12 : Attaque au bar
Quelques semaines plus tôt...
Cette soirée le poursuivait depuis des mois, tant et si bien qu'il en venait à croire qu'elle n'était qu'un songe qui le pourchassait dans ses rêves. Il en avait gardé si peu de souvenirs, seulement quelques flashs tels qu'un regard noisette dans lequel il s'était noyé, un léger sourire lorsqu'il lui avait tendu son briquet, rictus qui s'était transformé en un lumineux soleil venu fondre le glacier emprisonnant son cœur, un rire contagieux, une voix ferme et séduisante. Il se revoyait sauter du pont de la Tamise pour l'y rejoindre, lui donner sa chemise pour la couvrir, courir ensemble dans le Londres endormi, être embrassé chez elle, se réveiller elle nue dans ses bras... Il avait parfois l'impression d'avoir été envouté. Comment pourrait-il expliquer autrement qu'il ait consommé l'acte du mariage avec une parfaite inconnue ?
En pensant à cela, la honte le prit. Nulle religion ou convenance ne dictait sa vision de la chose, mais il avait toujours considéré que l'acte charnel devait être consommé avec la seule et unique personne qui partagerait sa vie. C'était un lien pur qu'il convenait de préserver et voilà qu'il l'avait perverti pour un simple soir. Non, il avait définitivement dû être envouté, elle ne pouvait pas être humaine, il fallait que ce soit une vampire ou même une vélane !
Son parfum de lilas, la douceur de sa peau, ses baisers, la chaleur de ses lèvres, son expérience et sa façon de le guider... Non, il n'avait pu simplement en rêver.
Depuis ce soir de Mars, il avait repris sa vie comme si de rien n'était : diplômé l'année précédente, il combattait en tant qu'auror les mages noirs. Pourtant, malgré les combats acharnés et la mort planant constamment au-dessus d'eux, il se sentait vide. Le soir, il se trouvait seul face au souvenir de ces yeux noisettes et sous l'emprise d'un manque inexplicable. Il voulait revoir cette femme, lui qui n'avait aucun moyen de la retrouver. Elle était sûrement moldue, française de ce qu'il avait cru comprendre. Elle était très probablement repartie de l'autre côté de la Manche.
Etait alors paru dans le journal l'article qui allait mettre fin à son supplice : celui du très attendu défilé de la collection d'automne d'IllumisMoa. Jamais un tel titre n'aurait attiré son œil s'il n'était pas accompagné d'une photographie de la fondatrice de l'enseigne et grande couturière, Edith D'Aveyron. Comme toute image sorcière, la française se mouvait dans le cadre, offrant de grands sourires à l'objectif avant d'éclater de rire. Tout comme dans ses souvenirs, la forteresse de glace qu'était le cœur de l'auror avait une nouvelle fois un peu plus fondu, sous l'effet du soleil qu'était cette femme.
L'ayant retrouvée, Darron Shepherd n'avait fait qu'éplucher les journaux pour en savoir plus sur sa française : il avait même appris la langue de Molière pour elle. En tant que célébrité, de nombreux éléments de la vie de cette haute couturière étaient couchés sur le papier, il avait ainsi l'impression de la côtoyer à défaut de le faire véritablement.
Il savait tout ce qu'elle avait déjà dit de Beauxbatons, son patriotisme envers son pays, sa défense des valeurs héritées de la Révolution Française, et puis tous ses succès, ses collections enchainant records sur records.
Plusieurs fois il avait essayé de la revoir mais il n'avait jamais réussi à faire le dernier pas. Quelle était la probabilité qu'elle se souvienne de lui ? Après réflexion, elle avait bu ce soir-là. Et si elle ne se souvenait pas de lui ? Et si elle ne voulait pas de lui ? Si elle avait appris qu'il était né-moldu, le rejetterait-elle aussi ? Elle était une d'Aveyron, sang plus pur il n'y en avait pas.
Le britannique avait trop souffert à cause de son origine pour ne pas être effrayé. Alors, bien qu'il connaisse son nom, qu'il sache où la trouver, il n'avait jamais réussi à lui faire face.
