Chapitre 9 : La Garce Vampirique

Dans la vie, on ne pouvait pas tout prévoir. Silke était l’une des mieux placée pour le savoir. Pourtant, en arrivant dans les vestiaires mixtes des Arènes, contre la paroi du fond de l’une des cavernes, elle eut vraiment l’impression que la chance lui crachait au visage.

Car au milieu de tous ces hommes et ces femmes, de cette odeur de sang, de transpiration et d’acier, elle repéra instantanément la dernière personne qu’elle voulait voir.

Faith, cette garce vampirique, se trouvait avec son frère et son père, dans une robe de cuir moulante, censée faire office d’armure. A peine étaient-ils entrés, escortés par Okvald l’orc à la langue bien pendue, qu’elle pivota vers eux, les sens aux aguets.

La Némésis comprit en une seconde la marche à suivre.

Ni une, ni deux, elle se jeta en avant… Et plaqua Svenn, dont le gargouillement surpris fit s’arrêter l’orc. Étalés par terre, derrière leur imposant guide, ils soulevèrent un nuage de poussière à leur atterrissage.

-Silke ! s’exclama le loup.

Mince, elle avait les seins écrasés contre son dos. Ça faisait un mal de chien ! En plus, tout le monde les regardaient d’un drôle d’air, se demandant certainement ce que deux non concurrents faisaient ici, dans cette position. Hum…

-Faith, chuchota-t-elle à son oreille.

Il se raidit. Elle s'était attendue à l’entendre râler, mais eu lieux de ça, il se tendit tout entier, la tête tournée vers le sol.

-Tout va bien, mon petit gars ? rit Okvald.

La Némésis darda sur lui son regard noir. Avant de lui offrit son plus beau sourire, en s’asseyant sur le dos de Svenn, toujours tétanisé.

-Si je vous donne une info en or sur le Bourreau, accepteriez-vous de vous débarrasser de la greluche en approche ?

-C’est quoi, le potin ? demanda-t-il précipitamment, les yeux brillants.

-Il détient l’aile du Déchu.

-Ok.

Il n’eut aucun mal à repérer Faith. Il fonça droit dessus, son imposante carrure les dissimulant aux yeux de la peste. Surprise par l'immobilité de Svenn, Silke le prit par le bras, lui enjoignant de se bouger ses fesses de feignasse !

-Par là, grommela-t-il en se levant d’un bond.

Ils foncèrent au milieu des vestiaires, se faufilant entre les golems, les elfes à l’air pincé, des démons et autres créatures à l’allure belliqueuse. Silke n’en reconnut pas la plupart, néanmoins elle savait identifier des guerriers sanguinaires. Pas un seul ne tenta de les suivre lorsqu’ils s’engouffrèrent par une porte, à moitié dissimulée derrière un rideau miteux. Svenn ne s’arrêta pas dans le lugubre couloir, continuant encore, jusqu’à ce que les enfilades de colossales statues disparaissent dans une épaisse obscurité. Où se trouvaient-ils ? Un coin caché des Arènes ? Pourquoi y avait-il toutes ces représentations de pierre ?

Les pensées de Silke s’arrêtèrent lorsqu'elle buta contre le loup. Il l’attrapa aussitôt par les épaules, ses doigts s’enfonçant dans ses chairs.

-Hé ! Je vais avoir des bleus !

-Par pitié, arrête de faire ce genre de choses, souffla-t-il, le visage à moitié dissimulé par les ombres.

-Faire quoi ?

Les yeux mi-clos, il baissa les yeux sur ses lèvres, lui faisant rater un battement de cœur. Le temps parut se suspendre à cet instant, le plus long de l’existence de Silke.

-Je…

Il disparut soudain de son champ de vision, emporté par une masse de poils grisâtres. Silke le vit être plaqué au sol, trop abasourdit pour réagir. La brume tapissant le sol, la forme éthérée de la panthère surplombant le jeune loup l'arrachèrent bientôt de sa stupeur.

