Chapitre 10 : Mensonges et Mystères
Vautrée dans le canapé en cuir, Élisa tentait de rassembler ses esprits. Être restée bloquée dans le passé pour ensuite être renvoyée d'un seul coup dans son présent avait quelque chose de particulièrement agaçant. Mais en plus tout ça, pour voir Nathaniel se foutre de sa gueule !? Merci bien !
-Dis-moi, ça correspond à quel moment ? s'enquit-il en lui tendant une tasse de chocolat chaud.
-Celui où tu m'as roulé une pelle pour la première fois de ta putain de vie.
Il sourit de toutes ses dents, nullement gêné par cet épisode.
-Dans le couloir devant la salle de bain ? Je m'en souviens très bien. Ma petite vampirette.
La façon affectueuse dont il prononça ce dernier mot lui fit hausser un sourcil. Soudain, elle comprit une chose. Elle ne connaissait qu'une partie de leur histoire commune. Elle ne savait pas de quoi il en retournait réellement entre eux. Certes dans une partie de leur passé, elle savait qu'il voulait sa mort. Mais cela n'avait pas toujours été le cas. Qu'avaient-ils donc vécu qu'elle ignorait ? Qui le poussait à la retrouver dans leur présent pour l'aider ? Ou était-ce une coïncidence ?
Non, elle n'y croyait pas.
Elle le connaissait assez, à présent, pour savoir que les coïncidences n'existaient pas avec Nathaniel de Millicent.
-Pourquoi me regardes-tu ainsi ? fit-il en fronçant les sourcils.
-Rien. Je pense juste que tu es le roi des connards.
-Bah merci.
-Tu me mens depuis le début !
Il haussa un sourcil.
-Franchement, si j'étais arrivé la bouche en cœur dans cette ruelle, en te disant : je te connais depuis plusieurs siècles et tu es le pire boulet de ma vie, tu m'aurais cru ?
-Non.
-Alors tu sais pourquoi je te mens.
-Si tu emploies le présent, c'est que tu continues à me mentir.
-Ouais.
Rien de plus. Pas une excuse, rien. Seulement ce regard moqueur de celui qui en savait bien plus qu'il ne le disait. Dans son costume parfaitement coupé, avec ses cheveux parfaitement coiffés, il respirait une maitrise de soi qu'il possédait déjà jadis. Il était Nathaniel. Mais quoi d'autre ?
Elle refusait de l'avouer, mais cette incartade avec son lui du passé, avec leur première rencontre, l'avait plus chamboulée que prévu.
Pourquoi ?
Peut-être parce qu'à ce moment-là, il n'y avait pas de mensonge, pas de mystère sous-jacent. Juste lui, l'homme caractériel.
Troublée, elle entendit à peine sa question.
-Élisa ! Je t'emmène !?
-Dis-moi, pour toi, qu'elle était notre relation ?
-On a pas le temps pour ça, râla-t-il en lui prenant la tasse des mains.
-Je ne bougerais pas d'ici avant de savoir ! s'exclama-t-elle, furieuse. Est-ce qu'on a couché ensemble, Nathaniel !?
Il posa le récipient d'une main vive, avant de lui faire un regard par en dessous accompagné d'un sourire mutin.
-C'est ça que tu veux savoir, Élisa ?
Se retrouvant soudain tout contre elle, il lui murmura à l'oreille, d'une voix terriblement rauque :
-Je t'ai baisé si fort que tu as hurlé mon nom.
Choquée, elle écarquilla les yeux...
-QUOI !? beugla-t-elle. QUAND !?
Il lui fit un clin d'œil, avant de faire pivoter la chaise de bureau sur laquelle elle se trouvait. Quoi ? Non ! Attendez ! Elle n'était pas sur un canapé à la base ?
Stupéfaite, elle découvrit en tournant le duc et la duchesse de Millicent et Florentin. La bouche ouverte à s'en décrocher la mâchoire, elle ravala soudain toutes ses insultes liées au sexe. Connaissant Nathaniel, il avait dit ça juste avant de la transférer ici. Le fils de pute.
-Bonjour, mademoiselle Klervi, fit Angèle d'une voix calme. Vous avez bonne mine pour une fraiche vampire.
Vêtue d'un autre tailleur pantalon agrémenté d'un gilet, elle avait une classe certaine. Sans parler de son époux, qui portait un costume trois-pièces. Florentin, en revanche, arborait une chemise hawaïenne et des lunettes de soleil sur la tête.
