Chapitre 11 : Braquage en Jupette
-Tu comptes sérieusement attaquer comme ça ?
L'incrédulité d'Alix le laissait toujours pantois. Depuis le temps, ne la savait-il pas capable de tout ? Même si le vent frais de l'hiver venait lui chatouiller les mollets, il sourit gaiement au monde. Car oui. Il y avait beaucoup de monde autour d'eux, dont les coups d’œil intrigués ne lui étaient pas uniquement destinés. Tous ces citoyens à l'air guindé dans leur costume les prenait certainement pour des itinérants du spectacle.
-Évidemment.
-Darius... Si on nous tire dessus, tu risques d’y passer.
-Tu es en soubrette, je te rappel. Tu es plutôt mal placée pour formuler le moindre commentaire.
-C'est de ta faute si je suis comme ça ! Siffla-t-elle en poussant les lourdes portes de verre.
Il roula des yeux. Comme s'il aurait pu la forcer à faire quoi que ce soit, en vérité. Elle était aussi perverse que lui, mais elle ne s'assumait pas, oui ! Il l'avait fait pour deux quand ils étaient ensemble, et il jouerait encore ce rôle si cela lui permettait d'avoir ce qu'il veut : Alix, sexy, séduisante, le rouge aux joues. Sans sa tenue collante, elle était encore plus désirable. Nue, elle le rendait incontrôlable. Bref.
Il avait hâte que le braquage de la banque prenne fin, histoire de passer à des choses plus coquines.
-Mesdames et messieurs ! Tonna-t-il, en entrant dans l'immense hall circulaire.
Cela capta aussitôt l'attention. Des dizaines de personnes se trouvaient là, en file indienne ou derrière des guichets. Des méchas gardiens se tournèrent aussitôt vers eux, menaçant. La Youpla Banque avait investi, dirait-on. Ha, à force d'avoir des clients aussi généreux que Diaz, on prenait de mauvaises habitudes... Pourtant, cela semblait rassurer les clients, car pas un ne bougea sur le marbre blanc.
-Ceci est un braquage, déclara Darius, les poings sur les hanches.
A ses côtés, Alix se cacha le visage derrière ses mains avec un gémissement. Forcement. Certains ricanèrent, tandis que les robots, bien moins bons enfants, fonçaient sur eux. Bon, il ne pouvait pas leur en vouloir.
Se faire braquer par une soubrette et un officier romain en jupette et sandale n'avait rien de sérieux. Pourtant, quand il tira son fusil à pompe, dissimulé entre son dos et sa lourde cape, les teints virèrent au cireux. Et quand le premier robot bascula cul-par-dessus tête sur le comptoir d’accueil, tous se jetèrent à genoux. Alix avait déjà neutralisé les deux autres, des éclairs crépitants au bout de ses doigts. La pauvre avait les yeux plissés, à cause de leur éclat. Il lui avait interdit de garder ses lunettes de soudeurs avec son costume.
-Je disais donc : Ceci est un braquage de banque, fit Darius, le plus calmement du monde. Je vous demande de rester à terre jusqu'à l'arrivée de la police, et de ne pas nous importuner pendant que nous officions. Nous déclinons toute responsabilité en cas de dommage, accident ou perte d'objet en votre possession.
Roulant des yeux exaspérés, Alix sauta par-dessus l'un des guichets. Le robot en place, réduit en un simple tronc -ils n'avaient pas besoin du reste, chez la Youpla Banque-, fut poussé sans ménagement, tandis qu'elle prenait possession de l'ordinateur.
Amusé, Darius contemplant les lieux. Tout était blanc, circulaire, avec des dizaines de guichets pour satisfaire au plus vite la clientèle exigeante. Bien entendu, tous les méchas en présence avaient alerté la police de Toulon-Sur-Air du braquage. Ils avaient environ cinq minutes avant l'arrivée des poulets caractériels.
-J'ai ouvert les coffres ! Cria Alix, en sautant de nouveau par-dessus le comptoir. J'ai mis un virus qui trace tous les comptes de Diaz et ceux de Cétassé Gontrand.
-On fouille tout en attendant qu'il fonctionne, déduit-il avec un grand sourire. Vous, ne bougez pas !
Les clients glapirent en se plaquant de nouveau à terre, les mains derrière la tête. Pas un ne tenta de faire un coup d'éclat : on ne voyait ce genre de chose que dans un film. Qui se mettrait donc volontairement devant le fusil à pompe d'un homme en jupette ? Franchement ?
-Nous devons faire au plus vite, marmonna Alix, en se mordillant la lèvre inférieure. Nous devons avoir évacué les lieux avant que la police n'intervienne.
Il eut une folle envie de l'embrasser, en cet instant. Décidément, adrénaline et sexe allaient de paire, avec lui. Surtout quand elle était dans les parages. Ils atteignirent les lourdes portes blindées. Largement ouvertes, elles leur permirent d'entrer directement dans le cœur de la banque.
Des coffres s'alignaient les uns à côtés des autres, avec les possessions les plus importantes de la clientèle de la Youpla Banque. Ils allaient devoir trouver rapidement celui de Diaz, sinon ils étaient fichus.
