Chapitre 2

~ Madeleine ~

Le soin des blessés continua jusque tard dans l'après-midi. Ils étaient 43 soldats, en comptant le capitaine Hoffman. Je soupirais en essayant de m'étirer discrètement, épuisée. Avec les 6 soldats déjà en soin, cela faisait 49 allemands à l'hôpital au total. Et visiblement, ils n'étaient pas prêts de partir. Anne me fourra un panier dans les mains qu'elle commença à remplir de tissus ensanglantés déchirés,de compresses usagées, de seringues utilisées et autres produits à jeter. Le problème étant que les conteneurs que nous gardions pour les produits médicaux usagés se trouvaient dans l'autre bâtiment.Je chargeais le panier au maximum et le laissais à l'entrée de la salle avant de recommencer le processus.

Lorsque nous eûmes rendis la pièce un peu plus présentable, d'autres infirmières prirent le relais pour nettoyer le sol. Je suivis la mère infirmière en silence jusqu'à l'entrée de salle et pris un premier panier. En me redressant, je manquais pourtant de le renverser en découvrant un soldat. Il rattrapa mon fardeau d'un geste vif, laissant une grimace de douleur lui échapper. Son grade finit de me faire paniquer. Un second capitaine. Son regard vert et sa tignasse blonde auraient pu le rendre particulièrement séduisant si son uniforme ne m'inspirait pas autant de crainte. Je repris mon bien avec précipitation, baissant les yeux pour éviter son regard perçant.

- Merci...

- Je vous en prie, mademoiselle.

Hormis un léger accent allemand,son français était parfait. Je lançais une œillade à Anne qui s'interposa presque aussitôt, forçant l'allemand à reculer d'un pas. Il lui adressa un bref signe de tête alors qu'un sourire pointait sur ses lèvres.

- Je ne voulais pas vous effrayer.

- Doit-on avoir peur de vous ? Osa Anne sans se départir de son expression glaciale.

- Absolument pas, affirma le soldat en revenant sur moi. Mais il faut le demander à votre amie.

- Le vôtre a accueilli Madeleine en lui braquant une arme sur la poitrine. N'est-ce pas normal d'avoir une légère anxiété ?

Le soldat fronça les sourcils en regardant dans la pièce derrière nous.

- Le capitaine Hoffman est... très à cheval sur les règles. Veuillez lui pardonner, Madeleine... Je peux vous appeler Madeleine ?

Son sourire presque amical me troubla un court instant avant que je ne hoche la tête en guise de réponse. Je le devançais en désignant mon panier du menton.

- Je suis désolée, mon capitaine mais... nous devons jeter tout cela.

- Je vous accompagne, insista-t-il en prenant un panier encore à terre.

- Mais vous êtes blessé ! Protestai-je.

Il regarda son bras dénudé puis revint sur mon visage en haussant les épaules. Une plaie lui courait le long du cou, disparaissant sous son uniforme. Il se contenta d'un nouveau sourire en me désignant du menton.

- Vous aussi.

- Un de vos soldats, claqua Anne en pinçant les lèvres.

Le capitaine fronça une nouvelle fois les sourcils. J'écarquillais les yeux d'horreur en regardant la mère infirmière puis revins sur le soldat pour lui adresser un sourire que je voulus rassurant.

- Elle plaisante.

- Vraiment ?

J'allais lui répondre mais me retins à la dernière seconde. Cet homme restait un soldat. Et qui plus est, un soldat allemand. Si je lui mentais, qu'allait-il faire ? Je me contentais donc d'esquisser un pas sur le côté pour le dépasser. Je m'arrêtais une fraction de secondes à ses côtés pour lui répondre. Son regard émeraude me transperça, inquisiteur.Il semblait pourtant moins colérique et haineux que celui du capitaine Hoffman. L'allemand me surplombait d'une bonne tête et dut la baisser légèrement pour me regarder. Son épaule touchait presque la mienne. Le passage de sortie de la salle commune était étroit et il fallait avouer que sa carrure n'arrangeait rien. Notre promiscuité était donc inévitable. Une odeur de menthe fraîche et de boues séchées me balaya le visage alors que j'entrouvrais les lèvres.

- Essayez de vous en contenter, capitaine...

- Verhoeven. Mais appelez-moi Ludwig. Vous me montrez le chemin ?