-Heu... Merci ? Vous... Etes fraiche pour une dame aussi... Heu...
Elle éclata de rire, ce qui fit sourire son époux.
-Aussi vieille, vous voulez dire ? Je suis une fée, voyons. Mon mari un loup-garou et mon fils une fée. Évidemment que nous ne paraissons pas vieux.
-Oh... Heu... Oui. Hum... Merci ? Pour... Enfin ça me parait très loin à cause des sauts dans le temps, mais... merci de m'avoir sauvé des vampires et... des Gardiens de la Pureté.
-Mais de rien, mademoiselle, répondit Rodolphe. Maintenant, pouvons-nous commencer la discussion ? Nathaniel ? Pourquoi tu es parti d'un seul coup, tout à l'heure ?
-Monsieur de Puresang a attaqué mon domicile, fit-il en haussant les épaules. Rien de grave.
Florentin eut un claquement de langue irrité.
-Cette chienlit devrait mourir au plus tôt. Il commence à me fatiguer.
-On ne pourra pas le tuer. Pas temps que nous n'aurons pas mis la main sur cet artefact.
Perdue, Élisa regarda autour d'elle. Où étaient-ils ? Dans une grande salle de réunion avec une grande table en bois chic, des fauteuils en cuir, une vue imprenable par une baie vitrée sur la ville, mais cela ne lui disait pas... Ah. Si. Sur le mur derrière elle se trouvait le nom des Entreprises d'Isria en grosses lettres d'or. Ils se faisaient vraiment un pognon fou.
-Mademoiselle Klervi, vous nous écoutez ?
Elle revint sur la duchesse, dont le sourcil était haussé.
-Non, avoua-t-elle.
-Jarnicoton ! Mais qu'est-ce que vous avez, bon sang !? On parle d'une guerre entre les vampires et les Millicent que l'on tente d'arrêter !
-C'est-à-dire que je me suis fait attaquer dans l'appartement de Nath, je me suis retrouvée bloquée dans le passé par ma propre mère morte pour moi, elle a fouillé dans ma mémoire, ça fait super mal, et elle m'a renvoyé dans mon présent. Puis Nath m'a transporté ici. Donc je suis un peu fatiguée.
La duchesse haussa un sourcil.
-Effectivement, c'est une bonne raison, convint-elle. Mais puis-je tout de même avoir votre pleine attention, mademoiselle Klervi ? Car c'est relativement perturbant de devoir tout vous expliquer alors que c'est vous qui nous posez des énigmes depuis des années.
-Oh.
Elle se fit donc un devoir d'écouter. La guerre entre Millicent et vampires faisait rage depuis l'assassinat de la belle-mère de Rodolphe. Les choses s'étaient aggravées avec le temps, étant donné que du sang de fée coulait dans les veines de la descendance du duc et de la duchesse. Néanmoins, ils étaient parvenus à une sorte de cessé le feu, notamment du côté des d'Isria. Cette branche des Millicent, qui comportait quasiment uniquement du sang humain, avait accepté de prendre comme majordome un de leurs vampires, histoire de faire une garantie. Ce qui s'était soldé par de l'espionnage contre eux, la vampirisation d'Armand, la mort de Lysandre et celle d'Isabelle d'Isria, surnommé la Marquise Sanglante.
La guerre reprit alors de façon bien plus terrible. Même les plus grandes instances ne pouvaient plus rien pour les arrêter. La seule chose dont ils étaient capables, c'était d'empêcher un vampire ou un Millicent d'arriver au pouvoir. Car sinon... La guerre entacherait toutes les autres espèces de leur monde, les humains seraient au courant, et les choses tourneraient au conflit humano-magique mondial.
Personne ne voulait de ça, concrètement.
-Nous ne sommes pas assez stupides pour vouloir entrainer des innocents dans cette histoire, déclara Rodolphe de Millicent. Mais il n'en reste pas moins que le conflit initial a pris des proportions impensables. Si nous n'arrêtons pas tout, d'une manière, ou d'une autre, ça va dégénérer.
-Encore plus qu'actuellement, souligna Florentin, ses pieds chaussés de tongs posés sur la table.
Élisa hocha la tête. Le but du jeu était donc d'empêcher une guerre totale. Maintenant, elle commençait à comprendre une chose ou deux...
