15 juin
15 juin
Jesse
Je prends la direction de Lake Villa sans me presser. Pendant ces deux petites heures de trajet, j'essaie de me focaliser sur un point sans importance en reconnaissant chaque paysage connu. Le village est un vallon dominé par des lacs glacés à l'origine. Au nord, le Lake Villa et à l'est le Deep Lake. Une multitude de points d'eau plus ou moins vastes peuplent les environs, signe de la fin de mon trajet.
Ça me fout les boules à chaque fois de me rendre chez Ruth et Karl alors je m'y attarde rarement à leur grand désespoir.
Je n'ai absolument rien contre eux, bien au contraire. Ils ont tant fait pour moi et je leur suis reconnaissante malgré mon attitude distante. C'est juste douloureux.
Presque un village désert, le doux bruit de ma bécane fend les airs et les avertit de mon arrivée. Ruth sort sous le porche et m'accueille avec son maternalisme habituel quand je m'avance vers elle.
Elle et Ellen sont les seules à pouvoir m'éteindre. Brièvement. Ruth lui ressemble tant, ça me ronge à chaque fois.
— Bonjour, Jesse. Je suis contente de te voir.
— Tu vas bien, Ruth ?
Elle me prend les mains et me jauge avec émotion. Son regard me scrute attentivement. Elle n'aime pas ce qu'elle discerne. La vie a déserté mon cœur et mon âme. Avec l'aide de Ellen, elle a tenté bien des diversions dans le but de me détourner de la noirceur de mes idées. Chaque tentative s'est soldée par un échec cuisant. De ma faute.
Mauvaise volonté.
— Rentre quelques instants.
Je la suis, ça lui fait tellement plaisir. Malgré le fait que je reste distante avec tout le monde et mon caractère de merde, je ne suis pas non plus insensible, elle ne va pas me voir pendant quelques mois. Je suis la seule famille qu'il lui reste après tout.
— Tu n'as rien oublié, Jesse ?
— Non, je ne pense pas.
Ses yeux s'embuent, elle est malheureuse de me voir prendre la route. Seule. S'il m'arrive la même chose qu'à Eux, elle s'en voudra toute sa vie.
Elle détourne les yeux sur la droite et les posent sur un point fixe.
J'évite d'en faire autant, écrasée par le poids de la culpabilité. Seul sentiment à ne pas me quitter. Elle m'accable un peu plus chaque jour qui passe péniblement. Ruth bloque son regard sur leur photo, espérant trouver le courage ou la paix. Seulement, les photos ne parlent pas. Elles sont glacées autant qu'un corps mort. Quatre corps morts et glacés.
— Tout va bien se passer, Ruth.
— Pour eux aussi, ça devait bien se passer.
Je me raidis, incapable d'aller dans sa direction. Je ne veux pas. Elle le sent et se reprend.
Ma famille est décédée. Accident de voiture. Leur mort injuste remonte à onze ans. Personne n'était en tort, la route glissait, ils se sont pris un arbre. Tous morts sur le coup. Une moindre consolation. Qui n'apaise en rien le poids de mon fardeau.
Le choc !
C'est la seule fois où j'ai pleuré. Ruth me gardait lorsque c'est arrivé. Elle a remué ciel et terre pour que je reste chez eux grâce à la ténacité et au professionnalisme de mon oncle Jack, avocat de renom.
Leur détermination a payé. Tous voulaient à tout prix éviter de me perdre. Je n'ai pas mal tourné. Ni réfugiée dans la drogue ni l'alcool. Juste beaucoup travaillé. Et des tatouages.
Oh si ! Ça me revient.
C'était il y a huit ans, on fêtait un événement au bar. Je ne me souviens plus des circonstances. J'ai bu comme un trou ce soir-là. Résultat : j'étais déchirée. Avec une autorité jamais vue, il m'avait installée dans son bureau. j''étais tellement perchée, je lui ai sauté dessus comme une sauvage. Garrett s'était dévoué quand est venu le moment de me ramener après que tout le monde soit parti. Je m'étais agrippée à lui comme à une liane. C'est la seule fois où un homme est rentré chez moi. Malgré ma petite carrure et la sienne imposante, il a eu du mal à se débarrasser de moi une fois couchée.
J'ai honte d'y repenser.
Mal à l'aise le lendemain, il m'a fait taire avant que je ne m'excuse. Nous n'en avons jamais reparlé, il ne m'a jamais jugée et ça ne s'est plus reproduit.
Je me limite à deux verres grand maximum, j'ai retenu la leçon.
— Excuse-moi. Tu me tiendras au courant de ton avancée ?
— Oui je le ferai. Sois tranquille.
Elle me sourit tendrement.
— Bonjour Jesse, prête pour le grand départ ? me demande Karl qui vient de faire son entrée.
— On ne peut plus prête.
— Super, tu vas découvrir de superbes paysages et des gens charmants. Entre autres.
Son expérience parle pour lui. Je me souviens qu'avant le drame, il la faisait régulièrement en moto avec Charlie.
— J'y compte bien.
— Tu manges avec nous ? me demande Ruth les yeux luisants d'espoir.
Je n'en ai pas très envie mais pour la tranquilliser, j'accepte. C'est dur pour elle aussi. Quand j'accepte, elle s'illumine. Je détourne les yeux, la joie ou toute émotion qui s'en rapproche me met mal à l'aise.
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