Chapitre 7 - partie 2

Le soir venu, Hannah passe un moment dans la cuisine pour préparer le dîner. Romain, invité à se joindre aux deux couples, donne un coup de main à Friedrich pour dresser la table. Et peu de temps après, Karl Bömelburg se présente à la porte, accompagné de son épouse. Le capitaine allemand accueille son supérieur en lui serrant la main, il prend soin de débarrasser les deux invités de leur manteau puis guide la compagne de Bömelburg jusqu'à la cuisine pour qu'elle y dépose les denrées alimentaires amenées par le couple. Hannah salut madame Bömelburg et cette dernière lui pose tout un tas de questions sur la préparation réalisée par la jeune femme. Quant aux deux hommes, ils gagnent le salon et s'installent dans les différents fauteuils avec Romain. S'ensuivent alors diverses discussions de part et d'autre de l'appartement. Hannah finit par laisser sa soupe mijoter et les deux femmes se joignent aux réjouissances dans l'autre pièce. Autour de verres de vin rouge sélectionné par les Allemands, les cinq adultes échangent sur leurs projets de vie. Friedrich évoque la fin de la guerre et son désir de retourner vivre en Allemagne avec Hannah, ce qui vaut une grimace de désapprobation à Romain. Mais le jeune Allemand rassure le professeur en l'informant qu'il pourra les suivre, et qu'il fera jouer ses relations pour lui obtenir emploi et logement à Berlin. Romain fait mine d'être satisfait de la proposition du compagnon de sa fille, mais intérieurement, le mépris pour cet homme le ronge. Comment peut-il oser vouloir contrôler la vie de sa famille de la sorte ?

Voyant qu'un blanc commence à s'installer à table, Bömelburg se lance sur un autre sujet.

- Alors, mademoiselle Brunet, vous devez être heureuse d'avoir obtenu un poste plus gratifiant ? demande-t-il à Hannah.

- J'aime beaucoup tout le travail que j'ai pu faire à la librairie de mon mentor, mais il est vrai que vous accompagner dans votre travail est un réel honneur. Je vous en suis d'ailleurs très reconnaissante, à vous comme à Friedrich.

- Je suis certain que vous serez un très bon élément pour Abetz. Mais dites-moi, c'est la première fois que je vous entends qualifier votre ancien employeur de mentor. Quel est le lien qui vous unis ?

- Henry, est mon meilleur ami depuis l'enfance, intervient Romain, c'est le parrain d'Hannah. Elle a commencé à passer ses samedis et dimanches dans sa librairie vers l'âge de neuf ans. Il lui a donné le goût de la lecture et une passion sans limites pour la littérature, bien que j'ai pu également y contribuer.

- Quand j'ai eu dix-huit ans, il m'a proposé de le suivre sur Paris, en m'offrant la possibilité de travailler dans sa librairie à côté de mes études. complète Hannah.

- C'est donc un ami précieux de votre famille. demande Karl.

- Je dirais plus que c'est un membre de la famille, il est... comme mon frère.

Bömelburg acquiesce, convaincu par la réponse de Romain puis dérive sur un autre sujet. Le dîner se poursuit et tous passent à table pendant qu'Hannah apporte la marmite de soupe sur la table. Malheureusement, toutes les tentatives des deux Français de remplir à plusieurs reprises les verres de vins des Allemands, ont été vaines et les deux résistants ressortent de la soirée sans la moindre information à exploiter.

Le lendemain, Hannah se rend à l'ambassade dans le septième arrondissement de la capitale, au 78 rue de Lille. Elle s'annonce au gardien qui l'invite à monter dans le bureau de l'ambassadeur. Elle s'exécute et monte se présenter à son nouvel employeur. Elle n'a encore jamais vu Otto Abetz, mais son nom ne lui est pas inconnu. Il représentait déjà l'Allemagne en France avant la guerre, avant d'être expulsé du pays pour espionnage. C'est pour ainsi dire, une espionne qui s'infiltre chez un espion.

