Chapitre 18 : Au Palais des Velvet

            Cette fois-ci, on ne m'avait pas déplacé dans mon sommeil. Je me réveillai au milieu de cadavres, l'odeur de sang empuantissant l’air. L'esprit embrumé, je parvins à me redresser. Combien de temps étais-je restée dans les vapes ? Suffisamment longtemps, réalisai-je, pour que le jour se soit levé.

            Même à l’extérieur, des corps gisaient, sans vie. Koll et ses hommes étaient clairement venus pour faire le ménage. Je levai les yeux vers les cieux. Toulon-Sur-Air y trônait toujours, majestueuse avec ses miroirs reflétant la lumière, afin de préserver les cultures en contre-bas. 

            J'ouvris les pans de ma tenue. Logée entre mes seins, l'unité de transfert était intacte. Pour une fois que ma poitrine me servait à quelque chose. Néanmoins, il n'était pas encore temps pour moi de  monter.

            Tous les locaux puaient la mort, pourtant je les fouillais de fonte en comble. Des Spirits, encore et encore, tous décédés, une balle dans la tête. Pas de torture, pas de questions. Juste une liquidation totale. D'ailleurs, je ne trouvais aucune information. Aucun papier, aucune marque, carte, hologramme, ordinateur. Rien. Aucun indice sur la position de Diaz, ou sur les raisons de l'implication de Velvet.

            Furieuse, je tournais et virais, l'esprit en ébullition. Jusqu'à ce que je me retrouve devant la porte.

            Je ne sais combien de temps je restais devant. Immobile. Comment pouvais-je savoir que c'était celle-là ? Je n'en avais aucune idée. Pourtant, c'était elle. Il n’y avait pas de doute.

            Mue par sa propre volonté, ma main se posa sur la poignée. Au dernier moment, je la retirai. Je ne pouvais pas aller là-dedans. La mission dans laquelle je m'étais engagée était trop importante. M'écrouler psychologiquement n'était pas la solution. Pas pour Darius. Pas pour lui rendre justice.

            En tournant les talons, je sus ce que je devais faire.

            *

            Aaron Cadwall ne broncha pas lorsque j'apparus en plein milieu de sa cuisine. Pas plus que Flaméne, dont la tasse de café resta parfaitement droite.

            -Bon retour, mademoiselle Arsor.

            -Besoin de soutient ? Demanda le commissaire.

            Je secouai la tête en les dépassant, les dents serrées à m'en faire mal.

            -Non merci. Je sais ce que je dois faire. Oh. Et merci pour ça.

            Cadwall récupéra l'unité de transfert portative, une tartine de confiture dans l'autre main. La bionique. Cela me rappela Darius. Encore.

            -Vous avez trouvé ce que vous cherchiez ?

            -Non, avouai-je en étudiant le décor dénué de fioritures.

            En dépit de l'attaque de Diaz sur cet appartement, il était presque comme neuf. Dans un coin cinq méchas s'occupaient de refaire la peinture, de colmater les trous laissés par les balles et un autre bataillait avec le sol. Seul le jardin, derrière les baies vitrées, en gardait toujours une marque bien visible.

            -J'ai croisé Koll.

            -Quelle surprise, fit Flaméne en s'installant aux côtés du génie de l'informatique.

            Elle prit la main de Cadwall dans la sienne, en un signe de soutien et d'amour si évident que je détournai le regard. Lui sourit tristement, en serrant ses doigts entre les siens. Tout ce que je ne pourrais plus jamais faire.

            Non. Je ne pouvais pas penser ainsi pour le moment. Le temps des larmes et des regrets arriverait bien assez tôt.

            -Vous avez un véhicule ?

            -Une Lamborghini. Les clés sont dessus.

            En vérité, le moteur tournait quand j'arrivais dans le garage. Un mécha masculin me fit un grand sourire en m’ouvrant la portière. Hum. Le couple Cadwall était plein de surprises.

            Vingt minutes plus tard, les vitres teintées me voilant au regard des autres conducteurs, et surtout de la police, je finissais de traverser la ville. Jusqu'à la demeure de Velvet. Là,  dans la Lamborghini, personne ne tenta de m’arrêter. Un mécha-groom m'aida à sortir, nullement gêné de me voir en tenue collante d'agent. Il ne devait pas être connecté au réseau de la police.

