Chapitre 1 : Les Pots Cassés
Depuis quelques jours, l’ambiance en Exil avait radicalement changé. Ce qui n’était pas, mais pas du tout, pour plaire à Alastor.
Bon, Nergal roucoulait en permanence, ça, ce n’était pas un problème. Mais bon sang, ce ramassis de pleurnichards le fatiguait. Ils se massaient au pied du pic du village, réfugiés de la guerre civile ravageant les Enfers. Depuis que Môssieur Belzébuth avait décidé de s’asseoir sur un trône plus rembourré que le précèdent, Alastor écopait des pots cassés.
Tout d’abord, d’une lare caractérielle et d’une gamine encore plus dangereuse qu'un dragon mal luné. Puis d’une famille de dingues, réputée pour haïr les démons –hors, il en était un, Hell Ferguson le lui rappelait assez souvent-. Svenn avait bien failli mourir, aussi.
Puis il y avait le reste. Les réfugiés. Les pleurnicheries. La menace perpétuelle de se retrouver eux aussi en guerre, parce qu’ils avaient fichu le pagaille dans la dernière bataille démoniaque. Voir même flanqué une franche raclée aux sbires de Lucifer.
Oh, ha, oui… Son compte était à sec, en plus.
Alors, franchement, cette délégation d’elfes coincés... C’était de trop. Surtout pour lui dire des trucs pareils.
-Vous devez prendre vos responsabilités ! tonnait un espèce de cure dent aux cheveux blonds. Nous ne vivons pas correctement ! Nous avons besoin d’eau, de nourriture. D’un toit ! Qu’est-ce que vous faites pour nous ? Rien ! Vous ne méritez pas votre titre de Chef d’Exil !
Ha. Celle-là, on ne la lui avait encore jamais faite. D’ailleurs, Nergal, juste à droite du pseudo trône de bois sculpté, manqua s’étouffer. De rire ou d’indignation ? Ça, il n’aurait su le dire.
Dans tous les cas, le gringalet pâlit d’une teinte quand il se pencha en avant, le visage aussi ouvert qu’une porte de prison. Venir lui dire ça dans le Hall de la Souffrance… Ce gamin était soit un crétin finit, soit un inconscient.
-Je suis heureux de vous entendre dire ça, susurra Alastor.
-H… Ha ?
-Oui. Comme vous dites, jesuis le Chef d’Exil.
Il promena son regard rouge de vipère sur la délégation. A la lumière des énormes braseros, ils ne semblaient plus du tout confiants. Des réfugiés de la guerre des Enfers. Cette dernière commençait à se répandre dans ce plan-ci, prenant des proportions inquiétantes.
-Or, je ne vous ai pas admis au sein du village. Pour le moment, vous n’êtes qu’un tas de parasites venus toquer à la porte de votre pire ennemi. Vous vous greffez à la vie d’autres personnes, contre leur grès, et vous prétendez faire partie d’Exil ? Mais ce n’est pas le cas, mon bon petit elfe. Alors je vous conseille de sortir d’ici.
Le calme menaçant de sa diction fit son petit effet. Les elfes eurent de concert un mouvement de recul, plusieurs balbutièrent des « mais… mais…. » dignes de couinements de souris. Ils finirent par partir, gentiment escortés par quatre Nergal. La carrure de rugbyman du démon prêtait à la docilité, en général.
-Nous devrions tout de même faire quelque chose pour eux.
Alastor serra les dents. La blonde Cassandra, la seule nymphe capable de ne faire aucun bruit avec des talons aiguilles, vint s’installer sur l’accoudoir du fauteuil. Les plis de sa jupette dévoilèrent une cuisse blanche. Elle portait un corset lacé dans le dos. Bon sang. Il ne savait pas comment était le devant, mais ça s’annonçait destructeur.
-Ces cloportes m'exaspèrent, grommela-t-il.
-De plus, avec tous les récents événements, Satan, ou Belzébuth, ont très bien pu glisser des assassins parmi eux.
