Chapitre 16 : Les Larmes de Dana
Il fallut deux jours aux Protecteurs pour ouvrir les yeux. Les six jours de bataille sans boire, manger ni dormir les avait grandement affaiblis. Sans le support des mages pour leur insuffler de l'énergie, ils s'étaient écroulés là où ils étaient arrivés.
Inconscients du massacre qui avait eu lieu dans le manoir.
Dana avait demandé à ce qu'on les transfère chacun dans une chambre. Rainier comprit, étant donné l'état de la sienne. Ils choisirent celle avec le plus grand lit, car les trois petits refusèrent de lâcher leur père.
Épuisée, Dana se serait bien reposée. Mais pour lors, il fallait faire l'inventaire des morts, des blessés et des prisonniers faits parmi les ennemis. Il fallut la soigner, elle aussi. Tout cela la tint occupée, en plus du ménage qu'il fallut faire.
Aucun des chevaliers ni des domestiques ne voulait que le Duc découvre son manoir ravagé à son réveil, après six jours à combattre pour leur sécurité. Dès le lendemain matin, à peine remis de leurs émotions, ils s'activèrent. Pas un ne pensa à s'opposer aux ordres que donna Dana. Déjà, parce que dans les situations de crises, en l'absence du Duc, elle était depuis longtemps celle qui gérait la maison. Mais aussi parce que chacun souriait secrètement de la scène de la veille.
Taki et Dana durent également faire face au roi Oktar. Tous les deux le connaissaient. Aussi, lorsque Taki et Dana commencèrent à signer leur conversation, le monarque, livide, en fit de même. Dans la sécurité du bureau du Duc de Hastam, cette conversation silencieuse leur garantissait la plus absolue discrétion.
Ils apprirent que le garde envoyé prévenir le souverain, dés que Dana avait compris pour l'intuition de Tamir, avait été tué à son arrivée au palais. Ils avaient trouvé le corps ce matin. Le temps que le roi soit informé et qu'on lui annonce qu'il portait l'uniforme des Hastam, il était déjà midi.
C'était pour cela qu'ils n'avaient pas reçu d'aide de la part de la couronne.
La rage du roi Oktar flamba. Quelqu'un tentait encore de tuer son fils ainé. Et ce rat avait des contacts dans le palais royal même. Qui que soit le responsable, il le trouverait et le dépècerait comme le pourceau qu'il était !
C'était en partie pour cela que ni Taki ni Dana ne lui parlèrent pas des trois prisonniers qui croupissaient dans les geôles du manoir. Sous le coup de sa colère, ils risquaient de perdre des informations cruciales.
Cara fut la première à se réveiller. Quand Tamir lui expliqua ce qu'il s'était passé, elle vint trouver Dana, livide. La nourrice la rassura aussitôt, tout en lui promettant de tout lui raconter, quand les autres seraient revenus à eux.
Ce serait plus simple, car les Protecteurs avaient aussi des choses à dire.
Dana était à quatre pattes sur le sol de la chambre ducale, en train de frotter vigoureusement le parquet avec une des domestiques quand on demanda :
-Que s'est-il passé, pour que vous enleviez tous les tapis et nettoyiez le sol avec autant d'acharnement ?
La nourrice crut son cœur sur le point de cesser de battre lorsqu'elle releva la tête. Rainer s'accroupissait déjà devant elle, pour lui passer une main dans ses cheveux en bataille. L'activité l'avait quelque peu échevelée.
-Tout va bien, Dana ?
-Hic...
Le fait qu'elle se mette à pleurer était d'autant plus inattendu pour le Duc qu'il ne savait rien. Désespéré de la voir dans cet état, il la prit dans ses bras, tout en embrassant doucement son visage. La femme de chambre avec laquelle Dana travaillait s'éclipsa en silence, le rouge aux joues, pour aller colporter la nouvelle.
-Je suis si contente de te voir en bonne santé, hoqueta la nourrice, quand elle fut un brin plus calme.
-Deux jours de sommeil m'ont bien retapé, murmura-t-il en lui baisant le front. Mais j'avoue que j'ai faim.
-Tu as perdu du poids...
Enlacés comme ils l'étaient, elle pouvait sentir son corps contre le sien. Or, s'il n'avait pas perdu de sa masse musculaire, il était bien plus sec qu'avant. De plus, elle pouvait deviner le dessin de ses cotes en dépit de sa musculature.
-Ah... Six jours de combat sans rien avaler, ça n'aide pas.
-Je vais chercher à manger !
À vrai dire, on avait déjà monté un repas pour deux dans le salon de jeu des enfants. La domestique avait fait passer le mot, en vérité, du réveil du Duc et du fait que Dana était en train de pleurer comme une madeleine dans ses bras. Elle devrait probablement la remercier pour cette attention.
L'estomac de Rainier grondant de façon tonitruante, ils s'attablèrent sans attendre.
-Je sais qu'il s'est passé quelque chose. Raconte-moi, Dana.
