Chapitre 2 : Bave sur Canapé
-Qu... Là ? bafouilla-t-elle d'un timbre par très frais, encore sous l'effet de l'anesthésiant.
Jamie lui fit l'affront d'un glorieux sourire.
-...foiré...
Même ses insultes ne sortaient pas complètes ! Furieuse, Élisa chercha à regarder autour d'elle. Ne parvenant toujours pas à se mouvoir, elle avisa le fauteuil en cuir marron sur lequel était vautré le cuistre. Un chesterfield, avec en fond un mur blanc. Une forte odeur de sang se dégageait des lieux, lui faisant froncer le nez en dépit de tout. Quelle puanteur...
Une table basse la séparait de Jamie, avec deux verres à vin. Elle comprit rapidement d'où venait l'odeur ignoble. Ce n'était pas de l'alcool qu'il y avait là dedans. Mais peut-être le sang d'un alcoolique, allez savoir...
Quoi qu'il en soit, elle bavait toujours, et elle commençait à le sentir sur sa joue écrasée contre le siège du canapé. En cuir, lui aussi. Autant tout accorder dans cette pièce blanche.
-Tu vas mettre un certain temps à pouvoir bouger, fit Jamie d'une voix calme. J'ai été contraint de t'administrer un anesthésiant pour cheval. Deux fois, vu que tu nous as attaqués une fois arrivé ici.
Deux fois de ce truc !? Mais elle était là depuis quand !? Et où, d'ailleurs ?
-C'bien... Temps ?
-Une demi-journée, pas plus. Tu as la peau dure, Élisa.
Ça lui faisait une belle jambe, tient.
-O..ù ?
-Nous sommes...
-Ah, je vois qu'elle est enfin réveillée, fit un timbre tranchant comme de l'acier.
Même si son cœur fit un bond, le reste du corps d'Élisa resta inerte. Un homme entra dans son champ de vision. Les cheveux gominés rejetés en arrière, des yeux rouges dissimulés derrière des petites lunettes rondes... Monsieur de Puresang, le gentilhomme qui voulait sa peau.
Cette fois-ci, l'effroi parvint à lui faire bouger l'orteil gauche.
-Bon sang, la nouvelle génération manque de classe, grogna-t-il en avisa la bave sur sa joue.
-Te... 'merde...
Monsieur de Puresang émit un claquement de langue méprisant, avant de s'asseoir sur un autre fauteuil en cuir, aux côtés de celui de Jamie. Sur un claquement de doigts du Maitre, on apporta un troisième verre de sang frais. Le serviteur disparut bien vite, si vite qu'Élisa l'oublia aussitôt. Maudit anesthésiant...
-Sa transformation remonte à quand ?
-Trois jours, tout au plus.
Le chef des vampires fronça les sourcils en avisant la nouvelle transformée.
-Dans quel état était-elle quand tu l'as retrouvée ?
-Agressive, mais sans plus, vu que c'est moi le responsable de sa situation.
-Elle avait donc toute sa tête ?
-Oui. Elle était cohérente. Et elle n'a pas cherché à me mordre.
Que racontaient-ils ? Pourquoi les sourcils de monsieur de Puresang se fronçaient de plus en plus ? Il posa encore quelques questions à Jamie, à savoir si j'étais couverte de sang tout à l'heure. S'il y avait des cadavres dans mon sillage. Mais les réponses étant négatives, le pli sur son front s'accentuait de plus en plus.
-Voilà qui est inattendu. Attendons que les effets de l'anesthésiant se dissipent. Mais par les dieux, qu'elle dorme ! Cet air stupide est affligeant.
C'est ainsi qu'un uppercut de la part de Jamie l'envoya dans les pommes.
*
Pas de voyage temporel pour le coup. Le destin avait dû décider qu'elle devait récupérer pour de vrai, cette fois-ci. Par contre, elle se trouvait toujours sur le fauteuil en cuir... Dans un tailleur-jupe un peu trop moulant à son gout.
Instinctivement, elle porta la main à sa joue, pour découvrir qu'on l'avait aussi nettoyée de sa bave. Et coiffée, vu le chignon serré qui lui arrachait le cuir chevelu.
Mais c'était quoi, ces conneries !?
-Vous êtes déjà un peu plus présentable, mademoiselle Klervi. Mais quand est-il du reste ?
Toujours les deux mêmes zigotos. Combien de temps après ? Avec l'absence de fenêtre sur ces murs blancs, impossible de savoir combien de temps elle avait dormis, encore. En tous cas, elle avait l'esprit bien plus clair. Mieux valait ne pas sauter à la gorge de Jamie tout de suite.
-Puis-je savoir pourquoi tu m'as transformé ? fit-elle en croisant les jambes, le plus élégamment possible.
