Chapitre 12 : Petit Bouchon en Sucre

Fergus Ferguson était un homme peu impressionnable. Il avait vu, et vécu, bien trop de choses pour se laisser impressionner par les exploits d’autrui. Néanmoins, il devait l’admettre, Rika la Némésis l’intriguait.

Se déplaçant entre les guerriers tel un fantôme, elle lui jetait de temps à autre coup d’œil irrité. Comment faisait-elle pour passer inaperçue, avec son haut au-dessus du nombril, son pantalon garnit de chaînes cliquetant au moindre de ses pas et ses cheveux roux flamboyants ?

-J’aurais dû rester avec les enfants.

Ha. Elle daignait lui parler pour la première fois depuis leur départ de l’auberge du « Pleutre Endormit ».

-Je ne te fais pas confiance, rétorqua-t-il.

-C’est ma sœur. Je l’aurais protégé.

-Oui. Et Svenn ?

-Quoi, Svenn ?

-C’est exactement ce que je voulais dire.

Elle poussa un soupir rageur, sans ralentir le pas. A cause de sa carrure, il avait un peu de mal à la suivre. Son esprit naviguait ailleurs, partagé entre Exil, les Arènes et Svenn, retrouvé inconscient des heures plus tôt. Ils savaient juste qu’il était parti avec cette vampire plantureuse. Puis, plus rien. Ha, si. Ils avaient dû empêcher Silke d'aller écorcher vive cette Faith.

-Il faut vraiment que tu sois un allié de poids, pour que je te laisse en vie, lança Rika.

-Il faut vraiment que tu sois notre seul agent dans la place, pour que je te laisse en vie.

C'est la réalité des choses, songea-t-il en se faufilant avec elle jusqu’au premier rang du ring. Un combat faisait déjà rage, entre un loup-garou et un vampire, pour les qualifications.

Depuis la bataille contre le Déchu, désormais connu de tout l’Invisible, Alastor avait contracté une alliance avec Rika, la Némésis prête à tout pour rompre le joug de Lucifer sur son peuple. Fergus avait accepté de le soutenir au nom de tous les Ferguson, même si ces derniers freinaient des quatre fers. Cela impliquait de faire confiance à des potentiels traîtres. A l'instar de Rika.

-Pourquoi es-tu venue dans les Arènes, Némésis ?

Le visage impassible, elle enfonça son doigts dans les côtes de Fergus.

-Ne prononce pas ce mot en public.

-Réponds pas à ma question, ou je te jette au milieu du combat.

-Si j’utilise mes pouvoirs, Lucifer tueras toutes mes sœurs.

-La discrétion est la clé de votre survie… D’où ta présence ici ?

Elle secoua la tête, avant de désigner les guerriers sur le sable.

-Tu vois ces combattants ?

-Oui.

-Le vainqueur sera considéré comme un potentiel géniteur.

Il cligna des yeux, surpris. Un géniteur ? Attendez… Ça voulait dire quoi ? Elle ramenait des hommes chez elle pour avoir un matériel génétique approprié. Ça devait être ça. Pas étonnant de la part de Lucifer. Quitte à faire un élevage, autant avoir une base «saine ».

-Vous avez un harem ?

-Non. Nous enlevons des hommes pour qu’ils engrossent la « Génitrice », la mère de la nouvelle génération.

-Mais vous n’avez pas de mâles, dans votre race ?

Rika lui sourit, comme s’il était un benêt.

-Lucifer tue tous les mâles à la naissance. Ils sont potentiellement bien plus puissants que les femelles.

-Oh. C'est cruel, fit Fergus, un peu surpris par la méthode.

Pour lui, les enfants étaient des être fragiles, à protéger de la cruauté du monde. Que Lucifer ait seulement pensé à cela... Et l'ait appliqué ? Cela faisait de lui un monstre à part entière. Nul n'avait le droit de s'en prendre à des êtres aussi innocents.

-Tu trouves ? Dans ce cas je ne te raconte pas tout. Mais sache une chose, Fergus. Aucune d’entre nous n’est maîtresse de ses choix.

Il fronça les sourcils, bras croisés. Rika observait l'affrontement sur le sable, avec une impassibilité étonnante. Que se passait-il pour les Némésis, entre les mains de Lucifer ? Quels ignobles secrets le Déchu cachait-il encore ?