Une seule fois il avait franchi la porte d'IllumisMoa, mais c'était celle du grand magasin de Paris, et il savait très bien que la couturière ne s'y rendait à présent plus que pour les rendez-vous, le reste du temps elle était dans sa boutique londonienne. Il était donc reparti avec une redingote et soulagé à l'idée de n'avoir pas pu être déçu.
Et voilà qu'il était une nouvelle fois au chemin de Traverse, en face de la boutique victorienne d'IllumisMoa. Il rêvait d'enfin pousser cette porte et se dévoiler à la sorcière, mais il avait bien trop peur d'être rejeté. Et puis, il ne saurait quoi lui dire.
Alors comme toujours, il resta bêtement debout face à l'enseigne, regardant les clients entrer puis en sortir le sourire aux lèvres. Enfin, tel un automate, ses pieds l'éloignèrent de sa française et il rejoignit le Chaudron baveur, où ses collègues l'attendaient.
– Alors, tu as fait ce que tu avais à faire ? demanda pour la forme un autre grand roux, provoquant des rires dans la tablée.
Darron Shepherd grogna pour toute réponse, entrainant une nouvelle hilarité. Nul ne savait véritablement qui tentait-il d'entrapercevoir si souvent après une rude journée, mais ils avaient bien compris que c'était une femme qui avait ravi son cœur.
– Demain peut-être, lui tapa dans le dos un autre avant de commander une nouvelle chope de bière.
– C'est bête, tu t'étais bien habillé, remit sur le tapis un autre un sourire en coin.
Darron accusa la taquinerie, sachant très bien que ce n'était pas de la moquerie. Le sujet de la tablée tourna autour des femmes encore quelques temps, ils n'avaient que vingt-cinq ans après tout. Après leurs études à Poudlard, ils avaient plongé dans celles d'auror, et voilà sept ans que la guerre n'offrait plus de permission à ce corps de métier. Darron était le plus jeune, puisqu'il venait d'être diplômé, il n'avait que vingt-deux ans. Pour des raisons personnelles, il avait demandé à être séparé de tous potentiels collègues de son âge car ayant étudié ensemble à Poudlard, ceux-ci le connaissaient que trop bien, et une fois la confiance brisée, elle ne pouvait plus jamais être restaurée.
– Vous avez vu Maugrey, lors de la contre-attaque du cimetière ? le sortit de ses pensées un grand blond. Il m'effraie plus que ces chiens de mangemorts !
Les jeunes hommes frissonnèrent d'unisson. Alastor Maugrey était un auror d'élite qui, lorsqu'il se battait, n'hésitait pas à avoir recours à des coups très bas : tout comme Machiavel, pour lui toute fin justifiait les moyens. Le voir planter sa baguette dans la gorge d'un loup garou n'en restait pas moins traumatisant.
– C'est un monstre, mais puisqu'il est de notre côté, je suppose qu'on peut dormir sur nos deux oreilles, souffla un autre.
– Un monstre ? C'est un héros oui ! Il m'a sauvé alors qu'un géant allait m'écraser avec sa batte ! s'étrangla un autre.
Le débat continua et nul ne fut choqué par l'horreur de la tournure que prenait leur conversation : lorsqu'on était soldat, on valsait sans cesse avec la mort, on apprenait à ne plus le prendre à cœur.
Mais une discussion plus loin interpella Darron.
– A ce qu'il parait, il y a une attaque chez les moldus, disait un sorcier en sirotant sa bière.
– Ce n'est pas à ce qui parait, c'est vrai, le coupa son voisin, un petit sorcier.
– Bon débarras, un peu de vermine en moins ! ricana un autre.
– Où avez-vous cette information ? les coupa sèchement Darron qui les avait rejoint, leur jetant des regards noirs, bientôt suivi par tous ses collègues.
Face à son aura furieuse, les trois sorciers se turent puis le petit sorcier s'empressa d'expliquer rapidement qu'il avait vu de la fumée s'élever dans les airs en entrant dans le bar.
