19,2 : Sous morphine

Tout le monde sursauta alors qu'elle se détachait de son coussin blond, tentant de se relever. La morphine faisant toujours effet, elle chancela et ce ne fut pas deux mais quatre mains qui la stabilisèrent.

Darron jeta un regard noir au mangeur de grenouilles qui, lui, lui souriait de toutes ses dents.

Barbie a deux ken pour elle, barbie est contente ! s'exclama la grande couturière en encerclant chaque cou de ses chevaliers d'un bras et les ramenant vers elle.

— Elle est toujours sous morphine, rappela le mangeur de grenouilles.

— J'avais cru comprendre, maugréa le grand roux en se doutant bien qu'elle ne le traiterait pas si amicalement l'esprit clair.

— Qu'est-ce qu'un ken et une barbie ? demanda le chargé d'affaire, ravi de voir son petit protégé aussi jaloux : cela voulait dire qu'il désirait enfin quelque chose et qu'il se pensait assez digne pour le convoiter.

— C'est un jouet moldu ! répondit avec enthousiasme la fan des moldus, des étoiles dans les yeux, prête à se lancer dans une grande explication.

— Je l'ai ! les interrompit un auror parti chercher une fiole de Veritaserum, cette potion de vérité qui une fois bue empêchait la personne de mentir.

— Merci bien, le remercia l'enquêteur avant de se tourner vers la française. J'allais vous proposer une chaise mais une femme comme vous ne peut pas s'assoir dessus, il vous faut un fauteuil, reprit-il ces mêmes mots qu'elle lui avait adressés quelques semaines plus tôt lors de leur premier interrogatoire. Accio fauteuil. Je vous en prie, asseyez-vous, l'invita-t-il.

— Vous êtes un petit rigolo vous ! sourit Edith. Enfin rigolo, je ne sais pas, mais petit...

La salle étouffa un rire alors que le chargé d'affaire accepta le fait avec calme.

— Je vous en prie, la réinvita-t-il en montrant le fauteuil.

— Quel gentleman, rit la française en tentant un premier pas vers le dit siège.

Darron la rattrapa aussitôt qu'elle bascula et sans réfléchir la souleva et la porta jusqu'au sofa.

Il entendit le ricanement du mangeur de grenouilles derrière lui mais ne s'en soucia pas plus, tentant plutôt de ne pas penser au corps de sa française contre lui.

Je vole ! s'exclama cette dernière pas le moins du monde émue. Regarde Phil, je suis un oiseau ! Fiou, fiou, chantonna-t-elle en battant des bras.

Si le grand roux eut un petit pincement de cœur alors que, même dans ses bras, elle se tournait vers son rival, il rit en la voyant imiter l'oiseau : lui qui l'avait connue séduisante, envoutante, douce, taquine, voilà qu'il tombait une nouvelle fois sous son charme alors qu'elle était à présent adorable.

Le regard taquin de son mentor le fit rougir et il s'empressa de déposer sa française sur son trône et de se ranger derrière son ancien professeur, hors de sa vue.

Face au rire de son mentor, il tenta de se justifier.

— Ce n'est pas ce que vous croyez.

— Je ne crois rien, Darron, je me souviens seulement qu'elle cherchait l'homme roux aux yeux bleus du bar, l'handsome man, reprit-il mot pour mot ce qu'elle avait demandé quelques semaines plus tôt.

Son mentor lui jeta un rapide coup d'œil,  un sourire aux lèvres, puis se rapprocha d'Edith.

— On dirait que vous l'avez retrouvé.

— Qui ? demanda celle-ci perdue alors qu'elle suivait du doigt les lignes du tissu de son fauteuil.

— Votre handsome man.

Un sourire éclatant illumina le visage de la jeune femme alors qu'elle émit un oui franc mais en quelques secondes son expression se métamorphosa et elle perdit ses yeux dans le vague.

Le cœur de Darron se serra, comprenant bien que son souvenir n'était pas plaisant. Mais il ne perdait pas espoir : il y avait eu en premier lieu un sourire, cela voulait dire que leurs premiers souvenirs étaient chéris, du moins l'espérait-il. Il lèverait les malentendus. Cela suffirait-il ? Pourrait-elle oublier ce qu'il lui avait fait ?

— Buvez ça, tendit son mentor à la française une tasse de thé contenant le véritaserum.

— Vous voulez m'empoisonner ? demanda suspicieuse celle-ci.

— Méfiance à juste titre, concéda l'auror aux cheveux gris avant de boire une gorgée de cette tasse. Je ne peux plus mentir à présent que j'ai bu du Veritaserum. Je jure qu'il n'y a pas le moindre poison dans cette tasse sauf si vous jugez que ce parfum de rose n'en est pas un : je n'ai jamais gouté un thé aussi répugnant, dit-il sous l'effet de la potion.

