Histoire deux : Et si il mourrait ?

-Racontez-moi en détail ce qui s'est passé.

Je ferme les yeux. La scène défile sous mes paupières. J'ai l'impression d'y être une nouvelle fois, face à lui. Face à moi.

*

Il vient de rentrer du boulot, il empeste l'alcool, il est de mauvaise humeur. Toutes les conditions sont réunies pour que je passe une mauvaise soirée. Il entre sans me lancer un regard, et il sourit à notre fille. Il l'embrasse, et se tourne pour la première fois vers moi « Il est temps qu'elle aille se coucher. ». Façon de dire, « j'ai besoin qu'on soit juste seul toi et moi. ». Je monte aller coucher ma princesse. Je suis fatiguée. Trop fatiguée pour ce que je vais endurer.

Je tarde le plus de temps possible dans la chambre de ma fille, mais après une histoire raconté et une berceuse, elle souhaite que j'éteigne la lumière pour dormir.

Je descends les marches qui grincent sous moi. La tête basse, je n'ose même plus l'affronter.

-J'ai quoi à manger ?

Il cherche une excuse pour s'énerver, ne pas frapper sans raison.

-J'ai fait des haricots verts, et du jambon.

Mauvaise réponse. Ça ne lui plait pas. Je suis trop fatiguée pour encaisser les coups.

-Tu sais faire que ça ? Je rentre du boulot, je suis affamé et tu me propose quoi ?!

Affamé de violence oui... Il m'attrape par le bras, me serrant fort, bloquant la circulation du sang. Je me laisse tomber d'avance. Lutter à tenir sur mes jambes ne me sers à rien car je sais qu'un moment ou un autre je vais m'écrouler.

-Relève-toi faignante.

Je ne peux pas crier lorsqu'il me prend par les cheveux pour me lever : ma fille dort en haut, faut pas qu'elle m'entende. Il ne faut pas qu'elle voit son père dans cet état-là, son père étant son héros pour elle.

En même temps de me lever, peinant déjà à tenir sur mes pieds, une pensée sombre me traverse l'esprit « et si il mourrait ? » D'un accident de voiture, d'une crise cardiaque, d'une chute dans les escaliers... Et s'il ne pouvait plus venir me frapper le soir ?

J'enlève cette idée de ma tête, je ne peux pas penser ça. C'est mon mari, pour le meilleur et pour le pire.

Et encore une fois, comme de nombreux soirs, il me fait danser, une danse qu'il contrôle. Il me manipule. Dans cette danse rythmé, des mouvements improvisés, sous une musique lourde et angoissante.

Il n'a plus le même visage, ce n'est pas celui que j'ai aimé la première fois. C'est d'autres yeux, remplis de rage que je ne connais pas. Une autre bouche lançant des injures, d'autres doigts qui me serres le cou, d'autres mains qui me font mal.

Il me cogne encore un moment, sur la joue, dans le ventre, derrière la tête. J'ai mal. Il hurle encore un moment. Je me répète dans ma tête « Et si il mourrait ? ».

Ça sonne presque comme une chanson, un titre mélodieux :

« Et s'il mourrait, serais-je en paix ?

Et s'il mourrait, je lui pardonnerai.

Et s'il mourrait, serai-je soulagée ?

Mais s'il mourrait, est-ce que je pleurerai ? »

Il me balance dans un coin de la pièce. Une corde n'est pas loin, je sais qu'il va s'en servir. « Et si il se pendait ? ».

Il fait claquer la corde sur mon corps, les marques, les cicatrices ça ne m'importe plus.

Je voudrais partir, le quitter, m'envoler vers de nouveaux lieux sans lui mais c'est impossible. Il m'a déjà prévenu « Si tu pars, je te prends ta fille et tu ne l'as revoit jamais. »

Il ne lui a jamais fait de mal, toujours attentionné envers elle. Il n'a jamais haussé la voix sur elle, ou la traiter injustement. Un père en or, exemplaire, un mari dégoutant, et violent.

Deux facettes si différentes.

Il jette de temps en temps un coup d'œil vers les marches, vérifier qu'elle ne se lève pas, qu'elle ne le voit pas. Il s'assure aussi que je ne fasse pas le moindre bruit.

