Chapitre 1 partie 2
Quelques jours après la tragédie, Hannah Brunet descend le cœur lourd sur le quai de la gare de Lille. Elle scrute tout le lieu mais soupire de déception en n'y trouvant pas la présence de son père. Il est trop chagriné pour venir, pense-t-elle. Elle prend le peu d'affaires qu'elle a apportées et quitte la gare avant de prendre la direction du domicile de sa tante, Henriette. Hannah traverse le Vieux Lille, une zone de la ville peuplée de vieilles maisons toutes plus jolies les unes que les autres. En traversant les différentes avenues, la jeune femme se remémore son enfance où elle parcourait toute la commune à vélo, suivie par sa mère à pied. Son corps se couvre de frissons, rempli par la nostalgie qui l'envahit ; mais le paysage a nettement changé, si beaucoup de maisons n'ont pas perdu de leur charme, pour d'autres le sort a été complètement différent. Les bombardements ont rayé de la carte un certain nombre de foyers, les incendies en ont ravagés des dizaines et nombreux sont les murs à être criblés d'impacts de balles.
Le regard d'Hannah se perd sur des tracts, placardés sur tous les murs d'une rue. Dessus, elle peut voir des photographies d'hommes et de femmes, pour lesquels les mots "terroriste", "communiste" ou encore "Juif" sont inscrits sous leur nom en guise de qualificatifs. Il s'agit là de résistants arrêtés par la Gestapo qui sont jetés en pâture pour donner une leçon à quiconque voudrait rejoindre la Résistance. Mais ce n'est pas cela qui révolte le plus Hannah ; au centre de l'affiche, une série de noms de victimes, attribuées au commando de résistance éliminé par les Allemands il y a quelques jours. Parmi tous ces noms, Hannah y voit celui de sa défunte mère, voilà ce que les Allemands font de la mémoire de Marie Brunet, ils l'utilisent pour de la propagande. Ce qui se présente sous ses yeux apporte une nouvelle fois à Hannah la confirmation qu'elle a eu raison de s'engager dans ce combat, pour que les véritables responsables des pertes civiles soient chassés hors de son pays. Son sang se met à bouillir dans ses veines, elle jette un œil autour d'elle et constate que la rue est chargée d'âmes errantes. Elle ferme les yeux et prend une grande inspiration, il serait bien trop risqué d'arracher les affiches devant tant de monde.
La jeune femme arrive au domicile de sa tante, elle lève la tête pour détailler quelques secondes l'habitation devant laquelle elle est arrivée. Elle se retrouve face à une petite maison dans une rue où chaque foyer est soudé aux autres, dont la façade présente un style architectural ancien comme si la maison était là depuis une éternité.
Hannah se saisit du marteau qui orne la porte et frappe doucement sur cette dernière. Derrière, elle peut entendre des pas délicats se rapprocher jusqu'à ce que la porte s'ouvre. Henriette Brunet apparaît dans l'encadrement et sourit à la découverte de sa nièce qu'elle n'avait pas vue depuis quatre ans. Hannah s'avance légèrement et prend sa tante dans ses bras, soulagée de la trouver en bonne santé.
- Je suis tellement heureuse de te voir ma chérie, lui dit tendrement la quinquagénaire.
- Moi aussi ma tante.
Hannah se défait de l'étreinte et pause ses mains sur le haut des bras de sa tante en signe d'affection. Henriette s'écarte légèrement pour laisser sa nièce pénétrer dans la maison.
- Est-ce que Papa est là ? demande Hannah.
- Il est au cimetière. Il y passe ses journées depuis que ta mère y a été enterrée.
- J'aurais voulu être là...
- Tu n'aurais probablement rien pu faire, voire, peut-être que toi aussi, tu serais morte.
- Je sais bien, je veux dire, être auprès de Papa pour traverser tout ça. Il avait besoin de moi, répond-elle, en baissant la tête, le regard rongé de culpabilité.
Henriette s'approche de sa nièce et pose doucement sa main sur son épaule.
- Tu es présente maintenant, c'est tout ce qui compte. Et puis, sans ligne téléphonique, il n'y avait plus que le courrier pour te transmettre l'information... Ne te sens pas coupable, tu es venue aussi rapidement que tu le pouvais.
En guise de réponse, Hannah se contente d'esquisser un sourire timide.
- Je vais aller le rejoindre, si cela ne te dérange pas, prévient Hannah délicatement.
- Je t'en prie, c'est ton père, il passe bien évidemment avant moi.
