Chapitre 22 : La Fureur des Protecteurs


Le cœur battant la chamade, les yeux écarquillés, Autem regarda les corps découpés en morceaux autour de lui. L'odeur de sang était aussi prégnante que ce jour, lors de l'attaque contre tonton Éléazar. Mais là... rien n'était contrôlé.

Une arme énorme était apparue dans sa main, et son corps avait réagi tout seul. Il avait voulu sauver Tamir des coups du mage. Mais la force qui l'avait possédée dépassait son entendement, et il avait tué son ami au passage.

Tout du moins, il l'aurait dû.

Car un homme en armure avait jailli des ténèbres, pour stopper net la hache gigantesque.

Debout devant Tamir, l'inconnu tomba, un genou à terre, la lame effilée de l'arme plantée dans son torse, en plein dans sa clavicule. Il était parvenu à la dévier au dernier moment, pour ne pas se faire trancher le visage en deux, mais il n'avait pas pu arrêter totalement le coup.

-Non... Monsieur !

Autem se précipita vers l'homme, mais il l'arrêta d'une main gantée de noir. Arrachant la hache de son torse de sa main valide, il la jeta sur le côté, avant de se redresser, chancelant. Pour ébouriffer les cheveux de Tamir.

-Tout va bien, dit-il aux deux enfants, en adressant un clin d'œil au petit blond.

Puis le noir absolu obstrua leur vision. Quand la lumière revint, une seconde plus tard, il ne restait de son passage qu'une flaque de sang.

Que...

-Tu n'as pas fait exprès, déclara Tamir en posant une main sur son épaule. C'est la première apparition de ton pouvoir.

Son pouvoir ? Autem regarda son ami, libéré de ses entraves. Il ne le savait pas, mais la force de son coup avait pulvérisé le siège du garçon. Sans l'homme qui s'était interposé, il aurait subi de lourds dégâts.

-Félicitations, mon pote ! fit Tamir avec un grand sourire mutin, du sang sur les dents. On dirait bien que tu es Protecteur !

*

En capturant Héberte, Éléazar était parvenu à identifier le pouvoir qui brouillait les communications des deux enfants. Et la nouvelle l'avait mis dans une colère noire. Plus tard, bien plus tard, Rainier lui reprocherait d'avoir déployé trop de pouvoir, alors qu'il venait à peine de se réveiller de son coma.

Mais en l'instant, ni Cara, ni Rainier, ni Lev n'y pensèrent. Car rien n'était plus important que les deux enfants disparus.

Encore dans le salon où ils avaient trouvé Dana, El déploya deux portails simultanément. Un pour Dana, qu'il expédia aux côtés de Flavia. Un qui engloutit les quatre Protecteurs, les faisant apparaitre aussitôt devant une tour.

Une annexe officielle de la Tour de la capitale, aux confins du territoire des Hastam, à la limite des murailles de protection.

Dans les jardins, des mages étudiaient les astres à la faveur de la nuit. Ils sentirent la fureur écrasante d'Éléazar avant de le voir. Ils tentèrent de s'enfuir par des portails. Mais ils ne parvinrent jamais à les ouvrir. Car à la place, des entraves magiques bleutées apparurent autour de leur crâne, les plongeant instantanément dans un état catatonique.

-Ils ne sont pas dans la tour, déclara le Mage alors que Cara, Lev et Rainier passaient en courant à côté de lui. Ils sont dans les sous-sols.

-L'entrée ?

-Détruis le bâtiment, Cara.

Le Marteau de Malleus ne se fit pas prier. Pleine de la rage d'une mère à qui on avait enlevé son enfant, elle percuta la tour de son arme. Un bâtiment n'était rien comparé à un dragon. La pierre vola en éclats sous la force de son coup, si puissant qu'il pulvérisa tout l'étage du bas. La pierre craqua, la tour haute de six étages chancela... Et tomba, dans un bruit assourdissant et un nuage de poussière.

