Chapitre 3 : Le Prince

Les Disciples des Laminoirs ! Ces rustres sans nom avaient décidé de nous attaquer à la nuit tombée !

Les Tehanis se réveillèrent en sursaut, cherchant leurs armes à tâtons. Déjà, Khalil se trouvait à genoux, son arc bandé. Sa flèche fusa, pour aller se planter dans la gorge du Disciple le plus proche.

Mon épée à la main, je me tins prête à l'impact, lorsque je remarquai une chose : l'ennemi avait l'air d'être surpris de tomber sur nous. Une erreur ? Avaient-ils cru se retrouver face à de simples voyageurs... Où étaient-ils tombés sur nous au cours d'une fuite éperdue ?

— Soldats ! rugis-je. Frappez pour tuer !

— Oui, chef ! répondirent-ils à l'unisson.

— Disciples ! Attrapez-la !

Pardon ? Stupéfaite, je vis l'un des leurs me pointer du doigt. Même mes hommes restèrent un instant surpris. Puis les choses se précipitèrent. Mus par une force inouïe, les ennemis déferlèrent sur nous. Les Tehanis tinrent bon, mais ils étaient en supériorité numérique. Ils devaient être plus de soixante ! Mais d'où venaient-ils !?

Rapidement, ils parvinrent à faire une percée parmi mes hommes. Tous se ruèrent vers moi, avec une férocité qui me fit redoubler d'efforts. Je parai, frappai, parai, échappai à un coup vicieux... Mais rapidement, je fus submergée par le nombre. Sous le ciel nocturne, avec les Tehanis luttant pour venir à mon secours, comment aurais-je pu lutter ? À soixante contre une... Pourtant, je refusais de me laisser prendre. La seule chose qui m'arrêta fut la pointe d'une épée plantée dans ma cuisse. Ivre de douleur, j'aurais pu envisager de rester debout, de me battre encore... Mais une masse d'arme s'abattit sur ma rotule, me la brisant net.

Un cri de douleur m'échappa. Par la Lune !

Des étoiles dansèrent devant mes yeux, je tombai au sol. La main sur mon épée, je voulais encore...

Un coup m'atteignit à la tempe, me faisant perdre tout espoir de lutte.

*

Agenouillée sur le sol, la Reine contemplait le lac d'un air absent.

Voilà trente ans qu'elle n'avait plus mis les pieds ici. Sur les berges de ce petit lac souterrain, où la Prophétesse Blanche, jadis, avait exécuté ses plus grandes révélations. Où elle lui avait permis d'affronter le Soleil Noir avec succès.

Comment cela serait-il possible ? Comment cette garce pourrait-elle être revenue d'entre les morts ? Trente ans plus tard !? Non... En fait... S'était-elle réincarnée ? Non, impossible... Et pourtant... Cette Flora d'Erell, qui était-elle ? Cela tournait à l'obsession. Qui était cette femme ? Pourquoi ce nom rejaillissait-il du néant, trente ans après la bataille de Mozés ? Trente ans après sa mort...

— Mère ? Les gardes m'ont dit que je vous trouverai ici, pourtant je n'y croyais pas.

La vieille souveraine releva soudain la tête, pour faire face à son fils, dont le doux sourire marquait les esprits. Son unique enfant.

Le Prince de la Lune Blanche.

*

En les voyant emporter Flora, Acheq sentit le désespoir monter en lui. Non ! Non ! Pas encore ! Pas une nouvelle fois ! Avec les autres Tehanis, ils tentèrent de les prendre en chasse. Mais c'était peine perdue. Après une heure de course-poursuite dans la forêt, ils durent se rendre à l'évidence : ils ne pourraient jamais la récupérer.

Le souffle court, Acheq resta un moment à contempler les arbres, la rivière.

— Que faisons-nous ?

Il se tourna vers Khalil. Le jeune soldat, son arc à la main, semblait furieux. Les autres aussi. Ils n'avaient aucune perte à déplorer de leur côté, en grande partie parce que les Disciples s'étaient concentrés sur Flora.

Acheq ferma les yeux, se pinça l'arête du nez. En l'absence de leur chef, c'était lui qui devait prendre les décisions. Oh, qu'il détestait ça ! À chaque fois, c'était pareil ! Que ce soit maintenant ou il y a trente ans, Flora avait toujours le don d'attirer les mauvaises attentions sur elle !

— On nous a demandé de veiller sur elle, insista Khalil.

— Je le sais, cingla-t-il en reportant son attention sur la forêt. Je le sais mieux que personne.

Il avisa Khalil, dont les yeux brulaient d'une envie de vengeance.

— Suivez-moi, ordonna Acheq.

