Chapitre 8 : Le Sacrifice de la Paix

Assise devant son père, Cassandra était persuadée d’avoir mal entendu. Il ne pouvait pas lui demander ça, là, dans ce bureau où elle avait joué dans son enfance. Au milieu du lierre et des fontaines quadrillant la pièce, ce type de question était déplacé. C’était un havre de détente, le bruit de l’eau prêtait à se reposer, le chant des oiseaux, filtrant par la fenêtre ouverte, poussait son esprit à s'évader.

Pourtant, crispée dans le fauteuil moussu de son père, elle était estomaquée.

-Tu ne m’as pas entendu ? s’inquiéta le chauve royal, une fesse sur son bureau taillé dans une souche de peuplier. Quand as-tu couché avec Alastor pour la dernière fois ?

-C’est quoi cette question ? cingla-t-elle.

-Je ne veux que ton bien, ma fille.

-Tu ne veux pas la fréquence de nos rapports, tant que tu y es ?

-C’est plus où moins ce que je te demande.

-Nom de…

Elle se leva d’un bond, soudain incapable de rester en place. Bon sang ! Il ne pouvait pas sérieusement vouloir une chose pareille !

-Tu m’as fait venir d’Exil pour ça !?

-Écoute, nous nous inquiétons, Cassandra…

-Inquiet !? Tu t’inquiètes !? De quoi !? Parce que ce n’est certainement pas pour moi qui tu t’en fais ! rugit-elle en le foudroyant du regard. Accouche !

Son père le roi baissa les yeux, à peine gêné. Rien d’étonnant à cela. Dans ce pays de bisounours, tout avait toujours été sacrifié pour la paix du plus grand nombre. Or, le sacrifice, c’était elle. Depuis toujours.

-Tu n’as toujours pas donné d’héritier au Bourreau. Ta stérilité risque de rendre votre mariage invalide.

Elle crut que ses yeux allaient jaillir de ses orbites. C’était pour ça ? Pour CA !?

-Mes rapports avec Al ne te concernent pas !

-Je suis Roi ! Rétorqua-t-il. Cela me concerne ! Notre paix repose sur ce mariage, Cassandra des Hespérides ! Tu te dois de l’honorer jusqu’au bout !

Elle eut soudain envie de hurler. Très fort. Puis de couper la tête de tous ces foutus hypocrites ! Pourtant, elle ne trouvait même pas quoi répondre à cela.

-Écoute, je sais que tu n’es pas heureuse avec le Bourreau, fit Bacchus en la prenant par les épaules. Je te propose une solution.

-Je n'ai jamais prétendu être malheureuse.

-Tu es incapable d’avoir des enfants. Si nous l’avions su à l’époque…

-Ça n’aurait rien changé.

-… Nous aurions fait les choses différemment. Mais nous avons besoin de ce pacte, maintenant plus que jamais, ma chérie. Notre royaume est menacé…

-Qu’est-ce que tu veux que ça me fasse?

-...Alors je te propose de te sortir de là.

Cassandra plissa les paupières. Ça sentait le coup fourré. Ça finissait toujours en coup fourré en ce qui la concernait. Elle n’avait jamais eu de chance, c’était de notoriété public. Alors qu’est-ce que son père allait encore lui sortir ? Du cyanure, pour un suicide honorable ? Quelque chose pour améliorer les performances de son utérus ? Bordel, il ne se demandait même pas si le problème venait d’Alastor ! Sale misogyne !

-Vous pouvez venir, fit Bacchus en la lâchant.

Il recula de quelques pas, la laissant fulminer dans son coin. Stérile ! STERILE ! Il avait certainement des mouchards en Exil. Mais qui ? Qui avait osé colporter ces rumeurs jusqu’ici ? Dès qu’elle mettrait la main sur le responsable, elle lui ferait comprendre sa douleur. Absorbée par ses plans de vengeances, Cassandra ne vit pas tout de suite le nouveau venu. Puis elle aperçut son corps d’éphèbe, ses cheveux courts, ses traits inchangés en dépit des siècles. Et malgré tout ce temps, elle sentit son cœur se serrer en croisant son regard.

-Faas ?

-Je suis désolé, Cassandra, fit-il avec un petit sourire timide. J'ai proposé cette alternative à ton père. Si tu quittes Alastor, je… Nous pourrions… De nouveau être ensemble.

Hein ? Quitter Alastor ? Il avait fumé ou quoi ?

-Dis-toi que tout rentre dans l’ordre des choses, susurra-t-on. De cette façon, l’histoire repart de zéro.

