DEUX : Juste un rêve ?
*La musique en média peut être utile à la lecture*
Russie, janvier 1966
C'était le chaos.
Des cris fusaient dans tous les sens, déchirant l'air avec atrocité. Terrée dans un coin de la pièce qui lui servait de refuge, la petite fille ne pouvait rester en place. Elle n'avait jamais autant regretté d'avoir une ouïe aussi fine. Elle entendait des coups de feu, des bruits de fracas, de...
– Père ! hurla-t-elle lorsqu'elle sentit que les bruits s'approchaient à une vitesse plus rapide que prévue.
L'interpellé se contenta de se tourner vers elle, zen, en mettant son doigt sur sa bouche pour doucement l'intimer de se taire. A l'affût du moindre son, celui-ci, en Grand Leader qu'il était, gardait son sang-froid avec brio. Malgré tout, son comportement ne calma pas sa fille qui continuait à s'agiter. Car celle-ci savait ce qui allait se passer...elle sentait que les choses tourneraient mal, que cette fois, quel que soit l'issu, il y aurait de graves séquelles...voire des morts...
Pourquoi son père ne l'écoutait pas ? Il n'était pourtant pas sans savoir qu'elle avait toujours eu un sixième sens pour ça. Pour sentir quand la mort approchait.
Elle frissonna et cette fois elle agrippa instinctivement la poigne de son père.
– Pas cette fois, père.
Celui-ci n'aurait pas eu besoin de se tourner elle pour comprendre où sa fille voulait en venir, pourtant il le fit tout de même. Il découvrit exactement ce à quoi il s'attendait : un regard grave, dénué de toute expression, le même qu'elle avait quand elle venait d'avoir une révélation, une vision d'horreur...qu'elle sentait que la tournure des choses n'allait vraiment pas lui plaire.
– Ne fais pas ça, reprit-elle dans un chuchotement. Ne le laisse pas t'approcher d'aussi près, sinon...
Sa petite voix d'enfant se tue brusquement, incapable de finir sa phrase. Mais aucuns des Vampires présents dans cette pièce n'eurent besoin de plus de renseignements pour comprendre ses sous-entendus.
Aussi, son interlocuteur entreprit de la rassurer.
– Je sais...
Elle eut un léger soupir de soulagement, mais sa détente prit fin lorsqu'il continua :
– ...mais ce jour devait arriver un jour ou l'autre.
Il s'écarta aussitôt d'elle, pour lui faire comprendre que la conversation s'arrêtait là, ce à quoi elle réagit avec révolte :
– Ne dit pas n'importe quoi !
Mais il continua son chemin, s'approchant de plus en plus de la seule porte visible de la pièce. Il allait le faire, s'horrifia-t-elle intérieurement.
Elle se leva aussitôt de sa cachette.
– Père ! Tu n'as pas le droit de mourir aujourd'hui !
– Dimitri, Damien ! Occupez-vous d'elle.
– Nooon ! Tu n'as pas le droit de me faire ça !
Cette fois sa voix se fit perçante, à tel point que le Blackwood dû intervenir avant qu'elle n'éveille trop les soupçons.
– 'Becca, n'oublie pas ce qu'on s'était dit. Si tu ne le fais pas pour moi, fait le pour elle, ok ? Fais-le pour ta mère.
– Mais...
Les bruits de vacarme étaient tout proches...plus qu'une centaine de mètres et...
– T'es une Blackwood ou pas ? la coupa-t-il.
...trop tard, pensa la petite fille.
– Ils sont là... chuchota-t-elle, se rendant compte avec déception qu'il était désormais trop tard pour espérer pouvoir sauver tout le monde. Pour le sauver lui.
– 'Becca, t'es une Blackwood ou pas ?! insista durement son père en haussant le ton pour se faire entendre.
Elle se ressaisit aussitôt, comme si elle venait de recevoir un seau d'eau gelée.
– Oui ! Oui, père ! répondit-elle d'un ton solennel, tel un disciple de son maître.
Tous sentaient l'odeur de brûlé qui parcourait petit à petit la demeure, prête à gagner la pièce où ils étaient. Tous savaient que les ennemis venaient provoquer un incendie dans la demeure qu'ils occupaient. Pourtant, aucun d'eux ne réagirent, trop concentrés. Pour l'instant, la priorité était la sécurité de L'Héritière. Aussi, Marcus ne quitta pas une seconde sa jeune fille du regard et continua :
– Et tu sais quoi ? Les derniers debout...
– ...sont toujours les Blackwood ! finit-elle en même temps que lui, en faisant preuve d'une conviction sans nom.
Elle connaissait ce slogan par cœur. Depuis toujours. Ces mots avaient conditionné sa vie et, comme ne cessait de répéter son formateur, ils conditionneraient sa survie.