-Bon sang, Silke ! Pourquoi es-tu en colère !? s’exclama-t-il.

-Je n’y suis pour rien ! rétorqua-t-elle.

Elle, en revanche… A quelques mètres de là dans le couloir sombre, une silhouette s’approchait d’eux, recouverte d’une cape noire à capuchon. Elle pouvait distinguer son mauvais sourire d'ici.

-Ma sœur, ma sœur… Je ne m’attendais pas à te retrouver dans un tel endroit.

-Rika. J’aurais dû me douter que tu serais là.

Son aînée posa les poings sur les hanches, dévoilant son ventre nu dans les replis de sa cape. Un pantalon à lanières et chaînes, un haut noir à moitié déchiqueté… Elle ne voyait pas tout, mais le gothique était un goût familial.

-Le travail, toujours le travail… Mais dis-moi, que fais-tu dans ce repaire de brutes ?

-Je te le dirais si tu relâches Svenn.

Rika pencha la tête de côté. La panthère feulait à la face de sa proie, dont le grondement rivalisait en férocité.

-Il était sur le point de t’embrasser.

-Ça ne te regarde pas.

-Il serait dommage de te voir engrossée par un minable dans son genre. Tu es peut-être sortie d’entre les griffes de Lucifer, petite sœur, mais tu n’en restes pas moins une Némésis.

-Dégage.

-Ne me contrarie pas trop, rétorqua Rika d’un ton dur. Je pourrais très bien l’égorger dans la seconde.

A ces mots, la panthère feula en agitant le bout de sa queue. Mince, mince, mince! Elle était bien capable de le faire ! Le cœur battant à tout rompre, Silke dut faire appel à toute sa volonté pour ne pas se laisser submerger par son propre pouvoir. Alastor lui arracherait la tête si elle rompait sa promesse dans un tel lieu.

Le sourire de Rika s’accentua. Elle avait conscience de l'acculer. Mais que voulait-elle, à la fin !? Elle l’aidait à fuir le Déchu, puis elle la reprenait, puis elle lui donnait un moyen de le tuer, et… et des doigts se refermèrent sur la gorge de sa sœur.

-Relâche le lycanthrope, fit la voix basse de Fergus Ferguson.

-Pourquoi ferais-je cela ?

-Pour ne pas perde ta tête.

Le calme de la menace fit déglutir nerveusement Silke. Elle allait tuer Svenn. Elle n’avait jamais supporté ce type de domination de la part d’un homme. Pour Lucifer, elle n’avait jamais eu le choix, c’était différent. Mais Rika allait très mal le prendre…

-Ha, Fergus. Tu es le nouveau chaperon des enfants ?

-Effectivement.

-Dans ce cas, nous pouvons aller aux demi-finales féminines, fit la Némésis. Le combat risque d’être éblouissant.

La brume se dissipa d'un coup. Silke se précipita au chevet de Svenn, dont les yeux étaient rivés au plafond. Il paressait furieux.

-Svenn ? murmura-t-elle. Tout va bien ?

Son regard exprima un « non » muet.

*

Sa famille était pourrie jusqu’à la moelle. Cassandra l’avait toujours su, ne l’avait jamais accepté. Pourtant, elle devait bien se rendre à l’évidence : elle était un pion sans âme aux yeux de sa sœur et de son père. Sans parler de ce crétin de Faas.

Fatiguée, elle prit une profonde inspiration. Les choses étaient encore pires que prévu. Ils voulaient la déchoir de son rang d’épouse du Bourreau, au profit de Marilu. Pour la simple et bonne raison qu’elle n’avait pas trouvé judicieux de jouer le rôle de jument. Marilu…. A cette simple pensée, elle resserra ses doigts autour de la garde de son épée, à s’en faire mal. Cette salope avait manœuvré pour s’approprier son mari, après l’avoir fui comme la peste. Elle avait littéralement vendu sa petite sœur à l'époque.

