C͟͟͟͞͞͞h͟͟͟͞͞͞a͟͟͟͞͞͞p͟͟͟͞͞͞i͟͟͟͞͞͞t͟͟͟͞͞͞r͟͟͟͞͞͞e͟͟͟͞͞͞ 4

8 septembre 1998 : PDV Jason

J'arpentais le terrain vague en cette fin de journée, toujours debout sur mon skate. Ce lieu m'était presque devenu privilégié puisque personne ne s'y rendait. Et puis les gens savaient que j'y allais  régulièrement, donc la peur de m'y croiser était trop grande pour prendre le risque de s'y aventurer.

Le soleil commençait à peine à se coucher, formant un mélange de bleu et d'orange à l'horizon. L'air était frais mais il faisait toujours aussi chaud qu'en plein mois d'août.

Je sursautai brutalement faillant de peu de tomber de mon skate lorsque j'entendis des bruits de pas se rapprocher de moi. Je tournai la tête et fus plus que surpris de découvrir face à moi Ramona, celle qui m'avait parlé plutôt dans la mâtiné.

Aucune émotion ne ressortissait des traits de son visage fermé. Je la regardai sans bouger, attendant qu'elle m'explique la raison de sa présence. Mais elle ne réagit pas et commença à se tordre nerveusement les doigts.

- Je t'ai déjà dis de me laisser tranquille ce matin. Si tu attends de moi des remerciements alors MERCI d'avoir appeler les secours. C'est bon, t'es contente ?

Elle ne cilla pas, se contentant d'attendre que j'ai fini de l'engueuler.
Comprenant que crier ne m'aiderai pas, je respirai profondément et lui demandai plus doucement, un peu exaspéré :

- Qu'est-ce que tu veux ?
Elle semblait ne pas savoir elle même. Elle resta quelques secondes les yeux dans le vague avant de s'exclamer :

- Apprends moi à faire du skate !

Je restai bouche bée, dans l'incompréhension totale. Les poings serrés, elle me paraissait déterminée.

- Pourquoi ? Demandai-je.

- J'ai pas d'argument...En fait, je sais même pas pourquoi je te demande ça. Oublie.
Elle se retourna et commença à partir dans la direction opposée.

Mais je l'arrêtai en l'apostrophant :

- Attends ! Maintenant que tu as demandé, tu vas les avoir tes cours de skate !

Je n'étais plus vraiment sûr de ce que je venais d'avancer. Mais je ne pouvais plus faire marche arrière. Quel imbécile !

- T'es sérieux ? Elle me fixait, étonnée. Toi, Jason Whey, tu vas me donner des cours de skateboard ?

J'étais aussi surpris qu'elle. Je m'approchai lentement de Ramona, son visage se liquéfiant. Je lui tendis subitement ma planche. Ramona observa la board, la détaillent du regard.

Elle saisit la planche de bois à roulette et la posa par terre. Elle hésita quelques secondes avant d'enfin se décider à monter dessus, tremblante.

Ses jambes flageolantes montraient qu'elle n'était pas vraiment à l'aise. Les bras écartés, elle tentaient de garder l'équilibre alors que la board roulait lentement de gauche à droite.

Après quelques secondes, elle fit une « zipette » et retomba sur la bitume alors que la planche vint s'écraser contre le mur de pierre derrière nous.
Je dûs me pincer furieusement les lèvres pour m'empêcher d'éclater de rire. Nous avions du pain sur la planche, sans mauvais jeu de mot.

-Je sais que t'as envie de te foutre de ma gueule, vas-y ! Me cracha-t-elle en frottant ses mains éraflées contre son pantalon et se relevant non sans souffler un petit gémissement de douleur.

-Ce n'est pas mon intention. Tout le monde débute. Mais je comprendrais si tu veux abandonner.

Elle me jeta un regard interloqué, comme si je venais de dire la chose la plus insensée du monde. Elle courut jusqu'au mur et saisit énergiquement la planche.

- Ramona Murphy n'abandonne jamais ! Et elle posa à nouveau la board au sol et réessaya de monter dessus sans se ramasser au sol une nouvelle fois.

Je devais bien admettre que j'étais assez impressionné par sa détermination. J'aurais parié qu'elle allait abandonné dès le premier essais.

