27 - Blond comme de l'or
37e jour de la saison de la faux 2448
Il devenait de plus en plus à la merci de ses sentiments. Rien, mis à part sa rencontre avec Shalith, d'aussi intense ne lui avait arrivé. Tombait-il sérieusement amoureux ? Il avait crû que c'était le cas avec Merryn, mais qu'est-ce qu'il connaissait en l'amour ? Rien. Il n'avait jamais même connu la camaraderie avant de développer une certaine appréciation pour Azéna et ses amis. Tout cela était toujours nouveau pour lui et ça lui donnait le trac. Tout au long de sa vie, l'amitié et l'amour avait été synonymes de faiblesse et d'une faille à exploiter.
Il désirait leur donner une chance, à chacun d'eux : Azéna, Fayne, Teriondil et, quoi qu'il détestait cela, encore plus à Arièlla. Il ne savait juste pas comment s'y prendre ni comment laisser sa garde de côté.
Ce soir-là, il avait passé la majorité sur la toiture de la Tour de la Clarté. Il était enroulé dans un manteau mince et sombre. Le vent était clément et le ciel était illuminé de milles étoiles et de bien sûr, la vedette, la lune qui, habituellement, prenait toute son attention. Pas ce soir. Ce rôle était encore une fois réservé à la belle Arièlla comme c'était souvent le cas dernièrement.
Il profita de la douceur des brises pour écrire un peu. Ce n'était pas son style de mettre ses sentiments sur papier, mais il avait envi d'essayer.
Divergente, elle se tient fière dans une clairière de cramoisis
Sa chevelure luisante est comme une flamme dansante
Blonde comme de l'or
C'était tout pour le moment. Il n'arrivait pas à trouver de meilleurs mots pour décrire sa crinière épaisse. Il était vrai que techniquement elle n'était pas dorée, mais plutôt comme un blond sale ou plus sombre. Utiliser cette description tarnirait son admiration et il n'aimait pas. D'un autre sens, s'il gardait le poème ainsi, ce ne serait pas complètement la vérité.
Énervé, il écrasa la feuille de parchemin, la transformant en boule froissée. Il hésita un moment, fronça les sourcils en grognant et se décida à la tirer du haut de l'académie.
Une masse d'ombre, furtive et silencieuse, intercepta la trajectoire du projectile abandonnée. Elle disparut avec la feuille de parchemin dans la nuit.
Pendant un instant, Serfantor se sentit paniqué. Qui était-ce ? Et si cette individu lisait le texte ? C'était une catastrophe.
Il voulut pousser une cri pour se défouler, mais il n'y arriva pas, trop déçu par les évènements récents. Il s'installa dos sur les tuiles rugueuses et soupira.
Il ferma les yeux. La boule de parchemin lui tomba sur le ventre.
Il l'empoigna et se releva en position d'attaque, une dague à la main. Il ne dit rien, sachant que c'était vain.
— Franchement, tu aurais dû savoir que c'était moi, siffla Shalith qui attérit près de lui, s'accrochant tant bien que mal à la bordure de la structure.
— Shalith, dit-il avec incrédulité, les yeux écarquillés.
— Tu agis étrangement dernièrement et je sais que c'est en cause de ton désir sexuel pour Arièlla.
— Ne le dis pas comme ça ! s'affola-t-il.
— Pourquoi pas ? C'est le cas, non ?
— Hé bien... ummm... je ne dirais pas... Au final... heu...
— Vous rendez juste la chose plus complexe qu'elle ne l'est.
Elle le fixait, sérieuse comme à son habitude. Elle n'avait pas de patience pour la romance comme, semblait-il, tout les dragons.
— Ne me demande pas à propos d'un oeuf, cracha-t-il, prévoyant la question.
— Bon bon... dans ce cas, tu veux m'accompagner à ma chasse nocturne ? Je vois bien que tu ne pourras pas dormir si tôt.
— D'accord.
Il s'approcha d'elle et l'enfourcha avec la gracieuseté d'un félin. Il ne s'encombra pas avec l'installation de la selle. Il désirait juste partir.
Et Shalith ne décolait pas.
Au lieu, elle vira la tête vers lui et plongea ses yeux gris dans les siens.
— Tu devrais lui donner.
— De quoi ?
— Le texte.
— Comment... ?
— Ton regard quand tu l'écrivais. Alors, tu va lui donner ?
Le dragonnier ne sut lui répondre. Il était bien trop gêné pour trouver une bonne réplique, mais il n'avait pas l'intention de suivre sa suggestion, assuré que ça allait provoquer un désastre.
