Chapitre 16 : La Sagesse du Grand-Père


Elle avait soif.

À une heure de l'après-midi, la tête dans le frigidaire, Élisa était à la recherche d'une bouteille d'eau. Toutes ces émotions matinales, couplées à une forte activité physique, lui avaient encore plus asséché la gorge. Ça commençait à vraiment la gêner.

Ah ! Voilà la bouteille d'eau !

S'en saisissant, elle ferma la porte... Et sursauta en découvrant Jamie, juste derrière.

-La vache ! Tu m'as fait peur !

-Tout va bien ? s'enquit-il.

-Heu... Oui, juste soif.

Il l'observa attentivement, les bras croisés. Buvant une bonne rasade, Élisa ne le quitta pas des yeux. Qu'est-ce qu'il lui voulait, lui ?

-Tu n'as pas des questions ?

-J'en ai tellement que je me noie dedans.

-Où est Nathaniel ?

Elle l'avait épuisé. La tête dans l'oreiller, il dormait toujours profondément quand elle était descendue, son grand corps à moitié dissimulé par le fin drap du lit. En y pensant, elle se dit qu'elle remonterait volontiers une fois qu'elle aurait étanché sa soif. Une vampire pouvait-elle avoir une trachéite ou un truc comme ça ? Elle avait l'impression de commencer à avoir de la fièvre, en plus de son mal de gorge.

-Il dort, finit-elle par dire.

Jamie hocha la tête, regarda autour de lui, avant de soupirer.

-Écoute, Élisa, je dois te parler. Tu veux bien t'asseoir avec moi ?

Franchement, entre rejoindre Nathaniel au lit et se coltiner une discussion avec le vampire, il n'y avait pas photo. Néanmoins, en dame plus ou moins bien élevée, elle accepta de s'installer à la table de la cuisine.

-Puisque tu as trop de questions pour savoir par où commencer, je vais te raconter une ou deux choses. Ta mère...

Il ouvrit la bouche, la referma. Se passa une main dans les cheveux, avant de revenir sur elle.

-J'étais... Je suis...

-Éperdument amoureux de ma mère ?

Hochant la tête, il poussa un profond soupir en se carrant dans son siège.

-Je l'ai rencontré pendant la Première Guerre mondiale. Vampires et Millicent se sont affrontés en même temps. Et... Monsieur de Puresang, alors officier allemand, m'a transformé. Sans faire exprès, étant donné qu'il l'a fait sur le champ de bataille, après avoir reçu une balle humaine en plein cœur. J'aurais dû mourir. Mais... J'ai survécu. Je suis devenu un vampire. Sans maitre pour me diriger.

Relevant les yeux, il les planta dans ceux d'Élisa.

-Je ne me souviens quasiment pas de la période suivant ma transformation. Mais c'est la même chose chez chacun d'entre nous : une soif de sang qui nous transforme en bête sauvage. J'ai fait un carnage, pendant une bonne semaine. Puis... Puis ta mère m'a trouvé.

Saisissant un verre, il se servit une bonne rasade d'alcool. La jeune vampire en profita pour boire encore un peu.

-Sapphiros... nous n'avons jamais eu le type de relation que tu as avec Nathaniel. Elle était parfaite, mais elle n'était pas du tout intéressée par moi. En dépit de tout l'amour que je lui portais.

Préférant ne pas s'appesantir sur sa première phrase, Élisa se demanda ce que sa mère avait bien pu faire pour être autant aimer. Mais en vérité, y avait-il réellement quelque chose à faire ? Parfois, il suffisait d'être soi...

-Ta mère... Ta mère voulait absolument trouver ton père. Mais quand je l'ai connue, il n'était pas encore né. C'est un simple humain.

-Que faisait-elle, à l'époque ?

Jamie avala une bonne rasade d'alcool. À l'odeur, elle avait bien l'impression que c'était de la vodka. Il semblait en avoir besoin...

-Elle me cherchait.

