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Le bolide qui m'a inspiré la bat-mobil ;)
Samuel me secoue sans ménagement. Il n'a jamais fait dans la dentelle lorsqu'il s'agit de me réveiller. Dans un grognement, je lui exhibe majestueusement mon majeur. Il ricane comme la hyène qu'il est.
-Grouilles Joyce, ta mère a fait des pancakes !
J'agrippe un coussin qui vient aspirer mon visage. Bien qu'adorable, il est contradictoirement insupportable.
-Tes parents bondent toujours vos placards de gourmandises, alors pourquoi diable te retrouve-t-on toujours à te goinfrer des nôtres ?
-Rien de tel que le fait maison tu sais bien !
Le garçon tire sur ma couverture à laquelle je me cramponne.
- Aller décampes, j'ai une image à préserver auprès de tes paternels ! Bientôt quinze ans que je fais croire à ta mère que ce qui m'amène n'est pas l'odeur alléchante des petites merveilles qu'elle prépare, mais notre amitié.
Je lui tends nonchalamment ma main qu'il rapporte à lui, entraînant mon buste dans la lancée. Encore dans les vapes, j'articule la bouche pâteuse,
-Qui suis-je pour briser ce mythe ?
Mon meilleur ami hoche la tête frénétiquement. Il dépose mes lunettes sur mon nez,
-Je t'attends dans la cuisine ! Je n'hésiterai pas à me servir dans ta part si tu es trop longue.
-Enflure !
C'était une journée ordinaire. Un instant des plus banals. Pourtant, les vingt-quatre heures qui allaient suivre étaient les procureuses d'un chamboulement inattendu.
Je m'apprêtais à recevoir une visite, une visite surnaturelle.
Une serviette sur mes cheveux trempés, je me hisse à mon tour sur le comptoir de la cuisine. Ma mère secoue énergiquement la pâte qui dore dans sa poêle.
Sam laisse s'écouler le miel à foison sur ses pancakes. Je le dévisage, écœurée. Je peux entrevoir d'ici l'agonie de son foie et le diabète dégouliner tels les chutes du Niagara. Ce n'est plus une garniture, mais une soupe.
Je suis moi-même gourmande, toutefois son cas a dépassé l'extrême depuis nombre d'années. Il est de ces personnes élastiques. Capable d'ingurgiter pour une dizaine d'estomacs sans prendre un gramme.
-Tu en es à ton combien ?
La bouche emplie à ras-bord, ses babines balbutie maladroitement,
-Troisième petit-déj et toujours pas requinqué !
-Que ferions-nous sans notre petit morfal ? glousse ma mère. Laisses le donc savourer en paix Joyce.
-J'ai toujours su qu'il était ton préféré.
-Moi qui faisais tout pour le cacher.
Elle s'empresse de le resservir.
Ce n'est pas réellement parce que nous habitons dans le même pâté de maisons que nous avons sympathisé lui et moi.
Au jardin d'enfants, Samuel et moi nous sommes reconnus comme partenaires de crimes. J'excellais dans la triche aux jeux de société, alors il m'a semblé logique qu'un garçon qui sorte tant de fois d'affilé vainqueur au mille bornes soit, lui aussi, un scélérat.
En additionnant ses astuces aux miennes, nous sommes rapidement devenus des champions. À l'époque, nous étions de véritables idoles pour les autres petits crédules.
Depuis, il est devenu mon quotidien, mon réconfort.
Mon ami fourre le reste de son assiette dans sa bouche précipitamment. Nous allons être en retard.
-Il est l'heure !
Je bondis de la chaise haute. Ma mère me tend mon sac,
-Faites gaffe avec la bat-Mobil sur la route les enfants !
La bat mobile n'est autre qu'un scooter que nous avons acheté sur un pari. C'est un véhicule électrique pour retraités. Celui-ci est muni de deux places, nous l'avons débusqué lors d'une brocante. Comme aucun de nous n'avons encore passé notre permis et que le bus nous usait, cela n'a pas semblé si ridicule sur le coup. Celui qui n'avait pas le culot de relever le défi énoncé par l'autre payait.
