Chapitre 19 : Visite de Paris
-Bon. Pour résumer, Élisa a disparu, la maison a sauté et nous avons un tas de cadavres dehors, c'est bien ?
Effectivement, c'était bien ça. Florentin avait assez bien résumé la situation. Même s'il portait des claquettes, un bermuda et une chemise hawaïenne. Franchement... Lui qui était si classe il y avait encore deux siècles de cela. Enfin...
-Je vais m'occuper des cadavres, déclara-t-il en s'en allant, les mains dans les poches. Au moins, eux, ils ne chercheront pas à me mordre. Ah, que de souvenirs avec Erik...
-Les cadavres, je m'en suis chargé, intervint Nathaniel, bras croisés. Je ne fais jamais les choses à moitié, tonton.
-Jarnicoton !
L'explosion venait du côté d'Angèle de Millicent, dont le mari avait sursauté. Aie aie aie... Debout, les mains qui venaient de claquer sur la table roussie du salon, la duchesse semblait hors d'elle.
-Tu ne fais pas les choses à moitié uniquement pour ce genre de choses, Nathaniel ! Tu es mon petit fils adoré, mais tu n'es qu'un...
-Angèle ! s'exclama Rodolphe, la censurant au passage.
-... Et je ne le pense pas à moitié ! continua sa femme. Mais nous avons un autre souci ! D'après l'artefact, nous devons nous trouver dans les jardins de la maison principale du Clan des Puresang à la tombée de la nuit. Normalement, Élisa s'y trouvera aussi.
-La maison principale se trouve à Toulon. Elle ne pourra jamais y arriver sans moi pour la transférer.
Cette fois-ci, ce fut son grand-père qui planta son regarda dans le sien. Ainsi, sa grand-mère debout et lui installés gracieusement sur son fauteuil, ils faisaient vraiment couple terrible.
-Dans ce cas, débrouille-toi pour la retrouver, Nathaniel.
*
Le fils de pute de Jamie la manipulait comme il le voulait !
Ayant perdu totalement le contrôle, Élisa suivait Jamie tel un zombie. Enfermée dans son propre corps, elle voyait les souterrains de la ville défiler autour d'elle. Il faisait sombre, ça sentait l'eau croupie et la moisissure, et franchement, les souterrains parisiens n'étaient pas réputés pour leur propreté immaculée ! Encore un peu, et ils allaient se retrouver dans des catacombes avec un culte sataniste planqué quelque part, prés à découper en rondelles tous les inconnus. Bon, face à des vampires, ils ne pourraient pas faire grand-chose.
Mais mince !
Qui savait ce que ces souterrains pouvaient cacher comme bestioles oubliées de la surface ?
Quoi qu'il en soit, étant donné que Jamie ne lui avait pas ordonné de la fermer, elle avait un moyen de lui pourrir la vie.
-Quand est-ce qu'on arrive ?
Pas de réponse.
-Quand est-ce qu'on arrive ?
Toujours rien.
-J'ai faim. J'ai soif.
Ça pour le coup, c'était vrai. Ça commençait à sérieusement la tourmenter.
-Je dois aller faire pipi.
Un claquement de langue irrité. Ah ! Elle pouvait durer des heures, comme ça ! Elle décida donc d'entamer une litanie incessante, jusqu'à ce qu'il craque. Elle avait l'impression d'être l'âne dans Shrek.
Il fallut cinq minutes pour que Jamie craque.
-C'est pas bientôt fini, dit !? Tu ne ressembles vraiment pas à ta mère !
-Si tu croyais tomber sur une copie conforme, c'est mal barré, railla Élisa.
-Tu es chiante ! Pas étonnant que Nathaniel soit tombé amoureux de toi ! Il n'y a que des casses bonbon dans sa famille !
Franchement, s'il parlait de toutes les femmes Millicent qu'elle connaissait, elle ne voyait vraiment pas où était le problème. La duchesse était d'une classe et d'une dangerosité inégalée, la Marquise Sanglante était redoutable même dans la mort, et Daphnée avait un sale caractère, mais un cœur en or.
