Chapitre 1 partie 3
Le lendemain, le grand brun descend dans la cuisine avec toutes ses affaires, alors que les deux femmes sont en train de prendre le petit déjeuner avec le peu qu'il y a dans la maison.
- Si on veut ne pas arriver trop tard chez toi, on devrait partir avant dix heures, je ne connais pas les horaires de trains par cœur mais je sais qu'il y en a deux aujourd'hui pour la capitale, annonce Romain en entrant dans la cuisine.
- Alors, tu viens avec moi ! s'exclame sa fille en se levant pour serrer son père contre son cœur.
- Je souhaite pouvoir veiller sur toi et tes choix de vie farfelus.
- Je t'aime.
- Termine de manger et va donc récupérer tes affaires.
Hannah se retourne et attrape sa tartine de beurre, elle la place entre ses dents puis monte à l'étage précipitamment. Elle entre dans la troisième chambre, attache ses cheveux bruns à l'aide d'une pince afin de libérer ses épaules de leur poids et s'empresse de récupérer le peu d'affaires qu'elle avait déballées. Elle ferme sa valise et dévale les escaliers, manquant de tomber tout en terminant sa tartine. Elle s'approche de son père et l'embrasse tendrement sur la joue avant de se tourner vers sa tante.
- On t'écrira aussi souvent que possible, c'est promis.
Henriette s'approche de sa nièce et la prend dans ses bras.
- Prends bien soin de ton père, il est très têtu alors garde un œil sur lui.
- J'y veillerai ma tante.
Romain embrasse sa sœur avant de la serrer contre lui pour lui dire au revoir. Puis père et fille quittent la maison et prennent la direction de la gare. Sous le pas pressé de Romain, ils y parviennent rapidement, comme à l'arrivée d'Hannah, la gare regorge de soldats allemands. Ils se dirigent vers un des guichets, tenu par une femme de la trentaine, vêtue d'un chemisier blanc et portant des lunettes dont les branches se perdent dans ses cheveux bruns et bouclés. Un SS qui se tient aux côtés de la femme détaille les deux Français des pieds à la tête.
- Pour quelle raison souhaitez-vous vous rendre sur Paris ? demande l'officier en allemand.
- Mon père, veuf depuis quelques jours, commence Hannah dans la même langue, souhaite venir vivre près de moi à Paris.
- Et vous allez l'héberger ?
- Oui, enfin, il vivra dans l'appartement que nous occupons mon compagnon et moi. Peut-être le connaissez-vous, il s'agit de Friedrich Strauss, second du chef de la Gestapo parisienne.
- Je connais Bömelburg, mais pas les hommes qui le suivent. Prenez vos tickets et allez-y. Je vous présente mes condoléances pour la perte de votre mère.
Hannah lui sourit, récupère les tickets de train et place une main dans le dos de Romain pour lui faire signe de partir. Une fois assez loin du guichet, il sort de son silence.
- C'est hypocrite de présenter des condoléances quand on a une part de responsabilité dans le décès d'une personne...
- Il ne disposait d'aucune information sur les circonstances de la mort de maman, mais je comprends que ça t'agace, je ressens le même sentiment.
- Je ne savais pas que tu maîtrisais aussi bien la langue allemande.
- Au départ j'avais le même niveau que toi : des facilités pour le comprendre mais des difficultés pour le parler. Mais ça fait maintenant presque deux ans que je fréquente Friedrich.
- J'ai une question à ce propos, est-il au courant que je viens vivre chez vous ?
- Je lui ai dit avant de partir que je souhaitais te ramener. Il n'a pas bronché et est ravi de pouvoir te rencontrer.
- Je suis navré mais ce ne sera probablement pas réciproque.
- Je ne t'en tiendrai pas rigueur.
Les deux Français montent dans la quatrième voiture et s'installent à l'avant du wagon.
- Tu n'as pas perdu tes papiers d'identité dans l'incendie ? demande Hannah.
- Non, je les ai toujours sur moi.
- Heureusement, parce que les contrôles dans les trains sont fréquents et si tu ne les as pas, c'est un véritable calvaire de plusieurs jours pour prouver que tu n'es ni un étranger, ni un Juif.
- Louée soit l'occupation, nous faisons plus attention à nos affaires... ironise Romain.
Le train se met en route, sur le trajet, comme indiqué par Hannah, les Allemands effectuent des contrôles à chaque arrêt pour vérifier l'identité des passagers. Cette fois-ci, pas d'arrestation. Mais lors des passages d'officiers, la sueur dégoulinante du front de certains, laisse penser à Hannah que des passagers voyagent avec de faux papiers. Heureusement, aucun ne s'est fait prendre.