Éléazar balaya le bâtiment sur le côté, comme s'il eut s'agit d'un fétu de paille. Ils n'avaient ni besoin de ce qui se trouvait à la surface, ni des mages renégats qui se trouvaient alors en train de faire des recherches, de dormir ou de se sustenter. Ils moururent tous, écrasés dans des hurlements de stupeur et de terreur.

Nul ne demanda à El s'il avait raison d'agir ainsi. Car il savait.

Il le sentait.

Il devinait ce qu'on faisait ici.

Et ils étaient tous coupables.

*

Éléazar resta à la surface, se déchainant contre d'autres renégats qui arrivaient. Lev à son côté pour le protéger, il les couvrit, laissant Cara et Rainier s'engouffrer dans les sous-sols. L'entrée, qui se trouvait à l'origine dissimulée sous un tapis, avait été dévoilée par la disparition du bâtiment.

Le Mage leur avait fait gagner un temps précieux.

Sous terre, un dédale se propageait à l'infini, tels des tentacules infâmes. Pourtant, ce qu'ils n'avaient pas pu entendre à la surface, ils le perçurent nettement ici.

Des hurlements d'enfants, qui se répandaient en échos.

Non... Non ! Ils accélèrent le pas. Cara défonça les murs devant eux de son Marteau, leur offrant une trajectoire en ligne droite. Fonçant par les brèches, Rainier tua tous ceux qui leur barrèrent le chemin. Des gardes en armes. Des mages.

Tous moururent de sa Lance, tandis qu'au loin, les cris se faisaient de plus en plus fort, de plus en plus précis. Ils passèrent en courant dans des laboratoires, où des choses flottaient dans des cuves pleines de liquide. Ils franchirent des dortoirs, une salle de jeu pour enfants, des cuisines, laissant dans leur sillage des cadavres rougissant le sol.

Puis soudain, ils se figèrent, en débouchant sur une immense pièce. Creusée à même la roche, cette dernière était couverte d'impacts, de vieilles traces de sang, de lacérations au sol. Mais surtout... Acculés contre un mur, face à une dizaine de mages et d'hommes en armes, Tamir et Autem. Ensanglantés. Cernés de cadavres.

-Recule ! rugissait le fils de Cara, son énorme Marteau dans une main. Je suis plus solide que toi face à la magie !

-Tu peux toujours courir ! Je ne te laisse pas seul !

Rainier crut son cœur au bord des lèvres lorsqu'il vit une hache disproportionnée dans la main de son fils. La Hache.

Dégoulinante de sang.

Les adultes chargèrent les deux garçons.

Cara et Rainier poussèrent un rugissement de rage.

Tamir et Autem se figèrent en entendant leurs parents. La Lance du Duc de Hastam perfora le crâne de quatre de leurs agresseurs. Les autres eurent à peine le temps de se retourner. Le Marteau en écrasa certains, tandis que Rainier transperçait le coeur des derniers.

Un silence lourd retomba soudain, à peine troublé par la chute des corps.

-Papa !

-Maman !

Les armes disparaissant de leurs mains, les deux enfants se jetèrent dans leurs bras, en larmes. Serrant étroitement Autem contre lui, Rainier le souleva du sol, tout en lui embrassant les cheveux, désespéré. Même si ses boucles blondes étaient couvertes de sang, même s'il tremblait dans ses bras, même si une arme disparue depuis des siècles était apparue dans ses mains, Autem restait son fils.

Son fils de dix ans.

-Papa... Tu me serres un peu fort, gémit-il au bout d'un moment.

-Désolé, mon grand.

Rainier l'embrassa sur le front, sans pour autant le lâcher. Tamir, de son côté, reniflait dans les bras de sa mère. Il vint caresser le dos de Cara, qui leva des yeux baignés de larmes sur lui. Les siens ne devaient pas être mieux.

-Papa... Papa ! Dana ! Elle... elle a été enlevée avec nous, et....

Et elle a abandonné son seul moyen de défense pour te protéger. Pourtant, Rainier sourit à son fils, préférant ignorer pour le moment les plaies qui le couvraient. Similaires à ce qui avait été infligé à Dana.

