C͟͟͟͞͞͞h͟͟͟͞͞͞a͟͟͟͞͞͞p͟͟͟͞͞͞i͟͟͟͞͞͞t͟͟͟͞͞͞r͟͟͟͞͞͞e͟͟͟͞͞͞ 1͟͟͟͞͞͞2͟͟͟͞͞͞

18 septembre 1998 : PDV Ramona

J'étais allée à ce rendez-vous. J'avais vraiment envie de faire du skate avec Jason, de m'amuser avec lui, de rire, de tomber, d'écouter ses conseils parfois bancals.

Donc je m'étais même préparée. J'avais fais un effort pour une fois. C'était peut-être idiot mais j'avais pris le soin d'appliquer un train d'eye-liner. J'avais soigneusement sélectionné mes vêtements; mon débardeur noir à l'effigie de TheOffspring, mon cargo beige tombant négligemment sur mes nouvelles DC que j'avais achetées exprès. Bref, j'étais parée et motivée.

En me rendant sur le terrain vague, j'avais un large sourire sur le visage et je sautillais de manière enjouée. Mais ce sourire s'effaça au fur et à mesure des minutes qui passaient sans que je ne le vois arriver. Un goût amer avait commencé à faire son apparition dans ma bouche. Le goût de la trahison, de l'humiliation de s'être fait poser un lapin.

Il n'avait même pas pris le soin de me prévenir. J'étais affreusement vexée. Mon ego avait pris un coup. J'avais donc décidé d'être en colère contre lui plutôt que d'exposer la moindre once de tristesse. Je suis rentrée chez moi bredouille ce soir là, les poings serrés et les dents grinçantes.

Mais quand je me suis rendue au lycée le lundi suivant, il n'était pas là. J'étais d'abord déçue de ne pas pouvoir le confronter et lui cracher en face ce qu'il m'avait fait ressentir. Mais une inquiétude mal placée s'était glissée en moi et me rappela qu'il n'avait peut-être pas été volontairement absent lors de notre rendez-vous.

Cette intuition fut effectivement justifiée par son absence lors des jours suivants. Il ne vint pas au lycée de toute la semaine. Sa chaise restait inlassablement vide et son bureau dénué d'affaires scolaires. Un désagréable frisson avait dévalé mon échine quand j'avais repensé à la douloureuse confession qu'il m'avait fait le soir de sa venue chez moi.

Je m'étais vraiment attachée à Jason...je crois. Ne pas le voir pendant aussi longtemps, aujourd'hui, m'inquiétait alors qu'il y a encore quelques mois, n'aurait strictement rien changé à ma vie, voir, je ne l'aurais même pas remarqué.

Une désagréable boule d'anxiété naissait et grandissait petit à petit au fond de mon estomac. Elle se nourrissait de moi, de ma sinistre imagination et tous les scénarios les plus atroces qu'elle pouvait créer.

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J'avais donc décidé de me rendre une nouvelle fois au terrain vague après les cours. Mes pas m'y avaient menée sans grande difficulté, malgré mon habituel manque d'aisance avec l'orientation.

Postée devant ce qu'on pouvait appeler « l'entrée » du terrain vague, je restais là, debout, les bras ballants, à scruter l'espace plat et vide qui s'offrait à moi dans le plus glaçant des silences.

Je pouvais presque imaginer les touffes de pailles traverser la plaine grâce au vent, tel un bon vieux western des années 60.

Ce fut donc tremblante que je m'aventurai à pénétrer cette espace qui, dans mon naïf imaginaire, était uniquement réservé aux skater expérimentés. Chacun de mes pas laissait une trace dans le gravier avec délicatesse.

J'atteignis le lisse et saint béton que les riders affectionnaient tout particulièrement et je pus presque ressentir sa présence en ces lieux, tant il avait dû y passer du temps.

Mon attention fut attirée par un morceau de bois plutôt fin qui semblait s'échapper d'un buisson en bordure de bitume. La scène me revint alors subitement, comme un boomerang qu'on aurait oublié depuis de longues minutes.

C'était de ce fameux buisson que Jason avait sorti le skate qui m'était destiné, la première fois. Toutes les émotions, les rires, les chutes...tout me revint. Je me sentais presque comme propulsée contre un mur tant cette vague de sentiments me submergea violemment.