-Son compte est le 666 669, lui rappela Alix. Il doit être au fond.
-69 ? Mmh...
-Darius ! Pense à autre chose qu'au sexe, ce n'est pas le moment.
-Oh, je peux faire deux choses à la fois, crois-moi.
D'ailleurs, il fut le premier à trouver le numéro 666 669, trente secondes plus tard. Alix poussa un soupir de soulagement en se précipitant vers lui. En fait, depuis le début, elle ne semblait pas du tout à l'aise. Oh... réalisa-t-il, alors qu'elle posait les mains sur la porte du coffre. Elle n'est pas habituée aux activités illégales.
Intervenir sur les « méchants » était une chose. Faire une action de ce type sans mandat ni mission la mettait de l'autre côté de la barrière. Il avait tellement l'habitude d’être de ce côté-là qu'il n'y avait même pas réfléchit.
L’électricité illumina la pièce, les obligeants à fermer les yeux tous les deux. Une forte odeur de brûlé lui chatouilla les narines, ainsi que celle, piquante, du métal fondu. Le coffre était ouvert, livrant ses secrets... Sous forme de lettre. Mince. Pourquoi sous forme de lettre ? Sur du papier ? Mais qu'est-ce que... Un numéro y était marqué, barré d'une croix rouge.
*
-C'est un piège, murmurai-je en reconnaissant le numéro. Darius, nous devons partir. Tout de suite !
Par bonheur, il ne posa pas de question. Bien au contraire. Comme si les rôles étaient de nouveaux inversés, il m'attrapa par le poignet, m’entraînant à sa suite. Sa poigne était ferme, de celle d'un homme habitué aux situations de ce genre. L'espace d'un instant, je fixais son dos, cherchant une réponse. Mais l'unique chose que j'y vis, ce fut le numéro barré d'une croix rouge. Mon matricule de soldat.
Mon matricule connu uniquement de ma section d'intervention.
En surgissant des coffres, j'eus la présence d'esprit de me soustraire à la poigne de Darius. Je me précipitai vers l'ordinateur piraté. Là... Là !
-On manque de temps, Alix ! Siffla Darius, son fusil à pompe devant lui.
Comme si les clients de la banque avait senti le changement chez eux, ils gémirent tout bas, terrorisés. Mais je n'avais pas le temps de m'occuper de ça. Je devais transférer les données en lieu sûr. Même si j'étais prise, même si je n’accédais jamais à cela, un autre le ferait pour moi. En quelques manipulations, les choses étaient réglées.
-Nous devons nous séparer, criai-je en rejoignant Trivari. La police est bientôt là, et...
-Hors de question. Si on se fait prendre, c'est ensemble.
-Darius !
Il me jeta un coup d’œil amusé, son sourire en coin semblant tout à fait déplacé alors que nous surgissions à l'air libre.
-J'ai de très bons avocats. Mieux vaut être pris ensemble.
Le loisir de protester me fut ôté. A une centaine de mètres, sur la place, la police de Toulon-Sur-Air se déployait. Et pas n'importe qui se trouvait à leur tête.
-Flaméne ! S'écria Darius, en agitant le bras.
Même de ma place je vis l'incrédulité du commissaire, suivit d'une salve de jurons. Ses hommes firent un pas en arrière, peu rassurés par sa saute d’humeur. Nous devions partir, et vite ! La fortune de Trivari ne nous protégerait certainement pas de la colère de cette Spirit-là !
-Constance Trivari ! Rugit Xax. Qu'est-ce que tu fiches ici !?
-Je braque une banque !
-Quoi !?
Elle va nous tuer, fut la première de mes pensées. La seconde fut balayée par une explosion.
Propulsée vers l'avant, je percutais le bitume, en plein milieu de la place devant la banque. Mon épaule me brûla instantanément, accompagnée juste après de ma cuisse au moment où je me relevais. Bon sang ! Je ne me trouverais pas dans cet état si j'avais gardé ma tenue collante !
Où se trouvait Darius ? Même si j'avais conscience des aéromotos au-dessus de nous, je focalisais totalement sur lui. Mince, où... Là ! Dans un des buissons, en train de retirer les feuilles de ses cheveux. Il regarda la montre à son poignet... Et m'adressa un pouce levé vers le ciel. Ok. La machine de Cadwall n'avait détecté aucune blessure vitale.
-C'est quoi ce bordel !? Tonna Flaméne Xax, au milieu de ses policiers paniqués.
Au même instant, une partie de la clientèle sortie de la banque.
-Ils ont braqués la banque ! Ce sont leurs complices !
Évidemment, ils qualifiaient de « complices » les fous furieux de Diaz sur leur moto-volante qui venaient de nous lancer une grenade. Et vu la chose plantée à l’instant à mes pieds, ils me visaient tout particulièrement.
Je n'eus pas le temps de réagir que l'arme décolla du sol, pour aller percuter l'un des véhicules. La seconde suivante, il explosait dans une gerbe de feu, de sang, et d'éclats de métaux. Ouah. Effectivement, le pouvoir de télékinésie de Flaméne était vraiment utile. J'aimerais bien avoir le même.
