Chapitre 12 : Un pouet pouet féérique


Franchement, elle n'était pas certaine du bienfondé de cette tactique.

Postée devant le manoir principal de monsieur de Puresang, Élisa considérait la grande façade avec une fatigue anticipée. En fait, elle n'avait pas passé le portail en acier toute seule. Nathaniel l'avait plus ou moins larguée dans les jardins, avec pour mot d'ordre : « survie ».

Ce qu'il allait faire pendant qu'elle allait se retrouver face à une horde de cinglés ? Elle n'en avait aucune idée, bordel ! Tout ce qu'elle savait, c'était qu'elle devait rameuter le plus de monde possible ! Or, pour ça, elle avait eu une idée qu'elle était bonne.

Tirant le flacon de sa poche, elle le déboucha, avant de se demander quoi en faire. Avisant la fontaine énorme qui trônait dans le jardin, elle vida le liquide rouge rubis dans l'eau pure. La couleur criarde eut à peine le temps de se diluer que toutes les fenêtres s'ouvrirent à la volée. Deux secondes plus tard, une nuée de vampires enragés cernaient la fontaine.

-Salut les gars, ronronna Élisa en faisant tourner sa batte de baseball dans sa main.

Des sifflements affamés lui répondirent, tandis qu'ils cherchaient la source de l'odeur.

-Où est la fée !?

-La fée, c'est moi, répondit-elle avec un grand sourire. Oh, les gars, vous n'êtes pas contents ? Je suis trop... Vampire pour vous ?

Des dizaines de regards haineux la contemplèrent. Oups.

-Où est la fée !? rugit l'un d'eux.

Comme des drogués, ils se tournèrent vers elle en dévoilant leurs crocs acérés. Les yeux rouges, ils semblaient fous. Soudain, elle se souvint des vieilles descriptions des vampires faites par son père. C'était exactement ça.

Mais alors, pourquoi elle, elle n'était pas comme ça ?

Ce n'était pas le moment de la crise existentielle !

-Elle est là-bas ! cria-t-elle en pointant l'autre bout du jardin du doigt.

Et cette bande de crétins parti en courant comme des chiens après une balle qui fait pouet. Malheureusement pour elle, tous ne partirent pas. Les vampires les plus anciens, qui donc avaient un contrôle plus important sur eux même, la considèrent avec des yeux rougeoyants.

-Tu es la nouvelle.

-Monsieur de Puresang !

Le rugissement n'était pas nécessaire. Cet exécrable individu aux petites lunettes rondes était déjà là, les mains dans le dos, accompagné de Jamie le traitre.

Bien. Le plan fonctionnait à merveille.

Mais elle était dans la merde.

*

Mais qu'est-ce qu'elle foutait ?

Les yeux rivés au jardin par-delà la fenêtre, Nathaniel venait de voir un troupeau de vampires courir comme des lionnes après une gazelle.

-Arrête de regarder Élisa et aide-nous !

Il se tourna vers sa grand-mère, en train de vider le contenu d'un tiroir sur le bureau chic. Rodolphe était en train de renifler un peu de partout, à la recherche d'une odeur bien spécifique.

-Tu es certain que le bidule d'Armand est au point ? s'enquit Angèle en retournant tout.

Nathaniel tira l'espèce de boussole de sa poche. L'aiguille tournait à toute vitesse sur elle-même.

-Oui. Ce que l'on cherche est bien ici.

-Nous devons nous dépêcher, rappela Rodolphe. Tu dois...

-Je sais, je sais, marmonna Nathaniel.

Ils retournèrent tout, avec une telle dextérité que bientôt, plus un seul recoin du bureau de monsieur de Puresang ne leur était inconnu. Mais lui ne parvenait pas à se concentrer. Son regard retournait invariablement à cette fenêtre, où Élisa se confrontait à ce fils de pute de Jamie.

*

-Mademoiselle Klervi. Etes vous inconsciente, pour oser venir ici après l'affront que vous nous avez fait ? tonna monsieur de Puresang.

Les mains dans dos, qu'il avait terriblement droit, il respirait une colère très, très bien contenue. Et une soif encore mieux maitrisée, étant donné qu'il ne lorgnait même pas en direction de la fontaine assaisonnée au sang de fée.

-Il parait que l'intelligence n'est pas mon fort, déclara-t-elle en se demandant comment faire pour gagner du temps. Vous avez vu les infos ?

Il fronça les sourcils, tandis que derrière son patron, Jamie lui faisait signe de se la fermer. Les quatre autres vampires restant, qui avaient résisté à la métaphorique balle pouet pouet, la regardaient avec un air hargneux.

