Prologue

Sans réponse de wattpad suite à la disparition de mes histoires, je remets les premiers chapitres de cette histoire. 

Bonne découverte ou bonne lecture.


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Jesse

4 Juin

— Jesse, tu viens à la sortie scolaire ? me demande sans préambule Lana ma meilleure amie à mon arrivée au lycée.

— Ah ouais, je soupire en guise de résignation. Il y a encore ça ! Enfin je sais pas trop, et toi ?

Question rhétorique. Ses brillent tellement d'excitation, la réponse est inutile.

— Oui. Ça me ferait plaisir que tu viennes aussi.

Son regard se trouble et sa voix n'est qu'un murmure. Elle rougit et baisse les yeux.

— Salut, beauté, vient jacasser Slide le con. Mon ami Tyron va faire une soirée ce week-end. Ça te dit de m'accompagner ?

Je lève les yeux au ciel et claque sèchement la porte de mon casier. Encore ce relou.

— Je... Je verrai, bafouille une Lana déstabilisée, le regard vissé sur ses pieds.

— Ne sois pas timide.

Les sales doigts du con s'égarent dans ses boucles souples. Je les chasse, le regard sévère.

— Fous-lui la paix, connard ! Si tu interprètes bien sa réponse, c'est non.

Ses yeux m'interrogent, comme si j'avais des comptes à lui rendre.

— On t'a parlé toi ?

Sa grosse main pousse mon épaule et mon corps se plaque contre le casier. Je me redresse, l'œil mauvais. J'ajuste les revers de ma veste et le toise.

— Barre-toi.

Slide le très gros con et raté. Les bruits de couloir murmurés font froid dans le dos. Il a agressé plusieurs filles. Personne ne veut prendre le risque de le dénoncer. J'avais souvent envie de lui en balancer une dans les dents avant ça, c'est encore plus d'actualité. Surtout quand il ne se sent plus pisser et qu'il se met à tourner autour de Lana comme un paon à se pavaner.

— On y va, Jesse ?

Je fixe le grand et volumineux Slide. Il ne m'impressionne pas une seconde. Il a l'avantage de la carrure, j'ai celle de la rapidité. Notre duel visuel dure.

— Jesse. Je vais être en retard. S'il te plaît.

Sa supplique a raison de moi.

— On se verra plus tard, je fais à l'attention de ce connard.

Lana attrape ma main et elle me traîne à sa suite. Au bout du couloir, nous tournons et notre affrontement prend fin.

— Pourquoi tu ne l'envoies pas bouler ? Non, c'est non !

Elle hausse les épaules. Elle ne sait pas dire non.

— Tu n'as pas l'intention d'aller lui casser la figure ?

Elle stresse déjà à cette éventualité.

— Je vais me gêner.

Ses pas cessent. De sa main tremblante, elle accroche le creux de mon coude et elle me pivote.

— Je t'en prie. Ne fais pas ça. Il y a d'autres moyens. Laisser courir. Tu risques d'avoir de sérieux problèmes et je ne veux pas me donner en spectacle. Tu... tu veux bien y réfléchir ?

Je grimace. Ce dernier point m'empêche de passer à l'action. Un jour, son tour viendra. Dans pas longtemps en fait. J'ai mon idée.

— Ok, je lâche pour la tranquilliser.

— Tu pars en vacances cet été ?

Sauter du coq à l'âne. La spécialité de Lana.

— Pas cette année, mes parents n'ont pas pu avoir leurs congés en même temps.

— Mince, c'est bête. Du coup, tu ne bouges pas ?

— J'ai de quoi m'occuper, t'inquiète. Je vais aussi passer une semaine chez mon cousin Drake à New Haven. Et toi ? Toujours au même endroit ?

— Oui à Palm Beach.

Et changer de destination pour une fois, ils y pensent ? Ça leur ferait découvrir d'autres horizons. Je la ferme, ce ne sont pas mes affaires. Ils doivent bien avoir une raison. Ça les regarde.

— Ça fait un moment que vous vous rendez en Floride ?

— Mes parents y vont depuis qu'ils se fréquentent. Ça ne date pas d'hier comme tu te doutes.

Son gloussement est à peine perceptible.

— Pourquoi partir aussi loin ? Ce n'est pas comme si il fait mauvais ici en plein été.

Je grimace. Le temps n'est clairement pas le même. Troquer la ville du vent contre une destination prisée, qui hésiterait ?

— C'est genre un pèlerinage. Mais aussi pour les super beaux paysages, la chaleur de l'eau de la mer et leurs amis d'enfance qui ont deux filles. Reyna et Hina. Ça serait bien que l'on y aille ensemble. Quand on sera adultes par exemple ?

