4 : Interrogée (2)

Perdue, n'osant y croire, Edith balaya la pièce du regard : elle était dans un cachot. L'auror était assis face à elle, entouré par quatre collègues. Le visage froid, cet homme au ventre arrondi l'observait avec attention. Depuis combien de temps étaient-ils là ? Elle n'avait pas entendu la porte de sa cellule grincer et elle doutait qu'on puisse se téléporter librement dans les cachots du Ministère. Mais était-ce un cachot ? Une salle d'interrogatoire ? 

Sentant leurs regards la transpercer, elle s'éclaircit la voix et continua de jouer l'idiote.

Si vous ne voulez pas me passer votre baguette, rendez-moi présentable alors, souffla-t-elle en français moins assurément qu'elle l'aurait souhaité.

Cinq paires de yeux la fixaient, quatre mains serrant fortement leurs baguettes, prêts à intervenir à tout instant. Seul le vieil auror sur sa chaise la regardait avec amusement.

Ça doit être lui qui lit mon esprit, pensa-t-elle derrière ses barrières inviolables. Il fallait qu'elle continue de l'embrouiller, pour l'empêcher de trouver son mur érigé autour de son secret. Qu'importe s'il ressemblait à un gentil grand-père, nul ne pouvait savoir s'il ne servait pas Lord Voldemort de plein gré ou de force.

Personne ne parle donc français ? Quels rustres ! Comment peut-on vivre sans maitriser la langue de l'amour et de la diplomatie ? Devait-elle vraiment s'abaisser à l'anglais ?

— No frrench ? demanda-t-elle dépitée, prenant son parfait accent français.

Eux non, mais moi oui, lui répondit en français le vieil auror, un sourire amical sur les lèvres. Mais ne restez pas par terre, asseyez-vous sur la chaise, je vous prie.

Edith lorgna celle d'interrogatoire qu'il lui désignait.

— Une femme comme moi ne peut pas s'assoir sur une chaise. J'ai besoin d'un fauteuil, renchérit-elle pour ne pas perdre la face.

Toujours sur ses genoux, elle soutint le regard du supérieur. Leur duel dura une longue minute avant qu'un rictus n'étire les lèvres de l'auror. Il jeta un sort et la chaise se métamorphosa en un splendide canapé de velours.

— Merci bien, sourit-elle du mieux possible tout en se redressant.

La jeune sorcière déplissa par réflexe les plis de sa robe et vit que son jupon était dans un état déplorable. De quoi jouer son rôle de femme à la perfection.

— Pourriez-vous me prêter votre baguette pour que je mette de l'ordre dans ma tenue ? demanda-t-elle le plus aimablement possible.

Le vieil auror éclata de rire pour toute réponse. Ses collègues, ne comprenant pas, murmurèrent entre eux, jetant des regards méfiants à Edith.

— Madame, vous êtes magnifique, ne vous souciez pas de votre apparence. Maintenant, asseyez-vous car nous devons vous interroger, déclara-t-il en perdant toute chaleur.

Jouant son rôle, Edith prit une attitude de soumission et s'assit sans rien dire, fixant ses mains. Cela l'embêtait qu'elle ne puisse pas avoir confiance en qui que ce soit : elle aurait demandé à rencontrer le premier ministre qui l'aurait aussitôt innocentée. Mais non, elle ne pouvait se permettre de montrer le moindre lien avec qui que se soit. Elle ne pouvait pas non plus demander comment aller les Moldus, car si un des aurors était au service du seigneur des ténèbres, il saurait qu'elle s'inquiétait pour eux : son sang pur ne la sauverait plus.

— Quand êtes-vous arrivée dans ce bar ? demanda-t-il abruptement.

— Je rentrais du travail, donc je dirais vingt heure trente, répondit-elle après réflexion.

Il ne fallait pas qu'elle leur donne la moindre raison de se méfier d'elle, une personne n'ayant rien à se reprocher prendrait le temps de donner la vérité.

— Et que faisiez-vous dans ce bar ?

Edith cligna des yeux face à la question. Devait-elle avouer qu'elle avait fui un bel homme suite à son ton agressif, qu'elle avait transgressé la loi en transplanant, et qu'elle avait atterri devant le pub où elle avait rencontré son beau moldu ?