La corde fait le même bruit qu'un coup de cravache, un bruit sec, qui claque contre ma peau. Mais ce n'est pas le plus douloureux, ce sont ces mots qui entre en moi et vient déchirer mon cœur. « Incapable » « Inutile » « Comment as-tu pu devenir mère ? » « Crève » « Salope » « Mocheté »

Je pleure silencieusement. « Et si il mourrait ? ». J'essaie de chasser cette sombre pensée, mais ça devient presque comme un vœu. Ma tête tourne en boucle « Et si il mourrait ?! ». Ma conscience me répète cette question, ce souhait en boucle, de plus en plus fort. Je n'ai jamais pensé ça, c'est la première fois mais ça ne s'arrête pas. Ma tête me hurle « ET SI IL MOURRAIT ? » et mon cœur bat d'excitation juste à cette pensée. Cette pensée me fait sourire mais je reviens bien vite à la réalité. A ces coups de corde donc je suis comme habitué. Mon corps anesthésié par la douleur.

Il cesse.

C'est fini, pour aujourd'hui. Il laisse tomber la corde à ces pieds et tourne le dos.

Mais ma tête n'arrête pas « Et si il mourrait ? ». Pas loin, sur la table un couteau. Je m'en approche, comme guidée par une force inconnue. Je saisie le couteau, le serrant de toute mes forces.

Il se retourne, me voit et se recule les mains en l'air avec un visage apeuré. Je ne l'ai jamais vu apeuré. Le sang qui coule de mon nez me chatouille, mes mains égratignés me piquent, mon cœur tambourine encore plus fort, si fort qu'on pourrait l'entendre dans toute la maison.

Règne un silence, un silence froid. Même mon mari ne parle pas. Il me regarde, une lueur de pitié dans les yeux.

Et finalement, dans ma tête tout change. « Et si je mourrais ? ». De nouveau en boucle, je tourne le couteau vers moi. Finalement tout serait plus simple, pour moi, pour lui, pour mes proches et même pour notre fille.

Notre fille. Ma fille.

Je réalise soudainement que si j'endure ça depuis un moment, sans partir c'est pour ne pas la perdre. Mais si je meurs ? Alors je la perdrais. Elle a seulement 9 ans, elle a besoin de moi. Et j'ai besoin d'elle. « Et si il mourrait ? ». La question prend un vrai sens, finalement comme une affirmation. Ma voix s'élève pour la première fois lorsque je pointe de nouveau le couteau vers lui. « Et si tu mourrais ? ». Le visage inquiet, il me supplie, tournant sa tête de droite à gauche et répétant des « désolé, je ne recommencerai plus. Chérie, regarde-moi, je suis désolé ! ». Mais une rage plane en moi, une colère impossible a canalisé. D'un coup sec j'enfonce le couteau dans son cœur. Un temps passe. Je retire plus difficilement que je le pensais le couteau. Couvert de sang, mon mari tombe à terre. C'est un moment joyeux. Je suis joyeuse. Mais encore possédée je plante une nouvelle fois un coup de couteau, un peu au hasard dans le ventre.

Je le vois souffrir comme il a dû me voir souffrir, sauf que pour lui ce sera une seule fois. Et je comprends le plaisir qu'il a eu.

Ces muscles se relâchent, je ne comprends pas tout de suite. Je suis bloquée au-dessus de son corps, du sang sur les mains. Il ne m'embêtera plus. Il ne me fera plus de mal. Je pourrai de nouveau montrer mon cou, me mettre en maillot de bain, mettre des tee-shirts sans avoir peur qu'on me questionne sur mes marques. Je vais pouvoir vivre. Profiter d'une nouvelle vie.

Soudain, ce petit bonheur s'arrête brusquement, en même temps que ma rage disparait. Je suis de nouveau moi, j'ai repris mes esprits. Mais je vois juste le corps de mon mari, celui que j'ai épousé étendue par terre.

Les larmes me montent aux yeux. Je ne vois plus cet homme violent, mais celui que j'ai aimé, qui m'a chouchouté. Je m'écroule contre son corps sans vie.

Je repense à notre rencontre dans le supermarché du coin. Son sourire, ces yeux pétillants. Je revois notre premier baiser, et ce soir où il m'a raccompagné. De ces tendres caresses, ces bisous sur tout le corps, et le plaisir que j'ai eu de nombreuses fois avec lui. Sa douce barbe, ces doux cheveux châtain, et son sourire. Il avait un sourire éblouissant, grand et qui donne la joie de vivre.

C'est à ce moment que j'ai réalisé que j'ai tué un mari mais aussi un fils, un ami, un neveu et surtout un père. J'ai tué le père de ma fille.

Je ne vaux pas mieux que lui. Je suis violente comme lui. Je suis un danger comme lui.