Les mains bien posées à plat sur ses genoux gainés de collants, elle se força à sourire. Jamie en fit de même, un brin plus tendu.
-Pour ne pas te voir mourir comme une courge au fin fond de la forêt.
-Je ne t'avais rien demandé.
-C'est vrai.
Rien de plus ? Yeux plissés, elle coula un regard vers monsieur de Puresang, dont la perplexité était évidente.
-Pourquoi m'avoir conduite ici ?
Ce fut le maitre des lieux qui répondit, ses prunelles rouges la scrutant intensément.
-Votre créateur n'est autre que Jamie, que j'ai moi-même transformé. Vous faites donc partie de... La Maison des Puresang.
Oh.
Oh ?
Oh...
Son cerveau était en erreur critique.
Le Maitre de la Maison en profita pour continuer sur sa lancée.
-De fait, en tant qu'Enfant, nous vous protègerons comme il se doit... Mais vous êtes un cas particulier, mademoiselle Klervi. Car, si je ne m'abuse, du sang de fée coule dans vos veines.
Bon. Apparemment, ce détail était désormais de notoriété publique. Pour éclaircir son trouble, Jamie lui précisa qu'il l'avait deviné en buvant son sang au cours de la transformation. Forcément. Les vampires étaient drogués aux fées. Ces êtres étaient de véritables proies pour eux, comme la cocaïne ou l'héroïne pouvait rendre fous les humains.
Ceci était en grande partie responsable de la guerre entre les vampires et les Millicent. La famille avait pas mal de sang féérique dans les veines, ce qui avait provoqué plus d'une fois de grosses frictions. Enfin, de morts. Des deux côtés.
Comme son cerveau était entré en action, mais semblait avoir oublié de faire le lien avec la parole, monsieur de Puresang continua sur sa lancée.
-Nous ne pouvons pas transformer une autre race paranormale. Mais visiblement, votre part humaine était suffisamment importante pour qu'elle soit vampirisée. De fait... Vous êtes une fée et une vampire à la fois.
Ah merde...
-Vous en êtes certains ? fit-elle avec un froncement de sourcils, un peu perdue.
-En tentant de t'enfuir, quand nous t'avons emmené ici, tu as fait apparaitre tes ailes pour t'enfuir.
-Sauf quelles sont salement amochées, grommela-t-elle.
Merci papa, ajouta Élisa en son for intérieur, une vague de haine lui tombant de nouveau dessus. Je suis un mélange encore plus bizarre qu'avant.
-Bon. Puisque je suis sous votre protection, je suppose que je peux partir d'ici ?
-Non.
Le timbre tranchant de monsieur de Puresang lui hérissa le poil.
-Et pourquoi ?
-Parce que vous êtes une alliée des Millicent, et plus encore du nouveau président des entreprises d'Isria.
Ah.
Ah ah...
-Alors on fait quoi ? On se regarde dans le blanc dans l'œil en se demandant quand et comment on va en venir aux mains ?
-Non, susurra le Maitre. Mais je serais curieux de faire des tests avec vous, mademoiselle Klervi. Car une jeune vampire aurait dû depuis longtemps se jeter sur les verres de sang, d'autant plus en étant à jeun depuis prés de vingt-quatre heures. Mais vous n'en avez rien fait. Vous ne traduisez même pas le moindre petit signe de soif. Comment est-ce possible, mademoiselle Klervi ?
Elle haussa un sourcil.
-C'est vous l'expert en vampires, pas moi. Moi, je vous bottais le cul jusqu'à présent, c'est tout.
Un sourire sordide étira les lèvres du vampire. Et merde... elle le sentait vraiment mal, là.
-Jamie.
La seconde suivante, son créateur se jeta sur elle, les crocs en avant. Son corps réagit à une vitesse inhabituelle. Glissant au bas du canapé, elle poussa un juron retentissant lorsque Jamie percuta le dossier. Le meuble bascula en arrière, la poussant à se relever d'un bond.
L'autre était déjà sur elle, lui assenant des coups de poing plus violents les uns que les autres. Les bras levés devant elle pour se protéger, Élisa sentit un os craquer... Et se ressouder tout de suite. Puis encore un, et encore un...
-Tu me les brises ! rugit-elle en se jetant sur le côté, tout en frappant sa paume de son poing.
Sa batte de baseball jaillit du vieux sortilège dissimulé dans sa main, et elle décocha un coup en plein dans la mâchoire de Jamie, qui revenait à la charge.
Sonné, le vampire fit un tour sur lui-même... Avant de s'écrouler face contre terre.
Oh mince ! Elle y était allée si fort que ça !?
