Chapitre 16 : Nouvelle Vérité

            Tout se passa dans un chaos indescriptible. Le sang qui giclait. Le corps de Trivari qui tombait. Je me débattis telle une furie, cherchant à l'atteindre. A le sauver. A les faire payer. On me frappa. Ce ne fut pas assez. Mon inhibiteur. Je devais absolument enlever mon…. une fléchette se planta dans ma cuisse.

            Je me réveillai des heures plus tard, avec l'impression d'avoir fait un cauchemar. J’étais vautrée sur une banquette, le vrombissement d’un moteur faisait trembler ma tête. Il me fallut plusieurs minutes avant d’y voir claire.

            Un fond de camionnette. J'étais dans un fond de camionnette. Deux hommes me toisaient, un pistolet pointé dans ma direction. Certainement chargé d'un sédatif, mais je m'en moquais.

            Car l'image de Darius me revint brusquement en mémoire. Tué. On l'avait tué ! Velvet, il... Diaz... Je...

            Une douleur atroce me compressa la poitrine. Pliée en deux, je suffoquais, cherchant désespérément de l'air. Darius... J'avais perdu Darius... Non... Non, non, non ! Ce devait être un cauchemar ! C'était impossible ! Il ne pouvait pas... Je... Non...

            -Sérieux ? C'est elle qui est parvenue à mettre Diaz en prison ? Faisait l'un des gardes.

            -Elle n'a pas l'air bien dangereux, vu comme ça.

            Non, je n'étais pas bien dangereuse. Pas en cet instant. Pas alors qu'une des pires choses était arrivée. Assise sur la banquette, je gardais la tête entre mes mains. Je me fichais bien de où ils pouvaient m'emmener. En cet instant, le monde pouvait bien exploser, ce n’était pas mon problème.

            -Salut, Alix.

            Koll apparut juste entre les deux gardes, me faisant faire un bond. Ceux-ci sursautèrent de concert, tournèrent leurs pistolets dans sa direction. Trop tard. Ils furent mis hors d'état de nuire en deux coups. Le Spirit les accompagna dans leur chute, afin d'éviter d'alerter le conducteur, de l'autre côté de la cloison de séparation.

            -Koll... Koll, Darius est...

            -Je sais ce qui est arrivé à Trivari, me coupa-t-il en s'agenouillant devant moi. C'est la raison de ma présence ici.

            Il m'attrapa le poignet, autour duquel il enroula une montre. Celle de Darius. Mon cœur parut se tordre de douleur.

-Une manœuvre d'extraction a été mise en place pour toi. Souris, Arsor. Tu vas vivre.

            C'était une blague ? Ha non. Koll ouvrit les portes du coffre d'un coup de pied. Le soleil se déversa sur nous, m’empêchant tout d'abord de distinguer l’extérieur. Nous étions de retour en ville. Et pas dans les quartiers les plus cossus, au vu des rues qui défilaient à toute vitesse.

            Koll m'attrapa par le bras, m'offrit un grand sourire.

            -Ça va faire mal.

            Sur quoi il me lança hors du véhicule.

            L'impact avec le sol fut redoutable. Le bitume entama mon épaule, et je rebondis comme un caillou à la surface d'un lac.  Plusieurs mètres de dérapés plus tard, en sang, je tentai de reprendre mon souffle.

            La camionnette disparaissait déjà dans un virage, les portes du coffre de nouveau fermées. Personne ne s'était aperçu de ma chute. A moitié sonnée par le choc, je fixai la montre à mon poignet. Dieu soit loué, elle était intacte ! Au moins une chose de Trivari que je... Attendez, mais pourquoi Koll me l’avait-il donné ?

            Une minute plus tard, je me relevai à la lumière de gyrophares de la police. Il ne fallut pas longtemps pour que je me retrouve encerclée, les mains derrière la tête. Des gens crièrent. Malheureusement, j'avais du tomber sur la tête, car je n'entendis rien. Le choc ? Peut-être.

            Par contre, je reconnus Flaméne Xax lorsqu'elle s'avança au milieu de ses hommes. Elle s’arrêta devant moi, la main sur la crosse de son pistolet, les mâchoires serrées. Elle prononça des mots, incompréhensibles. Elle fronça les sourcils, avant de répéter. Inutile. Je n’entendais rien. Pourtant, cette fois-ci, je lus sur ses lèvres.

Ce que je compris parvint malgré tout à me choquer.