Ça pourrait être drôle, intéressant, dépaysant. Je nous vois bien arpenter le pays à bord d'une décapotable, le visage et les cheveux au vent. Mon rêve est de traverser le pays. Prendre le temps d'explorer chaque état. Et pourquoi pas faire la route 66 ? Mon rêve suprême.

En moto, ça serait le pied.

— Bonne idée, on fera ça dans quelques années. Vous partez quand ?

— Juste après le feu d'artifice de la fête nationale. Maman m'a emmenée faire les boutiques, elle m'a acheté deux combinaisons, deux maillots de bain, les trois robes que j'ai repérées, les ....

Je décroche un peu. Les bouts de tissu, ce n'est pas du tout mon trip. Si on me laissait le choix, je me contenterais de mes éternels jean et tee-shirt. Basique et simple. Pratique et banal.

Mes yeux se posent au loin sur Slide le con. Il me nargue. Il va beaucoup moins rire lorsque j'aurai mis au point ma riposte. Sans me salir les mains. L'idée continue de germer dans mon esprit.

— Tu m'écoutes, Jesse ? s'inquiète la voix anxieuse de ma meilleure amie.

La main dans le sac. La sortie prématurée de l'avancée de mon projet me fait tirer une grimace. Avant que je ne réponde, elle ajoute :

— Désolée, je te parle de fringues de filles ! ose-t-elle prudemment avec une petite touche de sarcasme dans la voix qui me fait sourire. Ce n'est pas ton truc. Tu as su que l'année prochaine, nous allons avoir un nouveau prof de civisme ?

— J'ai vaguement intercepté des brides de conversation. Je n'ai pas fait plus attention.

Personnellement, ils peuvent faire ce qu'ils veulent. Du moment que ce n'est pas illégal ou choquant, ça me passe largement au-dessus de la tête. Le jour où tout le monde se mêlera de son cul...

— Je t'assure, histoire de fous. Monsieur Wong s'est fait mettre à la porte à cause de... tu sais qui, chuchote-t-elle en regardant vers le principal incriminé, Slide. À force de le faire tourner bourrique, il s'est fait réprimander devant toute la classe. Évidemment son papa lui a donné entièrement raison. Son statut de plus généreux donateur a joué en sa faveur...

Quelle longue phrase sans s'interrompre. Elle a fumé ou bien ?

Soudain, une voix l'appelle au loin. Sage !

— Je te laisse. À ce soir, Jesse, me dit-elle en s'éloignant.

— À ce soir, je réponds dans le vide.

Les dernières nouvelles ne m'étonnent pas. Pendant qu'elle trottine vers son grand copain aussi barré qu'elle, et s'en vont rejoindre leur premier cours et le mien ne commençant que dans une heure, je me dirige vers le coin racaille.

Peu de personnes s'aventurent dans cette zone abandonnée. Il ne faut pas avoir toute sa tête ou être aussi barge qu'eux. Je ne suis ni l'un ni l'autre.

Un petit balèze me reconnaît. Je m'arrête à sa hauteur et le considère. Il pourrait faire l'affaire mais pas assez sadique. Je vise plus haut.

— Jesse. Tu cherches ?

— Pas toi. Sven ?

Ses phalanges craquent. Il s'y voit déjà.

— T'as un souci ? C'est qui ?

— Un merdeux. Il est là ?

D'un mouvement de tête, il me désigne les chiottes.

— Il est en affaire. Tu veux pas attendre ?

— Pas le temps.

Je pousse les portes. Les graffitis anarchistes et orduriers annoncent la couleur. L'odeur d'urine prend au nez. Des vrais porcs.

— Sven ?

Ma voix résonne dans le lieu à première vue désert.

— Putain ! J'ai dit personne, merde. Je suis occupé.

Je suis les bruits de protestation étouffée et de flotte remuée. Dans un box du fond, un gars est à genoux face à la cuvette des toilettes. Il se débat et fait des bulles tandis que sa face est plongée dans l'eau, la nuque maintenue par la grande main nerveuse du fou. Sven le méchant.

Mon toussotement manifeste ma présence.

— Putain, c'est toi ! Fallait le dire. Tu veux quoi ?

— Traitement de faveur ?

Il est carrément barge. Notre amitié remonte à loin. On a eu un accrochage. Sans le formuler, j'ai su que j'avais le choix entre me retrouver à la place du gars au sol ou m'en faire un ami. Il vaut mieux être dans ses petits papiers.

— Il a dragué ma sœur.

Sa main agrippe les cheveux du gars et lui rejette en arrière. Lui permettant de reprendre une profonde inspiration avant de lui replonger sans lui laisser le temps d'en placer une.

— T'as pas de sœur !