Nergal. Il le soutenait toujours.
-Mais nous devrions faire quelque chose, Al, ajouta-t-il. Nous sommes une terre d’exil, à la base.
Mouais. Autant pour lui.
-Bon, je vais y réfléchir.
Il s’extirpa de son fauteuil, incroyablement fatigué. Le manque de sommeil, ça ne lui réussissait vraiment pas. Sans parler de nuits blanches. A peine était-il parvenu à étirer ses muscles douloureux, qu’un tintement caractéristique raisonna dans le Hall. Son téléphone. Il le tira de la poche intérieure de son costume, sourcils froncés. C’était soit l’emplumé, soit son banquier.
L’emplumé.
-Bouge ton cul, Barbatos ! rugit-il en décrochant, faisant sursauter Cassandra et Nergal.
« -Parle-moi autrement, sale démon ! »
-Va te faire f...!
« -Je ne peux pas aller plus vite ! »
-Tu es un ange, tu n’as qu’à faire un miracle !
Il raccrocha sans lui laisser le temps de répondre. Cela lui valut des yeux ronds de la part de ses deux plus proches camarades. Quoi ? Il n’avait jamais été réputé pour son bon caractère, non ?
-Tu dors assez ? Demanda Nergal.
-Parce que tu es d’une humeur de chien, ces derniers temps, ajouta Cassandra.
-J’ai passé trop de journées chastes. Rassurez-vous, je m’en vais arranger ça.
*
Quelque chose clochait. Cassandra le devinait, sans pouvoir toucher du doigt de quoi il en retournait. Voir Al avec une démarche si fatiguée, alors qu’il était réputé pour dormir comme une souche, était inquiétant. D’ailleurs, Nergal semblait lui aussi perplexe.
-Tu sais de quoi il en retourne ?
-Mmh ? Non, pas du tout, s’excusa-t-il en se redressant. Tu connais Alastor. Il préférerait s’arracher une dent plutôt que se confesser.
La nymphe hocha du chef. Ça, c’était certain. Ce grand crétin avait déjà eu des soucis à cause de ce type de comportement. Pourtant, cela ne lui avait jamais servi de leçon.
-Tout va bien, Cassandra ?
-Hein ? Heu… Oui, pourquoi ?
Il haussa les épaules. Dans le calme du Hall de la Souffrance, ils étaient tous deux à l’aise. C'était chez eux. Avec l’aide du grand grincheux, ils avaient tout construit de leurs mains. Les nouveaux habitants avaient souvent du mal à le croire, mais Cass était l’une des fondatrices d’Exil. Les souvenirs de ce temps-là la rendaient souvent nostalgique. Il n’y avait eu alors qu’eux trois, occupés à poser les fondations d’un village aujourd’hui connu de tout l’Invisible. Sous la férule d’Alastor, une autre tournure aurait été improbable. Ce sale type avec un charisme à tomber par terre. Et un caractère à faire plier les montagnes.
-Vous vous disputez souvent, en ce moment. Pas quand nous sommes là, mais… On vous entend de loin.
Elle ne put empêcher son expression de se durcir. Oui. Ils se disputaient souvent, pour des raisons insoupçonnables par Nergal. Dormir avec Alastor, la semaine dernière, avait été une grave erreur. Néanmoins, le mal était fait, et le Bourreau prenait très, très mal, sa réaction à elle. Allons bon, il savait de quoi il en retournait! Ça n'arriverait plus jamais ! Pourtant, il semblait avoir envie de lui arracher la tête, chaque fois qu'ils se croisaient.
-Al peut être très désagréable, quand il s’y met, grinça-t-elle.
-C'est vrai. C'est parfois un sale con.
-Ouais. Oh oh... Il est déjà tard, Nergal. Excuse-moi.