Une plaie gravée au fer rouge dans le cœur de Cassandra.

-Tout va bien ?

Elle se tourna vers la petite lutine. Coiffée d’un bonnet vert, elle lui souriait d’un air un peu inquiet.

-Le match va commencer, c’est très important…

-Tout va bien. Même très, très bien.

Elle eut un mauvais sourire, que son écuyère n’aperçut pas à cause du masque.

-J’ai une folle envie de cogner quelqu’un.

La nymphe se releva, tous ses muscles anticipant le combat à venir. Autour d’elle, les organisateurs s’agitèrent, repoussant la foule pour lui former un chemin. La cohue des spectateurs l’atteignit soudain, faisant grimper en flèche son adrénaline. Tout en s’avançant, elle fit rouler ses épaules. Son armure joua sur elle, telle une machine bien huilée. Pour cause : elle ne portait qu’un corsage de cuir renforcé, ses bras nus comportaient des brassards agrémentés de plaques d’aciers. Ses jambes, elles, étaient protégées par un pantalon de cuir, des jambières et des bottes souples. Elle était parée pour le combat.

Elle était prête à se défouler.

Précédée par son écuyère, elle s’avança au milieu de la foule. Des vivats la submergèrent, des gens criaient son nom de combattante. « La Masquée ». Elle arborait toujours ce casque d’acier, percé d’ouvertures pour les yeux, et orné d’un chêne gravé de son front jusqu’au menton.

-Vas-y ! hurlèrent certains. Tu vas la tailler en pièce !

-Tu es la meilleure !

-Ta place est en finale !

-Massacre-la !

L’Arène se présenta alors à ses yeux. Une étendue de sable, sans aucune protection pour les spectateurs massés autour, perchés sur des gradins branlants. Tout le sang du précèdent affrontement avait été lavé, ne laissant qu’une étendue immaculée.

De l’autre côté, son adversaire la jaugea. Un golem, au dos déformé par des cristaux d’un vert translucide. Ses membres de pierres frétillaient d’impatience, prêts à la réduire en bouillie.

-Oyé, oyé, braves gens venus de tous les coins de l’Invisible ! rugit le présentateur, un énorme orc du nom d’Okvald. Le dernier combat pour les demi-finales commence ! Le vainqueur partira en final, et aura peut-être la chance de gagner le grand prix ! Ainsi que la renommée de tous les sanglants vainqueurs des Arènes !

Un tonnerre d’approbation raisonna dans l’assemblée, assoiffée de combat. Le cœur de Cassandra battait de plus en plus vite, tandis qu’un calme dangereux l’envahissait.

-A ma gauche ! Bretty l’Intrépide !

A nouveau, un vacarme à faire trembler toute la grotte. Le sourire de l’orc s’élargit. Il se complaisait dans son rôle.

-A ma droite ! La terrifiante, l’imprévisible nouvelle du tournoi! La Masquée !

La nymphe leva son épée au ciel, accompagnée de cris d’encouragements.

-Que la meilleure survive !

*

Alastor se réveilla avec une très, très mauvaise surprise.

Cassandra n’était plus dans le lit.

D’habitude, il lui fallait un peu de temps pour se réveiller complètement. Mais cette fois-ci il bondit hors du lit, tous les sens en alerte. Où était-elle passée ? Pourquoi n’était-elle pas ici !? A peine eut-il mit un pied à terre, qu’une autre surprise se manifesta : sa jambe se déroba sous lui, le faisant s’écrouler tête la première. Il évita de justesse le mur, une main sur sa cuisse blessée. Mince... Il avait presque oublié !

En plus, il portait encore son costume de la veille. En un éclair le visage baigné de larmes de Cassandra lui revint à l’esprit. Bon sang, mais où était-elle passée !?

