Chapitre 1 : Le Divorce d'un Protecteur
-Tu es officiellement divorcé ! s'exclama Éléazar en jetant des cotillons sur Rainier de Hastam.
-Enfin, tu es débarrassé de cette foutue garce ! s'écria Lev. À ta liberté retrouvée, mon pote !
-À ta liberté ! reprit El.
Rainier ne put s'empêcher de rire face à l'engouement de ses amis. Les deux hommes l'avaient attendu aux portes du service juridique de la capitale, avec une bouteille de champagne et des verres. Acceptant le sien, il préféra ignorer le fait que tous les employés du bâtiment les épiaient, tandis qu'ils se dirigeaient vers la sortie.
Son divorce, annoncé trois mois plus tôt, avait fait couler pas mal d'encre dans le royaume de Gentem.
L'un des quatre Ducs divorçait ! L'un des cinq Protecteurs divorçait ! Et personne d'autre que Rainier de Hastam, marié depuis onze ans avec Gladys de Hastam !
Trois mois plus tard, il était officiellement libéré des chaines qui le liaient à son épouse. Néanmoins, il n'avait pas été un monstre. Il ne l'avait pas répudié en public, ni même déversé sa colère dans les journaux. Pas plus qu'il n'y avait dix ans, quand il avait appris qu'elle était enceinte. Tout cela était d'ordre privé.
Toutefois, elle n'avait pas eu la même décence. Depuis trois mois, Rainier voyait fleurir des rumeurs toutes plus folles les unes que les autres à son sujet. Mais le plus important était qu'en cet instant, il était enfin libéré de son mariage malheureux.
-Tu es désormais le célibataire le plus convoité de Gentem, déclara Éléazar avec un clin d'œil.
Ce dernier était le Mage des Protecteurs. Grand, élancé, il arborait une chevelure d'un blanc neigeux. Cela faisait si longtemps que sa couleur avait changé que Rainier oubliait parfois qu'il était brun, à l'origine.
-El, tu seras toujours le célibataire le plus convoité, rétorqua Rainier en défaisant les premiers boutons de sa chemise.
-Pas faux, approuva Lev de Clypeus. Tu restes le fils du roi.
Lev, marié quelques mois plus tôt, n'appartenait plus au club des hommes à caser. De plus, il était parvenu à épouser l'amour de sa vie, qu'il courtisait depuis des années par lettres interposées. Si on pouvait dire les choses ainsi... Protecteur lui aussi, il était le Bouclier de Gentem. Un individu caractériel, réputé pour être l'homme le plus beau du royaume, mais aussi la plus grosse langue de pute. Ce qui était tout à fait vrai. Néanmoins, il n'avait d'yeux que pour sa femme. Flavia le lui rendait bien, au demeurant. Ils formaient le couple rêvé. D'ailleurs, les paris étaient toujours en cours pour savoir dans combien de temps un bébé verrait le jour. Vu leur libido, Rainier avait misé sur neuf mois après le mariage.
Selon ses calculs, la Duchesse de Clypeus ne devrait pas tarder à montrer des signes de grossesse.
-Bah, je ne suis pas un homme à marier, rétorqua Éléazar. Je ne suis un bon parti que si on cherche des orgasmes.
-Si on écoute les rumeurs, tu en as déjà donné à la moitié du royaume, gloussa Rainier.
-Il faut profiter de la vie.
Lev ricana.
-Profiter ? Rainier, tu as l'intention d'en faire autant ?
-Comment ça ?
Les jardins royaux étaient baignés de lumière. Levant le visage vers le soleil, Rainier se laissa caresser par ses rayons. L'été touchait à sa fin, chassant les lourdes chaleurs du mois dernier. Il ferma les yeux.
-Tu vas rattraper ton retard de ces dix dernières années ?
Rouvrant les paupières, il haussa un sourcil.
-Rattraper mon retard ?
Les deux hommes le regardèrent, avec un air presque désolé.