— Fais comme tu veux, grogna-t-elle en prenant enfin son essor. Mais tu va le regretter.
Encore une fois, il ignora ses sages paroles et laissa la boule de parchemin tomber.
Shalith se dirigea vers l'ancienne forêt d'Illustra qui se trouvait un peu plus creux dans le territoire de Dètmor. Malgré la noirceur, on pouvait distinguer la teinte rougeâtre de sa terre. Les animaux se faisaient rares mis à part ces infâmes loups qui hurlaient à la lune. La dragonne des ombres les faisaient fuir dès qu'ils l'eurent repérés. Ils devaient être habitués à la présence occasionnelle de prédateurs alphas comme elle.
Le duo patrouillait le périmètre de la zone boisée en discutant. Shalith n'avait pas laissée Serfantor s'en sortir si facilement. Elle avait ranimé le sujet concernant Arièlla.
— Je ne vois pas pourquoi tu devrais hésiter ou attendre, grogna-t-elle.
— Je ne sais pas si elle voudrait, rétorqua le prince de Gosform. Par le Berceau, je ne sais pas si je serais prêt. Je ne sais pas si... si c'est la bonne chose à faire...
— Assez avec toute cette incertitude ! Elle t'aimes bien ! Que c'est de l'amour ou pas, il y a quelque chose là. C'est tout ce qui compte pour s'unir.
Les joues de l'elfe s'empourpèrent puis, elles pâlirent. Tant d'émotions traversèrent son esprit. Il ne savait plus quoi en faire. Il se cacha le visage entre ses mains et espéra que la dragonne le laisserait tranquille.
— Les oeufs c'est important au cycle de la vie. Il n'y a aucune honte là dedans, ronchonna-t-elle. Franchement... vous les humanoïdes...
Alors qu'il ignorait les paroles de sa partenaire de vie, il ne trouva pas de répit. Sa cervelle s'en assura. La vision de la chevelure blonde envahit ses songes. Il grimaça, mais il ne put s'empêcher d'apprécier la beauté dans ses vagues dorés.
— C'est juste tellement beau, marmonna-t-il.
— Tu m'écoutes ? questionna Shalith sur un ton sec. Rah ! Devient donc un ermite avec moi. Ça me va, à moi !
Elle fit une pause avant de continuer, un peu plus en douceur:
— J'abandonne... De quoi parles-tu donc ?
— Ses cheveux, répondit l'elfe en libérant doucement son visage de ses mains.
Il était soudainement un peu plus en paix avec lui-même. C'était comme s'il venait d'accepter ton attirance pour la jeune pyromancienne.
— Ses cheveux ?! Mais il y plus important que les cheveux ! Tu m'exaspères à la fin ! Tu es entrain de somnoler ? Tu as pris du thé de Teriondil, c'est ça ?
— Tu as raison, bien sûr.
Il poussa un faible rire comme s'il essayait de se convaincre qu'il était ridicule.
— Pour une fois que tu laisses tes instincts te guider un peu, il faut que tu perd toute ta raison, radota la dragonne.
— Je sais, je suis nul en ce genre de trucs, agréa l'umbrancien.
— Extrêmement.
Un rugissement bestial attira leurs attention. Shalith dévia, se penchant légèrement vers l'est. Elle renifla à multiples reprises puis, elle poussa un petit feulement à peine audible. C'était le son qu'elle faisait lorsqu'elle entamait une chasse.
Là-bas, un ours gigantesque à la fourrure rousse.
— Vas avec la voie de la noirceur et que le Père t'accueilles, susurra le prince par habitude en fermant momentanément les yeux par respect.
Shalith s'agita en entendant ces paroles. Elle les détestait. Elle avait souvent répété qu'elle ne voulait plus d'elles dans sa vie, qu'elles n'étaient pas digne. Mais elle était en transe, en mode chasseresse et elle évitait de parler à ces moments.
— Je m'excuse, dis tout simplement le prince.
Lui aussi désirait l'oublier. Il voulait oublier la culture elfe grise entière, mais quelque chose en lui l'empêchait. Il songeait à ces âmes qui auraient pu vivre dans un monde meilleur avec un peu de guidance. Il voyait tant de potentiel depuis qu'il était sortie de Gosform, le royaume des siens. C'était comme la lumière au bout d'un long et aveuglant tunnel. Et les soleils, c'était Arièlla et Shalith.
