Chapitre 7 : Bottes et String de Cuir


Nathaniel ne fut pas particulièrement surpris par le coup de poing, mais un peu plus par les récriminations qui suivirent, avec une Élisa à califourchon sur lui. Étalé sur les draps, il se laissa secouer comme un prunier par les épaules, tandis qu'elle criait :

-Tu me connaissais depuis longtemps, espèce d'enfoiré ! Pourquoi tu m'as fait croire l'inverse !? Pourquoi tu es aussi froid dans le passé !? Et pourquoi, non de Dieu, tu me casses les bonbons depuis le début !? Qu'est-ce que tu me veux, Nathaniel !? Qu'est-ce que je viens faire dans votre histoire de guerre contre les vampires, moi !? Tu vas répondre, oui !?

Elle lui flanqua une gifle, ne semblant pas particulièrement se soucier du fait qu'elle ne lui avait pas laissé une chance d'en placer une. Essoufflée, elle le fixa, se moquant bien d'être assise sur le colosse.

-Bon, fit-il en profitant de son bref silence. Alors oui, je ne t'ai rien dit. Mais, je suis tout de même surpris que tu ne t'en rendes compte que maintenant. Vu que tu as déjà croisé mon moi du passé qui voulait te tuer, j'aurais pensé que l'information t'était montée au cerveau. Apparemment, j'avais tort.

Cela lui valut une autre gifle. Passant sa langue sur ses lèvres, il constata qu'il ne saignait pas. Parfait. Furieuse, Élisa le fixait avec l'air de celle prête à lui en coller une autre.

-Je t'ai fait croire l'inverse parce que je te voyais mal accepter des explications du genre : je te connais depuis plus d'un siècle et tu apparais de manière intempestive dans la vie des Millicent, alors on te connait bien. Tu aurais accepté ça, boulet ?

Il saisit son poignet avant l'impact. Aussitôt, son autre main fusa, mais il l'attrapa aussi. Élisa plissa les paupières en un air mauvais. Elle allait se le faire !

-Si je suis si froid dans le passé, c'est parce que lors de notre première rencontre tu étais déjà vampire, or nous avions déjà des problèmes avec eux, sans être en guerre ouverte. Et si je te casse les bonbons depuis le début, c'est parce que tu m'as demandé de veiller sur toi par le passé ! Voilà pourquoi !

Il eut un petit silence entre eux. Essoufflé, la rage au cœur, Nathaniel la lâcha, tout en se relevant. Se faisant, elle tomba en arrière sur le matelas, mais il n'en eut cure. Furieux, il lui jeta un dernier regard avant de quitter la pièce.

-Il serait temps que tu me fasses confiance, Élisa.

*

Seule, la nouvelle vampire regarda le sol d'un air piteux. Certes, cette confrontation devait avoir lieu depuis un bon petit moment. Certes, elle se sentait en droit de s'être mise en colère. Mais alors, pourquoi son cœur se serrait-il de la sorte ? Pourquoi se sentait-elle si mal de l'avoir tant mis en colère ?

De plus, elle aurait dû faire le lien depuis des lustres. Mais la succession d'évènements improbables l'avait privé de véritable temps de reflexion. Sans compter sa transformation...

Sa transformation.

Elle était au calme, pour le moment. En profitant pour détourner ses pensées de cet homme caractériel, elle se dirigea vers le miroir. La bouche ouverte, la lèvre supérieure retroussée sur ses canines, elle fut surprise de les découvrir si acérées. Physiquement, aucune différence. Toujours le même bourrelet qui, selon elle, rendait la courbe de son ventre disgracieuse, et des cuisses un peu trop larges selon les standards de beautés humains et paranormaux. Ses yeux n'avaient pas changé de couleur non plus.

Seuls ses crocs et son état général avaient été modifiés. Plus rapide. Plus forte. Plus endurante, aussi. Perplexe, elle entendit son ventre gronder. Elle avait faim, mais pas de sang.

Se résignant à sortir de son antre, elle se découvrit seule dans l'appartement. Nathaniel était parti, probablement pour se défouler quelque part. Bizarrement, son petit doigt lui disait qu'il était allé rejoindre Clarabelle, la belle succube. Et plus bizarre encore fut le nœud dans son estomac à cette pensée.

Assise sur la terrasse, une tasse de chocolat chaud entre les mains, Élisa prit le temps de se poser. Se poser. Elle avait l'impression de ne plus avoir fait ça depuis des jours. Des mois. Des années. Elle pensa à Daphnée. Depuis la prise d'otage à la chaine Paranormale, elle ne l'avait pas contactée. Nathaniel lui avait probablement envoyé des nouvelles, pourtant, elle retourna à l'intérieur, à la recherche de son téléphone. Elle ne savait absolument pas où il se trouvait. Chez les Guerriers de la Pureté, elle ne l'avait déjà plus. Était-il toujours à la Chaine ?