Hannah entre dans le bureau de l'ambassadeur, il l'invite à s'asseoir et lui explique les principes du travail qu'elle devra effectuer. Et c'est une chance pour elle car Abetz garde toujours sa secrétaire dans son bureau ; comme elle y passera bien plus de temps que lui, elle aura toujours la possibilité de consulter les documents qu'il ne lui permet pas de voir en temps normal. Mais elle va devoir se montrer très prudente, car comme Henry l'a expliqué, Abetz est difficilement manipulable et est, qui plus est, un connaisseur en matière d'espionnage.

- Vous semblez à l'aise, suppose l'ambassadeur en entrant dans son bureau, presque admiratif de la manière dont la jeune femme fait glisser les papiers entre ses doigts avant de les classer en différentes catégories.

- J'ai l'habitude de travailler avec le papier, mais aussi de l'organiser d'une manière plus... productive.

- Bien ! J'espère que vous mesurez l'importance des tâches qui vous sont confiées ?

- Oui monsieur. J'ai conscience que ma rigueur est indispensable, mon manque de sérieux entacherait votre travail et par conséquent les relations de l'Allemagne avec la France.

- Parfait. J'aimerais que toute information concernant la Résistance soit immédiatement déposée sur mon bureau. Contentez-vous de seulement noter le nombre d'entre elles qui arrivent ici ainsi que leur provenance.

- Bien monsieur.

Hannah attaque directement sa première journée de travail et inscrit dans sa mémoire, toutes les informations importantes qui lui passent entre les mains. En fin d'après-midi, Abetz quitte le bureau laissant une dernière tâche à sa nouvelle secrétaire. Une fois sûre qu'il a bien quitté le bâtiment, Hannah s'installe à son bureau et commence ses recherches. Elle tombe sur un grand nombre de listes de noms et découvre ainsi qui est à l'origine des déportations en France. Elle trouve aussi un papier moins rassurant, un télégramme indiquant l'endroit où Pierre Brossolette se cache avec Émile Bollaert dans le Nord du Pays.

De son côté, Romain fait les cent pas dans la librairie, inquiet de laisser sa fille entre les mains d'un maître de l'espionnage. Henry s'approche de son ami, un verre d'eau à la main et le lui tend. Le professeur relève la tête, gardant le bout de l'ongle de son pouce entre ses dents. Il finit par saisir la proposition de son ami avant de reculer pour s'asseoir sur l'une des chaises derrière lui.

- Tu t'inquiètes trop mon ami, elle sait ce qu'elle fait.

- Ce n'est pas elle qui est à l'origine de mon inquiétude, c'est Abetz.

- Hannah ne prendra pas de risque inutile, si elle sent qu'il a raison d'avoir des soupçons, elle fera tout pour les dissiper.

- Au contraire, elle pourrait agir sans réfléchir, pensant justement savoir ce qu'elle fait.

- C'est donc bien elle qui t'inquiète, ajoute Henry alors que Romain soupire. Je t'assure qu'elle a suffisamment de recul pour savoir quand s'arrêter.

- Crois-moi, je la connais bien, insiste Romain.

- Mon ami, je l'ai côtoyée plus longtemps que toi depuis que la guerre a commencé. Ta fille n'est plus la même que celle que tu as vu quitter la maison il y a longtemps.

Romain souffle à nouveau et détourne le regard de son ami pour venir fixer le sol.

- Je ne cesse de m'inquiéter pour elle, la perdre est une idée que je ne peux concevoir. Elle est tout ce qu'il me reste.

- À trop vouloir la protéger, tu finiras par faire une erreur qui pourrait vous coûter à tous les deux. Je ne te dis pas de lâcher prise complètement, mais cesse donc d'être derrière elle à chaque instant, elle a besoin de sentir qu'elle peut avancer sans être systématiquement liée à toi, peu importe l'amour qu'elle te porte.

Le professeur détourne à nouveau le regard puis inspire profondément avant de se mordre la lèvre supérieure. Il pose son regard sur son ami puis se lève tout en reposant son verre d'eau sur la table à portée de son bras. Il s'avance jusqu'au côté gauche du libraire et pose brièvement sa main sur son épaule en lui sommant un "bien, remettons-nous au travail". L'autre résistant acquiesce et fait un quart de tour sur lui-même pour suivre son compagnon d'arme.

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