Chapitre 15 : Problème de Jus d'Orange
Le lendemain matin, Élisa finit par se rendre compte qu'elle ne savait pas du tout où se trouvait son téléphone. À moitié réveillée, elle se fit la réflexion que Daphnée allait encore râler comme un putois si elle n'avait pas de nouvelles.
À sa grande surprise, la duchesse de Millicent ne se trouvait plus ici. Comme un Nathaniel matinal le lui apprit, elle était retournée aux côtés de son époux. On ne pouvait jamais trop les séparer, tous les deux.
-Tu aurais vu mon téléphone ? demanda-t-elle pour détourner sa propre attention.
Car le patron des entreprises d'Isria ne faisait vraiment pas d'effort pour apaiser ses nerfs. Les cheveux blonds en bataille, le regard acéré posé sur elle, il se trouvait en simple pantalon de pyjama, pieds nus. En toute honnêteté, s'il n'y avait pas eu un vampire attaché dans une chambre, elle aurait probablement poussé son petit déjeuner pour lui sauter dessus.
Néanmoins, elle avait aussi réellement besoin de son portable, si elle voulait survivre à Daphnée.
-Non. Quand est-ce que tu l'as vu pour la dernière fois ?
Elle réfléchit rapidement. Avec tout ce qui s'était passé, elle avait du mal à savoir. Et pourtant...
-Dans ta cuisine, je crois. Avant qu'elle n'explose.
-Mmh.
Il disparut. Interdite, elle considéra l'espace vide qu'il occupait tantôt. Elle ne s'y ferait jamais. S'il cherchait bien son téléphone, il devait avoir du mal à le trouver, car elle se retrouva seule un certain temps.
Songeuse, elle se demanda un instant quelle espèce du monde surnaturel permettait de disparaitre de cette façon. Puis soudain, elle réalisa qu'elle ne savait pas grand-chose de Nathaniel. Angèle était sa grand-mère, mais qui étaient ses parents ? Pas Florentin, vu qu'il l'appelait tonton. Restaient leurs deux filles. Mais les connaissances d'Élisa sur le sujet s'arrêtaient là.
Elle ne s'y connaissait pas très bien en Millicent, étant donné qu'elle n'avait jamais imaginé se retrouver autant impliquée dans leur histoire.
Et puis... Elle ne savait toujours pas pourquoi, à un moment du passé, Nathaniel voulait la tuer. Et pourquoi il lui avait déclaré son amour, dans cette même maison, des années en arrière... mais la veille pour elle.
Troublée, elle s'empara d'une bouteille de jus d'orange. La vidant d'une traite, elle pesta intérieurement contre cette soif qui menaçait de lui bruler la gorge. Ça commençait à être désagréable.
Le bruit d'un objet jeté sur la table de la cuisine la fit brusquement sursauter.
-Tiens, ton portable fit Nathaniel, tandis qu'elle émettait une bordée de jurons disgracieux.
Bon sang, elle venait de tremper son débardeur de jus d'orange !
-C'est une proposition indécente ? murmura-t-il à son oreille.
Le temps qu'elle rougisse jusqu'à la racine des cheveux, il l'avait fait pivoter vers lui pour la plaquer contre la porte du frigo. Son aspect du saut-de-lit lui donnait un air terriblement sexy. Et son sourire canaille...
-Heu... Je...
Au plus ça allait, au moins elle parvenait à réfléchir à ses côtés. Là, elle le revoyait plein d'une ferveur sexuelle, son regard plongé dans le sien, tandis qu'il la saisissait par les hanches et...
-Élisa...
Elle avait terriblement envie qu'il l'embrasse, là tout de suite, contre le frigo.
-Ton grand-père te saurait gré de garder ton pantalon, Nathaniel.
Ils sursautèrent comme deux adolescents pris sur le fait. Ce qui était presque le cas, d'où cette horrible frustration. Ils se séparèrent avec un gémissement agacé, mais un regard plein de promesse de la part de Nath.
-Papi, tu as une ouïe de loup-garou, tu ne pouvais pas attendre ? grommela-t-il en se tournant vers Rodolphe de Millicent.
-Mon ouïe m'aurait justement fait entendre trop de choses. Morbleu, je n'ai pas envie de tout percevoir de votre coït !
-Mis à part les considérations sexuelles, intervint Angèle en contournant son époux, nous avons surtout un vampire à aller voir. J'ai pris des poches de sang frais pour qu'il évite de nous sauter à la gorge.
Effectivement, la torture avait tendance à aiguiser les sens des suceurs de sang. D'ailleurs, les deux femmes furent interdites d'entrer, étant donné ce qui coulait de féérique dans leurs veines. Et ce, même si Élisa avait déjà eu la preuve que les vampires n'étaient plus intéressés par elle. Mais Nathaniel n'avait rien voulu entendre.