Le soleil couchant baignait à présent l'ouest du terrain vague de lumière. L'air se faisait encore plus frais, la brise était légère et la température avait baissé d'une demi quintaine de degrés depuis le début de la soirée.

Malgré la multitude de chutes plus douloureuses les unes que les autres, Ramona s'acharnait toujours à rouler avec la planche approximativement correctement. Je lui montrais la posture à adopter, penché en avant, les pieds parallèles, les genoux pliés, elle réussit à intégrer les informations assez rapidement.

Plus d'une heure et demi s'était écoulée depuis le début de son « entraînement intensif ». A bout de souffle, elle resta assise sur le bitume quelques instants après une énième chute qui égratigna ses genoux formant un large trou dans son pantalon.

- Je pense que je vais m'arrêter là pour ce soir, si tu veux bien. Les joues roses, elle me semblait à présent fatiguée.
Je récupérai la planche et m'assis en face d'elle.
-De toute façon tu ne deviendras pas pro en une journée...
Ses iris s'implantèrent dans les miennes, comme si elle cherchait à lire en moi. Un frisson désagréable me parcourut alors et je déviai le regard, fixant mes DC shoes.

- Merci, Jason. J'étais persuadée que tu allais me rembarrer. Elle se releva rapidement. Quand je fis de même, je lui soufflai avant qu'elle s'en aille:
-La prochaine fois, évite les doc',achètes-toi plutôt des Vans ou des DC.

Éloignée d'une dizaine de mètres elle me hurla sans se retourner:
- C'est noté ! Demain, même heure, même endroit !

Et sa fine silhouette s'éloigna et disparu dans la pénombre de la nuit naissante.

Je restai là, debout au milieu du terrain vague, comme un idiot. Dans quoi je m'étais embarqué ?!

............

Lorsque je fis claquer la porte d'entrée bruyamment pour suggérer ma présence à ma génitrice, elle dévala les escaliers de la maison en trombe. Quand elle m'aperçut, elle me jeta un regard accusateur, me toisant de bas en haut, attendant de moi des explications.

- J'attends, jeune homme.
Comme si elle en avait vraiment quelque chose à faire de l'heure à laquelle je rentrais du moment qu'elle n'avait pas de problème avec les services sociaux.
- J'suis pas mort, donc tout vas bien.
Avais-je lancé en rejoignant ma chambre sans lui adresser le moindre signe d'affection.

Ma mère attendait de moi un comportement à la hauteur de ses attentes. J'étais d'après elle une erreur, un verre de trop qui avait finit avec un inconnu au fond d'un bar. Je n'étais absolument pas désiré mais ses parents forts croyants l'avait forcée à me garder. Quelle mauvaise idée...

Finalement, elle avait espéré que je devienne ce qu'elle n'avait pas réussi à devenir, en m'inculquant des valeurs plus que louches, attendant de moi que j'écrase les autres pour réussir. Mais tout cela n'était qu'une facette. Je pourrais presque parler de négligence à ce stade. Mais puisque j'avais 17 ans, j'en avais plus rien à foutre, je pouvais me gérer à peu près tout seul.

Mme Whey, passait son temps à boire et à s'envoyer en l'air de toute façon. Le frigo était rempli par je ne sais quel miracle... Je n'allais pas m'en plaindre.

Je jetai mon skate au pied de mon lit et m'affalai sur celui-ci, la tête enfouie dans les draps. Le tic-tac de ma montre, le poignet trop près de mon visage, je la retirai rapidement pour la lancer à l'autre bout de la pièce.

La radio allumée sur ma pile de vêtements, eux-mêmes entassés sur ma chaise en bois, diffusait le morceau « Dammit » du groupe Blink-182, sorti l'année dernière. J'aimais bien ce groupe car ils racontaient un peu n'importe quoi dans leurs chansons, des choses un peu futiles comme les relations amoureuses et les tendances anarchistes d'un ado californien.

En me redressant, je constatai avec désespoir que j'avais encore cassé les lacets de mes chaussures en les grattants contre le grip de ma board alors qu'elles gisaient nonchalamment au sol.

J'ouvris le tiroir grinçant de mon placard et en sorti une nouvelle paire de lacets, même s'ils n'était pas de la même couleur cela allait faire l'affaire.