— C'est pas une raison.

— T'as bientôt fini tes enfantillages ? J'ai un boulot pour toi. Du vrai.

— Fallait le dire avant, se redresse-t-il, entraînant sa victime dans son élan.

Le gars, au bord de la noyade reprend son souffle, crachant des gerbes d'eau, il tousse grassement.

— Alors, dis-moi.

Son regard est encore plus fou.

Je fixe la loque gisante contre la cuvette. Plus pour lui laisser une porte de sortie que par crainte qu'il aille rapporter mes propos. Le fou attend la suite et mon silence lui fait prendre conscience de la présence de l'intrus.

— Putain, t'es encore là, mauviette ? Fous-le camp !

Il le bouscule. À bout de force et de souffle, il rampe et la patience n'étant pas ma qualité première, je lui balance un coup de pied au cul. Il couine et il a le mérite de passer à la vitesse supérieure.

Passons aux choses sérieuses !

4 juillet

Depuis un mois, à chaque fois que je croise Slide le con, j'ai un sourire narquois. Sa vie est un enfer et je m'en gratifie.

Sven le méchant ne lésine pas sur les moyens. Le reste de l'année scolaire, son casier est devenu une décharge. Les rumeurs les plus dégueu – pas totalement infondées – ont circulé. Des photos compromettantes ont été affichées sur les réseaux sociaux. Plus aucune fille n'a été agressée par lui.

Maintenant, ce sont les vacances. Je me balade avec ma meilleure amie. Plus pour son plaisir. Je n'en retire aucune gratification personnelle sinon celle de la voir enjouée.

— Oh regarde ! m'interrompt Lana dans une allée du complexe commercial. C'est Slide.

Comme s'il avait deviné qu'il était le centre de son attention, nos regards se verrouillent. Il est mal en point. Je crois que son comportement déçoit son père. En plus d'être un champion hors catégorie dans la méchanceté, Sven a des relations qui voient tout. Chaque pas, chaque geste de Slide est passé au crible. Son papa est au courant de tout.

Dommage.

— Il te manque ?

— Non. Pas du tout. C'est étrange que du jour au lendemain...

— Ouais. Il a dû se servir de son cerveau. Il était temps.

Slide détourne le regard et prend ses jambes à son cou, prouvant son manque de cran.

— C'est toi ? Tu lui as fait quoi ?

La frayeur rend sa voix tremblante.

— Tu m'as dit de ne pas le toucher. Je te promets, je n'ai pas touché un seul de ses cheveux.

Seulement Sven.

— Tu as demandé à quelqu'un de le faire, chuchote-t-elle incrédule.

— Bon on finit ce shopping ? je lance, grimaçant le dernier mot. Sinon, je me barre !

Quand on ne veut pas savoir, on ne pose pas de question.

Cette fille est trop sensible. La tendresse me fait défaut. Je me farcis déjà son activité de fille, elle n'est pas obligée d'en rajouter. Elle semble comprendre et rebondit sur un autre sujet.

— On peut aller au rayon livres ?

— Je te suis.

Je m'amuse de son enthousiasme sans en montrer les signes.

— Tu viens ce soir au feu d'artifice ?

Merci de me le rappeler !

— Aucune idée. Ça m'emballe moyen. Et toi ?

Qui j'espère tromper ? Le seul choix qui s'offre à moi est celui de suivre sans poser de questions !

J'espère tous les ans pouvoir y réchapper mais non. Ils se sont tous ligués contre moi. Amis et famille.

COMPLOT, j'ai envie de crier !

— Oui bien sûr. Ne te fais pas prier, c'est tous les ans pareil !

Son quasi acte de rébellion colore ses joues d'une teinte de rouge soutenu. Elle est d'une timidité plus que maladive. Irrécupérable malgré mes tentatives de la pousser dans ses retranchements.

— Dommage !

— C'est l'occasion de se voir entre nous ?

Ah ! Voilà un argument valable !

Tradition familiale, les feux d'artifice sont obligatoires. À douze ans, nos parents nous accompagnent en nous laissant entre jeunes un peu plus loin tout en gardant un œil bienveillant sur nous. À chaque fête nationale, d'aussi loin que je me souvienne, j'y retrouve Lana ma meilleure amie. Son cousin Calvin est venu s'ajouter à l'équation une poignée d'année de ça. Ça doit faire trois ou quatre ans.

Six ans ! J'avoue. Comment oublier !?

Je déteste les feux d'artifice, ne me demandez pas pourquoi, je n'ai aucune raison particulière seulement j'aime retrouver mes amis donc je me force. Ce n'est pas comme si on me laissait décider en même temps.

— De toute façon, je n'ai pas vraiment le choix, je soupire sans y croire une seconde.