-Pour le moment, nous avons été forcés de rester passifs, fit Nathaniel, debout, les mains posées sur la table de la salle de réunion.
-Pourquoi ?
La question d'Élisa fit se braquer tous les regards sur elle. Ils avaient presque des regards condescendants. Heu...
-Y a un truc qui m'échappe.
-C'est normal, déclara Angèle de Millicent. Vous comprendrez bien assez tôt.
-Qu'est-ce que j'ai fait ? Ou plutôt, qu'est-ce que je vais faire ? demanda-t-elle soudain d'une voix légèrement trop haut perchée.
Cette fois-ci, ils eurent tous un sourire machiavélique. Oooooh... Elle n'aimait pas ça ! Elle n'aimait pas ça du tout !
-Pour le moment, nous avons fini d'être passifs, déclara Nathaniel. Nous avons plusieurs choses à faire. Pour la première, je dois organiser une conférence de presse. Pour la deuxième, nous devons trouver un artefact très important.
-Dans ce cas, la conférence de presse peu attendre, non ? fit Florentin.
-Nan tonton. Elle est primordiale, répondit Nathaniel avec un sourire carnassier.
Cela déclencha un frisson d'appréhension dans le dos d'Élisa. Qu'est-ce qu'il allait faire, encore ?
*
La main manucurée se plaqua contre le mur juste à côté de son oreille, tandis qu'un visage ivre de rage la toisait.
-Tu es une femme morte, Elisa Klervi.
-Moi aussi je suis contente de te voir, Daphnée.
-Ne fait pas l'innocente ! rugit la journaliste. Tu m'as laissé je ne sais pas combien de temps sans nouvelles ! Après cette putain de prise d'otage, je t'ai cru morte !
-Ben... Je suis vivante.
Ce constat décupla la rage de Daphnée, qui l'empoigna par son t-shirt pour la secouer comme un prunier.
-Je me suis fait un sang d'encre espèce de sale petite ingrate ! Tu sais ce que ça fait de te croiser et de plus te voir et de savoir que tu es allé avec ces tarés de la pureté !? Hein !? Sans Nathaniel, je ne saurais même pas que tu es toujours de ce monde !
-Nathaniel t'a tenu au courant ? s'étonna-t-elle.
-Évidemment puisque je suis arrivée au moment où... Heu...
Elle s'arrêta brusquement de la secouer, sourcils froncés.
-Non, rien, oublie, fit-elle en la lâchant avec un sourire légèrement crispé. Bon, on a autre chose à faire.
-Hop hop, hop, Daphnée ! Y a pas plus suspect comme comportement. Qu'est-ce qui s'est passé ?
-Rien. On a un autre souci. Lors de la prise d'otage, il y a eu des morts parmi nos collègues de la chaine Paranormale.
Et merde, songea Élisa en fermant les yeux. Tout cela lui paraissait si loin... Néanmoins, elle se souvenait de la diffusion à la télévision, du bruit du pistolet à chaque détonation, celui de chaque corps qui tombait chaque minute écoulée... Et de son combat avec Armand. OH BORDEL ! Elle avait oublié ça aussi !
-Je suis virée ? demanda-t-elle simplement.
Ça, elle pouvait le comprendre. À vrai dire, actuellement, ce serait vraiment le cadet de ses soucis. Néanmoins, elle comprenait les regards qu'on lui avait jetés lorsqu'elle était entrée dans les locaux de la chaine.
-Nan. Mais pour le moment, ne trainons pas ici. Viens. On nous attend devant les entreprises d'Isria. Vite, avant que ta remplaçante ne nous trouve !
-Elle a quoi de spécial ? s'enquit Élisa en lui trottinant après.
-Elle n'arrête pas de faire des zooms sur mes seins, voilà le problème !
Mince alors !
-C'est Clarabelle, ajouta Daphnée avec une grimace.
Ah ! Elle comprenait mieux, soudain ! Néanmoins, elle se demanda comment Clarabelle avait pu finir à sa place de caméraman. Cette question resta toutefois en suspens lorsque, dans la camionnette, elle tomba sur le preneur de son.
Jamie.
Le fils de pute avait eu le culot de rester à son poste !
Elle lui aurait volontiers sauté à la gorge si Daphnée ne l'avait pas jeté sur le siège passager tout en lui assenant un : « bouge, on a pas que ça à faire ! ». Bordel !