-Il parait qu'Angèle et Rodolphe de Millicent sont toujours vivants, fit-elle avec un petit sourire mauvais pour celui qui l'avait transformée. Ah mais, je suis bête... ça ne doit pas être une surprise pour vous.

-Comment ça ? siffla monsieur de Puresang, ses yeux rouges lançant des éclairs.

Élisa eut l'air surprise.

-Ah mais... Jamie, tu ne leur as pas dit que tu les avais rencontrés ?

La peau de ce dernier, déjà bien pâle, perdit trois teintes lorsque son patron pivota vers lui, le regard inquisiteur.

-Mais si... Tu sais, à côté des Gardiens de la Pureté ! Quand tu devais me torturer chez eux, et qu'on a fui, et que tu m'as transformé pour me sauver la vie... Je te remercie d'ailleurs... Mais tu t'y es pris comme un âne. Sans le duc et la duchesse de Millicent, je serais morte exsangue. Quoi, pourquoi tu fais cette tête ? Ah... Non... Monsieur de Puresang, ne me dites pas que vous n'étiez pas au courant ?

Le vampire pluricentenaire darda sur elle un regard inquisiteur. Il était fou de rage. Elle ne se départit pas de son air innocent de fouteuse de merde.

-Vous cherchez à semer la zizanie entre nous, mademoiselle Klervi ?

-Moi ? Mais pas du tout... Je pensais que vous le saviez... Je veux dire... Au moins pour le job de bourreau de Jamie chez les Gardiens de la Pureté.

Prends-toi ça dans les dents, tête de gland !

Son créateur était très clairement en train de chercher une échappatoire. Car, comme son inspiration le lui avait soufflé à l'oreille, son patron n'était pas du tout au courant de ses activités extravampiriques.

-C'est toi, le bourreau des Gardiens !? rugit monsieur de Puresang.

-Pas du tout, répondit Jamie avec aplomb. Je suis seulement...

-On s'en occupera plus tard ! Vous ! Attrapez-moi ce problème sur pattes !

Ça, c'était pour elle. Une nouvelle décharge d'adrénaline inonda ses veines, tandis qu'elle faisait tournoyer sa batte de baseball dans sa main. Elle était censée être encore plus balèze qu'avant, non ? Hé bien, c'était le moment de faire un test !

Le premier se prit un coup magistral dans la mâchoire, lui faisant sauter plusieurs dents. Un autre chercha à la prendre à revers, mais elle se baissa, tout en frappant droit devant elle. Gagné. Les vampires n'avaient pas des bijoux de famille en acier trempé.

Bien ! Plus que deux ! En voyant les deux autres déjà sur elle, elle se rejeta en arrière... et la vision d'ensemble la fit légèrement blêmir. Tous les autres abrutis partis après une hypothétique fée étaient déjà de retour. Et ils n'étaient pas contents de ne pas avoir trouvé leur drogue personnelle.

Elle était dans la merde !

En fait... Elle décida de prendre ses jambes à son cou.

Détalant tel un lapin de garenne, elle se dit qu'il aurait fallu être complètement timbrée pour rester affronter une telle horde en colère ! Sauf que... Sauf que ce jardin était gigantesque ! Courant avec l'énergie du désespoir, Élisa fit deux fois le tour du manoir avec les abrutis à ses trousses, avant qu'elle ne percute un torse à pleine vitesse.

Rebondissant dessus, elle tomba en arrière avec un juron bien senti. Ce torse ne se trouvait pas là la seconde d'avant, elle l'aurait juré !

Les vampires à ses trousses freinèrent d'un seul coup, signe que cette personne était, indubitablement, Nathaniel.

Ce fils de pute osait venir en grand sauveur, après l'avoir largué comme appât !

Une main dans une poche, un sourire insolent aux lèvres, il considéra ses poursuivants.

-Bonjour, monsieur de Puresang. Je vois que vos vampires sont toujours aussi mal dressés.

-Je vois que vos sarcasmes sont toujours présents, en revanche. Alors, vous nous déclarez la guerre, monsieur Nathaniel de Millicent ?

-Oui, mais aujourd'hui j'ai la flemme, répondit-il en haussant les épaules. Allez, tchao.

Sur quoi il disparut... Laissant Élisa en place. Déjà, tous les regards rouges se tournèrent vers elle. Le fils de p...

-Je rigole, susurra-t-on à son oreille, juste avant de l'embarquer dans les bureaux des Entreprises d'Isria.

Putain de chaise sur laquelle elle se retrouva de nouveau bloquée, ce misérable cuistre à deux centimètres d'elle !

-Tu t'es bien débrouillé !

À son grand désarroi, sa déclaration s'accompagna d'une distance de sécurité entre eux. Ah. Il y avait le reste de clique.