Le train arrive à Paris au bout de trois heures et trente minutes, en descendant du wagon, Hannah aperçoit Friedrich sur le quai. Elle fait un signe à son père puis se dirige vers son compagnon. Heureux de la retrouver, il la prend dans ses bras et l'embrasse avant de se tourner vers son père. L'homme grand et blond tend sa main au professeur.
- Vous devez être Monsieur Brunet, dit-il en français avec un fort accent, je suis heureux de faire votre connaissance.
- Moi de même, ment Romain en se saisissant de la main de son interlocuteur.
- Je vous présente toutes mes condoléances pour votre épouse. J'aurais souhaité accompagner Hannah mais mon travail me retenait ici.
- Ce n'est rien. Et nous préférions rester en famille.
- Bien, si vous n'attendez personne, je vous propose de rentrer j'ai préparé le déjeuner.
- Je rectifie, plaisante Hannah, je vais le préparer car ce qu'il fait est toujours immangeable.
Friedrich sourit puis se saisit de la valise d'Hannah. Les trois adultes se mettent en route vers l'appartement du couple dans le deuxième arrondissement. Romain découvre alors le Paris occupé, semblable à Lille sur la présence de l'occupant. La guerre s'y fait toute petite, pourtant on en ressent la présence comme si un bombardement allait tomber d'une minute à l'autre.
Arrivés dans l'appartement, Hannah aide son père à s'installer dans la chambre qu'il occupera.
- Tu as une morphologie semblable à celle de Friedrich, je vais te prêter ses vêtements en attendant de t'en acheter des neufs. À part cela, tu es ici chez toi, fais ce que tu veux, mais ne t'installe pas sur le bureau de Friedrich, si tu en as besoin, on t'en apportera un.
- Je pense que ça me sera utile pour écrire, à ta tante par exemple.
- Bien, je te laisse t'installer, je vais aller voir quel massacre Friedrich nous a fait dans la cuisine et je t'appellerai pour déjeuner.
Romain sourit et acquiesce, Hannah tourne les talons et sort de la chambre pour rejoindre son amant dans la cuisine. L'Allemand s'était, à la grande surprise d'Hannah, bien débrouillé et avait préparé un poulet avec de la soupe de poireaux et de pommes de terre. Il est bien plus facile pour les officiers de la Gestapo de contourner les règles de rationnement et de bénéficier d'une plus grande quantité de nourriture. Friedrich a transmis à Hannah une décharge lui permettant d'aller faire des achats seule ; Hannah en profite alors, le plus souvent, pour prendre des denrées en plus qu'elle apporte à Henry.
- Que va-t-il faire maintenant ? demande Friedrich tout en vérifiant l'assaisonnement de son plat.
Hannah appuie son dos contre le plan de travail et goûte à son tour la préparation.
- Il va travailler dans la librairie d'Henry sauf si un poste d'enseignant est disponible dans le coin. Hum... c'est drôlement bon.
- Tu vois que je ne suis pas mauvais. Je peux lui en trouver un.
- Ne le prends pas pour toi, mais il aime se débrouiller seul, j'ai dû insister pour qu'il vienne ici.
- Je vois, s'il change d'avis, ma proposition tiendra tant que je serai en mesure de le faire.
- C'est très gentil de ta part, finit-elle en déposant un baiser sur sa joue. Je vais mettre le couvert.
Pendant le repas, Friedrich raconte d'abord tout ce qui concerne son travail et qu'il a l'autorisation de divulguer. Il est heureux de pouvoir servir son pays bien que certaines des tâches dont il a la charge lui déplaisent fortement.
- Mais maintenant, poursuit-il, parlons de vous Romain. Vous êtes professeur ?
- Oui. Enfin j'essaye. C'est devenu compliqué avec la guerre, moins d'élèves, moins d'heures de classe et je pense que si j'étais resté, le collège aurait fini par fermer pour être réquisitionné.
- C'est le problème avec la guerre, ajoute Friedrich, il faut faire des compromis.
- Je sais bien.
Romain n'est pas en accord avec son interlocuteur, mais il préfère faire profil bas plutôt que de rentrer dans un débat qui pourrait afficher son désaccord avec la politique d'occupation et compromettre la place de sa fille. Pour Romain, vivre sous le même toit qu'un SS n'allait pas être chose facile.
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