Une fois de plus, Hannah offre un sourire délicat à sa tante. Elle pose rapidement ses affaires dans le couloir juste au pied de l'escalier, puis elle s'empresse de quitter la maison et se met en route pour le cimetière. Elle traverse alors à nouveau le Lille occupé, sous le commandement allemand. Mais où est donc passée sa ville natale, se demande-t-elle. Pourrait-elle un jour la retrouver ? Hannah ne rêve que d'un avenir où son pays sortirait vainqueur de la tyrannie, où les vraies couleurs françaises revêtiraient à nouveau les hôtels de ville, où Vichy et l'Allemagne ne seraient plus qu'un lointain souvenir.
Elle arrive au cimetière, parcourant les allées le cœur lourd à l'idée de découvrir la dernière demeure de sa mère, elle cherche son cher père des yeux. Après quelques minutes, elle aperçoit la silhouette de l'homme qui l'a élevée ; elle s'approche de lui et l'appelle, mais ce dernier ne réagit pas. L'homme de quarante-sept ans se tient debout face à la tombe de sa défunte épouse et regarde dans le vide, comme si le monde avait disparu autour de lui. Les appels de sa fille raisonnent dans ses oreilles mais son esprit refuse de les prendre en compte. Hannah arrive à sa hauteur et se place derrière lui, elle l'entoure de ses bras et pose sa tête contre le haut de son dos.
- Je suis tellement désolée. dit-elle, la voix tremblante et les yeux humides.
Romain ne réagit pas et continue de fixer la dernière demeure de son amour. Hannah le serre un peu plus contre elle, de peur qu'il ne s'effondre.
- Rentre avec moi s'il te plaît, demande la jeune femme inquiète. Rentre avec moi, il ne reste plus rien de notre vie ici. Je ne veux pas rentrer sans toi, et apprendre plus tard qu'il te sera arrivé quelque chose à toi aussi. Je t'en conjure Papa, rentre avec moi sur Paris.
- J'avais juré de lui offrir ma protection, finit-il par décrocher comme premiers mots.
- Si elle n'a pas pu s'enfuir, c'est qu'elle a été surprise par les flammes, tu n'aurais probablement pas pu la sauver si tu avais été présent.
- J'avais juré...
- Tu n'es pas responsable, le coupe-t-elle alors qu'une larme s'échappe de ses yeux.
Le regard de Romain reste vide, Hannah le libère de son étreinte et vient se placer à ses côtés en lui prenant la main.
- Tu te fais du mal à rester là et à fixer une réalité que tu ne peux changer. S'il te plaît rentre avec moi, je veux qu'on traverse cela ensemble.
Il tourne la tête vers sa fille et la regarde, désolé, les larmes aux yeux. Après quelques secondes, Romain prend son unique fille dans les bras.
- Je suis désolé, tellement désolé...
- Je suis là maintenant.
Sans lâcher sa main, Hannah s'accroupit et pose sa main sur la pierre tombale de sa mère.
- Je veillerai sur lui, je te le promets maman.
Elle se relève et adresse un petit regard à son père pour lui donner le signe du départ. Romain acquiesce, regarde une dernière fois ce qu'il reste de son épouse dans ce monde, puis prend une grande inspiration avant de tourner les talons et de suivre sa fille à travers les allées du cimetière, jonchées de tombes de tous les côtés.
Les deux Français rejoignent la demeure d'Henriette. Une fois rentrés, Hannah monte ses quelques affaires à l'étage avant de les rejoindre au rez-de-chaussée, installés autour de la table du salon. Elle s'assoit à côté de son père et lui prend la main, désireuse d'être au plus près de celui qu'elle aime plus que tout au monde. Sa tante lui propose une tasse d'eau chaude aromatisée à la menthe qui vient remplacer le thé.
- Que comptez-vous faire désormais ? demande Henriette en regardant son petit frère.
- Je ne sais pas, toute ma vie est réduite en cendres, répond Romain, sur un ton sans la moindre joie.
- Si tu pars avec moi, commence Hannah, tu pourras loger chez moi, il y a une autre chambre. Henry pourra te donner du travail à la librairie également.
- D'ailleurs, comment se porte-t-il ? demande Henriette.
- Il va bien, il passe son temps à rouspéter sur les Allemands et se plaint de ne pas pouvoir se gaver de viande et de vin.
- Il n'a jamais aimé les Allemands, ajoute Romain.
- Je ne comprends vraiment pas pourquoi, ironise la jeune femme. Mais revenons à ce que nous disions. J'aimerais vraiment que tu partes avec moi Papa, quand j'ai eu la lettre d'Henriette, j'ai eu tellement peur qu'il puisse t'arriver quelque chose entre l'annonce du décès de maman et mon arrivée. Je ne serai jamais tranquille à l'idée de repartir loin de toi.