Pourquoi ne pouvait-il pas baisser ses gardes autour des autres ? Pourquoi pas Arièlla ? Il s'énervait lui-même. Il était si rempli de noeuds comme si des chaînes invisibles lui entortillait le corps.
Il ne pouvait s'empêcher de dire une prière pour l'ours, ces mensonges dites pour faire semblant de guider le défunt vers un monde meilleur.
Shalith plongea vers le prédateur terrestrial. Elle ne pris même pas la peine de se cacher. L'ours paniqua, perdant toute sa dignité précédente. Il se précipita en direction opposé d'un façon si folle qu'il termina sa course en heurtant un arbre solide. Quelque chose n'allait pas chez lui.
Au dernier instant, Shalith s'arrêta nette et s'approcha de l'animal assommé, le tout sans trace de peur. Elle l'examina et renifla à quelques endroits.
Enfin, elle se leva le nez comme si son repas la dégoûtait.
— Il est malade, informa-t-elle. Un parasite étrange. Laissons-le mourir.
— Faut-il vraiment ? demanda Serfantor avec un brin de tristesse.
— Bien sûr. Il sera contagieux.
Elle lui mordit le cou sauvagement. L'ours n'eut même pas le temps de s'éveiller en panique qu'il fût déjà décédé, vidé de son sang qui était étrangement gluant.
Il réalisa que la vie pouvait être si fragile, si courte, même celles des prédateurs.
— Je demanderai à Arièlla si elle veut passer une autre soirée... tu sais... au lac de Crystal... avec un petit feu de camp...
— Excellent, dit la dragonne avec un large sourire qui lui donnait un air franchement terrifiant.
✦×✦
39e jour de la saison de la faux 2448
C'était le grand jour. Serfantor et Shalith étaient au lac de Cristal et attendaient l'arrivée d'Arièlla et Harath. La dragonne noire était lovée dans le pauvre saule pleureur qui endurait tant bien que mal sa présence en lui.
— Je te le répète : elle t'aime bien. Harath l'a confirmée. Alors, cesse de te questionner.
— Tu ne comprends pas, dit l'elfe en posant sa main sur la longue queue ébène qui serpentait hors du tronc. C'est plus compliqué que ça.
Shalith siffla comme un serpent énervé. Une bouffée d'ombre sortit du nid improvisé et monta paresseusement au ciel. Il se faisait tard. Le deuxième soleil était presque couché et la lune, brune foncé, dominait déjà, illuminant faiblement ses environs.
Serfantor avait déjà préparé le feu de camp: il avait placé les roches autour d'une petite pile de brindilles accompagné d'une humble bûche. Il était assis sur les mêmes sièges rocailleux que la fois précédente où ils avaient tous traînés ensembles.
Enfin, une masse d'un cramoisis obscurci se découpa de la noirceur. Sans perdre une seconde de plus, Harath cracha une flamme sur les brindilles, illuminant les environs d'un coup.
Arièlla fut révélée comme le reste de la scène d'ailleurs. Elle sauta énergétiquement en bas de sa monture et pris un moment pour étudier son entourage.
— Bonsoir Serf, Shalith, salua-t-elle sur un ton doux.
Elle paraissait de bonne humeur. Ses yeux luisaient d'une étincelle azure aussi apaisante qu'inspirante. Elle avait emporté sa bardiche qui était suspendue à son dos puissant.
— Tu t'installes où la frimeuse ? taquina amicalement Harath.
— Ici, répliqua la blonde en déposant sa grosse arme près des pieds de Serfantor.
— Mmmm. Choix intéressant.
— Vraiment, feula Shalith qui semblait étrangement trouver la situation marrante.
L'elfe trouvait déjà le comportement des dragonnes gênant. Arièlla, de son côté, racla sa gorge et vint s'asseoir à cóté de lui. Ils évitèrent de croiser le regard de l'autre.
Shalith donna un petit coup de queue dans le dos de son dragonnier comme pour l'encourager de foncer.
— Merci d'être venue, dit Serfantor en souriant légèrement. J'espérais que ma requête n'allait pas te paraître envahissante.
— Pas du tout, lui confirma la pyromancienne. J'apprécie ta compagnie.
Le dragonnier noir sentit son battement de coeur accélérer. Il ne savait pas s'il était anxieux ou comblé, mais il avait définitivement la trouille.
Le feu grandissait lentement. Des ombres dansaient maintenant sur le visage et les cheveux d'Arièlla. Elle était radieuse.