La jeune femme ouvrit la bouche, la referma, se demanda comment il avait fait pour deviner. Quand il lui expliqua que tout le plafond du couloir était éventré, elle grimaça. D'accord, il y avait de preuves évidentes. Elle s'attela donc à son explication, qu'elle réitéra une heure plus tard, avec l'ensemble des Protecteurs. Flavia culpabilisa d'être partie, mais son mari lui rappela que sans son aide, ils seraient probablement morts.
Cara et Rainier furent horrifiés d'apprendre que Tamir et Autem avaient participé au combat. D'ailleurs, les deux petits les rejoignirent, pour leur expliquer leur point de vue sur la situation. Ils ajoutèrent que Dana avait perdu la mémoire d'une partie des évènements, étant donné qu'un « méchant » lui avait fracassé la tête plusieurs fois contre un mur.
Personne ne savait pourquoi le plafond du couloir était éventré. Personne ne savait qui étaient ces hommes venus enlever les enfants et tuer Éléazar. Mais ils avaient fait des prisonniers.
Une fois les enfants partis, les Protecteurs racontèrent à Dana ce qu'il s'était passé de leur côté. Les jours de lutte, où ils avaient cru plusieurs fois mourir. Et cette histoire de marché avec un dragonnier.
-Un marché ? répéta Dana. Mais quelle était la contrepartie ?
-Aucune idée, soupira Cara. Nous n'avons pas eu le temps de poser des milliers de questions. On a accepté, c'est tout.
-TU as accepté, rectifia Véra en fronçant les sourcils. On a pas eu notre mot à dire.
-Ce qui veut dire que je serais la seule à assumer les conséquences.
-Parce que tu crois vraiment à ça ? cingla Rainier. Quoi qu'il advienne, on t'aidera !
La Duchesse de Malleus lui sourit, d'un sourire triste. Visiblement, elle n'avait pas l'intention de le laisser faire. Ils allaient se disputer en bonne et due forme... Les laissant, Dana alla rejoindre les cuisines. Là, on s'occupait de Ena, qui poussa un cri joyeux en la voyant. Récupérant la petite, elle l'embrassa doucement sur le front, avant de tendre la main à Eorum. Le garçon vint se blottir contre ses jupes, sous le regard attendri des gens de la cuisine.
S'ils avaient toujours su que Dana considérait les petits Hastam comme ses propres enfants, ils voyaient à présent les choses sous un angle nouveau. Quand elle leur dit qu'ils allaient chercher leur frère, qui aurait pu croire qu'elle n'était pas réellement leur mère ?
*
-Dana, je peux te parler, un instant ?
Surprise, la nourrice regarda Léon, interloquée. Elle n'arrêtait pas de voir le majordome ces derniers temps, avec tout le ménage sanglant qu'ils avaient fait dans le manoir. Néanmoins, elle n'avait eu aucun problème de communication avec lui, jusqu'à présent. Pourquoi semblait-il aussi incertain en lui adressant la parole ?
Les bras chargés de draps propres destinés à la chambre d'Ena, Dana le suivit dans les jardins. Pourquoi là, elle n'en avait aucune idée. Mais elle salua d'un sourire Erik, l'un des chevaliers qui gardait ces portes-ci du manoir. Ce dernier, un grand gaillard, avait été d'une grande efficacité durant les combats.
-Que se passe-t-il ?
-Hum...
Léon parut vérifier qu'aucune oreille indiscrète ne se trouvait dans les parages. Intriguée, Dana pencha la tête de côté.
-Pourquoi ne pas m'avoir dit que tu es la maitresse du Duc?
Jamais, encore, le majordome ne l'avait vu rougir jusqu'à la racine des cheveux. Pourtant, en cet instant, la belle rousse devint cramoisie.
-Je... Je... ne vois pas ce que tu...
-Allons, Dana. On a tous vu comme tu t'es jetée dans ses bras, quand il est revenu des terres désolées.
-Je...
Merde, elle avait oublié cet épisode. La nuit avait été si épouvantable, et les six jours d'attente si longs que son comportement avait été hors de contrôle. Oh bon sang ! Il y avait les enfants aussi ! Pourquoi ne lui avaient-ils donc rien dit !? Et si Léon savait, alors, alors...
-Dana ? Dana !
La nourrice sortie de sa panique, pour s'apercevoir que Léon la secouait par les épaules.
-Je....
-Tu as le droit d'être la maitresse du Duc. Mais... cela ne durera pas éternellement. Tu en as conscience ?
Ça, c'était un coup bas ! Mais c'était tellement vrai... Que pouvait-elle répondre à cela ? Surtout qu'il ne semblait pas dire cela par méchanceté.
-Dana... Tu sais, ma proposition tient toujours... Je veux toujours t'épouser...
-Léon, je suis navrée, mais tu ne me connais pas.
Le majordome haussa les sourcils. Dana chercha à atténuer ses propos par un sourire, mais ce fut surtout de la tristesse qu'elle éprouvait.
