Chapitre 5 - partie 3
Au lever du soleil, Romain rejoint discrètement Henry à la librairie. Il n'y a personne dans les rues, bien que le couvre-feu soit levé depuis deux heures, à cet instant, peu nombreux sont les Parisiens qui s'extirpent de chez eux. Mais le professeur croise tout de même les commerçants qui essaient, tant de bien que de mal, de survivre au rationnement ; les produits devenant rares, le nombre de clients baisse pour chaque commerce. Henry en connaît un certain nombre qui ont dû mettre la clé sous la porte, n'ayant plus assez de rentrées d'argent.
En arrivant devant la librairie, Romain aperçoit son ami d'enfance charger sa voiture avec quelques livres et deux valises.
- Nous ne sommes pas censés partir seulement une journée ? Demande Romain en s'approchant du libraire.
- Bonjour mon ami. Oui mais les Allemands n'ont pas besoin de le savoir. C'est, disons, pour faire diversion.
Henry sourit à son ami puis referme le coffre de l'automobile. Il fait le tour de la voiture puis ouvre la portière conducteur avant de faire signe à Romain qu'ils vont pouvoir se mettre en route. Le professeur longe la voiture et s'installe à l'avant du véhicule, côté passager. Henry met le contact et démarre la voiture. Les deux hommes quittent le boulevard Saint-Germain et prennent la direction du sud de la capitale. Ils traversent la rue Monge avant de prendre l'avenue des Gobelins et de rejoindre Place d'Italie. Puis, ils descendent l'avenue d'Italie avant de quitter Paris par la porte du même nom. Arrivés Porte d'Italie ils sont arrêtés par un groupe de SS contrôlant la circulation. Henry s'arrête à leur hauteur et baisse la vitre du véhicule côté passager. Il salue l'officier qui lui demande immédiatement de présenter leurs papiers d'identité et de donner la raison de leur départ de la capitale. Les deux hommes obéissent sans broncher et le libraire informe qu'ils se rendent près de Brétigny-sur-Orge pour les funérailles d'un ami proche décédé d'un cancer. L'officier de la Gestapo inspecte les cartes d'identité puis les redonne aux deux résistants en leur présentant ses condoléances. Ils le remercient, puis Henry redémarre la voiture et reprend la route, alors que l'officier s'apprête à arrêter une autre voiture. Ils rejoignent la route départementale avant de gagner la nationale. Sur le trajet, pendant un bon quart d'heure, les deux Français discutent de la raison de leur venue dans l'Essonne. Henry explique à Romain qu'ils doivent rejoindre un autre groupe de résistants dont l'un des membres va bientôt rejoindre Londres, pour leur transmettre toutes les informations qu'ils ont pu voler, puisque le groupe basé à Paris a perdu tout contact avec Brossolette. L'homme qui partira en avion pour Londres, rencontrera directement le haut commandement des Forces Françaises libres et transmettra l'ensemble des informations qui lui ont été confiées. Une telle mission comporte un risque, que le résistant soit arrêté et torturé. Pour éviter que la Gestapo ne mette la main - dans le cas où le Français parlerait - sur un nombre important de renseignements volés par la Résistance, ou même sur sa composition, l'homme ne partira qu'avec une petite quantité d'éléments à transmettre. Ainsi, avec quelques jours voire une semaine d'écart, ils sont nombreux à quitter le territoire métropolitain en direction du Royaume-Uni pour apporter les trouvailles des FFI aux FFL.
Sur le reste du trajet, Romain fixe le paysage, perdu dans ses pensées. Il repense aux dernières années écoulées. Lorsqu'Hannah a quitté le domicile familial, il pensait que c'était un nouveau chapitre heureux qui allait s'écrire, qu'il pourrait prendre du bon temps avec son épouse tout en sachant que sa fille s'épanouissait dans la capitale. Mais au lieu de cela, plus d'un an après le départ d'Hannah de la maison, l'ordre de mobilisation général est tombé sur toutes les familles. Romain est parti quelques mois sur le front, avant d'être rappelé en raison du manque d'enseignants dans les écoles. Au départ, son établissement fut fermé puisqu'il était trop exposé à la guerre, mais le rectorat de l'académie de Lille et la commune ont décidé de déplacer temporairement les lieux d'enseignement dans un camp de vacances ayant moins de chance d'être touché. Après la capitulation, le collège où Romain enseignait, a rouvert à moitié. Mais depuis septembre tout a changé ; Marie a perdu la vie, et lui est descendu avec Hannah, n'ayant plus rien qui le rende heureux dans l'enfer qu'est cette guerre. Son entrée dans la Résistance a bousculé sa vie, bien que son quotidien n'était déjà plus tranquille avant le début de la guerre, mais aujourd'hui c'est une véritable mission périlleuse. Le professeur fixe le paysage se posant une seule question ; combien de temps reste-t-il avant que tout cela ne cesse, avant qu'il ne retrouve son quotidien calme et sans danger ?