-Rainier... On sait qu'à la naissance d'Autem tu as arrêté toute activité sexuelle, pour éviter d'ajouter du grain à moudre aux journalistes. Mais tu n'as pas envie de te trouver une maitresse ?
Une maitresse ? Il n'y avait même pas pensé. Une main dans la poche de son pantalon, Rainier, prit sa dernière gorgée de champagne.
-Je suis père de trois enfants, déclara-t-il finalement. Le divorce apporte déjà son lot de difficultés aux petits. On ne va pas en rajouter avec des choses me concernant.
-Sérieux ? fit Éléazar, sidéré. Après dix ans, tu n'as même pas une envie !?
-Ça fait dix ans que je jugule ma libido, El. Quelques années de plus ou de moins ne changeront rien.
-Et outre le sexe ? Il n'y a pas quelqu'un dans ton entourage pour qui ton cœur chavire ?
-Mmh ? Non, rien n'a changé autour de moi.
Tandis qu'ils rejoignaient la salle des portails dans les souterrains du palais royal, Rainier ne vit pas le regard que s'échangèrent ses deux amis. Ni le sourire machiavélique qui fleurit sur leurs lèvres.
La salle des portails était un lieu stratégique. Il en existait cinq dans tout Gentem. L'une dans chaque forteresse des quatre duchés, et une dans le palais du roi. Ceci permettait de relier tous ces territoires entre eux, sans avoir besoin en permanence d'un mage pour les ouvrir. Ces portails étaient alimentés en continu en magie par Éléazar, de manière passive. Il ne se rendait même plus compte qu'il fournissait de l'énergie à ces dispositifs.
Le royaume de Gentem était tentaculaire, tout en étant isolé. Les températures allaient du quasi désertique au sud au polaire au nord. Mais surtout, l'intégralité des terres était circonscrite derrière une muraille. Au-delà des remparts se trouvaient les terres désolées. Le sol stérile était couvert d'une brume violacée, dans laquelle se terraient des monstres de toutes sortes.
Il s'agissait là des démons, qui venaient en vagues successives, attirées par la tour du Mage, au centre du royaume. Cette dernière aidait à alimenter le bouclier qui protégeait Gentem. Les humains ne pouvaient survivre sans cette protection.
Malheureusement, cette même protection attirait les ennemis.
C'était pour cette raison qu'avaient été formés les Protecteurs. Constitués du Mage et des quatre Ducs, ils représentaient une force de frappe hors norme, dont les pouvoirs étaient transmis par le sang. Depuis des siècles, il n'y avait eu que cinq Protecteurs. Le Mage, le Bouclier, la Lance, l'Épée et le Marteau.
Mais récemment, un sixième était réapparu, comme une promesse de temps sombres.
L'Arc.
Et ce n'était nul autre que Flavia de Clypeus, la femme de Lev.
-Les garçons ! s'exclama cette dernière en les voyant arriver.
Par la salle des portails, les trois hommes avaient rejoint le duché de Hastam, le domicile de Rainier. Dans les jardins, Véra, Cara et Flavia les attendaient avec les quatre enfants. Les trois têtes blondes du Duc jouaient avec Tamir, le fils de Cara, le Marteau. Tous les accueillirent avec joie, avant de le féliciter pour son divorce.
Ce qui rendit triste Rainier, ce fut la joie de ses trois enfants lorsqu'ils apprirent qu'il s'était enfin séparé de leur mère. Nul petit n'aurait dû se réjouir d'une telle nouvelle. Mais, en les embrassant sur le front, il devait se rendre à l'évidence.
Il faisait tout ce qu'il pouvait pour les protéger.
Et son divorce était une forme de protection.
-Ah, monsieur, vous êtes rentré.
La joie dans cette voix claire fit lever la tête à Rainier. Le sourire éblouissant de Dana Cunarius déclencha le sien. Dans le soleil de fin d'été, la nounou de ses enfants était resplendissante. Ses cheveux roux semblaient faits de flammes, sublimant ses yeux d'émeraude se posant sur lui avec douceur. En voyant le lourd plateau dans ses mains, chargé de gâteaux et de verres, il la rejoignit rapidement pour le lui prendre des mains.