-Je prends ça comme un compliment des plus flatteurs.
-C'est ça, c'est ça.
-Maintenant que tu as décidé de me parler, tu peux me dire ce que tu fiches ? M'embarquer alors que Nathaniel vient de péter un câble, ce n'est pas vraiment une bonne idée.
La vision par la fenêtre ? Elle ne voulait même pas y penser pour le moment. Était-ce pour ça qu'elle parlait sans discontinuer ? Allez savoir... Les gens avec des faux avaient tendance à la perturber.
-Nathaniel ne me fait pas peur.
Sa voix disait le contraire.
-S'il me tue, il met ta vie en péril. Tu es mon sauf-conduite.
Honnêtement, elle n'avait jamais vu Nath particulièrement en colère. Mais avec ce qui s'était passé tout à l'heure, il y avait fort à parié pour qu'il fasse fi de tout cela si Jamie dépassait les bornes. Et ce, qu'il soit l'allié de sa mère ou pas. Même si son comportement commençait à la faire douter de ce dernier point.
-Les vampires sont contraints d'obéir aux ordres de leur créateur, fit Élisa. Sinon, je ne te suivrais pas dans ces boyaux ignobles. Alors, tu peux me rassurer sur un point ?
-Lequel ? grommela le vampire.
-Puresang, ton créateur, ne t'a pas ordonné d'entourlouper les Millicent en m'embarquant à la première occasion venue, par hasard ?
Le silence prolongé fut la réponse la plus criante possible. Bordel de merde ! Elle était dans la mouise jusqu'au cou ! Bloquée dans son propre corps, elle ne pouvait pas s'enfuir ! Nathaniel pouvait-il la localiser sous terre ? Ou était-ce comme dans les jeux vidéos, et son sort lui donnait un point sur une carte, mais ne disait pas si c'était au-dessus ou en dessous du niveau du sol ?
-Tu n'es qu'un fils de pute ! explosa-t-elle. Y a pas un moyen de briser ce truc de patriarcat archaïque !?
-Si je le savais je n'en serais pas là, bon sang !
-Tu es vampire depuis des lustres ! Pourquoi tu n'as pas pensé à ça !?
-J'étais occupé avec ta mère !
-Et alors, ça te fait oublier de penser pendant plus de trente ans !?
-Et toi, tu as pas oublié des choses dans les bras de Nathaniel !?
Elle perdait son cerveau à la seconde où il la touchait.
-Ce n'est pas la question, bordel ! Tu n'as pas envie de me vendre à Puresang et moi non plus, alors faisons preuve de volonté et rompons le truc de commandement ! Tu es le plus vieux, le plus puissant, à toi de jouer !
-Je ne suis pas puissant, bon sang !
-Tu sers à rien !
-Non, mais quelle sale petite...
Un grognement d'outre-tombe les fit se figer tout deux. Qu'est-ce que...
-Jamie... Rassure-moi, il n'y a rien dans ces boyaux ?
Vampire tous les deux, ils bénéficiaient d'une vision nocturne insoupçonnée par Élisa. C'était un peu du noir et blanc, ce qui jetait quand même de sacrés ombres dans des souterrains. Elle voyait mal, donc.
Pourtant, le machin informe qui bougea juste devant eux, elle ne l'avait pas rêvé.
-C'était quoi ça !?
Un râle lui répondit. Jamie ne remuait plus un orteil. Il était figé comme une statue, le bougre !
Une deuxième ombre se profila, avec une démarche erratique qu'elle avait trop souvent vue dans les films et les jeux d'horreurs.
-Jamie... Jamie ! Tu m'as ordonné de te suivre ! Si tu ne te mets pas à courir tout de suite, on va se faire bouffer !
Pas de réaction. Et les deux zombies se rapprochaient, talonnés par toujours plus de formes claudicantes et puantes la chair pas fraiche. Alors, en dépit de tout ce qu'elle avait vécu jusqu'ici, elle poussa un hurlement de midinette.
Le vampire devant elle finit par s'arracher à sa contemplation morbide.
-Tu vas le bouger ton cul !? hurla Élisa.