-Vraiment ? s'étonna-t-elle.

-Oui. Elle m'a clairement dit que je devais te protéger, dans le futur, et que je devais suivre ses instructions à la lettre. Et si elle cherchait ton père... Ce n'était pas par amour, Élisa. Elle savait que lui et lui seul serait ton géniteur.

Le vampire posa un peu brutalement son verre sur la table.

-Elle avait besoin de lui pour te mettre au monde.

Incrédule, elle considéra ce vampire, qui était en train de lui révéler le secret de ses origines. Comment ça, elle avait cherché exprès son père !? Alors qu'elle avait vu ce qui se passait, en lui arrachant ses souvenirs, il y avait quelque temps de cela pour elle !? Elle était allée volontairement à l'abattoir !?

-Elle savait qu'elle mourrait, ajouta-t-il sans plus la regarder. Je le savais aussi. Mais elle m'a interdit de m'interposer. Ton père... Ce porc... Je... Je voulais intervenir, mais Sapphiros...

Sa voix se brisa. Son visage n'était plus qu'un masque de chagrin.

-Elle m'a fait promettre de ne pas intervenir. Car quoi que je fasse, elle mourait dans tous les cas. Si j'intervenais, selon elle, je n'aurais jamais pu respecter ma promesse. Ton père m'aurait reconnu. Je n'aurais jamais pu intégrer les Gardiens de la Pureté, devenir le nouveau preneur de son, prendre mes quartiers chez Puresang et te sauver la vie dans cette putain de forêt !

Élisa le considéra, bouchée bée. Des larmes roulaient sur les joues du vampire. Exprimait-il tout cela pour la première fois ? Cette souffrance... C'était un être écorché, à vif qu'elle avait devant elle. Elle ne parvenait même pas à lui en vouloir d'avoir laissé sa mère mourir.

-Si je l'ai laissé, ce jour-là, c'était à sa demande. Je l'aimais trop pour ne pas respecter ses dernières volontés, Élisa. Et... Si tu souhaites me tuer avant un mois pour ne pas rester une vampire, sache... Que de ce que je sais, pour le moment, il ne vaut mieux pas.

Son cœur se serra.

-Comment ça, il ne vaut mieux pas ?

Jamie secoua la tête.

-Je l'ignore. Ta mère ne m'en a pas dit plus. Tout ce que je sais, c'est que jusqu'à ce que tu me tues, je suis tenu de te protéger.

Là, pour le coup, elle n'avait plus du tout envie de lui trancher la gorge.

-Mais tu es quoi, toi !? s'exclama-telle. Un agneau sacrificiel !?

-Non. Un con amoureux.

C'était bien résumé.

Estomaquée, Élisa but une gorgée d'eau, ne sachant pas quoi dire.

-Donc, je suis censée te tuer à un moment donné ?

-Oui. Pour ne pas rester une vampire.

Elle but encore un peu.

-Tu sais quoi ? Rien que pour te casser les pieds, je ne te tuerais pas. Tu vas être obligée d'errer encore longtemps parmi nous, Jamie.

-Quoi ? Mais... Je n'ai aucun désir de vivre, Élisa, je...

Cette fois-ci, elle planta un regard implacable dans le sien.

-Quelles que soient tes raisons, tu as tout de même laissé ma mère mourir. Alors, crois-moi connard, tu vas vivre.

Sur quoi elle partit, sa bouteille d'eau pleine sous le bras. Mais quel bordel...

-Élisa ! appela Jamie une dernière fois.

-Quoi !?

-Tu as regardé tes messages ?

Bon sang, elle avait encore perdu son portable. Daphnée allait la tuer !

*

Penché sur l'artefact pris chez monsieur de Puresang, Nathaniel essayait de comprendre l'écriture affreuse. C'était à s'arracher les cheveux ! Il avait l'impression d'être une infirmière face à une ordonnance de médecin.

Quelle plaie !

