Le sous-marin de poche est confortable, et confortablement garni. Le whisky, un Bowmore, douze ans d'âge, dans un verre à calva : pas trop mal.

Il y a un hublot : avec un éclairage tamisé, on peut admirer le fond du lac. Un cimetière de machines à coudre et à laver, tapissé de plastiques. Entre les bouts de ferraille, quelques poissons lèchent la rouille. Edouard s'y connait. Il égrène les noms : perche, vengeron, chabot, ablette, chevaine, tanche. « Tiens, une brème, là, tête en bas ».

Le feu d'artifice a eu lieu au large d'Yvoire, côté Evian. On a fait demi-tour, on navigue à vitesse réduite, une centaine de mètres de profondeur, direction Thonon-les-Bains, sablière de la Dranse.

Le sous-marin a refait surface sous un hangar, qui cache également un bon vieux Husky, équipé hydravion*. « C'est pour toi, demain, me glisse Edouard. Pour l'instant, on t'a préparé un lit. Il est deux heures du mat. Réveil dans six heures. Repose-toi. Prends des forces. T'en auras besoin... ».

Quand c'est pas la peine de discuter, c'est pas la peine... En revanche, pioncer, ça sert toujours. Un verre de Bowmore supplémentaire et... dodo.

A l'heure dite, Edouard me réveille, café fumant et tartines beurrées.

Les télés passent en boucle l'interview du chef de la police de Montreux, notre ami Gerhart : la situation est sous contrôle, mais le couvre-feu perdurera, du moins tant qu'on n'aura pas mis hors d'état de nuire l'ignoble individu qui...

Ce terroriste, parlons-en ! Il donne dans le visible quand il veut, et Gerhart montre les images : moustache et favoris roux, poncho noir, chapeau de paille. Il donne dans l'invisible quand il préfère : les eaux profondes du Léman.

Les scientifiques en scrutent les bas fonds, qui plongent à plus de trois cents mètres sous terre, mais on ignore ce qui peut en sortir. Entre attaque chimique ou atomique, on craint le pire.

Aussi l'ensemble des communes environnantes, Genève et Lausanne en tête, sont-elles également sous couvre-feu, écoles fermées, gares et aéroports bouclés, habitants invités à gagner les montagnes environnantes.

L'individu est extrêmement dangereux, entouré de complices, certainement, à la tête d'une redoutable organisation dont on sait peu de choses : CID, Castreurs Islamiques du Désert.

Aux dernières informations, cet individu s'appellerait Youri Ben Asteck, mi russe, mi algérien, mi américain. Ce serait un ancien du FSB, retourné par la CIA, puis retourné par al Qaeda, lors d'un séjour dans des geôles afghanes.

Formé à tous les types de combats, à toutes les technologies. Il aurait à son actif un certain nombre d'attentats, plus ou moins revendiqués, comme celui de la tour Tolbiac**.

Ils rendent aussi hommage à la formidable collaboration entre la Suisse et la France, qui ont installé un PC commun, dans un grand hôtel d'Evian, réquisitionné pour la circonstance, tout plein de chambres confortables pour la myriade d'officiers d'état-major.

Pour terminer, ils tiennent à revenir sur l'attitude coupable de la presse. Un mandat d'arrêt international a été émis à l'encontre du Président de Fox News, pour collaboration avec une entreprise terroriste et homicide involontaire.

Suivent les images de la nuit, mon sprint, mon saut en longueur, notre balade en bateau, les gerbes d'eau, les panaches de fumée... et les crash, de l'hélicoptère comme de la vedette. Un sacré film !

Enfin, ça rend hommage à Michelle et à son pilote, victimes collatérales de l'ignoble Youri, que Dieu le maudisse !

Le problème, c'est que présentement ledit Président de Fox News se fait des couilles en or avec ses images, qui tournent en boucle sur les télés de la terre entière. Il a été confirmé par son conseil d'administration, d'autant qu'il a réussi à faire signer un contrat d'exclusivité aux familles des victimes : hommages, larmes, obsèques, désespoir, condoléances, photos de famille, etc.

* Le Husky est un avion passe-partout aux performances piste d'un ULM. Biplace en tandem d'une tonne, il est équipé d'un moteur Lycoming 180 cv. Il décolle en 60m (ou 6 secondes, sur flotteurs).

** Allusion au chapitre 13, « Repos », d'Opération Désherbage.