            Mes doigts jouant autour du bracelet de Trivari, j'ignorai le cadre grandiose de la maison. Enfin, maison... A ce stade, il s'agissait plutôt d'un domaine, en plein Toulon-Sur-Air. De plusieurs centaines de mètres carrés, elle faisait penser à l'un de ces palais anglais, tout de marbre, de colonnes, de fastes et de prétentions. Je marchais sur un sol immaculé, dans lequel je me reflétais. Pas une seule fois je ne baissais les yeux. Voir ce que j'étais devenu n'était pas une bonne idée.

            Cet endroit, en revanche, je le connaissais par cœur.

            Mes rares visites à mon fils m'avaient appris à connaître tous les recoins du bâtiment. Jouer à cache cache avec un enfant rusé tenait la gageure, aussi devenions-nous de plus en plus imaginatifs dans nos cachettes.

            Néanmoins, je savais où se trouvait ma cible. Déboulant dans les jardins sécurisés, je croisais d'autres méchas. Des jardiniers, ceux en charge de la piscine, ou, plus loin encore, les écuyers. C'est à la roseraie que je la trouvais.

            Luisa Velvet, un sécateur à la main, ne cilla pas en me reconnaissant. Un grand sourire serein aux lèvres, elle se redressa, une rose fanée entre ses doigts gantés. Sous le soleil froid de décembre, elle était d'une beauté glaciale.

            -Mademoiselle Arsor. Je me doutais que vous viendrez ici.

            -Pourquoi ? Parce que votre psychopathe de mari a orchestré l’enlèvement de son propre fils ?

            Sans perdre son sourire, elle posa la rose sur la table en fer forgé, entre nous. La main à l'orée de la crosse de mon laser, je la fixai, à l’affut du moindre geste suspect. Avec mes lunettes de soudeur sur le front, mes cheveux en batailles et mes yeux vairons, j'avais conscience de faire pâle face à elle. Luisa avait toujours veillé à faire la différence devant Viktor. Ses robes, ses bijoux étaient d’un faste presque indécent.

            -Vous en avez donc entendu parler. C'est regrettable, n'est-ce pas ?

            Je fronçai les sourcils.

            -Regrettable ? Chacun son point de vue. Le mien est simple : dites-moi pourquoi nous en sommes arrivés là.

            -Sinon quoi ? Demanda-t-elle.

            Mon haussement d'épaule était clair.

            -Je vous tue.

            Un soupir irrité franchit ses lèvres fardées. Luisa n'était pas vieille, mais son apparence stricte se chargeait d'augmenter le poids des ans.

            -Vous ne faites vraiment pas partie de l'équipe des négociateurs, ma bonne Arsor. Mais bon, soit. Je veux bien vous expliquer une ou deux petites choses. Votre fils...

            -Le votre, aussi. Vous l'avez clamé bien assez de fois.

            -Effectivement, grinça-t-elle, en retirant ses gants de jardinage. La vie ne m'a pas doté d'un utérus aussi fécond que le vôtre, à mon grand regret. Bref. Votre fils est capable de lire dans les esprits.

            Face à mon absence de réaction elle plissa les paupières. Son verni de civilité se craquelait à une vitesse surprenante. Que s'était-il passé avec Viktor, pour qu'une telle haine commence à transparaître ?

            -C'est de cette façon qu'il vous a reconnu pour sa mère, et moi comme la cocue de son père.

            Oups.

            -Je doute qu'il est employé ce type de langage, rétorquai-je, sur le qui-vive.

            -Oui. Viktor, ce petit Spirit, a reçu toute l'éducation que nous pouvions lui offrir. Un petit parasite au pays des riches !

            -P... Pardon ?

            -J'ai toujours détesté ce sale gosse ! Siffla Luisa. Mais je n'avais aucune arme pour le faire partir. Ronny voulait un descendant, un héritier pour son empire ! Je ne pouvais pas le lui donner, et vous, vous êtes arrivée comme une fleur, avec un enfant préconçu en vous ! De mon mari !

            Mes doigts se refermèrent sur la crosse de mon laser. La situation risquait de se gâter très rapidement.

            -Nous en avons déjà discuté. J'ai fait cela pour sauver la vie de Viktor, pas pour vous faire du mal. Je n'étais pas même censée apparaître dans son existence ! C'est Velvet qui m'a convoqué pour ses trois ans, sous le couvert d’être un agent de sécurité.

