21 - Les vagues de Normandie - partie 2
Hannah émerge doucement, elle est remuée dans tous les sens par les secousses de son ami.
- Victoire ! Réveillez-vous ! Ils seront là d'ici une heure, lui crie Nicolas alors que la jeune femme est encore endormie.
Hannah ouvre les yeux et se lève d'une traite. Elle regarde son ami, perdue.
- Quelle heure est-il ? demande-t-elle en se pinçant le front.
- Il est six heures. Allez, dépêchez-vous ! Mars nous attend en bas.
Hannah s'exécute, elle enfile ses chaussures noires et met sa veste kaki. Elle suit Nicolas vers le rez-de-chaussée. Tout le monde court dans tous les sens pour récupérer des habits ou du matériel. Mars arrive dans la pièce principale et s'arrête devant les deux résistants.
- Il faut qu'on parte maintenant ! dit-il sur le vif.
- Qu'en est-il de la situation ? demande Hannah.
- Les Américains sont à l'ouest semble-t-il d'après ce que certains de nos hommes ont pu entendre sur les radios locales ennemies ; mais les Allemands compliquent la tâche et pour l'instant, ils se tirent dessus, navires contre batteries et bombardiers.
- Ils ont des avions ?
- En mer ? Quelques uns, ce sont surtout les batteries qui tirent, les Allemands ont sorti le grand jeu et ce n'est que le début.
- Est-ce qu'on a des informations sur un débarquement sur notre position ? demande Nicolas.
- Je l'ignore, allez donc prendre vos positions, vous le verrez par vous-mêmes.
- Qu'est-ce qu'on peut faire actuellement, en attendant ? demande Hannah.
- Contre les bombardiers ? Rien. Mais les Allemands sont partout en ville alors, capturez-les ou bien tuez-les, peu importe mais qu'ils soient hors d'état de nuire. C'est le rôle du groupe deux. Ils sont déjà partis. Notre groupe va se diviser en deux. Charly, César, Victoire, Vienne, Moïse, Ulysse, François et moi ; nous allons garder la plage. Aucun Allemand, aucun de leur engin ne doit y entrer. Les autres vous quadrillez le Nord de la ville et vous neutralisez le plus possible ces enfoirés. S'ils arrivent ici, nous devons leur assurer une sortie rapide de la plage, sinon, ce sera un véritable bain de sang.
- Je ne veux pas paraître pessimiste, intervient Charly, mais remonter une telle plage, va forcément conduire à un bain de sang.
- Alors il en va de notre mission de limiter les dégâts.
Tous acquiescent, ils récupèrent les affaires dont ils ont besoin, armes à feu, canifs, grenades... Un à un, ils sortent de la maison à vive allure, prêts à se jeter dans le combat. Dans les rues, les coups de feu se font entendre, marquant le début des hostilités entre les soldats allemands et les résistants. Hannah, Nicolas et les autres se dirigent vers la plage. La jeune femme est équipée du pistolet automatique 1935S que Nicolas lui a donné il y a deux semaines de cela, un 7,65 mm Star 1914, un grand nombre de munitions adaptées ainsi que d'un fusil mousqueton Berthier 1936 et de quelques grenades. Ses coéquipiers sont tout aussi équipés qu'elle et les résistants n'hésiteront pas à se servir de leurs armes. Seulement, Hannah n'a jamais tiré sur qui que ce soit, elle n'a jamais tué, même blessé un être humain. Elle craint d'en venir à hésiter, lorsque le moment sera venu pour elle d'appuyer sur la détente. Mars l'a mis en garde ; si elle hésite à tirer sur l'ennemi, en face, lui ne bronchera pas et fera feu sans regret.
Hannah et Nicolas s'arrêtent sur une petite butte qui fait face à la plage, tandis que les autres se répartissent sur le long de l'étendue de sable. De là où ils sont, ils peuvent voir au loin, les navires britanniques et canadiens, échanger des tirs avec les quelques bombardiers allemands. Certains tirs sont beaucoup plus lourds et longs ; les obus tombent sur la ville, détruisant les habitations et faisant des victimes. Le vent souffle fort et la pluie tombe sur le sol ; Hannah se recouvre d'un coupe-vent et elle continue d'observer l'horizon, espérant que les Alliés ne tarderont plus à quitter leurs navires pour débarquer. Il est maintenant sept heures quarante du matin.