Je sortis alors la board de sa cage faite de branches. Elle était presque intacte, à part la petite fissure sur son nose, à cause de ma première zipette. Je la déposai devant moi, la fixant hésitante. J'en avais envie, vraiment...Mais cette idée me paraissait tellement inconvenante. Mais je ne résistai pas plus longtemps à mon désir et montai finalement dessus.

Au début, je ne savais pas vraiment quoi faire. Je restais en équilibre dessus, dans l'espoir de pouvoir poser mes mains sur ses bras, qu'il me guide, me parle, me soutienne, m'encourage, corrige mes erreurs...tout ce qu'il ne pouvait pas faire avec moi en cet instant.

Je souhaitais ardemment qu'il apparaisse au bout de la rue et qu'il me rejoigne. Je souhaitais qu'il me dise que je faisais très mal tel ou tel mouvement pour que je puisse profiter de sa présence encore une seconde de plus avant qu'il ne m'échappe encore.

Mais non...j'étais désespérément seule sur ce morceau de bois et de métal. Alors mon pied donna un coup au sol me faisant lentement avancer. Puis il en donna un deuxième, et un troisième, avant que je ne réussisse à me sentir à l'aise sur cette planche.

Le vent était de plus en plus tranchant contre la fine et fragile peau de mon visage. J'essayais d'appliquer touts les conseils que Jason m'avait donnés et je commençais à comprendre le plaisir que pouvaient ressentir les skater. C'était comme redécouvrir le concept de liberté, de pouvoir sur son propre corps. Je ne voulais plus la quitter, plus jamais. Même si je tombais, je me relevais à chaque fois.

......................

Après une bonne heure de try hard, une ombre sembla s'imposer à ma vision. Un shot d'adrénaline alimenta alors subitement mes veines. Mais la mince once d'espoir qui s'était immiscée en moi s'évapora aussitôt quand je reconnu la démarche nonchalante de Neil.

Il n'avait pas l'air d'exprimer la moindre émotion négative, mais il ne semblait pas non plus au summum de la joie. Je restais perplexe face à sa présence ici avant de voir qu'il portait sa bord à la main. Quelle idiote !

Son visage s'illumina pourtant quand il me reconnut. Ses cheveux châtains en bataille se mirent à sauter dans tous les sens quand il courut vers moi. Il passa sa main dans ses cheveux et se posta à un mètre de moi, comme étonné de me voir ici.

Je me rappelai alors qu'il s'agissait d'un ami de Jason. Il était peut-être au courant de quelque chose ! Je m'empressai alors de lui demander.

- Hey Neil ! Tu sais ce qui est arrivé à Jason ? J'ai pas de nouvelle depuis une semaine. Le ton de ma voix était peut-être un peu plus paniqué que ce j'avais voulu laisser paraître car une expression pleine d'étonnement apparu sur son faciès.

- Personne ne t'a mise au courant ? Je secouai la tête négativement. Il a été retrouvé inconscient dans sa cuisine par les services sociaux, la semaine dernière. Il est à l'hosto.
Une enclume s'abattît sur moi. Mes pires angoisses s'étaient donc avérées fondées. Je mis un moment avant de réussir de nouveau à expirer.

Ne recevant pas de réponse de ma part, Neil s'écarta de quelques mètres pour se trouver un spot sympa pour son training. Je l'observais bouger alors que j'étais immobile. Je l'entendais haleter alors que j'avais le souffle coupé. Chacun de ses mouvements brutalisaient avec condescendance ma paralysie.

.................

Après y avoir réfléchi approximativement...pas du tout et avoir réussi à remettre en route mon système musculaire, je me rendis à la hâte à l'hôpital le plus proche. Fort heureusement je pus m'y rendre à pied sans grande difficulté.

Je ressentais toujours un certain malaise dans les hôpitaux. Ces murs tout blancs, ce personnel en blouse terne et cette odeur infecte de gel désinfectant, tout cela avait le dont de m'angoisser.

Tout en combattant ma réticence, je franchis cette porte automatique d'un pas décidé. En arrivant dans la salle. Une demi douzaine de personnes plus ou moins visiblement malades ou blessées attendaient dans le silence le plus glandant.  Je me dirigeai immédiatement vers le comptoir où une quarantenaire m'accueille peu chaleureusement.