Elle sauta sur ses talons aiguilles, soudain pressée. Elle ne devait surtout pas être en retard ! Trottinant jusqu’à la sortie, elle dévala les marches des escaliers. Le cœur battant à tout rompre, elle se dépêcha vers sa maison... Quand elle aperçut Alastor, appuyé d'une main contre le mur extérieur du Hall, le visage crispé par la douleur. Qu'est-ce que...
Il rouvrit les yeux à cet instant. Leurs regards se croisèrent. Inexplicablement, Cassandra se sentit glacée jusqu'aux os. Il n'y avait là rien d'amical, rien de docile. Il ne restait là qu'un guerrier démoniaque, un être implacable. Pourtant, cette expression disparut en un instant, remplacée par un air moqueur. Il se détourna sans lui adresser la parole, la laissant figée. Le vent souffla dans son sens, charriant l'odeur caractéristique de sang.
Par les dieux... Qu'avait-il fait?
*
Le démon vit Cassandra hésiter à le poursuivre... Avant de se raviser, pour partir vers sa maison. Il l'observa s'y engouffrer, ses longues jambes la portant gracieusement. Elle lui cachait quelque chose, il le savait. Rien ne justifiait ce changement de comportement. Du moins, à sa connaissance. Alors, que lui cachait-elle?
Incapable de répondre à cette question, il tourna les talons, sa mauvaise humeur grimpant d’un point avec sa douleur. Il ne supportait pas les faux semblants, aussi n’allait-il pas tarder à prendre la nymphette entre quatre yeux pour mettre les choses à plat.
En attendant, il était grand temps d’aller voir Barbatos. L’ange poireautait depuis une heure au fin fond des cachots d’Exil, avec sans aucun doute sa bonne humeur coutumière. Serrant les dents, Alastor se faufila par une trappe creusée dans un cabanon à l’arrière du Hall de la Souffrance.
Il dépassa la pièce ronde, où il avait torturé une harpie quelques jours plus tôt, pour s’enfoncer plus profondément dans le pic rocheux d'Exil. Il poussa une porte avec un grognement caractériel, franchit trois couloirs, avant de s’engouffrer dans une sordide salle de torture à la mode elfique. Tout était blanc, du sol au plafond, avec au fond une table munit de lanières immaculées à l'instar du reste de la pièce. Dans un placard dissimulé dans le mur, des lames minces, extrêmement coupantes s’alignaient, prêtent à entrer en action. Une pièce destinée à effrayer tout ennemi des elfes. Eux, en revanche, atterrissaient directement dans la salle de style nain. L’ambiance « enfer souterrain » ne leur allait pas bien au teint.
Au milieu de toute cette blancheur, Barbatos s’amusait à faire léviter des cristaux de roches, ses doigts jouant la valse de leurs mouvements.
-Tu as une tête à faire peur, lança-t-il, sans même lui jeter un coup d’œil.
-Si je n’avais pas à mentir à Cassandra, les choses seraient beaucoup plus simples.
-Oh… On flanche, démon?
-Tais-toi et aide moi.
L’ange figea les cristaux en l’air, pour se précipiter vers lui. Forcement. Que le démon demande de l’aide avait de quoi inquiéter ses troupes. Il claudiqua avec son soutien jusqu’à la table de torture, où il s’allongea avec un grondement de douleur. L’emplumé fronça le nez, dégoûté.
-J’ai aucune envie de t’enlever ton pantalon.
-T’as pas assez de seins pour moi, boucle d’or.
-Je savais que les régimes faisaient perde un bonnet.
-C’est pas bientôt finit !? s’exclama Alastor, en dénouant la boucle de sa ceinture.
-Bois le même truc que Svenn, ça te guérira et on sera tranquille !
Le démon baissa son pantalon sur ses chevilles, peu ravi. Ils avaient vu les effets de la potion sur le jeune loup. Il ne pouvait pas se permettre de perdre lui aussi le contrôle.
-Je suis une entité dépravée, crétin. Les effets secondaires seraient fatals pour tout le village.
-C’est un peu prétentieux, non ?
-Tu as vu la tête de ma blessure ? Tu crois vraiment que je m’infligerais ça, si je n’étais pas sûr de moi ?