Tendue comme une corde d'arc, Élisa sentait les yeux de Jamie dardés sur sa nuque, tandis qu'elle contemplait la route d'un air mauvais en maudissant destin le plaisantin. Destin le tortionnaire, oui !
Mais vu la conduite de Daphnée, elle décida de se tenir à carreau. À la moindre distraction, ils finiraient tous dans le décor ! Or, elle n'avait pas prévu de mourir tout de suite, merci bien !
Pourtant, à la réflexion, on se donnait un mal de chien pour venir à bout d'elle. Sans sa nouvelle nature vampirique, elle serait probablement déjà morte. Songeuse, elle avisa Jamie par le biais de la glace de son pare-soleil. Croisant son regard, il lui fit un signe de téléphone allant à l'oreille avec sa main. Elle lui répondit par un doigt d'honneur. Il se le tint pour dit.
Les entreprises d'Isria étaient noirs de monde. Pleins de journalistes, papier, télévisé, radio... Tous du monde du surnaturel, bien entendu. De retour dans la salle de réception où, il y avait une éternité de cela, des vampires avaient voulu tuer Nathaniel, Élisa eu une mauvaise impression. Soudain, c'était elle la vampire.
Elle regarda Daphnée.
Et c'était elle la fée.
Toutes les paroles de monsieur de Puresang, Jamie, et des Millicent lui revinrent en mémoire tandis qu'elle installait sa caméra sur un trépied, avant de la calibrer pour pouvoir voir correctement la scène.
Pourquoi ne voulait-elle pas mordre Daphnée ? La logique surnaturelle voudrait qu'elle ait envie de saigner à mort son amie. Or, rien. Elle s'en foutait royalement de ce qui coulait dans ses veines.
-Élisa, il faut qu'on parle, souffla Jamie.
Comme un homme chargé de tout l'attirail d'un preneur de son pouvait-il faire aussi peu de bruit !? Sursautant, la jeune vampire le fusilla du regard avant de décider à l'ignorer.
-Écoute, je...
-Vos gueules, siffla Daphnée. Ça commence !
On aurait pu croire qu'en étant la cousine du patron des entreprises d'Isria, elle aurait pu leur dégoter une place de choix dans l'arène journalistique. Mais non, ils se trouvaient au milieu de tout le monde, avec des têtes passant en permanence dans le champ de la caméra. Qu'est-ce que ça pouvait énerver Élisa !
En même temps, avec toutes les dernières péripéties, elle se demanda comment elle pouvait s'agacer de choses si triviales. Ah, la vie et sa résilience...
Soudain, le silence se fit dans la pièce. Sur l'estrade, seul Nathaniel venait d'apparaitre.
Dans un costume gris perle parfaitement coupé, une main dans la poche, il considéra l'assistance. Son sérieux tranchait tellement avec son air buté habituel qu'Élisa haussa un sourcil, avant de zoomer sur son beau visage.
-Mesdames et messieurs, déclara-t-il d'une voix forte et claire, je vous remercie de votre diligence. Je sais que cette conférence de presse est aussi impromptue qu'étonnante, néanmoins, vous allez bientôt en comprendre l'importance.
Coite, elle regarda Nath par le biais de sa caméra. Il fit une brève pause, avant de continuer.
-Je vais vous annoncer deux nouvelles, mais je ne saurais dire laquelle sera la plus surprenante pour vous. Comme vous le savez tous, ma famille et les vampires sont en guerre. Vous savez également que jusqu'à présent, je me suis contraint à un aspect de neutralité dans ce conflit.
Élisa haussa un sourcil. Effectivement. Il n'était pas intervenu directement la première fois, chez monsieur de Puresang. Dans l'avion, ce n'était pas lui non plus qui l'avait secourue. Et Angèle et Rodolphe étaient venus à son secours dans les bois. À chaque fois, il avait mandaté quelqu'un à sa place. Tout en étant derrière le coup. Cela revêtait-il réellement un aspect de neutralité ? Ou était-ce simplement un leurre ? Et surtout, pourquoi lui, de tous les Millicent, se disait neutre ?
Nathaniel continua, sa voix grave devenant aussi coupante que de l'acier.
-Mesdames et messieurs les vampires, je vous annonce officiellement que ce temps est révolu, gronda-t-il en dardant son regard droit sur elle. Vous vous en êtes pris à ce que j'ai de plus cher au monde, et vous allez le regretter.
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