            -Et, miracle, il vous a vu comme sa mère ! S'écria Luisa. Qu'elle charmante coïncidence ! Mais à l'époque, je croyais que vous lui en aviez parlé. Pas qu'il avait lu dans votre esprit sa filiation maudite ! Bon sang, je ne comprends pas comment Ronny a pu s'enticher d'une gourde pareille.

            -Je ne suis pas d'humeur magnanime, madame Velvet. Dites-moi pourquoi nous en sommes là, pas pourquoi vous m'en voulez.

            Elle jeta ses gants sur la table en fer forgé, furieuse.

            -Vous voulez le savoir ? Parce que Viktor est un monstre, mademoiselle Arsor ! Et pour se débarrasser d'un monstre en toute tranquillité, nous devons aussi couper la tête de la mère !

            Quoi ? Mais… C’était ça, la raison ? C’était…

            C'est alors que je m'aperçus de la présence des méchas, tout autour de nous. Silencieux comme des ombres, ils s'étaient rapprochés durant notre échange, tout sourire. Les choses virèrent brusquement. Ils me sautèrent dessus, dans un ensemble qui fit exploser mon taux d'adrénaline. L’électricité éclata autour de moi, à un tel voltage que le silicone fondit sur leurs bras tendus. Mais la structure en acier de leurs membres, formée par la Mécha Entreprise, résista. Forcément. Cadwall avait dû penser à cela en cas de fuite d’énergie au niveau de leurs batteries.

            Bon sang, je n'avais pas de temps à perdre ! Luisa s'enfuyait déjà vers la maison, certainement pour donner l'alerte et ameuter plus de monde encore ! Je tirai dans la tête de l'un des robots, le faisant suffisamment reculer pour me créer un passage. Je fonçai.

            La femme de Velvet avait une bonne longueur d'avance, mais elle n'était pas entraînée. Les méchas sur les talons, je la remontais à toute vitesse, la rage au ventre. Elle était sur le point d'ouvrir la double porte de la maison, quand celle-ci s'ouvrit d'elle-même. Notre choc fut commun, cette fois-ci. Elle s’arrêta net, faillit tomber à la renverse dans la volée d'escaliers. Les robots me mirent la main dessus, prêts à me rouer de coups de leurs poings à la chair fondue, leur visage maintenant difforme devenu cauchemardesque.

            Aaron Cadwall jeta un coup d’œil aux méchas. En un clin d’œil, la situation changea du tout au tout. Les robots me lâchèrent, se redressèrent droits comme des piquets. Puis ils tirèrent des lasers des replis de leurs vêtements, pour les poser contre leur tempe. Leur crane explosa dans une pluie de liquide artificiel et de morceaux de ferraille.

            Stupéfaite, je contemplai leur chute, avant de me tourner à nouveau vers Cadwall.

            Dans un costume trois pièces impeccable, ses cheveux noirs lissés en arrière, il toisait Luisa de son regard bleu électrique. Cette dernière, tétanisée, ne semblait plus respirer.

            -Madame Velvet. Dois-je réellement vous exprimer mon immense contrariété ?

            -C... Cadwall... Qu'est-ce que vous faites ici !?

            Il esquissa un sourire froid.

            -Je viens vous demander pourquoi votre mari a tué mon meilleur ami.

            -Votre... Vous parlez de ce Constance Trivari ?

            -Effectivement.

            Luisa tourna la tête dans tous les sens, à la recherche d’une échappatoire. Elle descendit les marches à reculons, jusqu'à buter contre moi. En croisant mon regard glacial, elle pâlit un peu plus.

            -Je ne parlerais pas sans la présence de mon avocat.

            -Vous avez mal compris la situation, madame Velvet, continua Aaron. Soit vous parlez. Soit vous disparaissez.

            Un mauvais sourire étira mes lèvres, tandis qu'elle blêmissait.

            -Vous... Vous osez me menacer !? Voyons, Cadwall... Nous nous connaissons depuis...

            -Pas assez longtemps pour que votre mort me reste sur la conscience. Et vous, mademoiselle Arsor ?

            -Moi ? Je m'en souviendrais comme étant un acte juste.

            Il hocha la tête. Luisa avait tout à voir avec l’enlèvement de Viktor, mais plus encore avec la mort de Darius. Après tout, nous disions souvent que les femmes menaient les grands hommes dans l'ombre. Ronny Velvet n'avait pas été seul pour entrer en contact avec Diaz. Mais pourquoi, au grand pourquoi, en étions-nous arrivés là ?