— Je voulais boire un verre, répondit-elle le plus naturellement possible. Je travaille dans une grande boutique. Les clients sont rois, mais ils sont parfois épuisants, on a besoin d'un petit remontant, confia-t-elle.

— Pourquoi ce bar ? Pourquoi pas le Chaudron Baveur, une taverne sorcière ?

— J'aime bien les couleurs. Et puis, entre nous, je trouve l'offre de restauration très limitée au Chaudron.

Ce n'était pas faux. La lumière tamisée violette avait été magnifique sur le visage de son moldu. Que devenait-il ?

— Ça ne vous dérange pas d'être entourée de Moldus ?

Edith soutient son regard, tandis qu'elle réfléchissait à la réponse la plus appropriée. Elle ne devait pas montrer un dégout pour eux car elle aurait l'air coupable de l'attaque. Mais elle ne pouvait pas pour autant montrer son adoration ...

— Tant qu'ils ne me parlent pas.

Son interrogateur eut un rictus crispé, puis reprit son sourire engageant.

— Racontez-moi ce qu'il s'est passé.

— Je ne sais pas trop ce qu'il s'est passé, à vrai dire, concéda-t-elle faussement. Je buvais tranquillement quand des hommes masqués sont apparus : ils ont transplané. Vous imaginez ? Dans un bar ! Entourés de Moldus ! Violation de la loi ! Je pense qu'ils devaient être sous emprise de l'alcool car ils ont jouer avec des consommateurs.

Oui, mieux valait ne pas montrer qu'elle savait qu'ils étaient des Mangemorts : s'ils avaient le moindre lien avec ces aurors, ils ne pourraient pas l'accuser de les empêcher de défendre leur "noble cause".

— En tant que bonne citoyenne et bonne sorcière, j'ai décidé de les arrêter avant que notre existence ne soit révélée aux Moldus ! J'en ai donc stupéfixiés.

Elle décida de taire tous les sortilèges de morts qu'ils avaient utilisé contre elle et de se concentrer sur l'essentiel : montrer qu'elle était une femme faible.

— Mais ils se sont mis très en colère. Ils ont mis le feu à l'établissement. Puis ils sont partis.

Elle ne pouvait pas avouer que c'était sa magie noire qui avait détruit le bar.

— J'ai tenté de tout réparer, puis un nouveau groupe est apparu. Encore effrayée par l'altercation précédente, j'ai tout de suite stupéfixié tout le monde. Puis j'ai été stupéfixiée à mon tour, conclut-elle, la voix légèrement tremblante.

Tremblante par son mensonge, mais parfaite pour son jeu d'actrice.

Le vieil auror acquiesça. Mais il continuait d'analyser ses pensées et il approchait dangereusement de son mur. Vite ! Il fallait le distraire ! Il allait trop loin dans son analyse des souvenirs tronqués qu'elle lui livrait. Elle devait orienter la conversation avant qu'il se rende compte des détails manquants.

— Avez-vous pu retrouver tous les Moldus ? demanda-t-elle en tentant de montrer un désintérêt personnel dans ses pensées. Je ne voudrais pas qu'ils dévoilent notre existence aux autres. Il aurait été plus simple de laisser le bar clos pour les avoir tous à disposition, mais vous comprenez, avec l'incendie, ce n'était pas possible.

— Vous avez en effet bien fait de leur ouvrir, concéda l'auror qui semblait avoir mordu à l'hameçon. Ne vous inquiétez pas, le Ministère s'en occupe. Pourriez-vous me décrire ces sorciers soûls ?

— Bien sûr. Ils avaient des masques métalliques sur le visage. Peut-être revenaient-ils d'un bal masqué ? On en avait à notre école de magie, expliqua-t-elle.

Et elle superposa l'image de ces Mangemorts à ses souvenirs de lycéenne, les imaginant à la place de ses camarades dans les superbes décors de Beauxbâtons. Elle les visualisait dans les jardins à la française, des lucioles et minuscules fées leur déposant des fleurs sur la tête. Une coupe de champagne à la main, ils s'extasiaient devant les jets d'eau colorés, dignes des fontaines de Versailles.

S'il pense encore que je suis un danger, je ne sais plus quoi inventer.

— Madame, avez-vous conscience de l'état actuel de la Grande Bretagne ? la coupa-t-il dans son imagination.

Il la scrutait, analysant sa moindre expression faciale.

Bien sûr qu'elle le savait. Mais mieux valait jouer l'idiote.