Cette fois-ci, Cassandra fut glacée jusqu’aux os. Cette voix… Une jeune femme sortit de l’ombre de Faas, avec un grand sourire. A l'instar des siens, ses yeux étaient d'un bleu clair. Ses cheveux blonds frôlaient ses hanches, en une cascade dorée. Sa longue robe d’un vert translucide attestait bien de ses origines de nymphe. Un clone, né deux ans plus tôt qu'elle.

-Ma sœur… Ne souhaitais-tu donc pas remonter dans le temps ? susurra Marilu. Ne disais-tu pas détester Alastor le Bourreau ? Laisse-moi prendre ta place. Moi, je serais capable d’enfanter un héritier.

*

Alastor venait à peine de raccrocher quand cette foutue porte daigna enfin s’ouvrir. Bacchus lui offrit son plus beau sourire. Apparemment, sa discussion avec Cassandra s’était bien passée. Peut-être les choses iraient-elles mieux, à présent… Du moins, il pensait cela avant d'entrer dans le bureau.

Debout devant une fontaine, Cassandra lui tournait le dos. Quelque chose n’allait pas. Il observa ses épaules crispées, son expression s’assombrissant de secondes en secondes.

Quand il tourna son regard de vipère vers le Roi des Nymphes, ce dernier déglutit nerveusement.

-Heu… Seigneur Bourreau… Je devais m’entretenir avec vous d’une chose importante.

-C’est au sujet de la protection de votre royaume ? le coupa-t-il. Si tel est le cas, nous avons déjà un accord. Maintenant, dites-moi ce que vous avez fait à mafemme.

-Il ne m’a rien fait, Al, cingla la nymphette. Nous devons juste rester ici quelques jours.

-Dans ces circonstances ?

-Oui.

Elle se tourna vers lui, d'un calme suspect. Il la dévisagea à peine, avant de reporter son attention sur le Roi. Il parut se pétrifier sur place, terrifié par le démon. Rien d’étonnant à cela. Il n’avait pas été très agréable, lors de leur dernière entrevue.

-Avez-vous quelque chose à me dire, Roi Bacchus ?

-N…. Non. Je vous souhaite un bon séjour parmi nous. Ma fille va vous conduire à vos appartements.

-Viens, Al, soupira Cassandra.

Il la suivit hors du bureau, le sang bouillonnant dans ses veines. Il n’avait certes pas prévu de rester ici. Mais par-dessus tout, il ne s’était pas attendu à voir sa nymphette gothique dans un tel état. Que s’était-il passé, dans cette pièce ? Quel jeu avaient-ils encore trouvé pour la tourmenter ?

Ils traversèrent les couloirs, montèrent les escaliers à double révolution, sans croiser quiconque. La chambre de la princesse donnait sur un jardin intérieur, par lequel ils passèrent pour la rejoindre. La main sur la poignée de la porte, dissimulée sous une cascade de glycérine, Cassandra prit une profonde inspiration. Al regarda autour de lui, pour lui laisser le temps de se reprendre. Une végétation luxuriante s’épanouissait ici, autour d’une fontaine dont l'eau tombait jusqu’au sol, qu’elle irriguait de façon continue par des petites travées en forme de volutes. C’était joli. Mais il n’avait pas la tête à admirer la nature. Il faisait déjà nuit, et les choses n’allaient pas en s’arrangeant.

Quand, enfin, sa femme trouva la force d’ouvrir la porte de sa chambre, plusieurs minutes s’étaient écoulées. Il ne lui en tenait pas rigueur. Trop de choses s’étaient déroulées en ces lieux.

Rien n’avait bougé. Des draps orangés aux pots de fleurs disposés le long des murs, jusqu’à la salle de bain, rien n’avait changé en dépit des siècles. C’était comme mettre un pied en enfer. Or, il savait de quoi il parlait.

-Al…

Il ferma la porte derrière eux, attendant la suite. Cassandra venait de s’enlacer, des tremblements agitant tout son corps. L’espace d’un instant, il ne sut que faire. Leur relation n’était plus ce qu’elle était. Elle ne lui laisserait jamais l’occasion de lui offrir le moindre réconfort.

-Ils m’ont dit que j’étais stérile…

Le Bourreau eut l’impression de recevoir un coup à l'estomac. Incapable de se maîtriser, il l’attira contre lui, la serrant si fort qu’elle poussa un petit soupir. Il n’y avait pas de mots. Il n’y avait rien à dire, ils le savaient tous les deux.

Il la tint contre lui allongé sur le lit, jusqu’à ce qu’elle s’endorme, les joues mouillées de larmes. Pourtant, il ne la lâcha pas. Il en était incapable.

Car c’était l’unique chose qu’il pouvait faire pour elle.

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