            *

            Trois heures et un examen clinique plus tard, je quittais le docteur Martin Fram du commissariat, pour aller moisir dans ma cellule. Je commençais à en avoir marre des petites pièces. Bon, j’étais au chaud, cette fois-ci. Et l'on avait remplacé ma tenue de soubrette amochée par celle de ma section d'intervention. Ma tenue collante, apportée en personne par mon chef. Il avait même pensé à mes lunettes de protection. Toutefois, il n’avait pas voulu me parler. Avec toutes les règles auxquelles j’avais dérogé, ce n’était pas surprenant.

            C'est au cœur de la nuit, après un repas intouché, que l'on m'emmena en salle d'interrogatoire. Je n'avais parlé à personne, en dépit de mon ouïe retrouvée, de mes blessures soignées. Pas d'humeur. J’avais même tenté de ne pas penser, ce qui c’était révélé impossible. Les images alternaient. Darius. Darius. Mon fils. Darius. Velvet. Tout tournait dans mon esprit, qui cherchait désespérément une cohérence dans ces scènes. Mais rien ne l'était. Rien.

            Le rouge du sang de Trivari percuta ma mémoire. Je fermai les yeux, repoussant cette vision d'horreur. Celle de son corps sans vie la supplanta. Non, je ne pouvais pas le supporter. Je ne pouvais pas y penser.

            Surtout pas maintenant, alors que je me trouvais seule face à Flaméne Xax. Elle allait elle-même mener l'interrogatoire ? Pourtant, il était deux heures du matin. Ce n’était pas une heure de commissaire, ça.

            Sans mot dire, la Spirit décrocha les micros, les caméras des murs grâce à son pouvoir de télékinésie. Ceux de la table s'écrasèrent sur eux-mêmes. Je fronçai les sourcils. Mauvais signe. Elle voulait effacer toutes les traces ? Elle pouvait la frapper ? Je n'étais pas même certaine de pouvoir ressentir la douleur, en cet instant.

            Toujours en silence, Flaméne récupéra le matériel hors service, le jeta à la poubelle. Puis elle fit entrer un homme. Oh, pas son avocat, non.

Il s’agissait d’Aaron Cadwall.

            Le teint pâle, dans son plus beau costume, le génie de la robotique se tint devant moi. Il arborait un masque de froideur implacable. Rien à voir avec les couvertures des magazines.

            -Flaméne m’a accordé un entretien particulier avec toi, Arsor.

            -Flattée, répondis-je platement.

            Les amants terribles me fixèrent, inexpressifs. Trop inexpressifs. Trop calmes.

            -Le corps de Darius Trivari a été retrouvé ce matin, fit-il, les mains sur le dossier de sa chaise. Tué d'une balle dans la tête.

            Les images revinrent. Je les chassai, les dents serrées. Face à ces deux-là, je ne pouvais pas me permettre la moindre faiblesse, même si je ne répondais pas.

            -Tes empreintes, ton sang ont été identifiés sur la scène du crime. Sur l'arme aussi. Tu as tué Darius.

            Voilà. Voilà ce que ces monstres, Diaz et Velvet, avaient fait. Ils voulaient une coupable. Ils voulaient me détruire, au point de me faire accuser du meurtre de l’homme que j’aimais.

            -C'est faux, sifflai-je, la colère montant en moi. Je suis un agent gouvernemental. Si cela avait été moi, croyiez-le, vous n'auriez jamais retrouvé son corps.

            Flaméne hocha la tête. Son calme n'était qu'apparent, car la poubelle commençait à léviter. Cadwall prit place sur la chaise. Le contour de sa main bionique se découpait dans le dossier. Lui aussi se maîtrisait difficilement, pourtant, il m’adressa un sourire, les bras croisés de façon décontractée.

            -Je sais cela. Maintenant que nous avons établit les faits publics, pourrais-tu me dire qui a tué mon meilleur ami ?

            Mon regard passa de sa compagne à lui. Ha, c'était donc ça. Ils n'y croyaient pas. Ils voulaient connaître le responsable, le retrouver et le tuer. Oh non... Non, ça n'allait pas se passer comme ça. Si quelqu'un devait mettre la main sur Velvet, c'était moi. Et nulle autre.

            -Je ne connais pas son nom. Mais il est le mécène de Diaz.