Le combat venait de prendre fin. Le vampire avait fini égorgé, son sang imbibant le sable blanc. Cette histoire de trafic d’êtres vivants le hérissait dans tout son être. Il fallait vraiment y mettre fin au plus tôt. Même en parlant à Rika il avait l’impression d’avoir à faire à une sorte de robot, embrigadé depuis trop longtemps sur un chemin sombre. Comme si Silke, elle, avait été sortie de là juste à temps.

-Si tu n’es pas maîtresse de tes choix, pourquoi tentes-tu de détruire tout ce qu’a construit Lucifer ? Tu joues ta vie.

-J’ai prouvé ma fidélité au Déchu. Et puis, je ne peux rien contre lui. Directement, tout du moins.

Hein ?

-Comment ça ?

-Mesdames et messieurs ! tonna Okvald, en sautant sur le sable encore chaud du sang du vampire. Nous nous apprêtons à vivre un moment épique. Vous savez de quoi je parle !?

-OUAIS !! hurlèrent les spectateurs, faisant hausser un sourcil à Fergus.

-Dans ce coin ! Edward le Bâtard ! Accesseur à la demi-finale de la dernière édition des Arènes !

Un colosse de deux mètres de haut brailla un cri de guerre, ses pectoraux manquant faire sauter les plaques de son armure. C'était un démon à la peau couverte d’écailles, à l’air si mauvais qu’il aurait fait faner une fleur d’un simple regard. Il avait sans conteste l’air d’un barbare.

-Et de l’autre ! continua Okvald, son faciès verdâtre prenant une teinte plus vive sous l’effet de l’excitation. Un nom inscrit dans toutes les mémoires en lettres de sang ! Un être, assez fou pour être à la tête du village de toute la racaille de l’Invisible ! Le BOURREAU!

Les tympans de Fergus frôlèrent l’explosion, tant la foule cria fort. Juste avant de s’arrêter net, dans un élan interloqué. Le métamorphe ne put retenir son sourire.

Alastor venait d’apparaître sur le bord du sable face à son adversaire, ses cheveux noirs retombant sur ses épaules, soulignant son sourire carrément radieux. Et, soi-disant passant, son impeccable costume gris perle d’humain.

-Le Bourreau ?

-Mais… On dirait…

-… Un humain ?

S’en suivit un long silence, même de la part d’Okvald. Ce qui parut particulièrement plaire à Al.

-Le… Bourreau, répéta l’orc. Que… Que le combat commence !

Edward le Bâtard s’élança en faisant tournoyer son épée. L’assistance retint son souffle… Et n’eut pas le temps de prendre une inspiration tant les choses allèrent vite : Alastor plongea en avant, passa sous les bras levés de son adversaire, posa ses mains sur ses tempes… Et tordit son cou sur le coté, selon un angle improbable. Le craquement raisonna sur toute l’étendue de sable. Même Fergus en resta bouche bée.

Le combat ?

Gagné en moins de temps qu’il ne fallait au corps pour toucher le sol.

*

Décidément, rien ne lui serait épargné.

Assise devant un miroir, Cassandra fixa son reflet d’un air dégoûté. Elle avait l’impression d’être un blasphème ambulant, avec jupe évanescente cousue de fleurs, à la taille soulignée par une cordelette de feuilles, et son haut aux longues manches évasées. Une coiffe de perles blanches se mélangeait à ses cheveux, lui occasionnant un mauvais retour de souvenirs.

Celui d’un futur qui lui avait été interdit. Celui d’une nymphe à part entière.

-Oh, ma fille… J’ai l’impression de retrouver celle d'antan, soupira Bacchus, debout dans un coin de la pièce. Si seulement tes cheveux étaient moins courts… Tu étais encore plus belle avant.

-Je devrais me faire la boule à zéro, dans ce cas.

-Plus tard. La Mère attends.

Cassandra suivit son père dans les couloirs du manoir, embarrassée par la pointe d’excitation dans son ventre. Elle n’avait plus vu la Mère depuis des années. Leur dernière entrevue ayant été un adieu, elle n’avait jamais prévu de la revoir, en dépit de leur longue collaboration. Les retrouvailles risquaient d’être houleuses. Surtout dans ce contexte.

-Vous avez donc retrouvé des flaques de sang dans la clairière des Hespérides ?

-Oui. Depuis, la Mère est tombé dans le mutisme le plus absolu. Elle ne nous a rien révélé de cette affaire, et ne veut plus adresser un mot à notre Prêtresse.

La Prêtresse. L’interlocutrice attitrée de la Mère, celle destinée à faire un lien entre les dieux et les nymphes.

-Tu as jadis occupé cette place, ma fille. Nous espérons qu’à toi, elle parlera.