En le voyant repartir en sens inverse, les Tehanis hésitèrent, avant de lui emboiter le pas. Sans s'arrêter, ils coururent jusqu'à leur campement ravagé, où ils laissèrent trois sentinelles pour surveiller les chevaux. Puis, laissant les canassons sur place, ils reprirent leur marathon. Rapidement, ils comprirent où voulait en venir leur ainé.

Ils remontaient la piste des Disciples. Ils cherchaient à savoir d'où ils étaient partis. Mais pourquoi ? Lui seul savait. Par bonheur, les branches cassées, les traces de pas dans la boue étaient autant de choses leur permettant de remonter jusqu'à leur tanière. Moins de quarante-cinq minutes leur furent nécessaires pour trouver une nouvelle grotte. Les rats avaient toujours tendance à s'y terrer...

Khalil bandait déjà son arc, quand Acheq le foudroya du regard.

— Je te le déconseille vivement.

Surpris, le Tehani baissa son arme. Leur ainé s'engouffra en premier dans le boyau humide.

Sur les murs, l'eau suintait. L'eau... Et le sang. Des traces recouvraient la pierre, des trainées au sol achevaient la piste jusqu'à une sorte de salle de restauration. Là, de longues tables se côtoyaient. Les bancs de bois étaient renversés, des chandelles avaient chu. D'autres brulaient encore, éclairant l'espace. Des ouvertures montraient que des salles souterraines se trouvaient plus loin. Une autre tanière de Disciples des Laminoirs... dont les corps se trouvaient entassés dans un coin.

Les Tehanis portèrent aussitôt la main à leurs armes, mais Acheq leur fit de nouveau signe de s'arrêter. Car, assis sur l'une des tables, un livre à la main, un homme aux yeux d'or les toisait.

— Acheq. Peux-tu me dire pourquoi l'Escouade du Sud se présente devant moi sans Flora à sa tête ?

*

Les mains dans le dos, le Prince avisa les conseillers du Roi, agenouillés devant lui. Il se trouvait dans la salle du trône, cette salle aux hauts murs noirs qui vous faisait étouffer en quelques secondes. Il avait toujours détesté les lieux. Et pourtant... Pourtant, un jour, il gouvernerait. Son premier geste serait de tout faire repeindre. Non, mieux. De détruire ce château et d'en faire reconstruire un autre, plein de couleurs et de lumière.

— Seigneur, je vous en supplie, faisait l'un des conseillers à ses pieds. Vous ne pouvez partir !

— Le Roi est vieux ! Nous avons plus que jamais besoin que vous préserviez votre santé !

— Cette expédition est un danger pour vous !

— Ça suffit, tonna-t-il. Je n'ai, à aucun moment, demandé votre avis sur mon entreprise. Je me dois d'aller chercher cet homme. Nous nous trouvons confrontés à une nouvelle menace, messieurs. Nous devons agir en conséquence.

Les politiques se regardèrent, mal à l'aise.

— Mais... Le Roi est vieux... Peut-être a-t-il cru voir...

Les yeux du Prince s'étrécirent.

— Prétendriez-vous que mon père perd la tête ?

Un silence de mort s'abattit sur la salle. À quatre-vingts ans, le souverain était toujours bien portant. Une force de la nature, à vrai dire. Roublard et vif d'esprit, il dirigeait toujours le royaume du Soleil Noir d'une main de fer.

— Non. Loin de moi l'idée de tenir ces propos, mon Prince.

— Bien. Dans ce cas, l'affaire est réglée. Je pars chercher cet homme.

— Sauf votre respect, Seigneur... qui serait capable d'affronter le Fou de la Reine ?

Il avisa les conseillers, avant de hausser les épaules. Après tout, n'avait-il pas lui-même douté des paroles de son père, avant de faire ses recherches dans les ouvrages ? Avant de trouver ses notes, datant de trois décennies ?

— Vous le saurez en temps voulu. Je pars sur l'heure avec quelques hommes. Au revoir, messieurs.

Ils se répandirent en exclamations, en suppliques pour le faire revenir sur sa décision. Néanmoins, le dos droit, il quitta la pièce, décidé. Ce faisant, les gardes refermèrent les portes derrière lui, le coupant de tous ces obséquieux terrifiés. Là, il prit le temps de pousser un soupir.

Le voyage s'annonçait mouvementé. Heureusement, il avait su s'entourer. D'ailleurs, son ami se trouvait adossé au mur en face de lui. Vêtu d'une longue redingote noire, d'un tricorne et d'une tenue semblable à celle d'un pirate, l'homme avait une peau sombre en totale opposition avec celle du Prince.

— Hassane, es-tu prêt ?

L'autre esquissa un sourire, dévoilant des dents d'une blancheur parfaite.

— Toujours, Carsten.


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