- Cela risque d'être encore long, prévient Nicolas.
- Le vent est-il le plus gros problème, ou bien pourront-ils débarquer dès qu'ils seront débarassés des bombardiers ?
- Ça dépend. Même s'ils se débarrassent des avions allemands, il faut que le temps se calme, ne serait-ce qu'un peu pour qu'ils puissent débarquer. Mais ils vont y arriver, ils l'ont fait à quelques kilomètres.
- J'aimerais pouvoir les aider.
- Vous ne pouvez rien faire pour le moment Hannah. Et nous avons une mission très importante.
Nicolas sort le drapeau tricolore de sa veste.
- Nous devons l'accrocher sur la mairie de Graye.
- Et Courseulles ?
- Nous n'y retournons pas. Ordre de Mars. Nous sommes allés bien plus loin sur la plage et pouvons directement aller à Graye. On attend seulement un peu de soutien.
Nicolas se retourne un instant et observe les alentours. Non loin d'eux, dans un champ, il y a des chevaux sellés mais sans cavaliers, qui se sont arrêtés dans l'herbe. Ils viennent sûrement de la ville et ont perdu leurs cavaliers.
- On pourrait prendre les chevaux, propose-t-il à Hannah.
- Pour rejoindre le village ? Est-ce qu'on ne deviendrait pas des cibles faciles.
- C'est possible ; mais ce sera beaucoup plus rapide.
- Si les chevaux ne prennent pas peur au premier coup de feu...
- Ils sont encore là malgré tous les tirs, ils doivent y être habitués.
Il est maintenant huit heures trente du matin ; au loin, Hannah et Nicolas observent enfin les navires Alliés se rapprocher des plages. Il y a encore des bombardiers allemands qui les survolent et bombardent à tout va pour tenter de couler les navires. La Royal Air Force est arrivée et les avions allemands sont pris en chasse par les Britanniques. Au sol, les premiers soldats canadiens mettent pied à terre, ou plutôt dans l'eau, suivis par les Britanniques, présents en renfort. Toutes armes dehors, les soldats gagnent l'étendue de sable. Au loin, les résistants brandissent des bannières aux couleurs du mouvement pour se faire reconnaître de leurs alliés. Hommes et blindés allemands arrivent rapidement sur la plage pour stopper l'avancée alliée. La remontée de la plage est l'étape la plus dangereuse pour les débarquants, truffée de mines, de barbelés et de cratères, c'est un véritable No man's land qui les sépare de la terre ferme. Ils n'ont aucun endroit où se cacher, leur seul espoir pour en sortir, est que les troupes aériennes bombardent les bunkers et l'artillerie ennemie.
- Baissez-vous ! crie Nicolas, alors que des soldats arrivent vers les deux résistants.
Hannah s'exécute immédiatement et se met à plat-ventre dans la descente de la butte. Nicolas se redresse et se met à découvert pour tirer un premier coup de feu. La respiration rapide, la jeune femme tente de rassembler en elle tout le courage qu'elle a eu jusqu'ici.
- Ça va aller ? lui demande Nicolas.
- Oui ! répond Hannah, déterminée.
La jeune Française se redresse et tire son premier coup de feu avec l'automatique 1935S. La balle se loge dans le sol à quelques mètres d'un soldat allemand courant vers les deux résistants. Nicolas tire à son tour et touche l'homme dans le torse. Le soldat tombe à terre et ne se relève pas.
D'autres soldats arrivent en grand nombre. Toujours derrière la butte, Hannah tire à nouveau et touche un autre soldat à la poitrine. À son tour, l'Allemand tombe et reste à terre. Hannah vient de tuer pour la première fois ; son cœur se serre, jamais elle n'a pensé commettre un jour une telle chose. Nicolas la ramène à la réalité lorsqu'il tire à nouveau sur leurs ennemis, mais ils sont bien trop nombreux.