Mais bon, songeai-je en tirant le pistolet laser de sous ma robe. Mes gènes trafiqués en ont décidé autrement.
Mon tir toucha le mollet de l'un des conducteurs. Même si je perçus son cri de douleur par-dessus le vacarme, ce ne fut pas suffisant. Derrière moi, une autre grenade fit son office. Plusieurs policiers furent projetés en avant, mangeant le bitume de façon similaire à la mienne tantôt. Un second tir fit perdre le contrôle du véhicule au Spirit, qui alla s'écraser plus loin sur la place.
C'était le chaos. Tout en canardant les rebelles, je tentai de me rapprocher de Darius. Bon sang, il était lui aussi une cible de Diaz ! Il risquait de se faire...
-Alix !
Le rugissement me donna enfin la localisation de Trivari. Des coupures sur les joues, le front, il se ruait vers moi, avec une expression proche du désespoir. Il me fallut quelques secondes pour en comprendre la raison. Pour voir les filaments bleus électriques s'abattre sur de moi.
L'instant suivant, j'étais arrachée du sol. L'équilibre rompu, je heurtai les mailles du filet, le cœur battant à tout rompre. Non... Non ! Je voyais déjà la place s'éloigner, les affrontements devenir plus lointains. Les fils furent secoués, mordus, électrifiés, je tirai même dessus à bout portant. Mais non. Ils étaient faits sur mesure pour moi. Pour mes pouvoirs.
Diaz avait fini par m'attraper.
*
En la voyant prise dans ces filets luminescents, les souvenirs s'abattirent sur Darius. Il y avait sept ans, dans une explosion, elle avait disparu. En plein dans un restaurant. Puis il n'avait plus eu de nouvelles. Il avait été incapable de savoir si elle était morte ou vive. Cela l'avait obsédé, au point où il avait manqué causer la mort de plusieurs personnes. Koll en avait toujours un très mauvais souvenir. Tout comme son flanc recouvert de vieilles brûlures.
Il allait de nouveau la perdre. Après tout ce qu'il avait fait, après tout ce qu'ils avaient enduré, il allait la perdre !
-Flaméne ! Rugit-il en changeant de trajectoire.
La Spirit se trouvait au milieu d'un champ de débris en lévitation, qu'elle utilisait protéger ses hommes des tirs et des grenades. Ses prothèses oculaires presque noires étaient une mauvaise nouvelle.
-Qu'est-ce que tu me veux, Trivari ?
-Balance-moi sur cette aeromoto ! Tonna-t-il en désignant le véhicule au filet, déjà en hauteur
-Mais tu es malade !? Je ne ferai jamai...
-Tant pis.
Il partit en courant. Tout à l'heure, il avait vu une aeromoto s'écraser. Son fusil à pompe abandonné depuis longtemps, sa cape aussi, il courut pistolet laser au poing, jusqu'à la carcasse fumante. Le passager tentait d'aider le conducteur, bloqué sous l'appareil. Il leur tira tour à tour dans le crane, prit d'une froide détermination.
Il ne laisserait pas Alix disparaître aussi facilement.
Enfourchant l'engin, il fracassa son poing sur le panneau de commande juste devant lui. Les circuits s'enclenchèrent en grésillant, endommagés par l’atterrissage en catastrophe. Pourtant, le propulseur arrière démarra, de même que les souffleurs pour le décollage vertical. Maudit tas de ferraille ! Diaz aurait au moins pu investir dans des produits performants !
Néanmoins, le tout décolla du sol. Il appuya sur l'accélérateur. La moto fusa dans les airs, le vent fouetta ses joues. Mais il ne sentait rien. Un humain doté de nociception aurait perçu la douleur cuisante de ses blessures au visage, aux mollets, aux bras. Il aurait frémit au froid mordant de décembre qui le percutait, tel un barrage qu'il franchissait à toute vitesse.
Mais lui ne sentait rien. Et rien ne l’arrêterait.
La place chaotique laissée derrière lui, il poursuivit l'aeromoto transportant Alix. Le filet était tel un phare dans la nuit, qui alourdissait l'appareil. Il fallut plusieurs kilomètres pour le rattraper, presque sur les bords de Toulon-Sur-Air. Toutefois, il y parvint. Les Spirits firent une sale tête en le découvrant à leurs côtés.
-Mais qu'est-ce que...
Se moquant du danger, de la distance les séparant du sol, il sauta littéralement sur l'autre véhicule, abandonnant le sien. Il percuta le passager, dont le glapissement terrifié ne le réjouit même pas. Son poing fracassa son nez de fouine. La seconde suivante, il le balançait par-dessus bord, dans les quartiers résidentiels de la ville. Il allait pour s'occuper du conducteur, lorsque son bras s'engourdit. Son bracelet de survie se mit à s'affoler, lançant un « bip » incessant autour de lui. C'est au moment où il perdit le contrôle de l'intégralité de son corps qu'il comprit.
On venait de lui tirer une fléchette de tranquillisant.
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