— Chouette, j'ai hâte. On se retrouve au même endroit ?

Finalement, sa joie de nous retrouver est communicative.

Je vais voir Calvin !

— Ouais, à moins que la place ne soit prise.

— Nous verrons bien ce soir.

Lana termine ses emplettes. Mon supplice prend fin et je la raccompagne chez elle. Mes parents habitent plus loin.

— C'est moi !

La bonne cuisine de maman m'accueille. Je suis les effluves, l'eau à la bouche.

— Bonjour, mon Cœur ! Tu as passé une bonne journée ?

— Super.

Elle rit.

— Ça ressemble à un bof.

— J'ai suivi Lana dans son shopping.

— Tu veux un cookie ?

Ma consolation. Une gourmandise maison faite par amour.

— C'est toi qui l'as fait ?

Son petit sourire me répond. Ils sont encore tous chauds.

— Génial ! Merci maman.

En attendant ce soir, je retourne à mes révisions de droit pour être au niveau à la rentrée. J'ai la chance d'avoir des bonnes notes sans trop travailler, juste en lisant mes écrits. Ça m'arrange et mes parents en sont contents. Tout le monde y trouve son compte.

Plus tard, mon but est de défendre les gens. Je ne sais pas encore quoi précisément mais travailler dans un tribunal me dit bien. Dans le genre de mon oncle Jack Miller, célèbre avocat, le frère de papa. D'après lui, je suis de la même trempe. Il se voit en moi. Le compliment, rempli de fierté, gonfle mon orgueil.

— Erin, Ryan, Jesse, vous êtes prêts ? demande maman de sa voix fluette du rez-de-chaussée.

Je jette un coup d'œil à l'horloge, déjà l'heure d'y aller ?

Après un rapide examen dans le miroir, mon reflet me satisfait. Les cheveux blonds, les yeux bleu glacier intimidants, de taille légèrement en dessous de la limite pour mon âge et une silhouette d'allure frêle. Je fais presque maigre. Ne nous fions pas à mon gabarit, je n'ai pas peur de distribuer des mandales si c'est inévitable.

— Slide n'a qu'à bien se tenir !

Je souris. Un visage d'ange, voilà mon reflet.

On oublie cet aspect dès que j'ouvre la bouche. Un vrai charretier d'après ceux que je côtoie à l'école. Je m'en fous, je ne vais pas prendre des pincettes ou faire des courbettes pour me faire accepter.

Y a bien ce gars, Sage. Un grand copain de Lana. Elle lui parle de temps en temps. Il est gentil, naïf, craintif et il m'exaspère. Plus réservé, on ne peut pas faire. Lana a trouvé un adversaire de taille dans la catégorie timidité. À elle seule, c'est déjà le top niveau alors tous les deux, je ne sais pas bien ce qu'ils peuvent se dire !

Autre détail : je ne me mêle pas aux autres. Envoyant balader tout le monde. Associable. Détestable. Ça me convient très bien. On me demande souvent si je suis de la même famille que le gangster Jesse James. Je ne vois pas le rapport. Les gens sont cons.

Ma famille ne m'a jamais tenu rigueur de ne pas être dans le moule, ils n'essaient pas de m'influencer ou de me changer. Il pensent que ça passera avec l'âge. Pas dit.

Je dévale vite fait les escaliers et m'engouffre dans la voiture entre les jumeaux Ryan et Erin, de huit ans mes aînés.

Nous nous ressemblons beaucoup, sauf le caractère. Ils sont super gentils et adorables, jamais un mot plus haut que l'autre, très protecteurs avec moi, bien que je me débrouille très bien sans. Véritable terreur mais aucune méchanceté. Juste un caractère bien trempé. De quoi ne pas me laisser marcher sur les pieds.

À ma gauche, le sourire de ma sœur est lumineux lorsqu'elle pose les yeux sur moi. Son bras passe au-dessus de mes épaules et elle m'étreint.

— Tu faisais quoi ? veut-elle savoir d'un ton doux.

La même voix douce, héritée de maman.

Ma réponse ne va pas leur plaire mais je décide de dire la vérité. S'il y a bien une chose qui m'horripile c'est le mensonge.

— Je révisais des cours de droit.

Maman m'adresse un sourire dans le rétroviseur et je lui rends volontiers. Elle est tellement belle et lumineuse, un véritable rayon de soleil.

— En vacances ? Pourquoi tu ne laisses pas ton cerveau se reposer ? C'est le principe des vacances, tu vois ? me taquine Ryan avec le sourire en me poussant doucement de l'épaule.

J'aime mes frère et sœur. C'est réciproque.