La femme en question releva ses prunelles grises sur moi par dessus sa paire de lunettes tordue. Ce regard désagréable me tendis encore plus que je ne l'étais déjà.
- C'est pour quoi ? Sa voix rauque traduisait une indéniable mauvaise habitude de tabagisme.
- Euhm...je viens voir Mr Jason Whey, s'il vous plaît.

L'employée lâcha un grognement et baissa les yeux sur le vieil écran de son ordinateur. Elle y pianota pendant un temps qui me sembla durer une éternité.
- Vous êtes de la famille ?
Merde ! Je n'avais pas envisagé cette question. Et s'ils me refusaient parce que je n'étais pas de la famille ? Je voulus imaginer un mensonge qui tiendrait à peu près debout mais ma bouche s'ouvrît précipitamment dans la confusion.
- Non. Mais je suis une amie très proche.

La secrétaire arqua un sourcil en me toisant de haut en bas pendant quelques secondes avant de finalement me lancer avec un certain dédain dans la voix :
- Très bien, mademoiselle, mais je vous préviens, pas plus de 30 minutes ! Le jeune homme doit se reposer.
Elle attendit ensuite de moi que je déguerpisse de sa vue mais je ne bougeais pas.
- Chambre 402. Rectifia-t-elle, levant les yeux au ciel.
Je disparus alors aussitôt de son champ de vision.

J'arrivai devant la porte qui affichait le nombre « 402 ». J'hésitai un instant avant de toquer d'abord de manière presque inaudible puis, plus vigoureusement. Une petite voix craquelée me répondit :
- Entrez. Cette petite voix me déchira le cœur. Elle décelait une douleur assez évidente. J'avais peur de ce que j'allais voir en poussant cette poignée. Mais je m'y risquai finalement.

Jason était dans un lit d'hôpital, assis, le dos contre 2 oreillers. Son visage était pâle, d'immenses cernes violets creusaient ses yeux assombris et de nombreux câbles perforaient ses avant-bras. Mais il n'était pas dans un état aussi désastreux que ce que j'avais osé imaginer. Il sourit même quand il me vit dans l'encadrement de la porte.

- Ramona ! C'est toi ! Je pensais que tu ne viendrais jamais. Une pincée de soulagement mêlée au désespoir fut décelable dans cette exclamation. Je lui souris en retour et accouru vers lui après avoir refermé la porte dernière moi.

Je ne pus me retenir de le serrer dans mes bras, rassurée de le voir en vie, souriant et relativement entier. Ses bras autour de moi étaient fébriles mais il semblait au moins autant ravi que moi de me voir ici.

Je m'assis ensuite au pied de son lit sous son regard illuminé. Je souhaitais à présent savoir. Il ne pouvait plus me mentir après ce qui c'était passé. Ce fut donc prudemment que j'essayai de lui poser la question fatidique.

- Jason, comment ça a pu arriver ? Que s'est-il passé ? Seul le silence ambiant me répondit.
Ses yeux s'abaissèrent pour fixer le drap blanc dans lequel il était couché. Il ne voulait toujours pas en parler...

Il triturait nerveusement ses doigts et se mordit la lèvre inférieure avec tant de vigueur que je crus presque apercevoir une petite coulée de sang sur celle-ci. Seul de l'air s'échappa au début de sa phrase avant qu'il ne murmure ces paroles :
- Tu n'as pas besoin de savoir ce qu'il s'est passé...

J'attendais la suite de ses explications qui mit près d'une bonne dizaine de secondes à venir.

- Tout ce que je peux dire, c'est que ma mère en a visiblement rien à foutre de ma gueule.
Je penchai légèrement la tête sur le côté, interrogée.
Elle est recherchée par la police. Elle s'est barrée après m'avoir tabassé.

Ma mâchoire faillit presque s'en décrocher. Cette femme avait osé se tirer impunément après avoir presque battu à mort son propre fils, son sang, la chair de sa chair. Cela me valut un désagréable haut-le-cœur que je réprimai avec difficulté.

Je regardais à présent le skater avec compassion même si je savais pertinemment qu'il détestait cela. La véritable question que je me posais en cet instant était : qu'allait-il advenir de lui maintenant que sa mère était en fuite ?

Tout ce que je pus lui apporter aujourd'hui fut un peu de compagnie et de soutient, mais je savais qu'il n'allait pas remonter la pente aussi facilement que les fois dernières...je le savais, et il le savait aussi.

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