Les larmes coulent abondements, mais soudainement j'entends le plancher craqué. Ma fille. Elle se réveille, surement a-t-elle entendu mes pleurs.

La tristesse, la peur, la colère, tout pars aussi vite qu'elles sont venues. Il y a une adrénaline qui s'immisce en moi. Elle ne doit pas voir son père dans cet état.

Je suis bouleversée, prenant peu de temps pour réfléchir. Je prends une couverture qui trainait sur le canapé, et fait rouler le plus vite possible mon mari sur celle-ci pour pouvoir le tirer. En le faisant rouler, sa tête heurte le sol de façon violente, et même si je sais qu'il ne ressent plus la douleur, je ne réalise pas et lui donne un baiser réconfortant sur le front. Je ne veux pas qu'il souffre.

J'attrape les coins de la couverture et je commence à tirer vers moi. L'adrénaline qui loge en moi me donne une force que je n'imaginais pas. J'arrive à tirer son corps, avec un peu de difficulté mais assez vite. Je l'enferme la cuisine, avant de sortir, je place la couverture sur lui, comme pour ne pas qu'il prenne froid. Je sais qu'il est mort, mais je ne réalise pas.

Je sors de la cuisine, les yeux gonflés par mes pleurs. Ma fille descend la dernière marche. Incapable d'imaginer ce qu'il vient de se passer elle me demande :

-Pourquoi tu pleures maman ?

Une idée, vite.

-Car je faisais la cuisine et j'ai raté le plat. Pas grave mon cœur, va te recoucher.

Une bonne excuse puisqu'elle regarde le sol et voit des taches de sang.

-C'est quoi ?

Je rebondis sur mon mensonge d'avant :

-De la sauce tomate. Va dormir princesse, il est tard.

Elle hoche la tête et remonte. Moi je suis dévastée.

Je prends mon téléphone en retournant voir mon mari, allongé, yeux clos dans ma cuisine. La sonnerie retentit, je suis comme possédée.

-Gendarmerie national bonsoir ?

-J'ai tué le père de mon enfant. 18 Rue de Saint-Nazaire, Rouen.

Je raccroche, et prends mon manteau pour sortir dehors.

En quelques minutes des policiers arrivent à toute vitesse, et je m'empresse de dire avant même qu'ils parlent : 

-C'est moi, il est dans la cuisine, deuxième porte à gauche. Il est mort. Faites silencieusement s'il vous plait, ma fille dort à l'étage. Dîtes-lui que je l'aime.

Troublé, les policiers me menottent et rentre dans la maison.


*

La juge ôte ces lunettes pour me regarder, troubler par ce récit sincère. Raconter mon histoire était horrible, c'était revenir ce souvenir affreux, cette soirée désastreuse. J'ai raconté au présent tant j'avais l'impression d'y être : ces coups, son regard, mais aussi son cadavre. Chaque mouvement, chaque regard, chaque odeur et chaque ressentit. Je me souvenais de tout, de ce drame passé il y a un mois et demi. Elle replaça ces lunettes pour annoncer la sentence. Rien ne m'inquiétait : 5 ans, 20 ans ou même prison à vie, ce n'était rien. Du moment que je puisse voire ma fille de temps en temps.

Dans la salle, ma famille : mes parents, mes deux sœurs, et même mon oncle. Mais il y avait aussi la famille de mon mari : Sa mère, son grand-père, son demi-frère et son meilleur ami, et eux tous souhaitaient que j'aie la plus grande peine possible.

-Après délibération, grâce à ce que je tribunal a entendu, les témoignages, et en s'appuyant sur l'article 122-5 du « N'est pas pénalement responsable la personne qui, devant une atteinte injustifiée envers elle-même ou autrui, accomplit dans le même temps, un acte commandé par la nécessité de la légitime défense d'elle-même ou d'autrui, sauf s'il y a disproportion entre les moyens de défense employés et la gravité de l'atteinte », Mme. Valérie Sofie Nadia Jovly je vous condamne à une peine de 2 an et 5 mois de prison, avec droit de visite et sortie de 5 heures sous surveillance une fois par mois pour être avec votre fille.

Je ferme les yeux. « Et maintenant qu'il est mort ? »



XXX

Hey, hey ! Me voilà, j'espère que vous avez passé de bonnes vacances ! Deuxième histoire tristounette je l'avoue ! La prochaine sera plus joyeuse. Donnez-moi vos avis sincères, c'est très important pour moi.

Ici vos histoires à vous : (je comptes sur vous ! Personnages, situations, lieux...)

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