À l'intérieur, elle tomba nez à nez avec Clarabelle.

-Tu peux me dire ce que tu as fait à Nathaniel ?

-Nous nous sommes disputés.

La succube plissa les paupières. Vêtue d'un body en lanières de cuir noir, qui cachait très peu de choses de son anatomie, elle portait des bottes de la même couleur et un ras du cou qui achevait cette tenue franchement sexuelle. Ses longs cheveux sombres lâchés retombant dans le creux de ses reins, elle respirait un message très clair. Que, selon toute vraisemblance, Nathaniel n'avait pas réceptionné correctement.

-Comment une dispute avec toi peut-elle à ce point l'ébranler !? s'exclama-t-elle.

-Je n'en sais rien moi !

-Ce n'est pas possible ! Tu m'as regardé !? Il y a presque marqué "sexe" sur mon front ! Bon sang, depuis que tu es apparue dans cette tranche temporelle, il ne m'a touché qu'une seule fois ! C'est une honte, Élisa !

-Une honte !? Mais je n'y suis pour rien ! Tes problèmes sexuels ne me concernent pas !

-Oh, je t'en prie, râla Clarabelle en posant une main sur sa hanche. Tu ne vas pas me faire croire que tu n'as pas remarqué la tension sexuelle entre Nath et toi, alors que je vous ai vu en train de vous rouler des pelles ?

Là, pour le coup, elle ne savait pas quoi dire. Le rouge aux joues, Élisa haussa les épaules.

-C'était une erreur.

-Dans ce cas tu es particulièrement débile, car Nathaniel est le meilleur coup de ma vie. Et pourtant, mon chou, je suis une succube. Des pénis, j'en ai vu des tas, mais des hommes qui savent s'en servir en plus du reste de leur corps, c'est rare.

Ça voulait dire quoi ça ? Outrée, la bouche ouverte, Élisa était le visage même du « mais de quoi je me mêle ? ». Clarabelle éclata de rire.

-Ça fait combien de temps que tu ne t'es pas envoyée en l'air ?

-Je.. Heu..

-À ce point-là ? s'étrangla la succube. Mais comment tu fais !? Une Marcheuse du Temps comme toi pourrait se taper des mecs à n'importe quelle époque. Tu pourrais faire une étude sur les habitudes sexuelles des hommes selon les siècles ! Alors, explique-moi pourquoi tu n'en profites pas !

Ce coup-ci, la question paraissait sincère. Attendant une réponse, Clarabelle la fixait, nullement gênée de se trouver en body à lanières de cuir.

-Heu... C'est-à-dire que je ne maitrise pas les sauts temporels.

Avec un grognement, la succube se retourna, pour aller fouiller dans le frigidaire. D'accord... C'était un body string.

-Pitié ! Tu n'as toujours pas pensé à aller voir la Marquise Sanglante, pour lui demander des conseils ? Avant de mourir, elle avait lu plusieurs ouvrages sur le sujet. Elle les a trouvés dans la bibliothèque de ce petit pénis de Puresang.

L'espace d'un instant, Élisa se demanda si effectivement Clarabelle avait vu le pénis du vampire, mais elle effaça cette partie du dialogue de ses pensées. Le reste était bien plus intéressant. La Marquise Sanglante ! Depuis l'affaire du cimetière, elle n'avait plus eu le temps d'aller là-bas. Mais effectivement, elle était la seule femme, enfin le seul fantôme, à sa connaissance, à partager son pouvoir.

Ce serait une bonne idée d'aller la voir.

-Bon, tu comptes coucher avec Nathaniel, ou pas ? fit Clarabelle en se versant un grand verre de lait.

-Non.

-Alors, dépêche-toi d'arracher ta culotte, il n'attend que ça.

-Tu ne m'as pas entendu ? soupira Élisa. J'ai dit non. Je ne veux pas coucher avec lui. Ça n'arrivera jamais. Jamais il ne m'aura.

À ces mots, la succube eut le plus gros fou-rire de l'histoire des fous-rire. Elle manqua même s'étouffer avec le lait précédemment ingéré, ce qui la contraignit à lui taper dans le dos, tant elle était hilare. Mais qu'avait-elle donc dit de si drôle !?

-Mais pourquoi tu ris autant !? s'exclama Élisa, une fois que l'autre se fut un peu calmée.

-Q... Quoi ? hoqueta-t-elle. Attends... Ne me dis pas que tu ne t'en souviens pas...

La jeune vampire fronça les sourcils, ce qui arrêta net le rire de Clarabelle.

