19 - La chevelure et la plume
27e jour de la saison du soleil 2448
— Attend ! hurla Azéna depuis le sol.
Serfantor savait que s'il lui donnait le moindre brin d'attention qu'elle n'allait pas le lâcher et il n'avait tout simplement pas la tête à ça. Il l'appréciait bien, mais il en avait assez de socialiser. Il devait aller reposer son esprit fatigué. Être capitaine de skotar n'était pas une tâche aisée et ce n'était certainement pas le pire dans sa vie, mais c'était la goutte qui faisait déborder le vase. Il était trop stressé.
Il ne voulait plus y songer, juste pour un moment. Aller visiter Teriondil et boire du thé avec lui commençait à sembler être une bonne idée. Il secoua sa tête légèrement comme pour se débarrasser de cette idée folle.
— Tout va bien ? questionna Shalith qui battait doucement des ailes et traversait les cieux avec le silence d'une chouette.
— Mmmm... je suppose, souffla faiblement l'umbrancien.
— Tu es un menteur lamentable.
Il ne répondit pas, acceptant sa défaite. Il sourit d'un air serein. Les paroles de la dragonne, quoiqu'ils n'étaient pas ce qu'il désirait entendre, lui faisait un peu de bien.
— Dors ce soir, lui ordonna Shalith. Et je veux dire, une pleine nuit de sommeil.
— J'irai me coucher aussitôt arrivé, lui assura-t-il.
— Parfait car nous y sommes.
La majestueuse tour dans laquelle résidaient les apprentis de troisième cycle semblait s'élever devant eux comme un gigantesque serpent des mer. Honnêtement, cette vision donnait un peu le trac au prince qui n'arrivait pas à se faire à l'idée qu'il était en sécurité là. Il était assuré que ça n'existait pas.
Shalith s'accrocha au rebord de la fenêtre de son humble chambre dans laquelle se trouvait un lit simple, une table de nuit, un petit garde-robe et un miroir accroché au mur. Elle prit le temps de se frôler le museau contre ses longs cheveux d'albâtre avant de partir, disparaissant dans la noirceur.
Un pincement au cœur de l'adolescent lui rappela à quel point il détestait mettre de la distance entre lui et la dragonne. Vraiment, c'était elle qui lui apportait le seul sens de sécurité dans sa vie. Ses muscles se tendirent et il réalisa vite qu'il n'allait pas trouver le sommeil, du moins, pas si tôt. Il allait falloir qu'il se fatigue, encore une fois. Il décida donc de grimper au sommet de la Tour de la Clarté et d'observer l'académie comme il le faisait si souvent à son bercail. Atgoren était principalement dépourvue de vie. Les habitants s'étaient tous terrés dans leurs maisons. La nuit était tombée et ils étaient sûrement au lit, somnolents.
Il eut alors une vision de vagues blondes qui dansaient admirablement dans les brises du vent chargé de poussière. La poussière du terrain de skotar qui avait été soulevé par l'impact d'un dragon qui s'était fait bousculer au sol. Mais ce n'était pas important. La chevelure, ondulée et gracieuse, était plus brillante que les deux soleils réunis. Il en demeura hypnotisé pendant un long moment.
Pourquoi ? Il revint à lui-même, seulement pour trouver de nouvelles questions à la place des réponses à lesquelles il s'attendait. Il sentit un léger frisson courir le long de son cou. Il demeura bête, sans voix. Il n'avait pas besoin de les décortiquer pour le moment.
Au moins, la lune lui garderait compagnie comme elle le faisait toujours.
✦×✦
Le lendemain, il s'éveilla par lui-même une heure avant que Rendar s'en occupe. Cela en fut assez pour qu'il puisse passer aux bains dans la solitude pour ensuite se préparer à aller à son premier cours. Il était tellement épuisé. Le sommeil n'avait pas été assez long pour qu'il soit satisfaisant.
D'habitude, il ne passait pas chercher à manger le matin, habitude qu'il avait adopté en grandissant en tentant d'éviter sa famille le plus possible. Ce jour-là, il avait décider du contraire puisqu'il jugeait avoir besoin d'énergie de quelconque façon pour compenser le manque de sommeil. Une pomme suffirait. Il allait devoir se forcer à la manger.
En chemin à son cours, la vision de la chevelure d'un doré sombre qui ondulait avec le vent lui revint à l'esprit. Elle le hantait depuis hier soir. Il avait toujours trouvé la chevelure d'Arièlla radieuse, mais cette-fois, quelque chose était différent et il n'arrivait franchement pas à mettre le doigt sur une explication logique. Était-ce même logique ? Après tout, les sentiments avaient toujours été bien mystérieux à ses yeux.