            Je leur racontais toute l'histoire depuis notre enlèvement sous les yeux de Flaméne. Pas une seule fois je ne pipais le mot de Velvet. Et pas une seule fois ils ne m'interrompirent. Tout au long de mon discours, je cherchais une solution. Aux yeux de la loi, j'étais l'assassin de Constance Trivari, le chouchou des Tabloïds. En prison je ne pourrais rien faire. Ni sauver mon fils, après qui son psychopathe de père en avait, ni venger la mort de Darius. Il me fallait sortir. Et vite.

            -La police était corrompue à Nice, pas ici, fit Flaméne.

            -Comment en être certains ? Demandai-je, agressive.

            La Spirit m'adressa un sourire carnassier.

            -Mes hommes savent de quoi je suis capable. Aucun ne prendra le risque de devenir mon ennemi.

            Pas faux. Cadwall, lui, m'étudia attentivement. Il savait que je dissimulai une dernière chose.  C'était évident.

            -Parfait. La priorité est de la faire sortir, Flaméne. Elle doit rejoindre son fils.

            -Génial. Je vais pouvoir faire sauter mon propre commissariat.

            Aaron se leva gracieusement, son calme me paressant toujours plus dangereux. Il m’accorda un dernier sourire, qui ne monta pas jusqu'à ses yeux bleus. Deux blocs de glaces en l’occurrence. Il l'évaluait, telle une pièce sur l’échiquier de sa vengeance.

Velvet avait énervé les mauvaises personnes.

            -Bonne évasion, mademoiselle Arsor.

            *

            Une heure plus tard, assise dans ma cellule, je fixais les barreaux d’énergie, libérant une lueur éclatante dans toutes les geôles. C'était une des punitions pour nos crimes : ne pas pouvoir dormir, car on se trouvait dans une sorte de cabine de bronzage géante.

            Avoir l'aval du commissaire pour détruire son lieu de travail ne faisait pas tout.

            Jouant d'un pied sur l'autre, j'évaluais les méchas-gardiens. Formatés pour le combat, ils feraient tout pour m'immobiliser avant que je ne sorte. Le mieux serait donc de... de... Mon esprit s’arrêta, lorsqu'une sphère rebondit sur le sol immaculé entre les cellules. La porte de la section d’incarcération était ouverte ? Non.

            Perplexe, je reposai mon regard sur l'objet. Qui roula... Roula, jusqu'à se poser délicatement contre mes barreaux. Puis elle se désintégra, dans une explosion qui me projeta contre le mur du fond. Des sonneries hurlèrent, atténuées par mes oreilles devenues quasiment inopérantes. Bon sang ! Bon sang, mais que se passait-il, encore !? Les rebelles ? Ils venaient pour me chercher, ou alors...

            L'épaisse fumée laissait entrevoir des fils électriques grésillant, des méchas en miette, et... Et Koll.

            Koll ?

            Ses lunettes de soleil sur le nez, il me gratifia d’un sourire arrogant, son visage surplombant une tenue noire moulante, tout à fait... Gouvernementale.

            -Extraction en cours, fit-il dans son oreillette.

            Il n'eut pas besoin de me relever. Sur pieds d'un bond, je lui emboîtai le pas. L'évasion. Cadwall. Ils avaient dû faire intervenir cet homme en qui Darius avait eu confiance.

            -Les rebelles sont censés être derrière ton enlèvement, fit-il en prenant une grenade cloutée. Nous devons faire des dégâts.

            -Une touche Spirit, ça t’intéresse ?

            Mes vieilles lunettes de soudeurs sur le nez, je fis jaillir l’électricité de mes mains, sans même chercher à en contrôler le voltage.

            -Je suis preneur, répondit Koll.

            Les bureaux fondirent, les caméras explosèrent. Pendant que je faisais sauter toute l’électricité du commissariat vide, il tirait dans les murs, le sol. En dix minutes, nous fîmes un carnage dans l'étage où nous nous trouvions. Puis je vis la vitre éclatée, certainement celle par où était passé Koll. Une aeromoto nous attendait, moteurs enclenchés. Ni une, ni deux, je sautais dessus... mais le Spirit resta dans le bâtiment.

            -Hé ! Criai-je. Tu viens !?

            -Non, ce n'est pas prévu ! Bye bye, Alix !

            Sur quoi il disparut. Je fronçai les sourcils, en examinant l'espace. Il s'était teleporté une nouvelle fois ? Ou était-il devenu invisible ? La question ne plana pas longtemps dans mon esprit. Prenant les commandes de l'engin, je dirigeai toutes mes pensées vers mon fils.

            Je ne laisserais jamais Velvet le retrouver.

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