Chapitre 15 : Les Monstres des Ombres


Dans la quiétude de la nuit, les premiers cris déchirèrent le silence.

Debout dans le noir, Dana ouvrit grand les yeux.

L'attente avait pris fin.

En bas, les chevaliers de Hastam luttaient contre les intrus. Elle ne savait pas de qui il s'agissait, elle ne savait pas pourquoi ils étaient là, mais une chose était certaine : Tamir avait su pour leur venue.

Et si Tamir avait une intuition, vous pouviez être certains que la nuit allait se terminer dans un bain de sang.

Les premiers bruits de courses dans le couloir des chambres fit bouger Dana. Les chevaliers et Taki maitrisaient le gros des ennemis à l'étage inférieur. Malheureusement, certains étaient parvenus à monter.

Elle sortit de la chambre d'Éléazar, silencieuse. Pour se planter en plein milieu du corridor, face aux six hommes qui s'arrêtèrent à sa vue.

Seule la lune éclairait le couloir, conférant des ombres inquiétantes en ce lieu.

-C'est la nourrice, ricana l'un d'eux. On se la fait ?

-On est là pour les gosses et le Mage, on a pas le temps pour la baiser.

-Vous, butez le Mage, ordonna leur chef. Vous, trouvez les gamins. Quant à moi, je m'occupe de la greluche.

Dana pencha la tête de côté.

Dans la nuit, les ombres pouvaient devenir terrifiantes. Mais les monstres qui s'y terraient n'étaient que des mirages de l'imagination. Elle, en revanche, était bien réelle.

*

Les hurlements firent bondir Ena et Eorum. Autem plaqua aussitôt sa main sur la bouche de sa petite sœur, tout en jetant un regard d'avertissement à son frère. Pas un bruit.

-Occupe-toi d'elle, ordonna-t-il à son cadet. Elle ne doit surtout pas pleurer.

Le voyant hocher du chef en la prenant dans ses bras, Autem se tourna vers Tamir. Son ami se tenait prés de la porte du dressing, une longue épée rouge et noire à la main. Il ne l'avait vu qu'une seule fois, il y avait un an de cela. C'était alors la première fois qu'il se trouvait confronté directement à l'une des « intuitions » du jeune garçon.

-Les hurlements sont dans le couloir, fit Tamir.

-On doit voir ce qu'il se passe.

-Je passe en premier, décréta son ami.

Les deux enfants se faufilèrent hors du dressing. À l'intérieur, Eorum pleurait en silence, tout en tenant sa sœur dans ses bras. Ils étaient terrorisés. Pourtant, Autem referma la porte sur eux, la boule au ventre.

Il devait les protéger.

Il n'avait certes pas le pouvoir d'un Protecteur, il n'avait pas la force de Tamir, ni l'intelligence de son père. Mais il avait la volonté de les protéger.

Et ça, jamais personne ne le lui enlèverait. Ni sa mère, ni les hommes qui surgirent dans la chambre ducale.

Faisant front avec Tamir, ils chargèrent leurs adversaires, sans leur laisser le temps de se remettre de leur stupeur, de voir deux gamins leur foncer dessus. Cela fut fatal pour les deux premiers.

Sur l'instant, tuer un homme ne choqua pas Autem. Car il devait protéger son frère et sa sœur. Car Tamir se trouvait à ses côtés, lui aussi éclaboussé du sang de ses adversaires. Car c'était tuer ou être tué. Le fait qu'il n'ait que dix ans n'avait rien à faire dans l'équation.

-Autem, baisse-toi !

La main de Tamir le poussa de côté. Tombant au sol, il vit son ami parer un coup d'épée qui aurait pu le couper en deux. Les dents serrées, le petit brun repoussa l'arme de l'homme, qui écarquilla les yeux face à sa force.

Un Protecteur de dix ans restait un Protecteur, avec une force démesurée pour son âge. Même s'il n'utilisait pas le Marteau, trop dévastateur pour le manoir, il était d'une efficacité létale avec son arme.

La pointe de la lame de Tamir fendit le ventre de l'adulte, déversant le flot de ses tripes sur le sol. Autem vomirait plus tard. Car il donna un coup à l'arrière des genoux de son ami, le faisant tomber à terre à son tour. Juste à temps. Un autre avait tenté de planter une hache dans sa tête !

-Putain de merde ! jura Tamir.

Les deux reculèrent précipitamment.

D'autres adultes venaient de passer par la fenêtre de la chambre ducale. Dix. Ils étaient dix devants eux. De mauvais sourires étiraient leurs lèvres. Merde ! Raffermissant sa prise sur son épée, Autem se tint prêt à se battre. Il en mourrait peut-être, mais jamais il ne les laisserait toucher son frère et sa soeur !