-Bien, maintenant que nous avons ce maudit artefact, emmenons-le à Armand, déclara Angèle.

Elle partit aussitôt à grandes enjambées, les talons de ses bottines rétro claquant sèchement sur le sol. Rodolphe lui emboita aussitôt le pas, probablement pour surveiller sa fée de femme. Tiens, d'ailleurs, où se trouvait leur fils, Florentin ?

-C'est quoi cet artefact, au fait ?

Angèle était partie si vite qu'elle n'avait pas eu le temps de voir ce qu'elle tenait.

-Rien qui te concerne. Bon, Élisa.

Il plaqua ses deux mains sur le bureau. Il se trouvait de l'autre côté, de telle façon qu'il planta son regard d'améthyste dans le sien. Oh oh...

-Il y a deux possibilités : soit tu retournes travailler, soit je te prends ici et maintenant.

Le feu envahit ses joues, des papillons envahirent son bas-ventre. Et pourtant, elle se carra dans sa chaise, tout en haussant un sourcil d'un air narquois.

-Ah oui ? Qu'est-ce qui te dit que j'en ai envie ?

Un sourcil insolent creusant une fossette sur sa joue, il descendit son regard de braise, légèrement moqueur, sur sa bouche.

-Le fait que tu arrêtes de respirer à chaque fois que tu es sur le point de me sauter dessus ?

Le « à chaque fois » aurait dû l'interpeller. Mais dans l'immédiat, la dernière chose dont elle se souvint clairement fut d'avoir empoigné sa cravate pour l'attirer à elle. Pour ce qui est de la suite... elle le chevaucha sur son propre bureau, dans une fièvre sexuelle des plus... Torride !

Le fait qu'elle retombe sur le lit de Nathaniel une fois l'orgasme atteint, c'était de son fait à lui.

Épuisée, essoufflée au possible, elle dut s'endormir sur lui. Elle se réveilla en train de baver sur son bras, une jambe sur les siennes et les cheveux en bataille. Hum. S'essuyant discrètement la joue, elle se dit qu'il y avait plus sexy comme image post coïtale. Fort heureusement, lui aussi dormait.

Son propre comportement la surprenait. Comment, du jour au lendemain, s'était-elle trouvée dans son lit ? Et pourquoi trouvait-elle cela si... naturel ? Se connaissant, elle savait qu'elle aurait dû avoir une énorme remise en question après la première fois. Mais tout ce à quoi elle avait pensé, c'était le plaisir, et le fait qu'elle mourait d'envie de remettre ça.

Songeuse, elle considéra le profil de Nathaniel. Détendu dans son sommeil, il avait l'air plus jeune. Avec un petit sourire, elle s'installa de nouveau contre lui. Bah. La vie lui avait appris à profiter des petites choses de ce style. Autant le savourer avant que tout ne s'efface.

*

Nathaniel découvrit dans son salon, toujours orné d'un trou béant et agrémenté d'une forte odeur de brulé, ses grands-parents et son oncle. Et accessoirement, Armand, dont les traits tirés signifiaient bien qu'il devait reprendre une dose de son produit miracle.

Bref, il était déjà bien content d'avoir enfilé un pantalon avant de sortir de la chambre.

-Vous avez pu tirer quelque chose de l'artefact ? s'enquit-il.

-C'est très intéressant, fit Rodolphe en quittant la contemplation du trou dans le mur. Mais compliqué. Il va nous falloir du temps, avec Armand, pour l'étudier pleinement.

Le scientifique hocha la tête, le regard flou. Il semblait réfléchir à cet artefact, l'esprit en ébullition. Du Armand tout craché. Le frère de la Marquise Sanglante avait toujours été un esprit brillant.

-J'aurais besoin de pouvoir discuter avec ma sœur, déclara-t-il. C'est elle qui faisait des sauts dans le temps, pas moi. Rodolphe, m'accompagnerez-vous ?

-Oui, pas de soucis. Les fantômes, ça me connait.

Cela arracha un sourire à son épouse, qui lui adressa un clin d'œil. Les ectoplasmes familiaux, c'était quelque chose, chez les Millicent ! Dire que son arrière-grand-père avait continué à aider la famille jusqu'au décès de son épouse... Marie de l'Esprit Saint était un sacré phénomène, mais elle avait fini par prendre sa retraite dans la mort, embarquant Célestin avec elle. Depuis le temps qu'il l'attendait...

-Bon parfait. Mamie ? Tu comptes faire quoi pendant ce temps ?

Angèle adressa un sourire à son petit-fils. Dire qu'ils faisaient le même âge !

-Ce que nous allons faire, tu veux dire ?

Il fronça les sourcils. Houla...

-Nous avons une mission de sauvetage à mener à bien, Nathaniel.

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