-Tu ne sais pas qui je suis, ni même ce que j'ai traversé. Je suis désolée, mais la personne que tu veux épouser, ce n'est pas moi. C'est seulement la façade que je suis parvenue à me construire en dix ans de mémoire. Crois-moi, tu ne veux pas m'épouser. D'autant que je suis très probablement stérile.
-Ce n'est pas important, ça ! Dana ! Tu ne peux pas t'accrocher à ta relation avec le Duc ! C'est du vent, tout ça !
-Quand bien même, ça ne te concerne pas !
-Pourquoi ne veux-tu pas te ranger !?
-Parce que je suis amoureuse de Rainier ! Ça te va, comme ça !?
Léon devint livide, avant de froncer les sourcils en serrant les poings.
-Tu finiras blessée, Dana. Les gens du commun comme nous finissent toujours par l'être par les grands de ce monde.
-Quand bien même, c'est mon choix, Léon.
-Dana... Que feras-tu quand il te quittera ?
-Je pense que ça suffit.
Le majordome sursauta. Oh.
Rainier était là, et il ne semblait pas content du tout.
-Je vous trouve gonflé de parler à ma place de ce qu'il doit advenir de ma relation avec Dana, Léon.
-Mais, monsieur... Vous ne pouvez pas la retenir ainsi ! Pensez à son avenir, si vous avez un tant soit peu de respect pour elle.
Houla. L'expression du Duc disait clairement que la majordome avait tout intérêt à se la fermer, et vite. La belle rousse lui jeta un regard d'avertissement, mais il était trop tard.
-Le respect que j'ai pour Dana dépasse largement ce dont vous êtes capable, Léon. Il s'agit d'une femme forte et intelligente à qui j'ai confié la protection de mes enfants il y a plus de dix ans de cela. De plus, elle est la seule à pouvoir décider de l'avenir de notre relation. Est-ce bien clair ?
Léon se mordit la lèvre, furieux.
-Par contre... Je suis navré, mais je vais être contraint de vous transférer dans une autre de mes demeures, fit Rainier d'un ton plus doux. Étant donné les récents évènements, je ne peux me permettre de garder près de ma femme et de mes enfants une personne qui m'en veut. Leur sécurité passe avant tout.
-Ta femme ? Quelle femme ?
Le Duc haussa un sourcil pour elle, avant de soupirer.
-Ma nourrice et mes enfants, si tu préfères. Léon, je suis désolé.
Le majordome rentra dans le manoir, la tête basse. Elle le regarda faire, le cœur lourd. Cela n'aurait pas dû se passer ainsi. Mais le Duc avait raison. Avec la récente attaque, rien ne pouvait être laissé au hasard.
-Tu n'avais pas réalisé que nos embrassades allaient faire comprendre à tout le monde pour notre relation ?
-Heu... Non, je l'avoue...
-Autem m'a dit qu'il était « super content ».
-Autem est au courant !?
-Il était là aussi quand je suis revenu, il y a deux jours, rit Rainier. Et puis, Tamir et lui le savaient déjà, à priori.
-Vraiment !?
Il se retint de lui dire que le petit les avait vus s'embrasser. Elle risquait de faire une syncope. Lui prenant les draps des mains, il lui baisa le front.
-Dana, tu es adorable quand tu paniques.
-Mais... Mais... tout le monde est au courant, alors ?
-De toute façon, j'avais l'intention de te demander d'officialiser les choses.
Elle manqua tomber en entrant dans le manoir. Passa un bras autour de sa taille pour la soutenir, Rainier grimaça.
-L'o... Mais pourquoi !?
-Parce que selon Taki, qui ne m'a pas vu depuis quelque temps, ça se voit comme le nez en plein milieu de la figure.
-Mais... Mais... Les enfants et...
-Dana. Ça te déplait que l'on sache que nous sommes ensemble ?
La vitesse à laquelle elle rougit le fit sourire.
-Bien sûr que non, ça ne me dérange pas ! Mais... mais... je suis juste une nourrice.
-Oh, ça... Ça peut s'arranger très vite.
-Comment ça ?
-Oublie ce que j'ai dit, marmonna-t-il en lui prenant la main, l'autre étant occupée avec les draps. On doit emmener ça où, au fait ?
-C'est pour Ena. Mais que voulais-tu dire par...
-Tu le sauras en temps et en heure !
-Oh, ça m'énerve, quand tu fais ça !
-Je sais.
Leur douce chamaillerie n'échappa à personne. Et si Dana n'y pensait pas en cet instant, Rainier, lui, en était ravi. Il voulait que les gens sachent. Après tout, il avait abandonné toute idée de vie sentimentale heureuse. Pourquoi se priver de l'amour de Dana, après tout ce temps ?
Cela faisait dix ans qu'ils s'attendaient. Ils avaient droit au bonheur.
Ils arrivaient au salon de jeu lorsque Rainier se figea. Faisant deux pas en arrière, il regarda Éléazar, allongé dans son lit. Qui poussa un grognement en posant une main sur son front pâle.
Il était réveillé !
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