En plus, à son réveil, Élisa avait disparu. Il ne lui avait pas fallu longtemps pour la découvrir dans la cuisine, en pleine discussion avec Jamie. Ne souhaitant pas les déranger, il avait préféré rejoindre l'un des bureaux de la maison, pour se remettre au travail. Déjà qu'il avait passé une bonne partie de la nuit là-dessus...

On toqua doucement à sa porte. Rodolphe apparut, avec son doux regard. Son grand-père avait toujours forcé l'admiration. Grand, fort, il avait toujours été l'un de ses idéaux masculins, comme son père. Même s'il avait plus hérité du côté obsédé de son paternel. Mais ça, c'était une autre histoire.

-Tout va bien, mon grand ?

Il hocha la tête.

-Ça va. Mais c'est compliqué de tout remettre dans l'ordre.

Le loup-garou acquiesça, tout en prenant place à ses côtés. Rodolphe de Millicent était la classe et la bienséance incarnée. Toujours poli et courtois, à l'inverse de sa femme.

-Dis-moi, tu manques à ta mère. Cela fait combien de temps que tu n'es pas allé la voir ?

Un peu coupable, Nathaniel se passa une main dans les cheveux.

-Depuis que j'ai retrouvé Élisa, je crois. C'est un aimant à emmerdes, je ne peux pas la lâcher d'une semelle.

-Ah, je connais ça, rit son grand-père en lui ébouriffant sa tignasse. Pour ma part, j'ai l'impression que l'intégralité de ma famille attire les soucis.

-Ce n'est pas tout à fait faux, gloussa Nath.

Il y eut un long moment, durant lequel ils travaillèrent sur l'artefact. Pourtant, au bout d'un moment, l'homme qu'il respectait tant dévia sur un autre sujet.

-Je ne suis pas de ce siècle, mon grand. Je n'ai pas non plus évolué dans les mœurs de cette époque.

Aïe. Il le sentait mal, là. Soudain, il avait de nouveau l'impression d'être un adolescent, plusieurs siècles de cela, juste après sa première amourette. Il s'était fait passer un sacré savon, alors, par son grand-père. À la manière de Rodolphe, bien entendu.

Le visage soucieux, le loup-garou lui passa une main apaisante sur les cheveux. Pour lui, peu importait ce qu'il était, peu importait qu'ils soient de la même taille. Qu'il soit adulte. Tout comme pour ses parents, il restait le « petit ».

-Pourtant, continua-t-il, je pense pouvoir te dire que tout régler par le sexe n'est pas une solution. Tu dois discuter avec Élisa. Tu dois tout lui dire, sinon tu risques de la perdre.

-Ce n'est pas... Je ne peux pas...

-Nathaniel... Mon grand... C'est normal d'avoir peur. Tu as beau être l'individu le plus puissant de notre monde, tu n'en restes pas moins un simple homme face à l'être aimé.

La sagesse de son grand-père...

Et le dynamisme de sa grand-mère.

-Nathaniel ! beugla-t-elle en en ouvrant la porte à la volée. Élisa a pris la poudre d'escampette !

Incrédule, il considéra la duchesse, derrière laquelle Jamie souriait d'un air mauvais. Qu'avait donc fait ce fils de pute !?

-Elle a lu quelque chose sur son téléphone et est partie tel un zombie dans les rues de Paris, continua sa grand-mère. Alors, bouge ton cul et va la récupérer, Nathaniel ! Fais ce que tu veux, embrasse-la, saute-la, mais ramène-la ! On n'a pas le temps pour ces conneries !

C'était bien ce qu'il disait : le dynamisme de sa grand-mère.

-Vous avez une idée de ce qu'il y avait dans son téléphone ? demanda-t-il se relevant déjà, les yeux rivés à ceux de Jamie.

Le vampire lui fit son plus beau sourire.

-À la demande de monsieur de Puresang, je lui avais envoyé les résultats de ses examens sanguins. Elle vient à peine de les voir, je crois.

Le sang de Nathaniel se figea dans ses veines. Non...

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