-Toi, gronda-t-elle en se tournant vers monsieur de Puresang. Tu vas dérouill...
Mais il était déjà là, sa main prenant la batte à son milieu... Pour la briser en deux dans sa poigne. Estomaquée, Élisa sentit à peine la douleur écorcher le sortilège dans sa peau. Car le maitre la saisit par la gorge, pour la soulever du sol. Ni une ni deux, elle lui fourra un doigt dans chaque œil, brisant ses petites lunettes au passage.
Il la relâcha avec un sifflement furieux, ses canines ressortant dangereusement sur sa dentition.
Élisa, il est temps de courir ! songea-t-elle en se tournant vers la seule porte disponible.
La défonçant d'un coup d'épaule, elle tomba sur un escalier qui montait. Derrière elle, les deux lâchèrent un grondement furieux. Montant les marches quatre par quatre, le cœur battant la chamade, Élisa arriva en haut avant qu'ils ne passent la porte.
Courant à toute vitesse, elle prit la première bifurcation disponible, poussa un lourd battant en bois... Et se retrouva aveuglée par la lumière du soleil. Et merde ! Ce n'était pas le moment !
Se forçant à garder les yeux ouverts, elle se félicita déjà de ne pas partir en fumée, comme dans les contes pour humains. Dans cette cour d'intérieur aménagée en un jardin zen, elle se découvrit soudain face à une quinzaine de vampires, aussi surpris qu'elle de la voir.
Aussitôt, Élisa fit apparaitre une nouvelle batte de baseball de sa paume. La création lui arracha un grondement de douleur, en raison de la destruction récente de la précédente. Sa nouvelle arme était tintée de son sang, néanmoins, elle pouvait toujours se servir de ses deux bras.
Elle se mit donc à cogner les premiers vampires qui lui fondirent dessus, visant la tête de toutes ses forces... Lorsqu'une voix cingla dans les airs.
-Ça suffit.
Aussitôt, tous les suceurs de sang reculèrent, la laissant seule dans leur cercle. Raides comme des bâtons, presque au garde-à-vous, ils laissèrent passer monsieur de Puresang et Jamie. À peine haletante, couverte de sang, Élisa plissa les yeux.
-Le premier test est concluant. Elle a une force légèrement au-dessus de la moyenne. En revanche, toujours pas de signe d'un besoin en sang. C'est très surprenant.
Le premier test ? Horrifiée, elle regarda autour d'elle. Tout ça était prévu depuis le début ? Ils voulaient tester sa force !? Attendez, ça voulait dire qu'il allait y avoir d'autres...
-Ne bouge plus.
La voix de Jamie trancha l'air. Aussitôt, Élisa se statufia. Non... Non...
-Range ta batte.
Ses mains se mirent en mouvement d'elles-mêmes. Son arme disparut dans sa paume. Et m...
-En tant que créateur, tu me dois obéissance, fit Jamie. Que tu le veuilles, ou non.
Lui... Dès que l'occasion se présenterait, elle lui arracherait la jugulaire avec les dents ! Foi de Klervi, il allait mourir !
-Transférez-la dans le laboratoire. Et attachez là, Jamie. Elle ne doit plus bouger.
La suite, elle y assista avec un effroi saisissant. On la saisit, pour l'emmener dans le grand bâtiment de la Maison Puresang. Le laboratoire était immaculé. L'espèce de médecin vampirique qui se trouvait là lui expliqua qu'avec le temps, les suceurs de sang devenaient particulièrement maniaques. C'était pour cela que leur demeure était toujours immaculée, en dépit de leurs victuailles sordides.
Contre toute attente, il lui fit un prélèvement dans les règles de l'art humain. Un nombre incalculable de tubes différents, pour tout un tas d'examens. Puis il regarda sa gorge, ses canines ses pupilles, et même le fond de son oreille. Ses ongles de mains et de pieds, aussi. Puis vinrent les questions. Se sentait-elle fatiguée ? Abasourdis ? Confuse ? Énervée ? Avait-elle mal au ventre ? À la gorge ?
Tout aurait été plus ou moins normal, si Élisa n'avait pas été attachée à la table d'examen.
Quand le médecin acheva de tout écrire sur son ordinateur haut de gamme, il appela le Maitre. Monsieur de Puresang, apparemment, n'allait pas faire le déplacement pour la chercher, ce dont elle se foutait royalement. Par contre...
-Vous êtes transférée à Paris, au siège de la Maison, fit le médecin avec un sourire. Vous avez de quoi être honorée, mademoiselle Klervi. Vous allez attendre vos résultats dans le luxe le plus fin !
Honorée, ses fesses !
Ils cherchaient à l'éloigner de Nathaniel et des Millicent, oui !
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