Je hochais aussitôt la tête, me sentant toute petite. Un nouveau sourire se glissa sur ses lèvres, sans que je sache comment l'interpréter. Il semblait gentil. Mais pouvais-je me fier à un soldat allemand ? Rien n'était moins sûre. Le vent souffla à nouveau lorsque nous fûmes dehors et je forçais le pas pour arriver rapidement au second bâtiment. Je remontais le long du couloir pour mener aux locaux condamnés dans le fond du bâtiment où nous entreposions nos conteneurs. J'ouvris la porte et l'odeur de moisis et de sang séchés m'assaillit aussitôt. Le soldat eut un geste de recul, faisant secouer la tête d'Anne.

- Vous êtes sûr que vous êtes soldat, capitaine ?

- Pardonnez-moi, madame, sourit-il. Mais être soldat ne signifie pas supporter une odeur ignoble en entrant dans une pièce.

Pour la première fois depuis le début de la journée, un sourire se glissa sur le visage de mon amie. Crispé. Mais un sourire tout de même. Elle se tourna vers l'allemand après avoir vidé son panier et lui attrapa le sien en secouant à nouveau la tête.

- Donnez-moi ça.

Le soldat accepta de bonne grâce et retint la porte, le temps que je puisse faire de même. Nos paniers vides, nous refîmes le chemin inverse. Cette fois, Anne nous devança. Lorsque nous arrivâmes au bout du couloir, l'odeur avait disparu. Nous laissâmes les paniers en bas du bâtiment et invitâmes le soldat à monter à l'étage. Anne me fit signe de poursuivre pour pouvoir récupérer suffisamment de linges pour faire les chambres des nouveaux occupants. Je me retrouvais seule aux côtés du capitaine Verhoeven.

- Les chambres sont au-dessus. Vous serez au premier étage. Les infirmières sont logées au second.

- Nous pouvons dormir dans la salle commune avec nos hommes, proposa le capitaine.

- Les dortoirs sont là pour les infirmières de garde, lui expliquai-je.

Le couloir s'agrandit lorsque nous finîmes de monter la première volée de marche, nous permettant de marcher côte à côte. Il se tourna à nouveau vers moi sans se départir de son sourire.

- Vous serez plus tranquille, ici, osai-je. Votre ami capitaine...

- Vous n'avez rien à craindre, me coupa-t-il un peu brusquement. De lui, rajouta-t-il.

- Je.. n'ai pas peur de..

Je me raclais la gorge en regardant droit devant moi.

- En fait, il est assez terrifiant.

- Le colonel se chargera de lui rappeler que nous ne sommes pas là pour vous effrayer, lâcha-t-il durement.

- Non ! M'écriais-je un peu trop rapidement. Enfin, je... ce n'est peut-être pas une bonne idée de... enfin s'il est sanctionné par ma faute...

- Madeleine...

Sa main se posa sur mon épaule,me faisant me figer. Il la retira aussitôt alors que je levais les yeux vers lui. J'attrapais mon tablier par mécanisme et le regrettais aussitôt. Mes doigts virèrent au rouge et je m'essuyais méticuleusement sur le tissu encore blanc avant de retirer l'habit.

- Pardonnez-moi, je n'ai pas eu le temps de me changer.

- Ce n'est rien. Je peux comprendre vos sentiments envers nous, me sourit-il avec une ombre de tristesse. Mais j'espère que nous pourrions vous faire changer d'avis... peut-être un peu.

Cette fois, mon sourire fut plus sincère. Le capitaine m'en adressa un taquin avant de me désigner les lieux.

- Vous comptez me faire dormir dans le couloir ?

Un rire m'échappa alors que je finissais de remonter ce dernier. Lorsque le bâtiment nous força à tourner à droite, j'ouvris la première porte sur la gauche. Une chambre composée de deux lits, légèrement poussiéreuse se présenta à nous. Je haussais les épaules en roulant en boule mon tablier.

- Je peux faire en sorte que vous soyez tranquille et réservais le second lit pour votre colonel.

- Je vous en serais éternellement reconnaissant ! Sourit le grand blond avec soulagement. Ne le dites à personne mais Hoffman ronfle comme un vieil ours !