Il ne s'attendait pas à ce que Tamir prenne soudain son visage entre ses mains. Plongeant son regard rouge dans le sien, le garçon murmura :

-Tout va bien.

C'est ça, oui, et les poules avaient des...

Soudain, ce fut le noir absolu autour de lui. Complètement aveuglé, Autem écarquilla les yeux, cherchant une lumière inexistante. Tout ce qu'il percevait, c'était les iris rouge sang de Tamir, perçant dans le néant de façon irréelle. L'espace d'un instant, cela lui fit rater les hurlements de terreur autour d'eux, le bruit des chairs déchiquetées. L'odeur du sang qui devint si prégnante que le gout métallique lui piqua la langue.

Puis la lumière revint, un battement de cœur après avoir disparu.

Baissant les yeux, Autem vit un liquide chaud et rouge couler entre ses pieds, glissant lentement entre Tamir et lui. Relevant brusquement la tête, il crut voir un instant une main gantée ébouriffer les cheveux de son ami. Mais la vision disparut aussitôt. Il avait dû rêver.

-Désolé, fit l'enfant aux yeux rouges.

Dans ses iris, Autem pouvait voir le doute et la peur. De quoi, ça, il l'ignorait.

-Tu t'excuses de m'avoir sauvé la vie, maintenant ? Arrête de dire des bêtises et allons voir où se trouve Dana !

Vu l'état de la chambre ducale, plus personne ne s'aventurerait ici.

Évitant les morceaux de corps encore chauds, Autem fit de son mieux pour ne pas glisser dans le sang, et passer dans le salon de jeu. Voir la pièce épargnée de tout affrontement lui parut bizarre.

Dans le couloir, il découvrit une scène chaotique. Des corps de partout, découpés. Mais surtout...

Il regarda le plafond, éventré.

Le ciel étoilé le contemplait, d'un calme et d'une normalité alarmante.

Que s'était-il passé !?

-Ça, c'est pas moi, déclara Tamir, tout autant médusé.

-Papa et les autres sont revenus ?

-Non, je ne pense pas. Sinon, ils seraient déjà venus nous chercher.

Ils s'occuperaient de ça plus tard. Ils foncèrent dans la chambre de tonton Éléazar, pour vérifier que tout allait bien. Mais tout n'allait pas bien.

Un homme avait saisi Dana par le visage, et lui cognait le crâne contre le mur. Non... Non !

Autem fut le plus rapide. Son épée s'enfonça dans le flanc de l'agresseur de sa nourrice, tandis que Tamir lui tranchait les mains. Il recula avec un hurlement, que le fils du Duc de Hastam fit cesser en lui tranchant la gorge.

Essoufflé, il lâcha son arme, pour se précipiter vers Dana. Elle avait glissé le long du mur, laissant une trainée sanglante là où sa tête s'appuyait. Sonnée, il fallut un moment à la nourrice pour parvenir à ouvrir les yeux. Quand elle parvint à faire le point sur le visage des deux enfants devant elle, qui criaient son nom, elle poussa une exclamation.

Ignorant la douleur qui irradiait dans son crâne, elle les prit dans ses bras. Le fait qu'il soit tout trois couverts de sang n'avait pas d'importance. Car ils étaient vivants. Ils étaient tous vivants. Ils avaient protégé Ena, Eorum et Éléazar.

Une heure plus tard, quatre chevaliers au chevet du Mage, ils se réunissaient tous dans le hall du manoir. Il y avait eu des pertes. Néanmoins, les chevaliers avaient lutté comme des lions, tandis que les domestiques avaient eux aussi pris les armes pour se défendre. Ils comptaient leurs morts, lorsqu'un portail s'ouvrit devant la porte d'entrée.

Les Protecteurs en jaillirent.

Éreintés. Épuisés.

Lev s'écroula presque aussitôt contre un mur, tenant sa femme exténuée dans ses bras. Véra s'effondra sans cérémonie, tandis que Cara réceptionnait son fils dans ce bras. Faible, elle tomba au sol avec lui, sans le lâcher.

Le Duc de Hastam fut le dernier à apparaitre. Pour se retrouver aussitôt à genoux, à bout de force.

-Rainier !

Autem, tétanisé par la vue de son père en armure partiellement détruite, couvert de sang, de cendre et d'autres choses impossibles à identifier, vit Dana courir vers lui. Quand elle se jeta dans les bras du Duc, faisant fi de toutes les personnes autour eux, le petit garçon sentit une chaleur s'épanouir en lui. Son père enlaça sa nourrice sous le regard de tous ses chevaliers et tous ses domestiques, enfouissant son visage dans le creux de son cou.

Oui. Cette vision-là effacerait presque les horreurs de la nuit, pour Autem.


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