— Laissez Jesse tranquille, intervient papa. Si c'est son truc, ça ne fait de mal à personne. Vous avez trouvé du travail pour cet été ?

J'observe papa, c'est un très bel homme. Une masse de cheveux noirs coupés court, yeux marron chaleureux, grand et la blague facile, il est mon modèle masculin. Avec maman, ils font un très beau couple. Je n'aurais pas pu espérer avoir d'autres parents. Mon frère et ma sœur acquiescent et discutent de ce qu'ils vont faire. La vingtaine, ils sont en âge de s'intégrer dans la vie active.

Je me laisse absorber par le paysage. Je serai capable de le faire les yeux fermés. Il est inscrit dans mon esprit à force de l'emprunter presque chaque jour.

Nous arrivons vite au lac Michigan, déjà bondé alors que le spectacle ne commence que dans deux heures. Tous ont peur de ne pas trouver de place pour se garer, c'est drôle de voir les derniers arrivés faire le tour pour essayer de trouver une place.

De grands signes me permettent de repérer tout de suite Lana et Calvin. Seuls les parents de ma meilleure amie sont présents. C'est tous les ans pareils, ceux de Calvin font énormément de bénévolats en plus de leur travail. Je ne saurais pas dire à quoi ils ressemblent, je ne pense pas les avoir aperçus un jour.

Calvin !

Mon cœur rate un battement. Puis deux. Puis s'emballe. Cognant contre ma cage thoracique. Violemment.

Mes hésitations s'envolent. Je ne voudrais être nulle part ailleurs. C'est la seule personne susceptible de me faire apprécier les feux d'artifice.

Qu'est-ce qu'il est beau. Géant aussi.

J'aime ce que je ressens quand il se trouve dans les parages. Trop jeunes, je ne veux pas m'encombrer de ces émotions pour le moment. Et surtout, lui n'a pas l'air de remarquer quoi que ce soit ni d'être très attiré par quelqu'un dans mon genre. Je peux le concevoir. Seulement un an nous sépare et une quinzaine de centimètres. Et une carrure à l'opposé.

— Salut tous les deux.

Je dis bonjour également aux parents de ma meilleure amie en passant.

— Salut Jesse, me saluent mes amis en chœur. Tu vas bien ?

J'acquiesce d'un bref signe de tête.

— Vous vous êtes installés où ? j'enchaîne.

— Juste là sur les rochers. Tu nous rejoins ?

— Ouais, je vais prévenir ma famille.

Mes parents acceptent immédiatement, ils savent que nous sommes sérieux et que nous aimons bien nous retrouver entre nous pour papoter.

— Bonsoir, ma petite Terreur, s'écrie une voix forte.

J'esquisse un petit sourire. Charlie Wells, policier, arrive accompagné de Karl, son meilleur ami marié à Ruth – la sœur de maman.

— Bonsoir, je les salue avec chaleur. Déjà revenus de votre périple ?

Les deux amis sont de retour de la route 66. Le rêve.

— Oh toi, tu me caches des choses, devine-t-il en me sondant.

Je replace mon masque impassible sur le visage et feins l'innocence en battant en retraite. Je tourne les talons et leurs rires me font lever les yeux au ciel en souriant en coin.

Je pars m'installer avec mes amis et nous bavardons de plein de choses de notre âge jusqu'à l'explosion de toutes ces couleurs. Ce n'est pas ce qui m'intéresse le plus, ce n'est pas mon truc.

J'en profite pour contempler mes amis, ils se ressemblent pas mal. Tous les deux bruns aux yeux verts, ils passeraient facilement pour frère et sœur. Leurs beaux visages se teintent de la couleur des feux qui éclatent. Bleu, vert, rouge, jaune, ils sont un peu comme mon arc-en-ciel. Colorés, beaux et lumineux.

3 juillet

Trois ans plus tard

Comme presque tous les samedis, j'attends Lana et Calvin au Park. Point de rassemblement pour nous rendre au lac Michigan. Il fait super chaud, beaucoup plus que la normale. Année de canicule, c'est bien parti pour !

Le picotement habituel me prend de penser que je vais bientôt voir Calvin. Je regarde ma montre pour la cinquantième fois en deux minutes. Ça me semble durer une éternité.

Calvin arrive enfin.

Seul.

La joie et la panique se disputent la première place dans mon cœur.

Que se passe-t-il ?

— Lana n'est pas là ?

— Elle revient ce soir de ses vacances.

— Ah oui, c'est vrai, ils sont partis plus tôt cette année.

Je perds toutes mes facultés mentales en sa présence. J'ai quinze ans, mes hormones se rappellent à moi.

— On n'a pas l'habitude, c'est pour ça.

— Ouais. On y va quand même ?