-Ah, merci, monsieur...
Dana avait depuis longtemps oublié l'idée de contester les attentions de son maitre. Après tout, il faisait deux fois sa taille et était une armoire à glace. Le lourd plateau semblait comme un nuage dans ses mains à lui.
-Vous vous remettez à peine de votre blessure au poignet, Dana, soupira-t-il. Vous ne devriez pas porter des choses aussi lourdes.
-Ah ah, tout va bien, ne vous en faites ! Je suis complètement guérie, à présent.
Ils passèrent le reste de la journée tous ensemble. Par chance, aucune attaque de démons ne coupa leur félicité. Épuisé par ces derniers mois et le fait de jouer avec ses enfants, Rainier finit par s'endormir dans le gazon, sa fille sur le ventre. Ena, un an et demi, ronflait doucement quand les invités finirent par rentrer chez eux.
Sa nounou vint récupérer la petite pour aller la coucher, avant de revenir voir le Duc. Le soleil baignait toujours sa peau sombre de lumière. Autem et Eorum, ses deux fils, s'étaient écroulés sur les canapés extérieurs. Ils avaient exactement la même position que leur père. La tête sur le côté, la main sur le ventre et l'autre bras sur la tête, pour protéger leurs yeux du soleil rasant. Et ils ronflaient.
Couvrant chacun des enfants d'une fine couverture, Dana en attrapa une plus grande pour le Duc. S'agenouillant à ses côtés, elle l'enveloppa du mieux qu'elle pouvait. Son maitre faisant plus de deux mètres, il avait toujours les pieds qui dépassaient. Je devrais commander des plaids d'été plus grands, se dit-elle en s'asseyant.
-Dana ?
Rainier soupira son nom en émergeant. La silhouette assise à ses côtés, baignée par sa chevelure rousse, baissa les yeux sur lui.
-Ah, monsieur. Je voulais vous demander quelque chose.
-Mmh ?
-Tout va bien ?
Cette question le prit au dépourvu. Dana lui sourit doucement, un brin d'inquiétude dans ses beaux yeux verts. Il comprit pourquoi elle ne l'avait pas félicité pour son divorce. Décidément, elle savait toujours voir au-delà de la façade.
-Oui, Dana. Tout va bien, ne vous en faites pas.
-Pourquoi avez-vous l'air si triste, alors ?
Avec un soupir, le Duc s'assit dans l'herbe. Les cheveux en bataille en raison de sa sieste, il passa une main lasse dedans.
-C'est du regret, je suppose ?
-Du regret ?
-Mmh... Si je n'avais pas tant tardé à divorcer... Les choses n'auraient pas autant dégénéré.
-Monsieur...
Rainier lui fit un pâle sourire, empli de tristesse.
-Je suis désolé, Dana.
Elle écarquilla les yeux, avant de rougir en les détournant.
-Monsieur, vous ne devriez pas vous excuser auprès de quelqu'un comme moi. En plus, j'aurais dû vous en parler plus tôt...
-Dana...
-Je vous dois tout, monsieur. Alors, même si madame m'a frappé... Vous n'avez aucune raison de vous excuser. Ce n'est pas vous qui avez levé la main sur moi. Ni sur Ena. Vous ne feriez jamais une telle chose.
Rainier hocha la tête, avant de regarder le soleil couchant. Ils restèrent ainsi un long moment, paisibles. Finalement, il se releva, avant de lui tendre la main d'un air cérémonieux. Dana regarda ses doigts, puis plongea son regard dans le sien. Les yeux gris de Rainier de Hastam n'avaient pas changé. Toujours aussi chaleureux, même dans les temps durs, même face au changement.
-Dana Cunarius, accepteriez-vous de continuer à aider un père divorcé à prendre soin de ses enfants ?
Elle sourit, tout en glissant sa main dans la sienne.
-Bien sûr, monsieur. Je serais toujours là pour vous et pour les petits.
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