa flèche. La créature est tombée raide. Mon ami me presse tout en gardant le silence. Nous devons fuir avant que d'autres chauves-souris n'arrivent.
Nous partons au pas de course contrôlé, ce pas que nous avons appris, suffisamment rapide, suffisamment silencieux. Émir m'a juste jeté un regard désapprobateur. Je sais bien ce qu'il pense. J'ai été élevée pour cette expédition et je ne suis même pas capable de faire face à la première chauve-souris Passate que je croise. Je ne suis pas née guerrière. Je n'y peux rien. Et puis c'est aussi pour ça qu'il est là.
Une fois le danger écarté, nous nous posons dans un coin. Émir me tend le hamac. Nous dormirons à tour de rôle. Les chauves-souris ne sont pas le seul péril. La faune devient particulièrement dangereuse à l'obscurité. La nuit se passe par tranche de deux heures. Enfin, le jour réapparaît, éloignant les chiroptères. Nous continuons en tenue noire, cachée sous le ciel tapissé de feuilles que nous offre la forêt vierge, priant cette fois qu'aucun aigle Jovite ne croise notre route.
Des jours durant, nous continuons ce manège. Nous dormons peu et mangeons à peine.
Enfin, à l'aube du cinquième jour, nous parvenons à la périphérie des bois. Émir m'ordonne de l'attendre. Il revient quelques minutes plus tard avec des petites lianes de periploca qu'il a ramassées à la lisière de la forêt. Devant nous se dresse le fort Passate de Aël Gui Loch. Des aigles noirs survolent la clairière, prêts à s'attaquer aux harpies féroces qui s'improviseraient dans leur espace aérien. Émir me tend la gourde.
- Nettoie-toi un peu. Une esclave qui accompagne son maître en sortie botanique n'a pas de raison d'être sale.
Je me tamponne le visage avec un bout de lin et rajuste mes cheveux. Aucune mèche folle ne doit s'échapper. Émir me regarde. Ses yeux semblent un moment s'attendrir comme si l'espace de quelques instants, il s'octroyait le luxe d'oublier que les Passates avaient massacré ses parents. Nos tenues réajustées, il s'avance d'un pas assuré et je le suis, la tête baissée, deux mètres en arrière jusqu'au poste de contrôle.
Nous saluons la sentinelle :
- Passates soyez-bénis, adresse Émir.
- Passates, bénis-soyez, répondent les gardes de sécurité.
Ceux-ci nous inspectent des pieds à la tête. Ils scannent le poignet droit d'Émir puis le mien.
- Pour qui travailles-tu, ma jolie ? Le plus petit d'entre eux s'adresse ouvertement à moi.
Je garde la tête baissée et ne le regarde pas. Il s'approche. Ses épaules sont légèrement plus basses que les miennes. La machine bipe, favorablement j'espère. Nos espionnes ont risqué leur vie pour nous avoir ces codes.
- C'est mon esclave, précise Émir, sachant pertinemment que je n'ai pas le droit de parler. J'ai besoin de ses connaissances botaniques pour ramener du periploca au chef des armées.
- Ah, cette plante médicinale fait des miracles. En as-tu trouvé, mon frère ?
Émir m'ordonne de sortir la plante. Le garde l'étudie puis en coupe un brin.
- Si tu dis un mot de ce que tu viens de voir, je te tranche la gorge ! me menace-t-il en traçant un arc sur sa gorge à l'aide de son pouce.
Je baisse davantage la tête et plie les genoux en signe d'acquiescement. Émir se gratte la barbe d'impatience. Le second garde arrive à sa hauteur et s'adresse à lui :
- Quand êtes-vous parti ?
- Hier, lui répond-il.
- Nous étions de service tous les deux et nous ne vous avons pas vu passer, commente le garde.
- Nous sommes sortis par la porte-Ouest, rétorque Émir d'une voix froide.
Nous entendons des pas. Je n'ai toujours pas le droit de redresser la tête.
- Émir ! la voix s'écrie. Enfin !
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