Question stupide et inutile puisqu'il est venu. Sa présence veut dire que nous y allons.

— Ouais.

En conversant de tout et de rien, nous nous dirigeons vers l'immense point d'eau qui se situe de l'autre côté du Park. À certains moments, nos mains se frôlent, mon cœur s'emballe, le rouge me monte anormalement aux joues.

Je me prends à espérer que le chemin s'éternise pour ne pas briser ce moment.

Je ne me rappelle pas avoir passé un moment juste avec Calvin. Je lui en fais part. Il a beau se triturer les méninges, ça ne lui dit rien non plus.

L'étroite étendue de sable se dresse face à nous, nous sommes arrivés. Nos affaires à peine posées, nous allons nous baigner en ayant pris soin de demander à nos voisins de serviette de surveiller les nôtres. L'eau est super bonne, nous en profitons pour nous éclabousser et nager.

Nous allons nous affaler sur nos serviettes en remerciant nos voisins. Le soleil nous sèche vite et je zieute le corps de Calvin à la dérobée. Il prend de la masse au fur et à mesure des années. J'aimerais lui confier mes sentiments pour lui mais le rejet éventuel me stoppe et m'en dissuade. Ce n'est pas que j'ai peur de quoi que ce soit seulement perdre son amitié serait un véritable coup dur.

— Tu as décidé ce que tu allais faire plus tard ?

— Dans le droit, j'imagine. C'est loin et proche en même temps. Ou comptable. C'est assez flou.

Je ricane intérieurement parce que je ne me vois pas du tout dans un bureau à longueur de journée. Encore moins sous les ordres de quelqu'un.

— T'as toujours été à fond dedans. J'aurai besoin de quelqu'un pour la comptabilité quand j'ouvrirai mon atelier.

Sans moi. Je ne me vois pas travailler pour lui. C'est largement suffisant pour me faire perdre mes moyens. Je hausse les épaules d'impuissance.

— Tu prévois vraiment d'ouvrir ton garage ?

— Dans quelques années.

Le soleil commence à se coucher, signe qu'il nous faut rentrer chacun chez soi. Au moment où nous devons nous dire au revoir au Park, Calvin me fait face en esquissant un petit sourire timide.

— C'était chouette cet après midi.

— Ouais, l'eau était à température idéale et pas trop de monde au Lac.

— On se voit demain aux feux ?

— Ouais. À demain, Calvin.

Aucun de nous ne bouge, nos regards s'interrogent. Finalement c'est Calvin qui prend l'initiative et se penche vers moi. Son baiser est délicat. Adorablement maladroit. Ma respiration se bloque d'appréhension et d'excitation. Ses lèvres butinent les miennes, assez pour me faire oublier tout le reste, ce que nous sommes. Opposés.

Sa main plonge dans la masse de mes cheveux tandis que l'autre se pose dans le bas de mon dos. Il me rapproche de lui et se fait tendre. Je pose les miennes sur ses biceps pour me stabiliser et j'ouvre les lèvres quand sa langue les caresse. Nous sommes maladroits et hésitants. Je tremble entre ses bras. C'est tellement inattendu et espéré. Mon cœur pulse et explose de bonheur.

J'ai quinze ans et c'est mon premier baiser. Je sais déjà que ça sera le plus beau de toute ma vie. Inoubliable.

Mon premier baiser sera toujours lié à Calvin.

Une volée de million de papillons s'installent dans mon ventre et tourbillonnent à une allure folle.

Calvin prend de l'assurance et son baiser de la vigueur.

Avec beaucoup de regrets, nous nous écartons. Chacun doit rentrer chez soi.

— À demain, Jesse.

— À demain, Calvin, je lui réponds en mordant ma lèvre inférieure.

Ce qui a pour effet de le décider à se rapprocher et de m'embrasser de nouveau avec la même ardeur.

Nous rions et partons chacun de notre côté avant de ne plus en avoir le courage.

J'espère que personne ne nous ait vus. Que ce moment n'appartienne qu'à nous. Les gens se poseraient des questions en nous voyant tous les deux. Deux ados qui n'ont rien à faire ensemble. Heureusement nous étions un peu cachés. Quoique je m'en contrefous. C'est juste un moment rien qu'à nous.

Un sourire idiot se plaque sur mon visage jusqu'à chez moi.

— Bonjour mon Cœur, tu as passé une bonne journée ? m'accueille maman à mon retour.

— J'ai été au Lac avec Calvin. Il faisait bon.

— Lana n'était pas là ?

Non. C'est mal de penser que ça tombait bien ?

— Elle revient ce soir de vacances.

— Je m'en rappelle maintenant que tu le dis mais j'ai tellement l'habitude de vous voir à trois. Nous allons bientôt passer à table.