-Morbleu ! s'écria-t-il, soulignant pour la première fois sa naissance dans un autre siècle. Libère-toi ! Et cours !
Libre de son corps et de ses mouvements, Élisa pivotant d'un bloc, pour partir comme une dératée. Si une vampire était rapide, une vampire qui risquait de se faire manger par des zombies l'était encore plus !
Ils ne tardèrent pas à semer le troupeau. Pour tomber sur une autre meute de cadavres, au détour d'un virage dans les souterrains parisiens. Elle poussa un nouveau hurlement.
Repartant dans une autre direction au son de l'écho d'Élisa, ils n'eurent pas fait quelques mètres que d'autres se présentèrent. Non de dieu ! Ils étaient dans un cauchemar claustrophobe à zombies ! Elle avait déjà dû à moitié mourir pour revenir sous forme de vampire, elle n'avait aucune envie de mourir complètement et de finir en un tas de tissus pourrissants ! Au secours !
-Il va falloir se battre, Élisa !
-Ta gueule ! C'est de ta faute si j'en suis là !
Saisissant sa batte de base-ball, elle se mit en position. L'espèce d'un instant, juste avant l'impact, elle vit la forme éthérée d'un fantôme. Elle poussa un cri, la silhouette s'évanouit. Pas le temps de se poser de questions. Le premier crâne explosa sous la force de son coup, en une explosion de cervelle, de dents et de cheveux.
-C'est ignoble ! couina-t-elle en reculant précipitamment, écœurée par l'odeur.
Butant contre un torse, elle réalisa très vite que pour une fois, ce n'était pas celui de Nathaniel. Des dents claquèrent contre son oreille.
-Mais jamais tu vas arrêter de hurler !? rugit Jamie, occupé à massacrer des zombies à mains nues.
L'avantage comparé aux films à la télévision : tous les deux n'étaient pas humains. Pas besoin de fusils semi-automatiques pour se débarrasser de ces cadavres ambulants.
-Je hurle si je veux !
Sa batte défonça une cage thoracique qui libéra un fumet atroce.
-Et je hurlerais jusqu'à ce que je me sois débarrassée de tous ces trucs !
-On a la phobie des zombies, mon petit boulet ?
Son cœur fit un bond dans sa poitrine. Nathaniel venait de s'opposer entre une de ces choses et elle. Pour le coup, elle lui grimpa dessus, tout en le secouant comme un prunier.
-Nathaniel j'en ai rien à faire e ce que tu es, mais fais disparaitre tous ces machins c'est pas normal même pour nous par pitié c'est un cauchemar je te jure que je...
-Oui, oui, ça va, j'ai compris, la coupa-t-il, une pointe de rire dans la voix. Assois-toi là et reste sage jusqu'à mon retour d'accord.
S'asseoir ? Mais s'asseoir où, bon sang !?
Nathaniel fut contraint de l'arracher à lui, pour la poser de force sur une pierre glaciale sous ses fesses.
Le temps de regarder le sarcophage sur lequel son fessier était posé, il avait déjà disparu.
Le fils de pute !
Il venait de la laisser dans un cimetière en pleine nuit !
-Bonsoir, Élisa.
Elle poussa le dernier hurlement de la soirée en découvrant le fantôme de la Marquise Sanglante dans les rayons de la lune.
*
Paris avait un gros souci ignoré des humains, et c'était ses catacombes. Nul ne savait combien de morts se trouvaient là-dedans, combien de gens avaient été tués à travers les siècles dans ces boyaux, par des organisations illégales ou des mandats royaux. Quoi qu'il en soit, les cadavres pullulaient et Nathaniel ne pouvait pas se les voir en peinture.
De retour dans les souterrains, il constata de nouveau qu'il n'avait pas la vue des vampires. Agacé, il disparut de nouveau des catacombes sous les insultes de Jamie, pour revenir une minute plus tard avec une lampe frontale. Ah ! Voilà, il y voyait quelque chose. Faisant apparaitre sa faux, il se mit dans la position ancestrale des faucheurs de blés.
-Casse toi le vampire. Ça, c'est mon boulot.
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