Ordonnant à sa jambe de marcher quoi qu’il advienne, il se remit debout. Une vague de douleur le submergea, lui donnant presque la nausée. Oh purée… Ça valait la morsure d'un serpent des Enfers. Il fut contraint d’attendre quelques secondes, avant de pouvoir sortir de la chambre. Toutefois quelqu’un, dans son infinie bonté, avait décidé de placer sa journée sous les hospices des emmerdes.

A peine eut-il pointé le bout de son nez dans les jardins que trois hamadryades surgirent de nulle part, le projetant contre le mur avec une force de titan. Le souffle coupé, il se réceptionna sur sa jambe blessée… Qui, par bonheur, tint bon.

-C’est quoi ce délire !? rugit-il. Je suis un visiteur, pas un assassin !

Les créatures lui répondirent par des sifflements haineux. Et lui ressautèrent dessus, cherchant à lui arracher la jugulaire. Elles avaient vraiment choisis le mauvais créneau horaire pour s’en prendre à lui. Particulièrement énervé, il repéra d'un coup d’œil les faiblesses de chacune.

Il arrêta la première en lui saisissant la gorge, ce qui l’étouffa à moitié. De l’autre main il s'empara de sa hache à double tranchant, surgit du néant. Une gerbe de sang verdâtre jaillit de la gorge d’une des hamadryades, l’autre lui servant de bouclier contre la troisième. Cette dernière, s’apercevant qu'elle venait de blesser son consœur, poussa un hurlement strident. Il la fit taire en faisant rouler sa tête d’écorce sur le sol. Son bouclier vivant s’écroula avec un gémissement de douleur pathétique, incapable de tenir debout sans aide.

-D… Démon !

Alastor leva la tête. De l’autre côté des jardins, un mâle des nymphes le fixait d’un air horrifié. Courts cheveux bruns, l’air bête… Un stéréotype.

-Va chercher ton Roi, sale mioche. J’ai des réclamations à formuler sur son sens de l’hospitalité.

-Mon sens de l’hospitalité n’a rien à voir là-dedans. Vous n’auriez pas dû les tuer, Bourreau.

Bacchus s’avança, ses joues aussi livides que le haut de son crâne chauve. Les larmes aux yeux, il s’approcha de ses sujets mourants ou franchement morts, suivit d’une donzelle à moitié nue. Blonde, avec des perles mêlées à ses cheveux, elle arborait une espèce de robe translucide, rendue opaque par des fils de feuilles aux endroits stratégiques. Il ne fallut pas longtemps à Alastor pour la reconnaître.

Marilu, son ex-fiançée.

-Je ne l’ai pas fait par plaisir, lança-t-il au roi, peu intéressé par la nymphe. Elles m’ont attaqué.

-Attaqué ? lança le mâle inconnu. Vous vous moquez de moi !? Nous sommes des êtres pacifiques, sale démon !

-Ha ouais ? Tu as l’air pacifique, toi aussi. Tu veux subir le même sort ?

Le trio le lorgna d’un air mauvais, qu’il leur rendit bien. Quoique. Marilu le fixait d’un air énigmatique. Ou plutôt, comme s’il était un quartier de viande. Avarié ou pas, telle était la question.

-Moi aussi, j’ai des questions, cingla-t-il envers Bacchus. Où est ma femme ?

-Cassandra ? intervint l’importun. En quoi cela vous regarde-t-il ?

Alastor braqua ses yeux rouges sang sur lui, jusqu’à ce qu’il ait un mouvement de recul. Bien. Puis il passa au Roi, debout prêt des hamadryades fractionnées.

-Je vais formuler autrement. Hier soir, j’ai récupéré ma femme en larmes. Ce matin, elle disparaît. Je suis quelqu’un d’extrêmement possessif, Bacchus : soit vous trouvez ma femme, soit…

-Soit quoi ? intervint Marilu, comme il laissait sa phrase en suspend.

-Vous connaissez ma réputation, fit-il avec un sourire carnassier.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top