– Un feudeymon sans aucun doute, assura-t-il.
Il n'en fallu pas plus pour qu'un grand auror blond, Edward, se téléporte pour prévenir ceux encore en service au Ministère. Alors qu'un autre tentait d'avoir plus de détails auprès du lanceur d'informations pour localiser l'attaque, Darron écarte ce roux et plongea son regard dans les yeux effrayés du petit sorcier. Sans la moindre demande de permission, il plongea dans ses souvenirs sans prendre garde à ne pas le brusquer et il devina l'emplacement de l'attaque.
Le bar où il l'avait rencontrée.
Il aurait voulu hurler contre ces trois sorciers papotant tranquillement autour d'un verre d'un énième massacre, même s'en félicitant, mais il n'y avait pas de temps à perdre.
– Je sais où c'est, décréta-t-il en relâchant le petit sorcier qui prit de grandes inspirations pour calmer sa frayeur.
Puis il transmit par la pensée un souvenir du bar à ses collègues pour qu'ils puissent s'y téléporter. Dans toute équipe d'aurors, on essayait d'avoir au moins une personne qui pratiquait la Légimentie, soit la télépathie. Darron était celui de ce groupe qui en était capable.
– C'est... c'est une violation personnelle ! Je me plaindrai ! Je vais... bégaya le petit sorcier ayant repris contenance.
– Faites donc, le coupa Darron. Mais on vous répondra qu'en temps de guerre, les aurors ont tous les droits.
Et il transplana avec ses collègues, baguette tirée, prêt à combattre les mangemorts, tout en espérant ne pas arriver trop tard.
A peine se rematérialisa-t-il qu'il se figea, victime d'un stupéfix. Incapable de bouger, il ne put rien faire d'autre que basculer en avant, s'écrasant sur le sol. Il entendit tous les corps de ses collègues tombaient à ses côtés. Il aurait dû paniquer, mais il avait vu dans sa chute que le bar était vide . Il y avait bien eu une attaque en vue des meubles brulés et des lustres au sol, mais il n'y avait plus ni moldus, ni mangemorts. Non, il n'avait vu qu'une femme, le regard noisette déterminé.
Et cette femme, c'était sa française. Il en était persuadé.
Mais que faisait-elle là ? Pourquoi les attaquait-elle ? Et pourquoi il y avait cette lueur de haine dans ses yeux ? Pourquoi était-elle seule ? Pourquoi n'y avait-il aucun mangemort se délectant de son crime ? Où était celui qui avait attaqué ce bar ? Elle ne pouvait tout de même pas être... responsable de cette attaque ? C'était tout bonnement impossible, elle avait adulé tant de fois dans des articles le respect des droits de l'homme, de l'homme, pas des sorciers ! Non, il ne pouvait croire qu'elle puisse être la responsable de ce chaos ! Alors pourquoi était-elle seule ? Et pourquoi riait-elle à présent?
Le britannique sentit ses tempes battre à toute vitesse alors qu'un murmure indéchiffrable suivit cette hilarité inexpliquée. Et puis l'obscurité gagna la pièce, toute source de lumière ayant été volée par le sortilège Nox. Il entendit des pas, ses pas, s'approchaient d'eux. Puis il perçut le son mat des corps de ses collègues retournés. Mince, personne ne contrôlait plus rien ! Que faisait Edward, son collègue parti prévenir le Ministère, les aurors en service devraient arriver !
La douleur du choc physique comme émotionnel commençait à lui faire tourner la tête. Sa française ne pouvait pas être... une énième sang pur folle de théorie qui asseyait sa supériorité ! Non, elle ne pouvait pas être un danger pour les hommes, ni un monstre ! Il ne voulait pas y croire !
Ses pensées tournaient si vite dans sa tête qu'il n'arrivait plus à entendre ce qu'il se passait aux alentours. Avant qu'il ne puisse comprendre quoi que ce soit, on lui attrapa les flancs et il fut retourné sur le dos. Son corps le fit souffrir mais il ne pouvait rien faire d'autre que subir, figé qu'il était. Il ne voyait rien dans ce noir complet, mais sentait la présence de quelqu'un au-dessus de lui. De sa française. Lui qui s'était imaginé milles retrouvailles, il n'était pas sûr d'apprécier celle-ci.