Un nouveau rire m'échappa au moment où d'autres soldats apparaissaient. Anne me fourra des draps dans les bras en désignant l'allemand, apparaissant mystérieusement à mes côtés.

- Ne le laisse pas déchirer mes draps !

- Bien, m'dame, m'amusai-je en entrant dans la pièce.

Je me débarrassais de mon tablier dans le panier disposé à l'entrée de la pièce pour le linge sale et entrepris de faire le lit du soldat. Il soupira en s'asseyant sur celui d'en face, presque soulagé de pouvoirs'asseoir. Lorsque j'allais reprendre la parole, une silhouette se dessina dans l'encadrement de la porte, me faisant me figer. Les bottes claquèrent à chaque nouveau pas. Le capitaine Hoffman me dévisagea un long moment alors que je me concentrais sur les bottes de Verhoeven.

- Infirmière... 

- Dumoulin, soufflai-je sans relever les yeux. Madeleine.

- A deux lettres près et vous portiez le même nom que ce rebelle exécuté il y a deux mois, ricana-t-il en se rapprochant. 

Je relevais la tête sans savoir où regarder, la respiration difficile. Jean Moulin. Membre de la résistance française. Il était bien évidemment connu sur le territoire. Mais l'information de son exécution ne nous était que partiellement remontée. L'allemand venait clairement de me confirmer sa mort. Et avec un malin plaisir. Je dus perdre le peu de couleur qui me restait à son arrivée. Il ricana en se rapprochant encore, me surplombant d'une bonne tête. Mes doigts se crispèrent sur ma robe alors que je restais pétrifiée. 

- Avez-vous... besoin de quoi que ce soit, capitaine Hoffman ? Croassai-je sans savoir comment. 

- Je vous le dirais si c'était le cas ! Siffla-t-il. 

- Das reicht, Franz ! (ça suffit), siffla en réponse le capitaine Verhoeven. Der Oberst will keinen Überlauf (le colonel ne veut pas de débordement). 

- Wer hat etwas von Überlauf gesagt ? (qui a parlé de débordement ?), ricana Hoffman. 

Mes doigts se serrèrent davantage sur le tissus. Une sueur froide me remonta le long du dos alors que je me forçais à rester immobile. Garde toutes tes chances, Maddy... Tu ne comprends pas. Ils ne doivent pas savoir que tu les comprends. Le talon claqua de nouveau, me faisant sursauter. Hoffman fut soudain devant moi et m'attrapa brusquement le bras pour me désigner le lit d'un geste vif. 

- Faites vos tâches et disparaissez ! 

J'obtempérais, pressée de quitter cette pièce. Les deux allemands continuèrent de discuter dans leur langue et une fois de plus, je me forçais à rester concentrée. Mes mains tremblèrent lorsqu'ils évoquèrent encore une fois leur colonel. Si Verhoeven avait l'air amical - du moins, en apparence -, Hoffman était clairement hostile. Lorsque j'eus finis, je récupérais mon tablier sale et me tournais vers les deux allemands, hésitante. 

- Capitaine, si vous n'avez plus besoin de moi... 

- Faites ma chambre aussi ! Claqua Hoffman sans se retourner. 

Verhoeven retint un soupir agacé et me lança un regard d'excuse. Je me contentais de hocher la tête et de disparaître aussitôt dans la pièce d'en face. Lorsque je fermais la porte, j'expirais brusquement l'air qui semblait s'être bloqué dans mes poumons. Mais mon répit fut de courte durée. A peine eus-je fini de mettre le drap sur le matelas que la porte s'ouvrit à la volée et se referma tout aussi vite. Je me redressais en sursautant pour découvrir Hoffman. Il franchit les quelques pas qui nous séparaient en une fraction de secondes et me saisit à la gorge. 

Sa main me comprima presque les voies respiratoires, me faisant écarquiller les yeux. Il eut un rictus narquois en appuyant un peu plus, manquant de me priver d'air. Mon dos heurta brusquement le mur avant que son corps ne vienne me couper toute retraite. Un vent de panique déferla dans mes veines alors que je fermais les yeux. Mes mains remontèrent sur son poignet, cherchant en vain à le faire lâcher. Il ricana pour toute réponse avant de se pencher sur mon oreille, repoussant mes cheveux avec négligence. 