-Oh mince... Tu ne te souviens pas ? Merde, j'aurais dû y penser, avec ta transformation.

Quoi ? Quoi, que voulait-elle dire !? Soudain alarmée, elle l'attrapa par le poignet. Il lui fallait une réponse tout de suite ! Qu'avait-elle oublié ? De quoi parlait-elle !?

-Lâche moi, je...

Et comme si le destin s'était décidé à lui cracher une nouvelle fois dessus, Élisa fut soudain projetée en avant. Le comptoir aurait volontiers rencontré l'angle de son crâne, si Clarabelle ne l'avait pas attrapée par le collet, pour la tirer derrière avec elle.

Le souffle de l'explosion qui lui avait coupé la parole se résorba soudain, la laissant les oreilles sifflantes, une odeur de brulé au nez. Les yeux ronds, dans un silence semblable au calme avant la tempête, elle osa jeter un œil par-dessus le plan de travail de Nathaniel.

Dans une épaisse fumée aux fragrances d'œuf pourri, quatre silhouettes s'avancèrent au milieu des flammes dévorant rideaux et tapis. Il ne lui fallut pas longtemps pour reconnaitre Jamie, ce fils de pute, et Monsieur de Puresang. Les autres n'étaient que des sbires.

La main de Clarabelle appuya soudain sur sa tête pour la faire redescendre. Avec un regard d'avertissement disant clairement « reste cachée ou je te tue ! », la belle succube se redressa, pour afficher son sourire le plus enjôleur aux quatre vampires. Comme si on ne venait pas de faire sauter la cuisine avec une grenade à fragmentation, vu les impacts sur le frigidaire.

-Salut, mes beaux. J'imagine qu'une affaire de toute importance vous emmène ici, pour faire une entrée si fracassante.

Pas la moindre trace d'agressivité. Pour un peu, Élisa aurait applaudi son jeu d'actrice.

-Je n'ai cure des racontars d'une démone, gronda monsieur de Puresang. Ma race a toujours haï les gens de ton espèce.

-Parce que j'incarne les fantasmes de tous les hommes, ? susurra-t-elle.

-Non. Parce que la place de ton engeance est en enfer. Tuez-la.

Élisa était sur le point de se relever, mais les doigts de Clarabelle poussèrent en sens inverse, avec tant de force qu'elle resta les fesses au sol. Mince ! Que devait-elle... Alors, elle aperçut un gros bouton rouge, positionné sous le plan de travail. Comme pour les employés de banque souhaitant appeler la police de toute urgence.

Sauf que celui-là, elle pensait savoir à qui il était relié.

*

Lorsque le téléphone de Nathaniel sonna, il se trouvait à une réunion de très haute importance avec la partie la plus vindicative de sa famille. Mais à peine la vibration caractéristique se fit-elle ressentir qu'il disparut sans un mot pour les autres, dont il n'eut pas le temps d'entendre les protestations.

L'appareil sonnait encore quand il se retrouva dans les ruines de son salon, face à quatre vampires. Deux sursautèrent en le voyant. Les autres froncèrent les sourcils. Monsieur de Puresang et un inconnu.

-Je vais être gentil, je ne vais pas vous tuer, fit-il en jetant son portable sur le comptoir de la cuisine, derrière lequel se terrait Clarabelle et, agenouillée, Élisa.

-Trop aimable, railla leur chef à lunettes. Tu...

Le poing de Nathaniel rencontra sa mâchoire, lui coupa la chique. Il y alla avec une force qui aurait tué un humain. Mais qui envoya simplement valser le vampire par le trou béant de la baie vitrée. Du sang sur les jointures, le colosse ne laissa pas aux autres le temps de se reprendre.

Son genou rentra dans l'estomac de l'un, qui se plia en deux. Il l'attrapa par le dos de son t-shirt, le soulevant littéralement du sol pour le jeter sur son acolyte qui faisait un mouvement pour frapper Nathaniel. Il fut percuté en pleine face par son comparse, ce qui les fit rouler tout deux avec monsieur de Puresang qui se relevait péniblement. Il n'en restait plus qu'un, un vampire qui regardait en direction d'Élisa. Il ne semblait pas agressif.

-James ? lâcha soudain Nathaniel, en plissant les paupières.

Le dernier vampire se tourna alors vers lui, avec une grimace... Et il se prit le poing du Millicent dans le nez. Ce qui le laissa sur le carreau, tant le choc fut violent. De l'autre côté, monsieur de Puresang et les autres sautèrent par-dessus la rambarde du balcon. Ils préféraient manifestement éviter d'affronter une nouvelle fois le poing du Millicent.

-Les problèmes sont venus à toi cette fois-ci, Élisa ? lança le colosse en se tournant vers le plan de travail.