– Alors tu vas suivre le plan qu'on s'était promis de suivre, ok ?
– Ok.
Il comptait se séparer d'elle une dernière fois mais il ne put se résoudre à le faire avant de lui avoir faire comprendre.
– Ne t'inquiète pas, mon Ruby, hein : te iubesc.
C'est à cet instant-là que la porte de la pièce vola en éclat. Les assaillants pénétrèrent presqu'aussitôt dans la pièce mais Rebecca avait déjà quitté les lieux, suivie de près par Dimitri et Damien.
Elle courrait sans s'arrêter, assez puissante et entraînée du haut de ses six ans pour suivre un rythme s'approchant de l'équivalent d'un footing pour les deux Vampires qui l'accompagnaient. Ils passèrent par la salle secrète et contournèrent tous les types d'issues qui auraient pu être surveillées méticuleusement par l'ennemi. Pour l'instant, il était hors de question de mettre un pied dehors. Ça, le plan ne le prévoyait même pas, sauf en cas de dernier recours. Il fallait faire preuve d'ingéniosité, voyons ! Et la jeune Blackwood était prête à suivre le rythme.
« te iubesc. »...soit l'équivalent de « je t'aime » en roumain... C'était leur nom de code. Celui qu'ils s'étaient donnés. Elle avait compris le message de son père. Il n'y avait qu'une raison possible pour que son père ait prononcé ces mots, une seule raison possible pour qu'il se soit enfin décidé à l'avouer, à lui témoigner une affection plus étroite que celle à laquelle il lui arrivait d'avoir droit...une seule et unique raison pour qu'il cesse une seconde son ton autoritaire et laisse un sentiment aussi émotif apparaître ouvertement sur son visage : la fin approchait...et il comptait bien garder ses distances cette fois. ...C'était sa manière de lui dire une dernière fois aurevoir...
...Un adieu, en somme...
Incapable de laisser ses émotions prendre le dessus à ce moment-là, la jeune 'Becca garda la tête froide et dégagea sa frustration sur le bas de sa robe à volant qui la ralentissait : elle y déchira le bas avec force et hargne. Elle faillit même trébucher à force de tirer dessus de la sorte, et ce fut le certain Dimitri qui l'accompagnait qui la rattrapa juste à temps. Ils s'arrêtèrent alors un instant pour qu'elle se calme. ...Mais c'était trop dur. La jeune fille dû secouer plusieurs fois la tête pour ne pas céder à cette vague d'émotions et chasser cette envie meurtrière qui la gagnait petit à petit.
– Mademoiselle Blackwood..., commença le Vampire que son père avait appelé Dimitri, en déplaçant doucement son poing gauche de là où il était.
Ce n'est qu'à ce moment-là qu'elle se rendit compte qu'elle venait de frapper si violemment son poing contre l'objet le plus proche – un meuble quelconque en ébène – qu'elle venait de le fissurer. Elle se reprit aussitôt et ses yeux reprirent leur douce couleur émeraude. Inutile de lui rappeler que le temps pressait.
– Je sais, le coupa-t-elle dans un souffle avant de reprendre sa respiration pour continuer : Je saurais me débrouiller. Il est tant.
Les deux Vampires qui l'accompagnaient se regardèrent, puis hochèrent la tête avant de disparaître. Rebecca savait, elle n'avait pas oublié. Il fallait qu'ils se séparent, à présent.
Elle reprit alors sa course et s'apprêtait enfin à gagner la porte du sous-sol comme prévu quand... Elle sentit une masse énorme s'abattre sur elle, la projetant alors dehors à une vitesse ahurissante. Incrédule, elle constata la seconde d'après que l'individu concerné avait traversé le mur suite à une attaque, pour finalement s'écrouler dans cette zone du bâtiment censée être secrète. Elle se rendit compte par la suite que l'individu en question était en fait...une femme...et elle ne mit pas beaucoup plus de temps pour comprendre qu'elle avait affaire à une ennemie car, plutôt que de se soucier de son état, celle-ci chercha à la frapper dès qu'elle se rendit compte qui était en face d'elle. Rebecca évita son geste juste à temps mais ne réussit pas à sortir de son emprise. C'est donc avec violence et non sans surprise qu'elle encaissa le coup que la jeune Vampire lui donna à la tête. Encore sous le choc, Rebecca fut vite dépassée et usa de la seule défense dont elle avait accès : elle mordit férocement l'avant-bras de son assaillante en regrettant une énième fois qu'on l'ait jugé trop novice pour lui laisser une arme à feu chargée.
Mais elle n'était pas sûre de pouvoir tenir plus longtemps... Le sol sur lequel elle se trouvait était gelé et elle avait de plus en plus de mal à garder les idées claires. Il fallait qu'elle réussisse à avoir accès à son poignard avant qu'il ne soit trop tard, sinon...
