Chapitre 4 : Un Message Féérique

Cassandra le savait, la situation était grave. Assez, apparemment, pour pousser Alastor à prendre sous son aile ces réfugiés dont il n'avait rien à faire. Car la chute des parasites des Enfers aux portes de leur village n’avait rien d’anodin.

Dans le plan infernal, cette méthode précédait toujours les attaques sur les cités. Les insectes ravageaient l’intérieur, laissant l’extérieur plus vulnérable aux armées assoiffées de sang. Or, la seule personne suffisamment remontée contre eux pour en arriver là, c'était Lulu. Enfin, Lucifer.

La nymphe retira son épée de l’un des cadavres, en essuya la lame sur ses bottes de cuir noir. Le problème, c’était que Luci était en guerre, sous le drapeau de Belzébuth, contre Satan. Le roi des Enfers, détrôné par l’un de ses sujets, avait déclenché une guerre civile pour récupérer sa place. De fait, le Déchu n’aurait pas dû avoir le temps de s’en prendre à eux. Il n'était pas censé avoir les effectifs nécessaires non plus.

Potchi vint se frotter contre ses chevilles, sont ronronnement indiquant qu’il s’était transformé en une panthère noire miniature. Avec un petit sourire attendrit, elle souleva l’animal, pour la serrer contre elle. Non loin, Silke et Svenn se remettaient sur pieds, un peu secoués par la violence et la soudaineté de l’attaque.

-Dit donc, toi, lança-t-elle en s’approcha du jeune loup. Tu pourrais éviter de mourir si tôt après ton réveil ?

-Je vais voir ce que je peux faire, rit-il.

Elle ébouriffa ses cheveux, tout sourire. Elle s’apprêtait à ajouter quelque chose, quand une brise amena une effluve particulière à ses narines. Cette senteur fut un véritable choc pour elle. Tournant la tête en tous sens, elle ne vit que des ruines, des réfugiés, Alastor… Elle reporta son attention sur Svenn. Ça ne venait tout de même pas de lui ? Sans réfléchir, elle l’attrapa par la nuque, le forçant à faire un pas en avant. Silke poussa un « hé » interrogateur, alors qu’elle reniflait l’haleine du loup, dont les joues avaient rosies.

-Oh non, souffla-t-elle en le relâchant.

L’odeur était trop caractéristique pour être imitée. Les fragrances subtiles, nées de la main des dieux, n’auraient jamais pu être recrées. Cela laissait une seule option.

Svenn avait croqué les Pommes d’Or.

Or, il était dans le coma depuis des semaines. Il n'aurait jamais pu se rendre là bas pour en manger une. Une seule réponse s'imposa à elle : Barbatos, sauveur inespéré du loup, était allé voler une Pomme pour soigner le protégé d’Exil.

-Cass ? s’inquiéta-t-il. Il y a un problème ?

-Pas vraiment, lui sourit-elle. Vous devriez remonter au village, tous les deux. Lucifer cherche toujours Silke.

Potchi se transforma soudain en poussin, avec un piaillement aiguë. Les deux jeunes le fixèrent, surpris. Pourtant, aucun ne fit de commentaire. Ils tournèrent les talons, s’entraidant pour franchir les ruines. La nymphe, elle, pressa le pas en direction d’Alastor, l'animal perché sur son épaule. Il était aux prises avec un petit comité de réfugiés à la mine livide.

-Les femmes ne peuvent pas se battre, faisait l’un d’eux.

-Et pourquoi ? railla le Bourreau. Vous les croyiez faibles et faites pour pondre des gosses à la chaîne ?

Il croisa son regard. Il eut du mal à réprimer un sourire, en apercevant la nouvelle forme de Potchi.

-Nouvelles règles, nouvelles habitudes. Vos femmes deviendront capables de se défendre seules.

-Mais nous sommes nés pour les protéger !

-Détrompez-vous. Elles seront les premières à vous faire mordre la poussière à l’entraînement. Cass ? Que ce passe-t-il ?

Il fendit la foule récalcitrante. Comment diable avait-il fait pour détecter aussi vite son problème ? Enfin… Non, elle ne devrait pas être surprise. Le Bourreau avait bien un don pour savoir comment tuer en un seul coup, pourquoi pas pour déceler ses soucis à elle ?

-Je dois parler à Barbatos.

-Qu'a-t-il fait, encore ?

-C’est entre lui et moi.

-Mmh…

Une sonnerie retentit. Calant son cigare entre deux doigts, il attrapa l’appareil, miraculé du combat. Cela annonçait de mauvaises nouvelles, car il grogna.

-Il va revenir, Cass. Rentre au village, c'est plus prudent.

-Et toi ?

-Je dois organiser les défenses d’ici. Ça me prendra la journée pour poser les bases, vu le ramassis d’abrutis dont ont a écopé…

Il termina sa phrase dans un murmure, en acceptant l'appel. Elle ne se préoccupa plus de lui, surtout en percevant le ton particulièrement agressif de sa voix. Son interlocuteur devait être habitué, car il ne raccrocha pas au nez de ce sale type.

Grimpant la longue pente menant au village, Cass caressa la tête duveteuse du poussin Potchi, ses pensées fusant en tous sens. Comment Barbatos s’était-il procuré les Pommes d’Or ? Comment avait-il eu connaissance de leur emplacement, et surtout, pourquoi avoir pris tant de risques pour Svenn ? Il n'était pas réputé pour sa fidélité amicale. Il n'était pas un Déchu pour rien, après tout.