De fait, elle se trouvait dans le salon de feu Isabelle d'Isria, avec le fantôme de cette dernière d'un côté, et Angèle de Millicent de l'autre, pour un chocolat chaud matinale. À préciser qu'elle sentait le jus d'orange, entre une Marquise fantôme et une duchesse impeccable.
-Heureusement que nous ne sommes plus à l'époque du mariage forcé pour tout honneur bafoué, remarqua la grand-mère de Nath.
-Heu... Oui...
-Vous me direz, ça a plutôt bien réussis à la famille non ? remarqua le fantôme.
-Si j'avais pu épouser Rodolphe en d'autres circonstances, je l'aurais fait. Quoique, vu mon caractère de l'époque, je l'aurai probablement tué avant.
-Ma Duchesse, je crois que tu as oublié quelque chose, fit Rodolphe en prenant appui sur le siège de sa femme.
Levant la tête vers son mari, Angèle fit mine de prendre un air offusqué.
-Vraiment ?
-Oui. Tu étais amoureuse de moi bien avant notre mariage.
-Oh !
S'en suivit une chamaillerie digne d'un vieux couple, ce qu'ils étaient, durant laquelle Nathaniel leva les yeux au ciel. Derrière lui, un Jamie repus mais fatigué claudiquait légèrement. Il s'écroula sur la chaise de la Marquise, qui disparut avec un cri de rage. Toujours caractérielle, l'Isabelle.
Réapparaissant dans un autre siège, elle foudroya le vampire du regard. Ce dernier grimaça une excuse, avant de s'affaisser, exténué.
-Monsieur de Puresang s'est bien amusé avec toi, dirait-on, remarqua Nathaniel.
Aussitôt, la culpabilité monta d'un cran en Élisa. C'était de sa faute.
-Ce n'es pas mon premier jeu de torture, Nath, tu le sais très bien.
Elle fronça les sourcils. Il semblait bien connaitre le Millicent. Mais en quoi cela devrait-il réellement la surprendre ? Ce boulet connaissait toutes les personnes impliquées dans son histoire, dirait-on.
-Mais bon, si Élisa avait pu éviter de plomber ma couverture, ça m'aurait arrangé.
Aussitôt, tous les yeux se tournèrent vers elle. Ok. Carrant les épaules, elle lança, agressive :
-Si l'un d'entre vous avait daigné me dire la vérité, à savoir que tu es un allié de ma mère, je ne t'aurais pas jeté en pâture à l'autre psychopathe.
-Je t'ai sauvé la vie dans la forêt ! Tu serais morte sans moi !
-Tu ne t'ai jamais dit que je préférais être morte plutôt que de devenir un hybride mi fée mi vampire !?
-Tu n'as pourtant pas l'air de t'en plaindre ! rétorqua Jamie, mordant.
-Tu m'as droguée et vendue à Puresang !
-Je n'ai pas eu le choix ! Il est mon créateur !
-Et tu n'avais pas le choix d'être le bourreau en chef chez les Gardiens de la Pureté, non plus !? Comment peux-tu être l'allié de ma mère alors que tu bosses pour mon père !? Il est son assassin, je te signale !
Cette dernière pique fit virer les yeux du vampire au rouge. Il se serait probablement jeté sur elle si une main ferme ne s'était pas posée sur son épaule. Ou plutôt, si on n'avait pas saisi son épaule pour le retenir de force sur son siège. Le tout avec le sourire canaille de Nathaniel.
-On se calme. Élisa, je ne cautionne pas ta transformation en vampire, mais force est de constater que sans cela, tu serais morte. Donc à défaut de le remercier, ne le tue.
Les deux suceurs de sang se fusillèrent du regard.
-Tu ne ressembles vraiment pas à ta mère. Elle, elle était douce et gentille.
Élisa plissa les paupières.
-Si tu me dis que je tire de mon père, je t'égorge.
-Non, intervint Rodolphe. Tu ne tires pas de ton père, Élisa. Je suis désolé de te dire ça, Jamie, mais Sapphiros n'était pas l'agnèle que tu voyais. L'amour que tu lui portes toujours continue à t'aveugler sur son caractère... Tranchant.
Là, pour le coup, Élisa était plutôt d'accord. Et pourtant, elle aimait sa mère de tout son cœur ! Attendez... Aimer ?
-Tu es amoureux de ma mère !?
Cette fois-ci gêné, Jamie détourna enfin le regard. Nathaniel le relâcha, tout en expliquant :
-Jamie est fou amoureux de Sapphiros. C'est la raison pour laquelle il a accepté de suivre ses instructions, au-delà de la mort.
-Tu étais au courant !?
Outrée, Élisa considéra le Millicent si sexy, qui haussa un sourcil à son intention.
-Oui.
-Mais tu me caches encore combien de choses, exactement, hein !?