— On mange quoi ?

— Ton plat préféré. Tu m'aides ?

Toutes les quatre semaines, chacun a son menu préféré le mercredi. Son dessert est une merveille gustative. Fondant au chocolat avec un cœur de pâte de cacahuètes. Les ingrédients dosés avec précision, je le mangerais sans fin ni faim.

— Tu veux que je mette la table ?

— S'il te plaît, oui, sourit-elle en me fixant attentivement. Tu resplendis.

Elle me complimente en m'embrassant la tempe avec tout son amour.

— J'aime bien Calvin, je lui confie en chuchotant.

Je sais que je peux tout lui dire, elle ne me jugera pas ni ne m'interdira rien. Elle m'enlace et effleure ma tempe d'un baiser léger.

— Je sais, c'est un bon garçon.

— Ça ne t'embête pas ?

— Pourquoi ça devrait ?

Je fais un haussement d'épaules pour toute réponse.

— Comment tu sais qu'il me plaît ?

— Je t'observe. Tu es notre bonheur, ainsi que tes frère et sœur.

— Je t'aime, maman.

— Pas autant que moi, mon Cœur.

Je ne peux m'empêcher d'admirer maman. De taille moyenne, svelte malgré ses deux grossesses, blonde aux yeux bleus. Je lui ressemble énormément. Nous nous ressemblons tous. Sauf papa qui est brun.

Je pourrais presque affirmer que maman est l'amour de ma vie, je lui voue un véritable culte. La réciprocité peut se dire également, elle est folle de moi. De nous tous en réalité, elle ne fait pas de différence.

Nous passons une bonne soirée en famille autour d'un bon repas mais il me tarde d'être déjà demain. Comment réagira Calvin ? Est-ce qu'il regrettera ? Peut-être se rétractera-t-il ? Je n'espère pas.

4 juillet

Même année

— C'est notre dernier feu ensemble.

C'est quoi ce bazar ?

— Pourquoi, je demande perplexe à Lana. Tu pars ?

— Pas moi, Calvin.

Mais non, c'est une erreur, il ne m'a rien dit hier.

— Il va où ?

— Ses parents déménagent à Los Angeles pour le travail. Ils viennent juste de lui annoncer.

Mon monde s'écroule.

Pourquoi attendre le dernier moment pour l'annoncer ? Ça ne change rien en soi mais ça serait moins inattendu.

— Merde, il prend ça comment ?

— Plutôt mal. Il va me manquer mon cousin.

Et à moi donc !

— Tu le reverras quand même ?

Il va revenir ? Ça ne peut pas être autrement.

— Ce n'est pas pareil, j'étais habituée à le voir souvent. Et ses parents n'auront pas de congés avant longtemps. Je le verrai si mes parents vont par là.

Nous gardons le silence, il va me manquer énormément. Je n'en dis rien, je n'ai pas très envie d'en parler. Ma relation avec Calvin aura duré en tout et pour tout, le temps de deux baisers. Et quels baisers !

Ça veut dire qu'il n'y en aura pas d'autres !

La poisse.

Ce n'est pas dans ses habitudes mais Lana me poserait trente-six questions si je lui avouais ce qui s'est passé hier entre nous. Et je ne veux pas qu'elle me juge.

Je me perds dans mes pensées, imaginant les jours suivants sans côtoyer Calvin. Les années passeront, il rencontrera plein de gens. Il va m'oublier.

J'ai envie de pleurer alors que ça ne m'arrive jamais.

— Salut, nous lance la voix traînante et grave de Calvin

— Salut Calvin, lui répondons-nous.

J'entends Lana parler d'un Shayne et d'un Trent dont je ne connais rien du tout. M'intéresse pas. Je n'écoute rien, mon attention reste fixée sur le départ imminent de Calvin. Nos regards se croisent, je lis dans le sien des émotions identiques aux miennes.

Bien vite, il tourne la tête et va s'installer un peu à l'écart. Nous devinons son envie de rester seul.

Le feu de ce soir n'a pas le même goût, ça ne sera plus pareil sans Calvin. Il est assez renfermé, participant peu à la conversation et répondant seulement par monosyllabes.

Je sais juste qu'il part demain. À l'autre bout du pays. L'émotion est palpable dans l'air. Je n'en rajoute pas de peur de me trahir et me concentre sur les feux pour une fois.

Pourquoi maintenant ?

28 Août

Même année

J'ai chaud. J'ai froid. Je ne suis pas bien. Couchée dans le lit, les voix de maman et Ruth dans la pièce d'à côté ne parviennent pas à mon cerveau. La porte s'ouvre laissant entrer maman. Elle s'approche doucement de sa démarche discrète et s'assoit au bord du matelas.