-Cass ? Tout va bien ?

Elle redressa la tête, surprise. Blanche, la curieuse lare insoumise, l’observait. Vêtue d’une robe à fleurs carnivores, elle paressait de plus en plus épanouie, depuis son arrivée. D'un autre coté, elle était tombée éperdument amoureuse de Nergal, qui le lui rendait bien.

-Hein ? Oui… Tu descends au camp des réfugiés ?

-Oui, grimaça-t-elle. Mes dons sont requis pour des constructions d’urgence.

Capable d’animer les objets, elle avait prouvé par le passé son efficacité pour les gros travaux. Elle était tout indiquée pour fortifier le campement, et tout remettre en état en une après-midi. Qui eut cru qu’elle deviendrait un atout, avec tous les ennuis les accompagnant elle et Silke ?

-Ton poussin a un collier. C'est normal ?

La nymphe leva brusquement Potchi à hauteur d’yeux. Effectivement. Il était affublé d’un lien autour du cou, auquel pendait un cylindre typique des pigeons voyageurs. Cela lui fit un nouveau choc.

-Ils ont osé… grogna-t-elle.

-Qui ça ? s’enquit la lare.

-Tu vas voir.

Blanche l’observa dénouer la cordelette, pour décapsuler le cylindre d’un pouce rageur. Instantanément, l’air se colora de rose, agrémenté d’une poussière étincelante et d’une forte odeur florale. La lare écarquilla les yeux, avec un léger mouvement de recule lorsque… Oui, c’était bien ça. Une petite fée apparut, vêtue d’une robe de feuilles, ses couettes tressautant au rythme de ses battements d’ailes de libellule.

-Princesse Cassandra Anaveranne des Hespérides, piailla-t-elle avec un immense sourire. J’ai l’honneur de vous convier à un banquet en votre honneur, organisé par le Roi votre père en son palais ! Nous vous attendons pour les fêtes de Samain, oh ma révérée Princesse ! Cordialement, papa.

Elle disparut dans un petit « plop », qui remballa la poussière, la lumière de nunuche et tout le fatras. Un silence s’abattit entre les deux femmes… Immédiatement suivit du rire de Blanche. Elle en eu mal aux côtes, alors que Cassandra, elle, fixait l’animal métamorphe d’un air mauvais.

-J’y crois pas… Alors les nymphes sont aussi niaises que ce que l’on dit !?

-Tu n’imagines même pas, grimaça-t-elle.

-Hé, hé… Oh ! Tu es une princesse, au fait !?

Ha, mince. Les titres honorifiques étaient inclus dans les messages stupides, imaginés par des gamines décérébrées affublées d’un chapeau de princesse humaine. En tous cas, cela eut le mérite d’arrêter le fou rire de la lare.

-Oui.

-Mais… Qu’est-ce que tu fiches ici, alors?

Inconsciemment, Cassandra coula un regard sur le campement ravagé en contre bas, où Alastor hurlait probablement au téléphone.

-C’est une longue, très longue histoire.

*

Les frais de téléphone d’Alastor étaient astronomiques. Oh, pas à cause du temps d’appel. Il allait toujours à l’essentiel : il beuglait, il obtenait le nécessaire, il raccrochait. Par contre, à la moindre contrariété, il avait tendance à broyer l’appareil dans sa main. Or, depuis le début de la guerre civil en Enfer, il en était à dix-huit appels avec son banquier. Soit dix téléphones cassés avec un compte dans le rouge.

Aussi tenta-t-il de se décontracter jusqu’au bout des doigts, avant de détruire ce maudit truc plus fragile qu’une plume.

-Écoute, Jonathan, j’ai eu pas mal de choses à régler.

A l’autre bout du fil, le banquier poussa un soupir. Être de l’Invisible, il avait un pied dans le monde des Hommes pour assurer les finances de certaines personnes. Alastor, obligé de côtoyer les humains pour certaines dépenses, comme l’électricité, avait été contraint d’ouvrir un compte chez lui. Les deux se mélangeaient : l’argent de l’Invisible, et la monnaie humaine. Or, il était à sec de tous les côtés.

« -Botter le cul de Lucifer n’aide pas tes finances, Alastor. Tu vas devoir faire quelque chose, et vite. »

-Je fais mon possible.

« -Quelle idée aussi de vouloir assurer les dépenses de tout un village ! »

-Ils ne peuvent pas travailler, abruti des îles ! Tous sont des Exilés, tu te souviens !?

« -Tu n’es qu’un masochiste ! »

-Va te faire…

Il se souvint in-extremis de ne pas broyer son portable. A l'autre bout du fil son banquier ricanait, parfaitement conscient de son soucis.

-Écoute, j’ai une solution. Mais il va falloir me laisser plus de temps.

« -Encore ? Tu veux vraiment faire couler ma banque ? Tu es un gouffre à toi tout seul ! »

-Ferme mon compte, si je suis une telle gêne !

« -Va te faire voir, sale démon ! Je l’aurais déjà fait si nous n’étions pas amis ! Alors bouge ta graisse fessière et ramène du fric ! »

Jonathan lui raccrocha au nez. Le téléphone n'y survécu pas.

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