- On ne peut pas rester ici, dit-il sur le vif à Hannah, avant de tirer encore une fois.
- Mais où voulez-vous aller ? Ils sont devant nous.
- Alors il faut faire une percée dans leur groupe et rejoindre Graye le plus vite possible. Les chevaux !
- D'accord je vous suis.
Nicolas se saisit de son fusil mitrailleur et se lève, il n'attend pas une seconde et ouvre le feu sur les Allemands qui tombent comme des oiseaux. Hannah le suit et ouvre, à son tour, le feu sur l'ennemi. Les deux résistants descendent de l'autre côté de la butte et courent vers les chevaux. Sous les tirs ennemis, les deux Français parviennent à s'emparer des deux animaux. Mais sous le bruit assourdissant des coups de feu, l'un d'entre eux commence à s'enfuir, Nicolas s'empresse d'attraper les rênes avant de perdre l'animal. Il prend la jambe d'Hannah et la soulève pour l'aider à monter sur le cheval avant de se retourner pour tirer dans le tas afin couvrir son amie.
- Montez ! lui crie Hannah.
- Non, vous avez raison, nous serons des cibles trop faciles. Partez !
- Je refuse de vous laisser ici !
Nicolas sort le drapeau tricolore du pays et le tend à Hannah
- Mettez-le sur l'hôtel de ville ! Rendez la commune à la France ! lui crie le soldat de la Résistance.
Sur le dos du cheval, Hannah se saisit du drapeau français. Les larmes coulent le long de ses joues, elle ne veut pas abandonner un frère sur le front. Nicolas frappe la croupe du cheval et l'animal s'élance au grand galop. Hannah le regarde et appelle son nom. Le Français monte sur l'autre cheval et s'élance au galop dans la direction des Allemands. Une à une, les balles viennent se loger dans son torse et le résistant finit par chuter de son cheval. Les soldats cessent le feu et s'avancent vers lui ; perdant tout son sang, Nicolas rassemble ses dernières forces pour se redresser. Il est à genoux, la tête baissée ; l'un des Allemands se rapproche de lui, et au fur et à mesure, il commence à entendre ce que les résistant peine à chanter. "Ohé saboteurs..." commence Nicolas en relevant la tête et en jetant son regard vers le soldat qui n'est qu'à quelques mètres de lui. "Attention à ton fardeau, dynamite..." ; arrivé à sa hauteur, l'Allemand découvre une grenade dégoupillée dans les mains du compagnon d'Hannah, il n'a pas le temps d'avertir ses coéquipiers que cette dernière explose, tuant l'ensemble du groupe. Hannah se retourne lorsqu'un bruit sourd se fait entendre et voit la silhouette de son ami disparaître à jamais, sous le bruit d'une explosion qui se dissipe derrière le son des vagues s'écrasant sur les plages de Normandie.
Hannah se couche sur l'encolure du cheval pour que la cible que représente les deux êtres soit plus petite. Elle ferme les yeux et prie pour que le cheval ne s'arrête pas et continue de galoper. La chanson de Charly lui revient en tête et au son des paroles qui résonnent dans son esprit, elle se le dit aussi : elle veut juste rentrer à la maison. Les moteurs des avions, les coups de feu et les cris des hommes lui percent les oreilles. Un autre souvenir lui revient, celui des corbeaux aussi noirs que la nuit qu'elle a vu à de nombreuses reprises dans la capitale ; "Ami entends-tu le vol noir des corbeaux sur nos plaines" : cette phrase a toujours eu son sens dans la vie de guerre d'Hannah. Partout où elle a marché, il y avait un corbeau, noir comme la mort, au cri aussi insupportable que ceux des Allemands lorsqu'ils hurlent des ordres. Cet oiseau, pour Hannah, est devenu le symbole d'une guerre sombre et destructrice, qui divise les hommes par la haine.
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