            Je ne le saurais pas tout de suite, car elle s'évanouit sous le choc. Aucun de nous ne la rattrapa, la laissant heurter les marches de tout son poids.

            -Comment m'as-tu retrouvé ? Demandai-je à Cadwall.

            -Le bracelet de Trivari. Il est équipé d'un système de géolocalisation.

            Mon regard se porta sur le bijou rouge. Cela ne m'étonnait qu'à moitié. Koll m'en avait affublé juste avant de me jeter du camion. C'était tout à fait plausible.

            -Et pour les méchas ? Tu as fait ça comment ?

            Il haussa les épaules, comme si la question ne méritait pas son attention. Bon. Nous avions autre choses à faire. Je posais ma main sur le torse de Luisa, lui envoya un électrochoc qui fit contracter son corps entier. Elle écarquilla les yeux, ouvrit la bouche tel un poisson sous le coup de la douleur. Au moins était-elle réveillée.

            -Donnez-moi une explication plausible, madame Velvet, fit Cadwall, d'un timbre doux et menaçant. Et nous vous épargnerons peut être.

            -Malades... Vous êtes de grands malades !

            Mon coup de poings ne l'envoya pas au tapis, mais cela suffit à déloger ses cheveux de son chignon strict. Elle porta la main à sa joue, le devant de son chemisier fumant encore de la décharge.

            -Je peux vous faire des choses beaucoup plus douloureuses, susurrai-je en faisant jouer les arcs électriques sur le bout de mes doigts. Vous savez qui je suis.

            -D'accord ! D'accord... Je... J'exige l'immunité si...

            -Vous vivrez. Contentez-vous de cela.

            Elle ferma les paupières, avant de les rouvrir, la haine luisant au fond de ses yeux.

            -Ronny ne se contente pas de fabriquer les armes, il en fait également le trafic, débita-t-elle d'une traite. Il est trempé dans de mauvaises affaires, mais personne n'est au courant à par moi. Jusqu'à ce que ton misérable fils, Arsor, devienne capable de lire dans les esprits ! Il a découvert ce qu'il y avait dans la tête de son père. Ses prochains coups, ses clients, tout ! Nous l'avons retrouvé un jour en train d'écrire tous ces noms, pour jouer. C'est là que nous avons compris. Tes gènes pourrit lui ont été transmis !

            Son hurlement de douleur fit hausser un sourcil à Cadwall, jusqu'à ce qu'il aperçoive mon poignard, planté dans la main de Luisa.

            -Parle, fis-je sans relâcher le manche.

            -Nous avons décidé de nous débarrasser du gosse ! Persifla-t-elle. Ce cale mioche pouvait tout révéler, surtout notre association avec Diaz ! S’il lâchait la confidence à propos du rebelle Spirit, celui que sa chère maman pourchassait de partout, s'en était fini de nous !

            Me cœur parut se figer dans ma poitrine. Que... Disait-elle ?

            -Mais nous savions que la mort de Viktor te rendrait folle ! Alors nous devions te liquider en même temps. Nous avons demandé à Diaz d'intervenir !

            Un instant, je perdis le fil de ses confidences. C'était... Tant de cruauté... Pour ça ? Pour protéger des actions illégales ? Il était prêt à tuer son fils pour son argent ?

            -... Un agent secret ! Trivari ne pouvait pas être là que pour tes beaux yeux, Arsor ! Cracha Luisa, me faisant revenir à la réalité. Nous avions conscience d’être surveillé, mais ils étaient trop proches de nous ! Il fallait tuer Darius afin de nous laisser le temps de disparaître ! Diaz s'en est chargé. Mais ce gros nul a été incapable de s'occuper de toi ! Tout ça, c'est de ta faute, Arsor ! Nous aurions pu continuer nos activités si tu avais daigné mourir !

            Le coup de Cadwall l'envoya au tapis. Surprise, je levai les yeux sur le génie de la mécanique, dont les phalanges étaient désormais tachées de sang. La froideur de son expression était celle d'un homme prêt à tuer.

           -Flaméne arrivera dans dix minutes, pour découvrir fortuitement l'agression sur la personne de Luisa Velvet. M'accompagnerez-vous, mademoiselle Arsor ?

            -Où ça ?

            -Au dernier endroit où les gens vous chercherons, fit-il en tourna les talons. A l'enterrement de Darius Trivari.

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