Un homme s'interposa juste à temps, à une vitesse incroyable. N'ayant pas le temps de laisser son incrédulité prendre le dessus, la jeune Rebecca se redressa aussitôt afin de s'éloigner de la scène et l'observer de son côté. Cependant, la jeune fille ne put rien discerner : les deux Vampires se battaient à une vitesse surhumaine, beaucoup trop vite pour qu'elle arrive à suivre leurs mouvements. Elle décida alors de ne plus leur accorder de l'attention, de reprendre son chemin et elle s'apprêtait justement à se remettre à courir quand un corps atterrit tout juste à ses pieds. Elle recula dans un sursaut avant de se rendre compte avec soulagement qu'il s'agissait du corps sans vie de la femme Vampire qui s'en était pris à elle. Elle redressa alors son regard vers l'origine de cet évènement quand elle discerna, encore accroupi au sol, la silhouette d'un homme...qui lui paraissait étrangement familier. Pourtant, surprotégée comme elle était, le nombre de Vampires qu'elle connaissait se comptait facilement sur une poignée de main. Alors qui cela pouvait-il être ? Intriguée, elle se mit alors à s'avancer doucement vers l'individu toujours aussi immobile, en ne cessant de dévisager avec curiosité ce spécimen qui lui disait étrangement quelque chose et qui venait manifestement de lui sauver la vie... L'individu se semblait concentré et lui tournait le dos de sorte qu'elle était incapable de discerner son visage, pourtant elle aurait juré avoir déjà vu la chevalière qu'il avait au doigt...l'annulaire gauche. Exactement le même doigt... Elle s'approcha encore un peu, désobéissant ainsi aux ordres de son père puisqu'elle s'attardait sur place au lieu de continuer son chemin comme prévu. Mais s'était plus fort qu'elle, la curiosité avait toujours été son point faible...
– Tu..., commença-t-elle involontairement.
L'individu commença à se lever à l'entente de ce bruit...puis la jeune fille aperçut le tatouage qu'il avait au niveau de la nuque et l'identité de l'individu lui revint aussitôt en mémoire : c'était l'homme du couloir ! pensa-t-elle. Toutefois, elle fut incapable de se souvenir de son prénom...ce qui n'arrêta pas pour autant l'individu sur sa lancé : celui-ci redressa aussitôt la tête...et se figea lorsqu'il se rendit compte de la personne qui se trouvait en face de lui. Manifestement la jeune fille n'aurait pas dû pas se trouver là en ce moment même. Alors il disparut presque aussitôt. Il avait compris que si elle était ici, c'est que les choses n'allaient pas comme il fallait. Il devait jouer son rôle de proche de Marcus Blackwood et vite lui venir en aide avant qu'il soit trop tard.
Alors que la jeune Blackwood venait de le voir s'éloigner au loin, elle se mit à jeter un œil à l'immense bâtiment qui prenait feu devant elle et un seul mot sortit de sa bouche :
– Désolé.
Elle ne saurait dire à qui elle adressait ses paroles : à son père pour l'avoir laissé dans ce bâtiment...ou à ce disciple de Vampire qui verrait son Maître anéanti d'ici peu... Peu lui importait, maintenant qu'elle était dehors, elle se devait d'appliquer le plan B avant qu'il ne soit trop tard.
Elle sortit alors le poignard qu'elle avait gardé sur elle pour l'occasion et le planta avec force dans son abdomen, non sans regarder avec fascination tout le sang qui s'écoulait de sa plaie.
Faire comme prévu...compte sur moi, père, pensa-t-elle. Permets-moi juste de te faciliter la tâche.
Soudain épuisée, ses genoux flanchèrent et elle s'écroula au sol. Alors – et seulement à ce moment précis – elle s'autorisa à se laisser aller et laissa une larme symbolique couler le long de sa joue.
Elle sentait son énergie descendre en chute libre, elle sentait sa force lui échapper... Puis, pendant une fraction de seconde, l'image floue d'un homme qui lui était familier l'observant alors qu'elle était allongée dans la neige qui virait à une couleur désagréablement rouge lui vint en mémoire... Et, brusquement, tout s'obscurcit tandis qu'un sentiment étrange la gagnait... Elle le connaissait...elle en était persuadée... Il avait la même allure que... Perdue, confuse et dans les vapes, elle fut incapable de finir sa phrase. A la place, une autre pensée lui vint en mémoire : « L'homme du couloir »...serait-ce encore lui ?
Au fur et à mesure que les ténèbres l'attiraient à elle, elle commençait discerner les traits de la personne qui l'avait observé...et étrangement, la dernière pensée qui s'imposa à elle fut la suivante :
Caïn.
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