— Je sais qu'il y a quelques tensions, mais je ne m'y intéresse pas trop : en France, notre Ministère est assez efficace pour que nous n'ayons pas à nous inquiéter.

Une veine sur la tempe du vieil homme apparut, il ne devait pas apprécier d'être traité d'incompétent.

— Mais je suis sûre que le Ministère britannique est tout aussi compétent et que je n'ai pas à me soucier de ces broutilles. Je suis venue pour ouvrir une boutique. Je ne sais pas si vous me connaissez, mais je suis Edith d'Aveyron, la fondatrice d'IllumisMoa. Je sais les sorciers britanniques de bons goûts, il était donc normal de venir y chercher une clientèle. Je m'étais intéressée au marché américain, mais ils sont un peu trop... contemporains pour mes créations, confia-t-elle en plaisantant.

Une idiote qui ne faisait pas attention à la vie politique, qui ne pensait qu'à l'argent et avait des aprioris sur le changement, voilà l'image parfaite d'une insouciante incapable d'être un danger.

— Selon vos dires, vous avez fait face à des Mangemorts, la coupa-t-il d'un ton froid.

— Des quoi ?

— Des Mangemorts.

Edith resta immobile. Que pouvait-elle donc bien penser pour paraitre stupide et éviter tout soupçon ?

— DES CANNIBALES ? hoqueta-t-elle en ouvrant grand les yeux, jouant la femme affolée. Ciel, vous avez ça en Grande Bretagne !

Les aurors pointèrent leur baguette vers elle, alors qu'elle avait haussé le ton. Mince, elle n'avait pas voulu les effrayer.

— Je suis végétarienne, je ne peux pas manger de chair, c'est trop cruel ! Je vous assure que je ne fais pas partie de ce régime alimentaire ! plaida-t-elle. No eat death, I promise ! traduit-elle en anglais à leur attention.

Le vieil auror la scrutait, cherchant à lire en elle.

— C'est bien ce que vous me dites, vérifia-t-elle faussement. Des mange-morts ? Oh, quelle idiote, je me suis emportée. Ce sont des nécrophages. Mais alors, à moins qu'ils consomment bien de la chair humaine, ce sont juste des hommes normaux, non ? se questionna-t-elle bêtement. La viande qu'on consomme est par définition un bout de cadavre.

— Mangemorts ! la coupa-t-il. Ce sont les fidèles du seigneur des ténèbres ! Ce sont des terroristes qui massacrent des Moldus ! Ils s'attaquent même aux sorciers maintenant, à tous ceux qui ne suivent pas leurs idéaux de sang pur ! aboya-t-il légèrement hors de lui.

Elle allait l'achever.

— Quel manque de savoir vivre. Mais, monsieur, je ne vois pas en quoi cela me concerne. Je suis une sang pur, d'une des lignées les plus nobles de France. Si vous avez fini, pourrais-je partir ? J'ai des commandes à assurer.

La jeune femme de vingt-trois ans sourit poliment, le plus indifféremment possible. Elle avait prouvé qu'elle ne connaissait rien au Seigneur des Ténèbres donc qu'elle ne faisait pas partie de sa secte, mais avait aussi pu détruire toute supposition de fraternité avec les Moldus, si jamais des infiltrés Mangemorts se trouvaient dans cette pièce.

— Please ? continua-t-elle.

Le vieil auror entreprit de traduire l'échange à voix basse avec ses confrères. Edith se maudit de n'avoir pas sa baguette pour lancer un sort pour les entendre. Elle se contenta donc de penser à tout et rien : elle sentait toujours une présence dans son esprit.

Comment faire pour chasser cette présence ? Elle était épuisée de devoir penser sans cesse à de nouvelles choses. Que savait-elle des sorciers britanniques ? Qu'ils étaient très prudes.

La grande couturière repensa aux aurors à ses pieds alors qu'elle les débarbouillait, puis à son beau roux. Elle sentit la présence dans son esprit très intéressée par ce souvenir. Il allait en avoir des choses à raconter à ses collègues.

— Excusez-moi, désolée de vous interrompre ! Mais il y avait un homme roux aux yeux bleus dans ce groupe d'Aurors... Est-ce que vous connaissez son nom ? demanda-t-elle le plus innocemment possible. Handsome man ?