-Que lui a donc fait Marilu, pour qu’elle ne lui adresse plus la parole ? C’est elle, la Prêtresse ! Je ne suis plus censée intervenir !

-Ta sœur… A toujours eu des relations tendues avec la Mère.

-En gros, elles ne se supportent pas.

Son père ferma les yeux, crispé. Tiens, il pouvait l’être ! Que ça lui serve de leçon ! Cassandra était suffisamment énervée contre sa sœur, elle n’avait pas en plus besoin de retourner la hallebarde dans la plaie. En un clin d’œil, la mise défaite de Marilu, au sortir de sa chambre lui revint à l'esprit. Elle serra les poings, le cœur soudain emplit de haine.

Si elle avait touché à son mari, elle la tuerait sur la place publique.

Ils descendirent par un escalier, caché dans les appartements de son père. Avant de tourner à gauche, puis à droite, remonter une volée de marches, tourner au coin d’un gros rocher moussue… Et enfin, les tunnels cédèrent la place à une lumière douce, à l’air pur.

Une clairière s’épanouit sous les yeux de Cassandra, identique à celle de ses souvenirs. Une lueur dorée baignait les lieux, nimbant un gigantesque pommier dont les ramures s’étendaient gracieusement au-dessus de l’herbe d’un vert irréel. Autour, tels des barrières, des chênes, des frênes et des bouleaux millénaires montaient la garde. Et ce n’était pas une image.

Les Hamadryades, nées avec ces arbres, discutaient paisiblement, sans pour autant louper la venue du roi et de Cass. Mais aucune ne vint à leur rencontre. Ils ne formaient pas une menace, et ces êtres n’usaient leur énergie uniquement pour la défense de la Mère. Le pommier, au centre de toute cette beauté végétale.

A leur approche, il y eu un infime changement dans l’air. Une sorte de crépitement électrique parcourut la peau de la nymphe, dont les battements de cœur s’accélérèrent. L’écorce du pommier parut prendre vie, se mouva en avant, jusqu’à ce qu’une forme s’en découpe. La Mère sortit de l’arbre, avec une grâce qu’elle était la seule à posséder sur cette terre. Son corps, semblable à celui de son hôte, était nu, sans pour autant rendre la chose incongrue. Ici, toutes les Hamadryade étaient paré de leur nature. Telles qu’elles l’étaient au commencement.

Les yeux d’un vert intense de la Mère se posèrent sur Cassandra. Elle cligna des paupières. Une fois. Deux fois.

-Cassandra ?

-Mère, fit solennellement Bacchus en posa un genoux devant elle. Face à notre situation, nous…

-Cassandra, mon petit bouchon en sucre ! s’exclama la grande Hamadryade, en se jetant sur la nymphe. Tu es enfin de retour à la maison !

Oh bon sang, sa colonne vertébrale allait craquer. La Mère ne mesurait jamais sa force dans les moments d’émotions. D’ailleurs, le roi les fixait d’un air soulagé, sans réaliser qu’elle était à deux doigts de perdre ses vertèbres.

-Tu m’as manqué toi aussi, murmura-t-elle pourtant, en l’enlaçant en retour.

-Roi Bacchus, retournez pourrir la vie de quelqu’un d’autre. Je dois parler à mon sucre seule à seule.

Il obtempéra, parfaitement conscient de la colère de la Mère. Ce détail fit froncer les sourcils de Cassandra. Elle ne l’avait jamais vu dans cet état, du temps de son service. Qu’est-ce qui avait changé ? Bien des choses apparemment, songea-t-elle en observant les gardiennes. Toutes avaient un bras en écharpe, une jambe blessée, des plaies sur le visage. Un arbre avait disparu, laissant un trou béant dans la barrière protectrice. Une Hespéride était morte.

-N’allons pas par quatre chemins, fit la Mère en lui posant une main sur l’épaule.

Son visage d’écorce était fendu d’un grand sourire. Néanmoins, il y avait une urgence qui alerta instantanément Cassandra.

-Petit un, continua-t-elle en levant un doigt noueux. Je suis consciente de ce qui est fomenté par le roi et sa fille, tout comme je sais qu’Alastor et toi êtes fait l’un pour l’autre.

-Hein ? Tu ne disais pas ça, la dernière fois !

-Le vent me murmure bien des choses, mon enfant.

Elle se tapota l'oreille, avec un sourire malicieux.

-Attends, qu’est-ce que ça veut dire ? Tu espionnes Exil ?

-Petit deux ! Ton royal papa ne t’a pas fait venir pour dégarnir la couche de ton mari.