Les deux hommes arrivent à Vert-le-Petit au Sud-Est de Brétigny-sur-Orge, Henry s'arrête devant une maison qui borde le plan d'eau. Romain sort du véhicule, suivi de son ami ; les deux résistants se dirigent vers l'entrée de la bâtisse et face à eux, la porte d'entrée s'ouvre sur une femme âgée d'une quarantaine d'années. L'inconnue se présente sous le nom de Julia, juste Julia. Henry se présente comme Verne et Romain comme Hugo ; puis il indique avoir été convié par un certain Jules, juste Jules, Julia s'empresse alors de rétorquer qu'il s'agit de son époux. Elle s'écarte de la porte et laisse l'espace nécessaire pour que les deux invités en provenance de la capitale puissent entrer dans la maison. Henry et Romain suivent Julia vers le salon où les attendent deux autres personnes. Jules se présente au libraire puis au professeur avant de les inviter à s'asseoir.
- Je suis ravi que vous soyez présents mes amis, commence-t-il avec le sourire. Notre contact proche du conseil national nous a indiqué que vous tenez un rôle essentiel dans la capitale en ce qui concerne la collecte d'information.
- Oui, c'est exact, répond Henry. Bien que nous commencions sérieusement à éprouver des difficultés dans le bon déroulé de notre mission.
- Hélas, l'avancée de notre lutte est parsemée de hauts et de bas, mais ne perdez pas espoir, il y a toujours une manière de remédier aux problèmes que vous rencontrez. Bien, je vous présente notre Renard, c'est lui qui s'envole pour Londres à la fin de la journée. Mon épouse et moi allons vous laisser seuls dans la maison avec lui pour que vous puissiez lui transmettre toutes les informations essentielles en toute discrétion. Une fois chose faite, nous vous invitons vivement à nous rejoindre autour du plan d'eau, même au mois de février, cela reste une balade agréable à faire dans le peu de neige qu'il reste ici.
- Très bien nous ferons cela, conclut Romain en souriant.
- Bien ! Si vous n'avez pas de question...
Jules se lève et se dirige vers le couloir de l'entrée où l'attend son épouse. Il jette un dernier regard aux trois résistants dans le salon, et puisqu'aucun ne lui adresse de remarque, il se saisit de son manteau puis franchit la porte d'entrée, préalablement ouverte par Julia. Le Renard se présente aux deux résistants, c'est un jeune homme qui doit avoir le même âge qu'Hannah. Sur son visage ovale dont le front est caché par ses cheveux noirs, et derrière son grand regard, se lit la marque d'une grande confiance en soi. Le Renard est bien ancré sur ses pieds, et sait exactement ce qu'il doit faire ainsi que le danger que représente sa mission. Débute alors entre les trois Français, une longue discussion sur les actions de Henry et Romain dans la capitale et de ce qu'elles ont rapporté. Comme demandé par Romain, Henry ne mentionne Hannah à aucun moment pour préserver sa couverture. Aucun des deux quadragénaires ne donne de détail sur la manière dont les informations ont été collectées. Le Renard prend soin de noter chaque information sur un bout de papier de manière codée et abrégée de sorte que seul lui puisse déchiffrer ses notes. À la fin de l'entretien, le Renard récupère ses affaires puis quitte les lieux en saluant les deux hommes, tandis qu'Henry et Romain se préparent à rejoindre justes Julia et Jules autour du plan d'eau. Nos deux amis marchent un bon kilomètre avant de tomber sur leurs hôtes, cette fois-ci, ils sont accompagnés de leur fils et de son cheval. Les deux hommes serrent la main du jeune garçon puis suivent la famille qui poursuit son chemin sur le petit sentier qui longe le plan d'eau. Romain exprime son admiration pour le Renard au vu de la dangerosité de la mission qu'il accomplit. Puis chacun leur tour, les résistants évoquent ce qu'ils jugent honorable dans le combat de la Résistance. Après une bonne heure de balade, les cinq Français regagnent la petite maison, alors qu'Henry suit le couple à l'intérieur, Romain, lui, accompagne le jeune garçon vers la petite bâtisse qui sert d'écurie. Il interroge l'adolescent sur ses occupations et sur la manière dont il vit le fait d'avoir des parents dans la Résistance. L'enfant, tout en dessellant son cheval, lui confie qu'il aimerait suivre ses parents mais que s'il le faisait, ils l'enterreraient probablement au fond du jardin pour être sûrs qu'il ne se mette pas en danger. Romain sourit face à la réponse du garçon, il en penserait certainement de même si Hannah avait le même âge que lui. Bien qu'il désapprouve son implication dans la Résistance, de peur qu'elle ne se fasse prendre, puisqu'elle est adulte, il ne peut aussi aisément la retenir. Mais alors que les deux hommes échangent sur la vie du garçon, Jules entre soudainement, essoufflé, dans la petite écurie, interrompant leur conversation.