Je me remémorai alors cette session de skate avec Ramona. « Elle déchire cette fille » regrettai-je instantanément d'avoir pensé. Elle était nulle en skate pour le moment, c'était véridique. Mais je n'avais jamais vu une telle flamme de détermination dans le regard de quelqu'un.

Mais je craignais malheureusement qu'elle était éprise d'un bref attrait pour ce sport seulement pour combler l'ennui. Et quand elle se rendra compte que c'est super dur et que cela demande de l'entraînement régulier, elle laissera tomber.

Surtout qu'elle s'engageait à s'exposer en ma présence, alors qu'elle avait des amis. Cette fille me paraissait être pote avec tout le monde. Donc elle risquait de vite lâcher l'affaire si elle se rendait compte qu'elle ne pouvait que s'attirer la haine collective en trainant avec moi.

Sur cette note plutôt pessimiste, je rejoignis la salle de bain pour appliquer de l'alcool sur ma cicatrice au visage. J'avais espéré que personne ne la remarque. Des abrutis auraient encore pu inventer une histoire débile à mon sujet à base de combat avec des écureuils.

Observant mon reflet dans le miroir, je soulignai du bout des doigts la blessures qui avait pris une teinte violette. Une grimace crispée étira mon visage lorsque la douleur fut plus forte que la curiosité. Je n'avais qu'une envie, c'était de briser ce miroir. De ne plus jamais croiser ce visage qui m'horrifiait peut-être presque plus qu'il horrifiait mes camarades.

Mon cœur se serra, j'hésitais entre la rage et la tristesse, entre les cris et les larmes. Mes mains fermement agrippées au bords en céramique du lavabo, je retenais l'eau qui tentait de couler de mes yeux rouges et embués. Mes cheveux blonds en bataille semblait danser tels des flemmes qui narguaient tout mon être.

La peur, maintenant, me submergeait à son tour, se mêlant aux autres sévices qui m'habitaient. Le rôle que je jouais, l'image que je donnais, la personne que j'aspirais à être, tout cela n'avait aucune importance.
Rien ni personne n'était en capacité de m'aider car personne ne me voyait en tant que « vrai moi ».

Mes batteries se déchargeaient petit à petit alors que je devais simuler une jeunesse endiablée pleine d'énergie. La société voit en la jeunesse un lever de soleil, alors qu'on ne peut percevoir dans mes iris qu'un sombre coucher de soleil nuageux et gris.

Chacune de mes palpitations semblaient arriver plus lentement que la précédente, chacun de mes souffle était plus saccadé que le précédent, chacun de mes sourire était plus fade que le précédent.

Mais je détestais penser cela de moi. Je voulais être heureux, je voulais être plein d'énergie, je voulais être fun, je voulais être un ado normal bordel ! Je ne voulais pas être une putain de drama queen, je voulais être admiré, envié.

Ce que je voulais, c'était une vie normale, pleine de hauts et de bas, et pas seulement une vie glissant dans les tréfonds des abysses.

J'avais tenu tout ce temps grâce à l'ambition. Ce fin et imperceptible espoir qui vit au fond de tes entrailles. Je skatais depuis des années, une de mes rares passions avec la guitare. J'espérais passer pro. Je voulais pouvoir vivre de ma passion. J'avais pour l'instant seulement participé à quelques compétitions locales.

Hélas, le skate n'était pas vraiment une discipline pleinement reconnu au près des médias. Se faire connaître dans le milieu était assez compliqué. Mais c'était pour cette raison que je passais mon temps à m'entraîner, en dépit de mes études.

Si Ramona tenant temps à apprendre à skater, il allait lui falloir au moins 1 an juste pour maîtriser le fait de rouler et le premier tricks de base : le Ollie.
Je comptais bien l'aider si elle tenait tant à réussir.

Même si ça me faisait mal de l'admettre, je lui en devait une. Contrairement à l'autre enfoiré qui s'était tiré sans regarder derrière lui, Ramona avait au moins pris la peine d'appeler les secours pour moi. Cette fille était plus sympa que ce j'estimais pour l'ensemble des niais adolescents qui me servaient de camarades de classe depuis la première année de collège. Elle était différente.

Mes jambes étaient lourdes, comique pour un skater. Mes pas étaient douloureux mais ils me conduisirent une nouvelle fois jusqu'à mon lit ou je m'endormis rapidement, épargné par mes démons.

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