Cassandra émit un ricanement ironique. Le faux prétexte de Bacchus se voyait à des kilomètres à la ronde !

-Nous avons été attaqué il y a un peu plus d’une semaine. On m’a volé mes Pommes d’Or.

-Je m’en doutais, grommela la nymphe.

Barbatos. Elle ne connaissait pas son implication dans cette histoire, mais ça allait chauffer pour ses fesses ! La Mère lui tapota l'épaule, pour l’empêcher de se disperser.

-Continue à m’écouter, mon petit sucre. Nous avons été attaqué par des démons. D’après ce que j’ai compris de la présente situation, une de tes amies a découpé l’aile de Lucifer….

-Mais comment sais-tu ça ?

-… Tout est certainement lié. Je n’en suis pas encore certaine, les informations arrivent avec du retard, ici. Mais une faction est arrivée, a commencé à s’en prendre aux Hespérides…

Les gardiens hochèrent discrètement la tête.

-… Et deux hommes sont arrivés, après. L’affrontement a été violent, j’ai perdu connaissance. A mon réveil, mes Pommes d’Or avaient disparu.

Les Pommes, capables de conférer l’immortalité aux humains, ou des guérir les pires des blessures. Cassandra ferma les yeux, une bouffée d’adrénaline lui brûlant les veines. Quand elle les rouvrit, la Mère lui fit un petit sourire, en dépit de son expression meurtrière.

-Deux hommes, dis-tu ?

*

C'était une véritable mascarade.

Debout devant un immense pommier, celui aux Pommes d'Or, Alastor avisait la foule. Aussi mal à l'aise qu'eux. Dire qu'il se mariait pour de vrai. Si Nergal avait été présent, il lui aurait ri à la figure. Il y avait de quoi. En plus, il portait toujours son armure de combat, agrémentée de sa longue cape noire.

Il allait se retrouver avec une mariée probablement acariâtre, en plus. Marilu avait le profil de la pimbêche hautaine. Elle allait se croire supérieure à lui car il était un démon, une sous espèce pour beaucoup. Il était fatigué d'avance.

Si seulement il avait s'agit de la Prêtresse.... Bon sang, il ne connaissait même pas son prénom. Enfin... mieux valait ruiner la vie d'une personne dont il se moquait éperdument. Il s'en serait voulu de condamner la deuxième fille à une vie à ses cotés. Pour le moment, il n'avait rien d'autre à offrir que lui même. Ce n'était pas grand chose. Vraiment pas grand chose...

Soudain, le bruit enfla parmi les invités. Il était tard, pourtant, une douce lueur nimbait les lieux. La mariée fendait la foule, avec une élégance rare. Vêtue d'une robe bleu claire, elle portait un voile dissimulant son visage.

De sa démarche souple, elle vint à ses cotés, en lui adressant un signe de la tête. Il lui rendit le même. Après tout, ils ne se connaissaient pas. Pas besoin de faire montre de la moindre effusion sentimentale.

Ils prêtèrent serment, dans un silence de mort. Puis, selon les traditions des nymphes, ils furent escortés jusqu'à la chambre de la Princesse, où ils furent laissés seuls dans un nuage de pétales de roses rouges. Relativement inapproprié. L'amour n'avait rien à voir avec eux.

Seuls, il se tourna vers la mariée. Immobile, elle paressait faite de marbre. Il se devait de la rassurer. Il n'avait aucune intention de la forcer à consommer le mariage. Une femme n'avait pas à subir cela.

Résigné, il prit les bords du voile, le souleva... Et resta figé.

La Prêtresse, elle, lui adressa un sourire amusé.

-Heu...

-Ton ex future femme est partie en fuite amoureuse avec mon petit ami, fit-elle obligeamment.

-Ha....

-Je suis donc ta femme.

-Mais... Tu es déjà... Prêtresse.

-Je ne suis désormais plus que Cassandra, épouse du Bourreau.

-Alastor.

-Épouse d'Alastor.

Ils se fixèrent. Il voulut ajouter quelque chose. Dire qu'il était désolé, qu'il n'avait jamais voulu une telle chose pour elle. Mais contre toute attente, elle dégrafa l'une des attaches de sa robe. Le tissu tomba à ses pieds dans un bruit soyeux, qui le laissa sans voix. Elle avait les plus beaux seins du monde, une taille fine, des jambes fuselées et.... Cassandra lui adressa un sourire terriblement coquin.

-Montre-moi comment les démons honorent leur femme, Alastor.

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