Agenouillée au sol, la tête de la jeune femme dépassait à peine. Elle avait les yeux écarquillés.

-Effectivement. Mais après, tout le monde sait que je suis sous ta protection.

-Le problème est surtout la vitesse avec laquelle ils t'ont retrouvé, grommela-t-il. J'avais pourtant fait attention à ne pas me montrer pendant ton sauvetage.

-Bon, je vais aller me chercher un bel amant bodybuildé, déclara Clarabelle en roulant des fesses vers la porte. Passe une bonne soirée, mon beau.

En lui adressant un bref coup d'œil, Nathaniel hocha la tête.

-Merci d'être intervenue.

-Je n'ai pas fait grand-chose. Mais tous ces frissons m'ont excité comme une petite folle ! À plus tard, les coincés !

*

Se retrouvant seule avec Nathaniel, au milieu du carnage de son salon, Élisa entreprit de sortit la pelle et le balai du placard.

-Désolée. Je ne pensais pas qu'ils oseraient venir ici.

-Ne t'occupe pas de nettoyer pour le moment. Nous devons déjà ligoter cet abruti de James.

Cette phrase la fit tiquer, tandis qu'elle se retrouvait devant le corps inerte du vampire. Celui qui l'avait transformée. Bizarrement, même si elle savait que tuer son créateur avant la première pleine lune inversait le sort, elle n'avait aucune intention de l'assassiner. En grande partie partie parce que pour le moment, elle ne souffrait absolument pas de sa moitié vampire. Outre un rapt et une attaque, il n'y avait pas de quoi en faire un fromage. Et elle n'avait absolument pas soif.

Par contre, la question qu'elle se posait...

-Comment connais-tu ce crétin ?

-Cela fait des années que je le retrouve sur ma route, grommela Nathaniel.

Rapidement, avec une corde solide possédant des menottes en cuir au bout, ils l'attachèrent à une chaise qu'ils mirent ensuite dans le dressing-râtelier d'armes de l'appartement. Ils le positionnèrent dos à la grande glace, ce qui leur permettrait de voir ses mains même en étant face à lui. Sa tête dodelinait sur son torse, dans la plus totale inconscience.

-D'où le connais-tu ? s'enquit Nathaniel.

Il s'affairait sur la cheville de Jamie, pour la serrer la plus possible, quitte à en couper la circulation.

-Tu as tué notre caméraman, à Daphnée et moi, pendant la cérémonie aux entreprises d'Isria. Il en est le remplaçant.

Elle prit le temps de réfléchir. À ce moment-là, il ne lui avait franchement pas paru louche. C'était un sacré comédien, tout de même.

-De plus, il est celui qui était censé me torturer chez les Gardiens de la Pureté. Et il s'est avéré être un vampire à la solde de monsieur de Puresang. Enfin, c'est le bordel. Et toi ? À quelle occasion l'as-tu rencontré pour la première fois ?

Nathaniel haussa les épaules.

-L'histoire est trop longue pour être comptée maintenant. Ah, au fait, j'ai laissé ton téléphone dans le tiroir de la cuisine, à côté du frigo. Tu devrais aller le prendre, je crois que tu as un nombre incalculable de messages.

Même si elle voyait bien que c'était une diversion pour l'éloigner de Jamie, elle alla voir. Peut-être pourrait-elle enfin contacter Daphnée, depuis le temps... Dans le tiroir, son portable l'attendait avec la lumière clignotante indiquant un message non lu.

Un... ou deux cent trente. Les yeux ronds, Élisa vit le nom de Daphnée sur les vingt premiers. Sur les vingt suivants aussi. Avec une grimace, elle ouvrit le dernier en date « Je sais que tu es vivante alors répond, Élisa ! ». Le suivant était : « Si tu ne réponds pas je t'arrache les poils pubiens un par un ! ». La suite était une litanie de menaces allant décroissantes. En faisant défiler tous ces messages, elle finit par envoyer une courte réponse : « Vivante, devenue vampire. Tout va bien. »

En refaisant défiler ses messages vers le haut, elle surprit celui d'un expéditeur inconnu. Simplement un numéro. Appuyant sur l'écran tactile, Élisa lut le texte qui l'accompagnait, debout dans la cuisine.

-« Élisa, c'est Jamie. Je ne sais pas si tu as eu ce message, mais nous avons eu les résultats de ton bilan sanguin. Nous devons parler ».

Devinez quoi ? C'est à cet instant précis que le téléphone disparut, pour qu'elle se retrouve nez à nez avec Nathaniel, nu et dégoulinant d'eau, une serviette en lin en main... Et avec les yeux écarquillés de stupeur.

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