— Nous ne serons pas longs, Jesse. C'est histoire d'un week-end. Tu es trop malade pour nous accompagner.

— Mm, je veux venir quand même, je fais la moue boudeuse.

Mes forces m'abandonnent, je suis incapable de me lever.

— Je reste avec toi si tu veux ?

J'aimerais beaucoup mais on va me prendre pour un bébé. Le bébé à sa Maman. J'ai passé l'âge.

Je ne peux pas laisser parler mon égoïsme. Ma sœur serait affreusement déçue surtout pour ce grand événement. C'est la chance de sa vie. Je fais contre mauvaise fortune, bon cœur.

— Tu vas me manquer, maman. Tout le monde.

Je vois qu'elle hésite, tiraillée entre son désir de les accompagner et celui de rester à mon chevet pour prendre soin de moi. Je pense à eux et je n'ai aucun droit de régenter leur vie.

Je fais le plus grand sourire dont je suis capable pour la rassurer. Ça fonctionne tellement je joue bien la comédie.

Maman me sourit en retour et prend le temps de s'allonger sur le flanc à mes côtés. Nos visages se touchent presque, je vois la peine dans ses yeux et m'en veux de lui infliger ce tiraillement. Elle m'embrasse le bout du nez et passe sa main dans mes cheveux.

— Tu nous manqueras aussi, chuchote-t-elle avec douceur et patience. Tu verras ta sœur jouer un autre jour. Tu resteras chez Ruth et Karl jusqu'à ce que nous revenons dans deux jours. Ils s'occuperont bien de toi. Tu tiens à peine debout. Ça ne serait pas drôle pour toi de voyager comme ça.

— Ok, je lui réponds du bout des lèvres.

— Je t'aime, mon Cœur.

J'aime ça, l'entendre me le dire.

— Je t'aime, maman.

Même malade, elle m'embrasse en me prenant dans ses bras comme elle sait si bien le faire.

Ma sœur Erin joue ce soir dans un orchestre. Du violon, elle est très bonne et doit bientôt s'envoler en tournée mondiale si elle est convaincante comme d'habitude. Elle a déjà un pied dans l'avion. Tout le monde est fier d'elle. Elle vit son rêve, elle a travaillé dur pour l'atteindre. Juste retour des choses.

La grippe me cloue au lit depuis hier et m'empêche de les suivre. Genre la grippe au mois d'août, c'est courant. J'applaudirai si un brouhaha n'encombrait pas constamment mon cerveau.

Tante Ruth m'a installée dans la chambre d'amis chez elle et Karl. Ils sont aussi gentils que mes parents, ça doit être de famille. Je n'ai pas hérité du gêne.

— J'ai une grande nouvelle. J'espère bonne. À notre retour, j'ai encore quelques jours de repos. On peut se faire un week-end, toi et moi ?

— Sérieux ?

— On ne ment pas chez les Miller. C'était prévu, je voulais te faire la surprise.

— Où ?

— Du côté de la Californie ?

Waouh ! Je vais revoir Calvin. C'est plus qu'une bonne nouvelle. Je ne serais pas autant dans le gaz, je sauterais de joie, ivre de bonheur.

— Je n'arrive pas à le croire.

— C'est l'occasion de vous revoir. J'appellerai les parents de Calvin à notre retour.

— Merci, maman. C'est plus que super.

— Ravie de savoir que j'ai tapé dans le mile. Il est l'heure de partir. Repose-toi bien, mon ange.

Je m'endors immédiatement après la tisane préparée par Ruth, des images de Calvin en tête.

Dans mon sommeil, je sens le matelas s'affaisser, des mains fébriles caressent mes cheveux.

Déjà de retour, j'ai dormi tant que ça ?

Une douleur fulgurante me barre le front. Sortir du sommeil est une épreuve. Mes yeux ne parviennent pas à s'ouvrir, déclenchant un grognement de mécontentement.

Quel jour et quelle heure sommes-nous ?

Je n'ai pas eu mon compte de sommeil, ou alors je suis vraiment trop malade.

Bien que mes yeux soient fermés, la lumière du lever de soleil est éblouissante. Mais ce n'est pas ce qui me réveille le plus. Des reniflements me parviennent. Ruth ?

Les sens en alerte, je me redresse précipitamment.

— Quoi ?

Sa main se pose sur ma joue, ses yeux sont rouges. Les traits dévastés, elle ouvre la bouche et la referme, ne sachant pas trop comment s'y prendre. Mon cœur cogne sourdement à mes oreilles, redoutant les paroles qu'elle s'apprête à formuler. À ses côtés, Charlie a le visage fermé.

— Il faut que l'on parle, Jesse.

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