Chapitre 11 - Flash-back - Hannah
Lille, mai 1927.
Les rayons du soleil traversent la fine couche de verre et les rideaux de dentelles qui ornent les fenêtres de la cuisine. Marie Brunet, doucement éclairée par le soleil matinal, prépare une pâtisserie à déguster à la fin du déjeuner. Romain son époux, arrive sur un pas léger dans le dos de la Française. Il l'enlace par derrière, et dépose un baiser dans le creux de son cou.
- As-tu vu notre petite princesse ? lui demande-t-il d'une voix douce.
- Elle est sortie jouer dans le jardin, en jurant que tu ne parviendrais pas à la trouver, répond Marie, appuyant sa tête contre celle de son mari.
Romain se détache de sa femme et sourit, murmurant un "nous allons bien le voir" et prend congé en se dirigeant vers la porte d'entrée, située dans le couloir juxtaposé à la cuisine. Depuis sa fenêtre, la mère de famille observe le professeur partir en quête de son sang. Un sourire tendre aux lèvres, elle reprend le battage de sa pâte.
Les pieds nus dans l'herbe, l'ex-soldat de trente ans marche dans le jardin de sa petite maison lilloise à la recherche de son unique enfant. Il inspecte les moindres recoins, cabanon, buissons, chariot, mais rien, l'enfant est introuvable. Romain se met à rire, se demandant bien quel genre de cachette elle a bien pu trouver cette fois-ci. Il ne s'avoue pas vaincu et tente alors la ruse.
- Hannah ? commence-t-il en posant ses mains sur ses hanches. Si je perds à ton petit jeu, je connais une fillette qui n'aura pas le plaisir de goûter le merveilleux gâteau que prépare maman.
Au bout de quelques secondes, un sifflement parvient aux oreilles du professeur et ce dernier esquisse un sourire, satisfait de voir qu'elle a mordu à l'hameçon aussi facilement. Romain avance vers l'origine du sifflement et se met à répondre en formant un o avec ses lèvres tout en soufflant légèrement pour faire réagir sa fille. À nouveau, il entend qu'on siffle, il s'avance et arrive au pied du pommier qui trône dans le jardin, à l'arrière de la maison. Il lève son regard vers le haut de l'arbre et distingue, à travers l'épais feuillage, une petite silhouette perchée sur l'une des plus grosses branches.
- J'ignorais que nous avions un singe à la maison ! s'exclame Romain avec un grand sourire avant d'ouvrir les bras, faisant signe à l'enfant qu'elle pouvait sauter sans crainte.
Hannah se place alors légèrement en diagonale de son père et saute le mètre et demi qui la sépare de lui. Mais en la réceptionnant, le poids de la fillette de huit ans fait tomber le professeur au sol. Hannah s'allonge sur le torse du Lillois et le fixe toute souriante.
- Je t'ai eu ! dit-elle enjouée.
- Vraiment ? demande Romain avant de la chatouiller.
Hannah tente de rouler par terre mais son père la saisit par la taille et la porte sur son épaule comme si elle ne pesait rien. Il prend le chemin de la maison, marmonnant un "on t'attend à la maison jeune fille" camouflé par les rires de l'enfant.
Lille, avril 1934.
Âgée de quinze ans, Hannah est épanouie dans sa vie la plupart du temps. Bonne élève et adolescente droite dans son comportement, elle fait la fierté de ses parents. Depuis un an déjà, elle se rend très régulièrement à la librairie d'Henry Ramier. Elle y passe pas mal de temps à lire ; mais elle donne aussi un coup de main au libraire pour la gestion de l'échoppe. Depuis plusieurs mois, Henry joue un rôle de professeur auprès de l'adolescente. Il lui apprend tout le savoir qu'il possède ainsi que celui qu'il garde dans ses vieux livres.
Pendant qu'Henry fait l'inventaire de sa boutique, Hannah traîne entre les étagères qui contiennent les vieux livres. Elle passe ses doigts délicatement dessus en regardant les titres des ouvrages. Son regard s'arrête sur l'un d'entre eux : "Histoire de la Germanie". Elle prend doucement l'ouvrage de manière à ne pas l'endommager, puis elle se dirige vers le bureau du libraire.
- Tu as déjà lu ce livre ? demande-t-elle alors que l'homme relève tout juste la tête de son livre.
- Oui. Il traite de l'histoire de l'Allemagne, cela devrait t'intéresser, tu devrais le lire.
- On nous parle de l'Allemagne à l'école.
- En bien ?
- Non, on ne peut pas vraiment dire ça...
- Alors lis-le, c'est toujours une bonne chose de connaître le passé des autres pays.
- D'accord.
Paris, juillet 1937.
Après son dix-huitième anniversaire et après avoir terminé le secondaire, Hannah a suivi Henry sur Paris. Elle fait désormais des études littéraires à l'université de La Sorbonne. Henry et les parents d'Hannah lui donnent chaque mois de quoi être un minimum indépendante. Elle est à présent réellement employée à la librairie et plus seulement bénévole. Depuis tout ce temps, elle a acquis un grand nombre de connaissances mais aussi de valeurs. Comme son père, elle aime son pays et possède un sentiment d'appartenance très fort qu'elle tire des révolutions françaises, là où la liberté, l'égalité et la fraternité ont pris un sens pour la première fois.
La jeune femme s'accommode doucement à la vie dans la capitale, à son plus grand plaisir. Cette ville l'a toujours fait rêver et depuis qu'elle est enfant, elle souhaite y vivre. Elle consacre parfois son temps libre à la découverte des monuments si célèbres et des musées de la ville. Elle passe aussi beaucoup de temps dans la bibliothèque universitaire qui lui offre un très large choix d'ouvrages à découvrir.
Paris, novembre 1939.
La guerre a éclaté en Europe depuis maintenant un mois. La Pologne est envahie, l'armée française se cache derrière la ligne Maginot, attendant l'arrivée des Allemands. À Paris, la guerre n'inquiète pas grand monde ; les Français ont gagné la dernière guerre, alors ils gagneront celle-ci. Hannah reste méfiante tout de même : à toujours se croire plus fort, on finit par se faire battre, l'Histoire l'a montré à maintes reprises. Henry tente de la rassurer, il n'y a aucun combat sur le territoire, pour l'instant il n'y pas d'inquiétude à se faire.
Le temps passe, les combats éclatent, la peur commence à se faire sentir. La menace se rapproche et dans les journaux comme dans les bruits de couloir, la guerre n'est plus que le seul sujet qui anime la plupart des conversations. Le gouvernement mène une stratégie attentiste qui le conduit doucement à sa perte. Et c'est au mois de mai de l'année 1940 que l'inquiétude s'affiche sur tous les visages français, lorsque l'armée allemande envahit le pays. Le mois de juin est perdu, la France vaincue, il est temps d'entrer en résistance.
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