Ils baissèrent les yeux sur sa cuisse. Mouais. Il fallait vraiment être masochiste pour le supporter. Or, Al ne l’était absolument pas. D’où sa douleur lorsque Barbatos commença les soins, sans une once de charité chrétienne.
*
Le Bourreau courait le plus vite possible. Ses cheveux fouettaient ses joues, ses jambes ignoraient les lacérations que les plantes laissaient sur leur passage. Il devait absolument rattraper les démons devant lui. D’après la carte, il se trouvait dans les parages un village de nymphes. Des êtres tout sauf aptes au combat. S'il n'arrivait pas à temps, ils allaient se faire tailler en pièces !
Il déboucha soudain sur une série de clairières. Au loin, il entendait déjà des hurlements terrorisés. Il avait encore l'espoir d'arriver à temps. Il voyait à peine le dessin d'un attroupement en pleine débandade, qu'il faisait jaillir sa hache à double tranchant du néant. Son armure l'enveloppa dans un nuage de fumée noire, à l'instar de son casque aux doubles cornes.
Dans la clairière, des nymphes, hommes et femmes, courraient en tous sens, laissant derrière eux les victimes des démons. De grands scarabées humanoïdes, à la peau plus dure que le meilleur des aciers. L'un d'eux tenait entre ses pattes une femme brune, dont le cri strident reflétait sa terreur.
S'il voulait la sauver, il n'avait pas le temps d'établir un plan. Il fonça droit devant lui. Le démon eu tout juste le temps d’apercevoir sa hache fendant l'air. Une gerbe de sang noirâtre jaillit de son avant bras tranché, recouvrant la nymphe libérée.
-Le Bourreau ! Cria un autre scarabée.
Il acheva le premier en lui ouvrant la gorge en deux, avant de pivoter vers les autres. Ils étaient réputés pour être difficiles à tuer. Alastor plissa les paupières. Il avait un don unique, même pour un démon. Un don qui lui avait valut sa place de Bourreau, dés l'instant où il avait su tenir une épée.
-On le cerne ! On peut l'avoir !
Ils étaient six. Leurs ricanements emplissaient ses oreilles, mais il n'en tint pas compte. Il repérait leurs faiblesses. Le point qui lui permettrait de les tuer rapidement. Sous le troisième interstice de leur carapace, sur le poitrail.
Il s'élança. Les mains tentèrent de le saisir. Il sauta de coté, prit appuis sur le sol... Et enfonça sa hache profondément dans le point de l'un d'eux. Il mourut sur le coup. Il enchaîna avec trois autres, avec une facilité qui fit grimper la peur chez les survivants. Il para une attaque en traître, balança un coup de pied dans la mâchoire de son adversaire. Emporté par son élan, il fit un grand geste de sa hache. La tête roula sur le sol, le sang noirâtre imbibant la terre de la clairière. Il n'en restait plus qu'un, dans son dos. Il croyait vraiment pouvoir l'avoir aussi facilement ?
-Attention !
Le cri, venu de nul, l'aurait déconcerté... Si des racines n'avaient pas jailli du sol, pour s'enrouler autour des jambes de son adversaire, remonter le long de son torse tel un boa constrictor, et faire un collier létal au scarabée. Il y eu un craquement sonore, signant la fin du combat.
A peine essoufflé, le Bourreau abaissa sa hache. Qui avait bien pu faire une chose pareille ? Il n'avait jamais vu un tel phénomène. Pourtant, il parcourait les différents plans de ce monde depuis plusieurs vies humaines.
La femme brune était déjà aidée par une autre nymphe, alors qu'un homme au crâne chauve s'avançait vers lui, escorté par un semblant de garde du corps au teint livide. Leur tenue, des plus dénudé, laissait voire une morphologie longiligne et bien peu musclée.
-Démon, tu nous as sauvé. Au nom de tout le Royaume des Hespérides, nous te remercions.
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