Silence de plomb. Plus aucun Millicent, plus aucun vampire ne parlait. Elle vit rouge. En fait, ses yeux durent réellement virer à cette couleur, car elle sentit des canines piquer sa lèvre inférieure.
-Je commence à en avoir assez ! Je suis la seule dans cette pièce à ne pas savoir pourquoi vous me collez aux basques depuis le début ! Oui vous m'avez tous sauvé la vie au moins une fois dans cette pièce ! Mais pourquoi, hein !? Qu'est-ce qui vous motive, en fait !? Et vous n'allez pas me faire croire que c'est pour l'amour de ma personne, car c'est strictement faux !
Personne ne lui répondit. Furieuse, elle tourna les talons. Elle avait conscience de ressembler à une enfant capricieuse. Mais bordel, elle estimait ses revendications tout à fait légitimes !
Grimpant les marches quatre à quatre, elle se dit qu'elle devrait faire un crochet par la cuisine pour prendre de l'eau. Elle avait soif. Mais hors de question de repassait au milieu de tout le monde ! Elle préférait crevée desséchée !
-Élisa !
Pas besoin de tourner la tête pour voir qui l'appelait du bas des escaliers. Il pouvait aller se faire cuire un œuf ! L'ignorant ostensiblement, elle tourna pour attaquer les marches menant au deuxième étage. Un juron puis un bruit de course lui indiqua qu'il la prenait en chasse. Au moins il ne se transférait pas juste devant elle, le cuistre !
Elle lui aurait volontiers claqué la porte au nez, mais il se trouvait déjà dans l'embrasure, ses yeux violets se plantant dans les siens.
-Quoi !? Tu veux encore me débiter un mensonge !?
-Non, je...
-Parce qu'il me semble que je n'ai toujours pas eu la moindre explication de ta part ! Pourquoi tu voulais me tuer dans le passé !? Qu'est-ce que j'ai fait !? Pourquoi je croise la route de ta famille en permanence !? Qu'avons-nous partagé ensemble !? QUI JE SUIS POUR TOI !?
Reprenant brièvement son souffle, elle n'aperçut pas la légère panique, purement masculine dans ce genre de situation, dans le regard du colosse.
-Parce que certes on couche ensemble, et je ne sais même pas comment on en est arrivés là, mais à part ça, je n'ai pas de réponses ! Tu commences à me pomper l'air, toi et tes manigances de sale petit...
Nathaniel usa de la seule technique qu'il connaissait pour la faire taire sans lui faire mal. Sa main saisissant sa nuque, l'autre son menton, il l'embrassa en cours d'invective. Cela parut avoir l'effet escompté, mais l'un comme l'autre perdit un instant le court de la dispute.
Dieux, que cette femme le rendait fou.
Quand leurs lèvres se séparèrent, ils se contemplèrent, le souffle court.
-Tu... Tu essaies de me faire oublier la raison de...
Il l'embrassa de nouveau.
-Parfaitement, haleta-t-il contre sa bouche.
Son débardeur plein de jus d'orange, il avait envie de le lui enlever depuis son entrée dans la cuisine. Lui qui s'était retenu si longtemps, lui qui avait lutté contre son envie de l'enlacer depuis leur première rencontre pour elle, dans la ruelle, il ne parvenait plus à se refreiner.
Comme si toutes ces dizaines d'années loin d'elle, toutes ces nuits à combler le vide avec d'autres, les poussait toujours plus vers elle. Et pourtant, malgré tout cela, il se refreinait encore, dans l'incertitude.
-Nathaniel...
L'empoignant par les fesses, il la souleva du sol, afin de l'emmener au lit, sans quitter ses lèvres. Comprenait-elle ? Comprenait-elle que ce besoin d'elle, c'était une façon de lui dire tout ce qu'il taisait ?
Mais elle, le voulait-elle ?
A ses cuisses serrées autour de sa taille, à la sensation de son petit corps cambré contre lui, il pouvait dire que oui. Elle le désirait autant qu'il la désirait. Autant qu'il la voulait.
Basculant sur le matelas, il pressa son bassin contre le sien, tout en évitant de peser sur elle.
-Nathaniel... Je... Tu... Tu es amoureux de moi, n'est-ce pas ?
Le nez dans son cou, une main sous son débardeur humide de jus d'orange, il se figea. Son cœur parut sur le point d'exploser dans sa poitrine. Se mettant sur ses bras tendus, il planta son regard dans celui de la vampire.
-Tu as ta réponse non ?
Se penchant vers elle, il murmura à son oreille :
-Madame la marquise cochonne.
À présent, elle avait au moins une certitude.
Mais une autre question naissait de celle-ci.
Qu'avait-elle donc fait pour mériter l'amour d'un homme tel que Nathaniel de Millicent ?
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top