Il sentit alors un mouchoir venir essuyer le filet de sang qui s'écoulait de son nez. Un mouchoir ? Il ne comprenait plus rien. Il sentait seulement cette odeur de lilas qui venait noyer toute capacité de réflexion. Si ses yeux auraient pu le tromper, maintenant il était assuré que c'était sa française. Tous ses sens le lui criaient.
Voyant qu'elle ne lui faisait pas de mal mais épongeait son sang, il commença à imaginer une alternative à la réalité : elle aurait très bien pu venir dans ce bar par habitude, ou parce qu'elle l'attendait -bien qu'il sache que cette option n'était pas envisageable-, que des mangemorts soient venus attaquer les moldus et qu'elle ait défendu ces derniers ! Elle ne serait alors plus un monstre mais une héroïne et très puissante pour repousser à elle seule des fidèles du seigneur des ténèbres ! Mais comment aurait-elle fait ? Même eux, aurors, s'étant entrainés encore et encore, n'arrivaient pas à attraper ces chiens !
Le souffle caractéristique de transplanage se fit ressentir et après un lumos de la part des nouveaux arrivants, la sorcière s'effondra sur Darron, stupéfixiée. Un sort d'impassibilité fut lancée contre cette dernière, et avant que Darron ne puisse pas faire quoi que ce soit, il sentit le poids de la sorcière lui être retirée et le souffle d'un transplanage : quelqu'un venait d'emporter Edith d'Aveyron.
Alors il se rendit compte que ce n'était peut-être pas ses collègues à lui, mais des mangemorts venus récupérer leur acolyte ou enlever celle qui avait défendu les moldus.
– Fouillez les lieux ! Et défigez les moi ! aboya le chef de l'équipe arrivante.
– Finite incantum, lança un.
Et tous les sorts furent levés. La lumière fut de nouveau rendue à la pièce, brûlant les yeux du né-moldu.
– Qu'est-ce qu'il s'est passé ? le questionna aussitôt Edward qui l'aidait à se relever.
– Je... On est arrivés... Puis pouf, stupéfixiés ! ne réussit-il qu'à expliquer.
– Mais que faisait Edith d'Aveyron ici ? Tu te rends compte qu'elle est suspecte numéro un ?
– Comment la connais-tu ? s'étonna l'auror.
– Darron, qui ne la connait pas ? On voit son nom apparaitre tous les quatre matins dans les rubriques célébrité !
Darron se sentit idiot de ressentir de la jalousie alors qu'un drame s'était produit, mais il n'avait encore jamais pris conscience que tout ce qu'il savait d'elle, et bien tous les autres sorciers le savaient aussi. Ce qu'il pensait partager avec elle n'était rien d'autre qu'une illusion. Il avait autant de lien avec elle qu'elle n'en avait avec n'importe qui. Et ça faisait très mal de l'admettre.
– Sa baguette ! J'ai trouvé sa baguette ! releva un autre auror en la ramassant.
– Voyons voir ce qu'elle mijote ! ordonna le chef de l'équipe.
Et il lança un sortilège qui fit apparaitre dans l'ordre du plus récent au moins les sorts lancés par cette baguette. Sans surprise, il y eut celui de nox, de stupéfix, des aguos et réparo. Rien qui pour l'instant ne pouvait inculper sa française. Le cœur de Darron se fit plus léger, il crut que son deuxième scénario n'était pas si inenvisageable. Et puis le silence glaça l'assemblée lorsqu'un feudeymon sortit et s'élança vers eux.
N'hésitez pas pour patienter à relire le début de 1977, afin de comparer la vision de choses d'Edith et celle de Darron.
Pour plus d'anecdotes, vous pouvez me retrouver sur insta ou tik tok au compte edenemontagnol_auteure
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