— Tu es plutôt mystérieux, dit-elle. Tu voudrais bien parler de toi ? Si tu veux bien sûr.
— Ça dépend. Que veux-tu savoir ?
— Tu as une ambition ? Genre, une grande ambition.
Elle le fixait désormais de ses prunelles pétillantes, mais qui demeuraient sérieuses. Cela apporta un peu d'inconfort au prince, mais cela ne le dérangea que peu. Il était aussi content de cette attention.
— J'aimerai offrir une meilleure qualité de vie à mon peuple. Enfin... je crois.
— C'est un but noble, approuva-t-elle.
— Mais c'est impossible. Ça serait une tâche lourde, voire écrasante. De plus... être dragonnier et tout.
— C'est un obstacle possible pour moi aussi.
— Tu me permets de requêter plus de détails à ce sujet ?
— C'est autant différent que similaire au tien. C'est un peu décourageant...
Elle fit une longue pause, sûrement pour trouver ses mots. Entretemps, Shalith en profita pour donner une petite pousse dans le dos de l'elfe gris.
— J-je suis intéressé de savoir, balbutie l'umbrancien, sentant bien la pression de l'insistance de la dragonne.
Elle lui offrit un sourire puis, elle plongea son regard dans les flammes, semblant rêveuse.
— J'aimerai construire un village ou un avant-poste et guider un groupe de dragonniers pour y former une nouvelle communauté.
— Je vois... Sachant que tu as un esprit vif pour le militaire, je crois savoir où tu veux en venir. Nous sommes vulnérables ici, tous à un seul endroit.
— C'est une inquiétude que j'ai héritée de Gardienne Nymia.
— Ta mère, pas vrai ?
— Oui.
— Elle voit juste. Au moins, les gens d'Atgoren sont plus raisonnables. Les miens sont... cruels et désagréables.
— J'ai entendu ces rumeurs. Pourtant, les elfes gris que j'ai appris à connaître ici ne sont pas tous comme ça, au contraire.
Elle avait déviée son regard pour croiser le sien. Elle était si belle à la luminosité du feu qui était son élément. C'était une image vivante parfaite digne d'une peinture. Il avait la soudaine envie de s'approcher et de l'embrasser, mais il se retint.
— Une force militaire secrète ne ferait pas de tord, souffla-t-il dans l'espoir de détourner son attention ailleurs. Et cela procurait un excellent sanctuaire pour les civils.
— Au fond, tu es autant un protecteur que moi. Un parfait Gardien d'Aerinda.
— C'est un compliment ça ?
— Bien sûr que si.
S'était-elle rapprochée ? Non. Il devait rêver. Il cligna, croyant que c'était sa tête qui lui jouait des tours. Elle était encore là, assez près de lui. Elle semblait attendre pour quelque chose, sûrement une confirmation qu'il approuvait de son initiative.
Il se sentit bloqué. Ses muscles se tordirent d'anxiété et il dévia la tête, brisant le lien de leurs regards. Instantanément, il regretta son choix. Shalith aussi ; elle feula doucement, mais pas sans irritation.
Pendant longtemps, les deux dragonnes les fixèrent dans un silence insupportable.
Arièlla semblait aussi irrité que lui sauf qu'elle le cachait immensément moins bien, sûrement à dessein. Elle grimaçait et grinçait légèrement les dents en prenant un peu de distance de Serfantor.
— C'est bon pour les œufs ? questionna Shalith.
— Non ! Allez ouste ! Toi aussi Harath ! aboya la blonde.
— Quoi ? Mais j'ai rien dis ! C'est de sa faute à elle, rogna Harath en pointant Shalith de son doigt griffu.
— S'il te plaît.
— Pfff... bon... je pars au Nid. Bonne nuit, les enfants.
— Pareil ici, dit Shalith.
— Han... Vous n'allez pas passé du bon temps ensemble? taquina la Valkirel sans réserve.
— Absolument pas ! s'exclamèrent les dragonnes scandalisées.
— Je ne vais pas te sauver si Rendar vous attrape, avertit Harath.
— On s'organisera, rétorqua Arièlla en se croisant les bras et en fixant sa partenaire ailée avec sévérité.
— Pffftt. Bonne nuit.
— Quelqu'un a son égo de blessé, ricana Shalith.
— Un mot de plus et je t'écorches de tes sales écailles moisies, grogna Harath.
Serfantor ne put empêcher un gloussement subtile. Il fut rejoignit par Arièlla qui ria de bon cœur.
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