— Plutôt que critiquer mes goûts, regardez les vôtres, contrattaqua la couturière en jugeant du regard son style vestimentaire.

— C'est une robe de foncti... Buvez donc.

La française lui jeta un regard triomphant puis fit apparaitre une autre tasse qu'elle remplit d'eau avant de la tendre à son interrogateur.

Tchin ! dit-elle en cognant un peu trop leurs tasses.

Face au regard interrogateur des Aurors dans la pièce, elle leva les yeux au ciel et refracassa sa tasse contre celle de l'auror.

Cheers, souffla-t-elle avec l'accent français.

Et elle but cul sec sa tasse. Le vieil auror attendit quelques minutes, l'interrogeant sur des questions sans intérêt mais dont les réponses prouvaient que la potion était efficace. Alors il dirigea leur discussion vers les évènements de l'heure précédente et Edith perdit tout son enthousiasme : les yeux dans le vague, elle expliqua l'arrivée du mage noir, son intrusion dans son esprit puis la torture qu'elle avait subie. Aucune larme ne dévala ses joues, aucun tremblement ne put être entendu dans sa voix, elle semblait raconter l'histoire d'un autre et non la sienne.

— Il pensait juste que j'étais une mage noire qui voulait lui piquer son île, conclut-elle sans prendre de pincette. Comme si je n'avais pas autre chose à faire ! Surtout, qu'entre nous, chuchota-t-elle en se penchant vers son interlocuteur, si je devais envahir un pays, ça ne serait pas celui-ci : vous avez vu à quel point il pleut, il fait moche, il fait froid ? Et encore, on est au sud de la Grande Bretagne ! Je préférerais conquérir la Suisse ! Comme ça, en s'alliant, on formerait l'empire du fromage !

— Pardon ? s'étouffèrent-ils tous alors qu'ils étaient jusque-là pendus à ses lèvres.

— Enfin voyons, la fondue savoyarde, est-elle suisse ou française ? En ne formant plus qu'un pays, la fondue serait originaire de l'empire du fromage, point. Plus de débat ! se redressa toute fière d'elle comme si elle avait résolu un conflit géopolitique.

— Le pire c'est qu'elle le pense donc vraiment, soupira Philipe bien qu'un mince sourire étirait ses lèvres.

Le vieil auror observa encore quelques minutes l'interrogée qui recommençait à suivre de son doigt les lignes du tissu de son fauteuil.

— Je pense que nous avons toutes les informations essentielles. Monsieur Lebeau, vous êtes donc l'auror chargé de sa protection par la famille d'Aveyron même ?

Ce dernier acquiesça.

— Nous allons lui offrir nous aussi une protection étant donné que Celui-dont-on-ne-doit-pas-prononcer-le-nom s'est lui-même déplacé pour elle : elle lui a peut-être échappé une fois, mais pas deux. Voulez-vous participer au roulement ?

— Mettez moi sur les horaires nocturnes, acquiesça ce dernier avant de s'agenouiller devant Edith. Je vois quelques petites choses puis je te remmène chez toi, d'accord ? Tu peux tenir ? demanda-t-il d'une voix douce.

Cette dernière acquiesça mais aucun sourire ne vint illuminer son visage. Elle était à présent morne, vide.

L'auror français lui jeta un regard inquiet mais se rapprocha du vieil auror pour mettre au point ce roulement.

Pendant tout ce temps, Darron n'avait pas quitté du regard sa française. Depuis qu'on l'avait forcée à revivre son traumatisme, elle avait perdu toute trace de vie : elle avait bien défendu son idée d'empire du fromage mais il savait que ce n'était qu'un échappatoire aléatoire pour fuir ses souvenirs douloureux.

Il le savait car il avait déjà vécu des traumatismes, que ce soit la première vie qu'il avait prise, la première mort d'un collègue ou la vue d'un corps si déchiqueté qu'il n'en restait plus rien.

La laisser ainsi seule face à ses pensées sombres... et la laisser ainsi dans cette pièce... Elle n'était pas en état d'accepter la réalité et de séparer le doloris et le Seigneur des Ténèbres de son environnement. Elle cherchait au contraire tout échappatoire pour l'oublier, comme en s'intéressant au motif de son siège.

Hésitant, il s'approcha d'elle petit à petit puis s'agenouilla à deux mètres, légèrement en diagonal de sorte à ce qu'il n'envahisse pas son champ de vision.

Elle l'ignora, continuant de dessiner les arabesques de son fauteuil, et il patienta quelques minutes, n'entendant plus les discussions des Aurors au loin : tout ce qu'il écoutait était le souffle agité de sa française, témoin de sa détresse émotionnelle. Même sous morphine, la terreur restait tapie dans l'ombre.

— Que voulez-vous ? finit-elle par demander, le ton froid.

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