- Pourquoi ne restes-tu pas ?
- La vie est meilleure dans la capitale par rapport à Lille, tu peux me croire.
- Je devrais quitter mon emploi.
- Tu le détestes depuis que les programmes sont contrôlés par les Allemands, ajoute Henriette. Ça te permettrait de faire une pause et d'être avec ta fille.
- Vous avez raison, je n'arrive plus à vivre dans cette guerre, en restant là, à préparer un enseignement qui ne me ressemble plus juste pour ne pas nous attirer de problèmes, mais voilà où ça nous a mené. Hannah, tu veux bien me laisser la nuit pour y réfléchir ?
- Oui bien entendu. Prends le temps dont tu as besoin. Je reste là aussi longtemps qu'il le faudra.
La journée défile, et la nuit s'installe. Après le dîner, et après avoir aidé sa tante avec la vaisselle du repas, Hannah monte à l'étage. Elle s'avance dans le couloir, soucieuse de la discussion qu'elle doit avoir avec son père. Elle s'arrête devant la dernière porte du corridor, et frappe doucement le bois qui la sépare de lui. De l'autre côté, elle entend un léger « entre » de la part de son paternel. Elle pose sa main sur la poignée en métal et ouvre doucement la porte, laissant apparaître Romain, assis sur le lit, la tête perdue dans ses mains. Hannah s'avance et s'assoit à ses côtés puis pose sa main dans le dos de son père.
- Il y a une chose dont je dois te parler, annonce-t-elle calmement.
Romain relève sa tête et tourne son regard vers sa fille.
- Quand je t'ai dit que tu pouvais loger chez moi, je ne parlais pas de l'appartement qu'Henry m'a trouvé quand je suis arrivée dans la capitale, non celui-là est trop petit.
- Mais où vis-tu dans ce cas ?
- Avenue Opéra, dans le deuxième arrondissement.
- Ça ne doit pas être donné, comment as-tu pu emménager dans un tel endroit en pleine guerre ?
- C'est un logement qu'on a attribué à mon... compagnon.
- Tu vis avec un homme ? Pourquoi est-ce que je l'apprends qu'aujourd'hui ?
- Je ne savais pas comment vous alliez réagir avec maman...
- Hannah...
- Friedrich n'est pas si semblable aux autres Allemands. Quand on le regarde, on a l'impression que c'est un mouton qui suit le loup par peur d'être mangé.
- Mais que fais-tu avec lui ? lui demande le professeur, abasourdi par l'annonce de sa fille. Comment Henry a-t-il pu laisser passer cela ?
- Je suis une adulte Papa, tu auras de plus en plus de mal à garder la main sur ce que je fais. Ne t'en fais pas, si je reste avec cet homme c'est que je sais que je ne crains rien.
- Je n'approuve pas vraiment cette nouvelle que tu m'annonces là...
- Je sais bien, je te demande seulement de me faire confiance.
- Ces gens ont tué ta mère, ajoute Romain en signe de désapprobation.
- Ces gens sont les Allemands du commandement en Belgique. Friedrich est détaché à Paris.
Romain souffle, faisant comprendre à la jeune femme que la nouvelle ne passe pas.
- Si je le fais, c'est que c'est la meilleure chose à faire pour tous, un jour, tu comprendras mon choix, en attendant, je te demande seulement de croire en ta fille et de lui faire confiance.
Romain regarde un instant Hannah et finit par acquiescer d'un signe de tête.
- Je voudrais quand même te demander quelque chose, ajoute Hannah. Comment Maman est-elle morte ? L'explication qu'Henriette a donnée dans sa lettre n'est pas claire.
- Il y avait un commando de résistants dans le quartier. Ils ont incendié leurs maisons, le feu s'est répandu et a touché la nôtre. Ce n'était qu'un « accident », finit-il en imitant des guillemets avec ses doigts.
- Tu n'as jamais songé à rejoindre un mouvement de résistance ? demande la jeune femme, la voix hésitante.
- Si, mais j'avais peur que si je me faisais prendre, qu'ils ne s'en prennent à toi, à ta mère ou à ma sœur. Et on voit bien où nous en sommes aujourd'hui. Peut-être que j'aurais dû prendre le risque le jour où on me l'a proposé.
Hannah sourit à son père. Elle est rassurée de savoir que c'est une cause qu'ils partagent tous les deux. Peut-être qu'une fois à Paris, elle pourra lui expliquer son combat et donc la véritable raison de sa liaison avec le SS. Hannah espère qu'il la soutiendra, comme il l'avait fait lors de son départ pour la capitale.
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