-Elle va bien. Maintenant, venez. On doit vous soigner, vous. Ensuite, si vous vous en sentez, vous nous raconterez tout. D'accord ?

-On peut manger, aussi ? lança Tamir, un sourire se voulant mutin sur ses lèvres tuméfiées. C'est que ça donne faim, d'être kidnappé.

-Parfaitement, approuva Autem d'un hochement de tête. Je suis sûr qu'on mérite des crêpes au chocolat.

Bon. Au moins, ils ne perdaient pas le nord, tous les deux.

Mais en remontant à la surface, ils n'eurent pas le temps de se reposer. Oktar et ses troupes étaient là, pour se saisir de tous les renégats présents. Mais surtout, Éléazar et Lev affichaient un air sombre en les voyant arriver.

-Une attaque.

Non... Maintenant ?

Putain de...

-Les petits, rejoignez Flavia et Dana, ordonna El en ouvrant un portail pour eux.

Les deux regardèrent leurs parents, avant de hocher la tête d'un air ferme. Ce fut un déchirement de se séparer d'eux maintenant. Mais ils n'avaient pas le choix. Il ne servait à rien de les avoir sauvés si les murailles tombaient.

Ils n'allaient faire qu'une bouchée des démons.

En fait, ce n'était pas plus mal qu'ils attaquent. La rage au ventre, les Protecteurs se retrouvèrent dans les terres désolées, avec une furieuse envie de passer leurs nerfs. La vue des enfants blessés. Les traces d'expérience sur leurs corps. Sur celui de Dana. La Hache dans la main d'Autem. Ils avaient besoin de frapper.

Or, un dragon rampant était toujours un bon défouloir. En l'absence de leurs Bataillons, restés défendre leurs domiciles, ils foncèrent sur la créature, prés à en finir au plus vite... Lorsque soudain, un soldat à l'armure noire tomba entre eux et le reptile.

Un coup d'épée, un seul, lui fut nécessaire pour tuer le dragon. La gueule immense se fendit en deux, comme un livre que l'on ouvre, dévoilant l'intérieur du corps du monstre. Pris dans son élan, il s'écroula au sol, se déchirant en deux de la pointe du museau jusqu'au bout de la queue. Les deux parties de son être glissèrent de part et d'autre du démon en noir, qui se tourna vers eux.

Le dragonnier.

-Putain, il est venu chercher son paiement maintenant ? râla Lev.

-C'est avec lui que vous avez passé un pacte ? demanda Éléazar, sourcils froncés.

-Ouais. Il choisit mal son moment, lui.

-Quelque chose ne va pas.

La remarque, venant de Cara, les firent considérer de nouveau le démon. Face à eux, il leur fit un signe de main amical. Rainier vit ce qui n'allait pas. Le sang. Du sang sortait de sous son armure, au niveau de son bras immobile. Le dragonnier était blessé. Comment avait-elle fait pour le voir si vite ?

-Je vois que votre Mage est en pleine forme ! déclara-t-il en s'avançant vers eux, d'une démarche un brin chancelante. Ça tombe bien, je commençais à fatiguer.

-Tu te bats depuis tout ce temps ? demanda Rainier, sourcils froncés.

-Va savoir, rit le démon de sous son casque. En tout cas, je suis venu chercher ma récompense.

Lev, Rainier et El se tinrent prés à se battre, tandis que Cara croisait les bras sur son armure.

-Ah oui ? Et tu veux quoi ? Un bisou sur la joue ?

-Ah ah... Ce que je veux ? Je...

Un hoquet de douleur lui échappa soudain. Et il tomba, comme une masse.

-Non !

Cara passa comme une flèche devant les Protecteurs stupéfaits, rattrapant juste à temps le démon, dont le casque roula au sol. Dévoilant des cheveux d'un noir d'obsidienne.

-Edern !

-Ah ah... rit-il faiblement en passant mollement un bras autour de la Protectrice. Je suis enfin arrivé... Je suis enfin là... Cara...

Juste avant de s'évanouir dans ses bras, les trois Protecteurs virent, voilés de douleur, ses yeux.

Des yeux rouge sang.


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