- Il y a un problème, dit-il en s'appuyant contre le mur pour reprendre son souffle. L'un de nos gars vient de nous dire que les Allemands savent que Renard doit partir pour Londres avec un tas d'infos, ils vont l'intercepter à Mennecy.
- Je vais le sortir de là ! s'exclame son fils.
- Non ! C'est hors de question tu restes ici !
- Alors, c'est moi qui vais m'en charger, intervient Romain.
- Vous savez monter à cheval ? lui demande Jules.
- Ça doit être comme le vélo, ça ne s'oublie pas...
L'adolescent fait sortir l'animal de sa stalle et lui remet sa bride, avant de passer les rênes par-dessus l'encolure du cheval.
- Je suis navré, ajoute le garçon, mais le seller vous ferait perdre du temps.
- Ce n'est pas grave, je suis monté de nombreuses fois à cru.
Le jeune garçon emmène le cheval hors de la bâtisse puis Romain se place sur le côté gauche de l'animal et donne sa jambe à Jules pour qu'il l'aide à monter sur l'équidé.
- Quel chemin dois-je prendre pour me rendre à Mennecy ? demande Romain.
- En sortant de notre propriété, vous prenez le chemin de terre qui vous conduira sur la route principale, vous prenez à gauche, vous traversez le pont jusqu'à la route départementale et ensuite c'est tout droit. Je vous conseille de couper à travers champ pour être plus discret et pour préserver les pieds de notre cheval.
- Très bien, je fais au plus vite.
- Faites attention à vous.
Romain presse ses jambes sur les flancs du cheval et l'animal s'élance au galop. Il suit le chemin indiqué par Jules avant de traverser le pont en pierre et de rejoindre la route départementale. Une fois sur cette dernière, Romain pousse le cheval à aller dans le champ qui longe la route, le résistant serre ses jambes et contracte son bassin au maximum pour tenir sur le dos du cheval et ne pas glisser. Il presse davantage ses jambes pour inciter l'animal à aller plus vite, et rapidement, il arrive dans le village de Mennecy, légèrement plus au Nord. Il traverse la commune au grand galop, les sabots du cheval claquant sur le bitume ; Romain se dirige vers le point de rencontre entre Renard et la personne qui devait le conduire à l'aérodrome le plus proche. Il ralentit et repasse au pas pour ne pas éveiller les soupçons, en arrivant au lieu dit, il aperçoit les Allemands sortir le corps du Renard d'une ruelle. Romain peut entendre l'un des officiers expliquer à son supérieur que le résistant s'est donné la mort avec une ampoule de cyanure et a brûlé les papiers qu'il transportait. Frustré face à l'échec de sa mission, le professeur de français ne s'attarde pas et fait demi-tour pour ne pas se faire remarquer. Bien que la mort du Renard désole le père d'Hannah, il est rassuré qu'il ait détruit ses notes quand il a compris qu'il n'avait plus d'issue.
Sur le chemin du retour, Romain maintient son cheval au pas, profitant du temps qu'il a pour réfléchir tout en observant les alentours quand son regard est attiré par une silhouette se balançant dans le souffle froid du vent. Il tire sur les rênes, ordonnant à sa monture de s'arrêter puis plisse les yeux pour mieux distinguer la forme qu'il aperçoit. Aucun doute possible, c'est un corps humain qui est secoué par le vent comme un vulgaire objet. Romain presse légèrement ses mollets contre le ventre de l'animal qui se met immédiatement à avancer en direction de l'inconnu. Au fur et à mesure qu'il se rapproche, Romain peut détailler davantage le cadavre de l'homme pendu à un poteau enfoncé dans le sol à la hâte. C'est un miracle qu'il ne se soit pas effondré, se dit-il, voyant la manière dont le morceau de bois suit les mouvements balanciers du corps. Il arrête son cheval à hauteur du mort et le détail des pieds à la tête, constant qu'il doit bien y être pendu depuis plusieurs jours au vu de la couleur verdâtre qui recouvre son visage, ses mains et ses pieds. Dérangé par le visage putréfié et l'odeur que dégage le corps, Romain baisse les yeux jusqu'à un morceau de papier flottant dans l'air tout en tentant de se détacher de la veste à laquelle il est accroché. Quand celui-ci montre son recto, Romain parvient à lire "résistant", écrit, il semblerait, avec le sang du défunt. Il ferme les yeux, désolé de la mort d'un de ses frère d'arme, puis après une grande inspiration, il récupère un couteau dans la poche de son pantalon et coupe la corde en prenant soin de ne pas laisser le corps s'écrouler au sol. Il puise toute la force qu'il a dans ses bras, pour hisser le cadavre derrière lui, sur le dos du cheval et partir avant que quelqu'un ne le voit.
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