- Ne vous avisez pas de semer le trouble dans nos rangs, fraülen (mademoiselle)... Ou je vous jure que vous le regretterez. 

- Je... 

Il releva à peine les yeux avant de m'attraper par la taille pour me plaquer un peu plus contre lui. Ma respiration s'accéléra alors que la terreur me glaçait les os. 

- Vous disiez ? Se moqua-t-il. 

Il relâcha légèrement son emprise, provoquant une quinte de toux. Je repris une goulée d'air, les yeux exorbités. Sa main remonta sur mon menton et ses doigts resserrèrent une nouvelle fois son emprise mais cette fois, autour de ma mâchoire. 

- Si vous êtes gentille... Je promets de vous garder que pour moi. Si vous faites quoi que ce soit qui me déplaît, infirmière Dumoulin... Je me ferais un plaisir de vous jeter en pâture à mes hommes. Suis-je assez clair ? 

Toute couleur me déserta. La porte s'ouvrit à la volée et le militaire me relâche aussitôt sans attendre ma réponse. Anne se figea à l'entrée de la pièce avant de me dévisager gravement. Puis elle releva un regard noir sur le soldat. 

- Un problème, infirmière ? Siffla-t-il. 

- La réponse risquerait de ne pas vous plaire, ricana-t-elle en retour. Madeleine... on y va. 

Je me précipitais vers la mère infirmière en récupérant mon tablier tâché, le souffle toujours court. Elle m'attrapa le poignet sans quitter l'allemand du regard. Puis brida sa hargne en répondant, le visage glacial. 

- Si vous avez fini, nous avons un hôpital à faire tourner ! 

- Et loin de moi l'idée de vous retarder ! Ricana-t-il. 

- Ben, voyons... 

Elle le planta sur cette simple réponse et m'attira à sa suite. Je ne me fis pas prier pour la suivre. Lorsque nous quittâmes le bâtiment, elle reprit la parole sans cesser d'avancer d'un pas rapide. 

- Il t'a touché ? 

- Tu es arrivée à temps, riais-je avec nervosité. 

- Si ce fils de pute ose poser la main sur l'une d'entre vous... 

- Tu sais qu'il en a tous les droits, la coupai-je avec angoisse. 

- Je lui colle une balle dans les couilles, ricana-t-elle. 

- Tu seras exécutée si tu te mets en travers de son chemin, Anne ! M'alarmai-je. Ce soldat fait partie de la Wermarcht... 

- Qu'il aille au diable ! Jura-t-elle en entrant dans le réfectoire. Il faut juste tenir jusqu'à ce que son colonel arrive et qu'ils décampent ! 

- Et si son colonel décide de rester ? Intervint une nouvelle voix dans nos dos. 

Je n'eus pas besoin de me retourner pour reconnaître Elisabeth. Elle prit un plateau pour se servir à manger et nous nous installâmes côte à côte alors qu'Anne se mettait en face de nous. Son regard retrouva le mien, toujours aussi grave. 

- On devrait installer un couvre-feu, la devançai-je. Entre nous. Et ne jamais être seule. 

- Je vais en parler aux filles. Ce sera fait, Maddy. En attendant, je compte sur toi. Tu dois rester forte et faire face à ces soldats, d'accord ?

- Je sais, soufflai-je. 

- Toi aussi, Babeth ! 

- Oui, maman, sourit la cadette. Est-ce que je peux dormir avec toi, Maddy ? Juste ce soir... 

- Bien-sûr, lui souris-je en remuant ma soupe. On prendra le premier tour de garde, ça te va ? 

Elle hocha vigoureusement la tête et je me mis à manger en silence en repensant aux événements de la journée. Cela ne faisait pas encore 24h et les allemands avaient semé un joyeux foutoir au sein de l'hôpital... 


Et voilà pour ce deuxième chapitre ! 

A vos claviers et vos souris pour me dire ce que vous en avez pensé ! Que va-t-il se passer pour Maddy et Babeth ? Auront-elles des problèmes ? 

La nuit portera-t-elle conseil à ce cher capitaine Hoffman ? Mettra-t-il ses menaces à exécution ? Que va-t-il se passer pour la cohabitation avec les allemands ? Et le colonel apaisera-t-il les choses ? Rien n'est moins sûr ! 

Des bisouuuuus ! ~ 

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