Est-ce que c'était un béguin ? Non. Ce n'était pas possible. Il aimait bien Merryn. Pas vrai ? Il songeait souvent à elle de façon générale et il n'avait pas l'habitude de le faire avec quiconque autre. Ça n'arrivait pas avec Arièlla. Elle était sa coéquipière de skotar et peut-être bientôt, une bonne amie. C'était là des intentions platoniques. Mais il ne pouvait pas nier l'obsession soudaine et étrange qui était naquit. Qu'est-ce que cela signifiait et pourquoi maintenant ? Bien sûr, à leur dernière pratique, elle avait été exceptionnelle et il s'était sentit vivement impressionné. Il était coincé sur un moment en particulier, celui où elle avait réussi à se défaire de l'emprise de l'équipe au complet qui s'était retournée contre elle. Elle et Harath étaient compétitives, brutales et concentrées à fond. Il devinait qu'elles allaient laissées de grandes traces dans leur sillage.
Perdu dans ses pensées, il avait perdu son sens de l'orientation. Lorsqu'il leva le regard et porta attention, il reconnu quelques apprentis du deuxième cycle qui entraient tous dans une salle de classe. Il reprit conscience d'où il était pour se rendre compte qu'il avait dépassé la sienne depuis un moment.
— J'arrives pas à croire que j'ai perdu ma plume en chemin, rogna une voix qui attira soudainement toute son attention.
Là, devant lui, arrivait Arièlla Valkirel et Azéna Kindirah. Elles s'étaient arrêtées près de l'entrée et semblaient toutes les deux concernées. L'univers désirait clairement se moquer de lui.
— Je te passerai bien la mienne, mais j'en ai juste une ! se lamenta la dragonnière grise. Le maître va te tirer la peau des fesses !
Le premier instinct de Serfantor fut de rebrousser le chemin et éviter d'interagir avec les adolescentes. Pourtant, son corps ne suivait pas son esprit. Il resta là, figé, complètement dominé par une soudaine vague de timidité.
— Mais c'est quoi mon problème ? murmura-t-il doucement, énervé par lui-même.
Et encore une fois, l'univers voulait rire de sa tronche. Sa propre plume, ébène comme l'encre dans laquelle elle se faisait trempé, tomba à ses pieds. Elle pointait directement vers Arièlla et Azéna.
Il eut un léger rictus d'inconfort, mais il savait ce qu'il devait faire. Il ramassa la plume aussi lentement que possible pour retarder l'inévitable. Enfin, il s'approcha des deux jeunes filles qui étaient encore plongées dans leur dilemme.
Il ne dit pas un mot. Il tendit la plume noire à la Valkirel, ce en restant le plus impassible possible.
— Serf ? dient-elles en unisson.
Le trio se fixa avec incrédulité, incertain de ce qu'il fallait faire. Pendant un long moment, rien ne se produit. Ils étaient tous là en silence, sans bouger.
L'elfe gris n'en pouvait plus. Il détestait ce genre de situation. La pression sociale et la confusion par rapport à ses sentiments étaient trop prominentes. Il devait partir au plus vite. Il plaça la plume dans la main d'Arièlla, effleurant sa peau contre la sienne au passage. Une sensation de picotement déroutante se manifesta au contact. Étrangement, il ne détestait pas, même au contraire.
— Mais tu en auras pas besoin ? questionna la blonde qui semblait aussi perdue que lui.
Il ne lui donna pas la satisfaction d'une réponse. Il ne pouvait pas. Il ne se sentait pas assez fort. Il tourna les talons et se dirigea vers sa propre salle de classe.
— C'est bizarre ça, commenta Azéna. C'est pas comme lui d'agir comme ça.
— Je ne suis pas d'accord, répliqua Arièlla.
— Ein ? J'te suis pas.
— Il peut être aimable tu sais. Il n'est pas fait de roc.
À ces mots, le dragonnier ne put résister un sourire qu'il tenta de dissimuler en baissant le regard.
— Heu... d'accord ? continua la Kindirah.
— Tu es vraiment une idiote quand ça vient aux sentiments.
Il entendit l'archère pousser un glapissement aigu, suggérant que son interlocutrice l'avait, comme à son habitude, donner une petite tape amicale pour lui démontrer qu'elle avait, en effet, été idiote.
— Mais ça fait mal ! se lamenta l'aéromancienne sur un ton hargneux. Et j'y comprends encore rien !
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