Et puis, un peu honteuse d'utiliser son beau moldu, elle laissa ses souvenirs de leur nuit passée ensemble refluer. Ce n'était pas bien compliqué car elle se souvenait de chaque instant qu'ils avaient partagé. Elle revit son sourire timide alors qu'elle pleurait sur son épaule, se souvint de l'auréole de lumière semblant l'entourer lorsqu'il avait sorti son briquet, repensa à ses mains autour de ses hanches pour la soutenir alors qu'elle trébuchait...

Mince, voilà qu'ils étaient plusieurs à épier ses pensées.

Il allait falloir sortir le grand jeu pour les gêner.

Elle revisualisa leur passion de cette nuit de Mars 1976, alors qu'ils se découvraient dans son appartement. Elle repensa à la chaleur de son corps contre le sien, la douceur de ses lèvres contre sa peau, son regard envoûtant alors qu'il l'admirait, sa musculature digne des plus belles statues grecques et puis, contrairement à celles-ci, un organe masculin plus...

Des coups à la porte se firent entendre. Personne n'entra, elle ne s'ouvrit pas non plus. Mais cela l'avait déconcentrée et elle ne savait plus où elle en était.

Mais en fin de compte, elle n'en avait plus vraiment besoin puisqu'il n'y avait plus la moindre présence dans son esprit. Le vieil auror toussait, le rouge aux joues, certains de ses collègues aussi, un sourire aux lèvres. Ils ne comprenaient peut être pas le français mais, comme la musique, l'image est universelle.

— Know him ? redemanda-t-elle le plus innocemment possible.

— Nous ne sommes pas des entremetteurs, madame, lui répondit un en anglais, un sourire charmeur aux lèvres. Mais je suis personnellement disponible si vous avez besoin d'un "handsome man".

Edith lui aurait souri si elle n'était pas censée ne pas comprendre un traître mot d'anglais. Quel dommage, il était pourtant magnifique.

— Sorry, no english me. Frrench ?

Tout le monde éclata de rire alors que le vieil auror refusait de traduire. Le grand blond s'approcha d'elle et lui baisa la main.

— Je souis votwe omme, répondit-il dans un français prononcé à l'anglaise.

— Vous êtes mon homme ? répéta-t-elle. How cute ! I am yourr womane, then !

Et elle lui prit sa main et y posa ses lèvres avant de lui sourire, plus séductrice. Il rosit sous le rire des jeunes aurors qui avaient oublié qu'ils étaient toujours en interrogatoire. Ils étaient après tout encore dans la vingtaine, et pour beaucoup non fiancés, elle devait être la femme avec qui ils avaient été le plus intime.

Pour dire à quel point ils sont coincés ces anglais.

— Vous pouvez rentrer chez vous, Lady d'Aveyron. Assurez-vous d'être disponible si nous avons une nouvelle requête, lui expliqua leur chef.

— Bien entendu, monsieur, je vous remercie pour votre temps.

Il lui tendit alors sa baguette et Edith sourit de bonheur en la reprenant en main : elle se sentait de nouveau complète.

Après un remerciement, elle lança quelques sorts et ses cheveux retombèrent parfaitement, toute trace de saleté s'estompa. Les plis de sa robe se défroissèrent et elle fut de nouveau impeccable, comme n'importe quelle créatrice de mode se le devait.

Puis un gardien la mena à travers le labyrinthe qu'était le Ministère jusqu'à la sortie. Après un grand sourire, la française entra dans l'ascenseur et remonta jusqu'à la surface, arrivant dans une cabine téléphonique à l'apparence banale. Elle en sortit et vit qu'on était encore en pleine nuit. Quelle heure était-il ? Deux heures ? Qu'importe.

Son secret n'avait pas été découvert et elle était libre.

Elle admira le ciel étoilé, la brume s'étant enfin levée. Rêveuse, elle huma l'air frais de ce mois de Janvier, les yeux fermés. Elle avait tendance à vivre dans le futur et à ne jamais se concentrer sur le présent. Mais maintenant qu'elle avait frôlé la catastrophe, elle allait profiter de chaque merveille que la nature lui offrait.

Comme son moldu.

Amusée par cette pensée, elle rouvrit les yeux et sursauta.

Il était à quelques mètres d'elle, l'observant silencieusement.

Petit cadeau : un chapitre en plus, c'est moi qui régale !

Alors, comment s'en est sortie Edith selon vous ?


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