Pour ma part, j'ai dû avouer à mes parents m'être introduite chez les voisins cinq ans auparavant. À l'époque, j'avais pour intention de dérober la petite saucisse qui leur sert de chien. La tâche était périlleuse puisque je n'avais pas d'autre alternative que d'escalader nos balcons. La bouille angélique de l'animal valait le risque. Seulement, les choses ne se sont pas déroulées comme je l'imaginais.
Au dernier instant, affolée par le bruit d'un trousseau de clés annonçant leur retour, je me suis précipitée sur la rambarde. Je me suis ratatinée contre elle, ce fut trois longs mois de convalescence, accompagnés de béquilles. Mes parents m'ont sermonné tout l'été suite à cette révélation.
Samuel avait pour tâche de se confesser à la fille qui lui plaît depuis le collège. Judith, une jolie blonde, d'un an notre aînée. La pauvre a été incapable de discerner la moindre syllabe entre tous ses bégaiements.
Le week-end suivant, nous retrouvions le vendeur avec qui nous avions gardé contact et Sam dépensait sa fortune. Un véritable dépouillement.
Après un été à circuler avec la bat-mobil à la retraite, nous l'avons adopté. Nous voilà donc, prêts à débarquer avec notre carrosse pour notre premier jour de terminale.
-Je ne t'ai pas dit !
Mon visage s'illumine tandis que le rouquin marque une pause au feu rouge.
-J'adore quand tu débutes une phrase comme cela !
-Ma mère accueille encore un nouvel étudiant chez nous.
-Il vient d'où cette fois ?
Samuel hausse les épaules,
-Aucune idée, je ne l'ai pas encore vu. Toutefois, d'après elle, il est plutôt pas mal, ce serait ta chance de conclure.
-Vous n'êtes que des obsédés dans cette famille !
-Ce n'est pas moi qui l'aie dit, c'est elle, pouffe-t-il. Je te ferais un rapport après une semaine passée avec lui. Le dernier ne savait vraiment pas viser, il inondait la cuvette des toilettes à chaque passag...
Ma main se plaque contre sa bouche,
-Sam?
Il approuve.
-Épargnes moi les détails, tu veux ?
Notre lycée est ridiculement petit. Samuel le défend sans cesse en clamant qu'il est mignon. Mignon, un terme drôlement choisit pour qualifier un établissement. C'est sans nul doute son seul argument.
C'est la troisième année consécutive que nous frôlons ses couloirs. Trois ans, ce n'est pas grand-chose dans une vie humaine, pourtant j'ai parfois l'impression de m'être enracinée ici. Une fois diplômée, je serais forcée de quitter mes repères, de m'en créer de nouveau. J'ai beau préparer cet avenir par lequel nous passons tous, je me surprends à penser parfois que, si je le pouvais, je stopperai le temps dans cette minuscule école. Je continuerai de saluer les mêmes individus, j'écouterai chaque jour les mêmes imbécilités sortir de la bouche de mon meilleur ami, je me régalerai des desserts désastreux de la cafétéria indéfiniment. L'année prochaine nos chemins se séparons pour la première fois. Un renouveau qui balayera tout ce que j'ai bâti. Je pourrais être n'importe qui alors que je souhaiterai simplement rester la même, n'est-ce donc pas ironique ?
-Joyce ?
La main de Sam s'agite sous mes yeux.
-La Terre appelle Joyce. Qu'est-ce qui t'arrives tout à coup ?
Je ne sais combien de temps j'ai demeuré ainsi. Campée devant mon casier, à contempler l'allée principale.
-Rien, je me disais juste que l'année prochaine cet endroit me manquera.
-C'est tout toi, à peine les choses ont-elles débuté que tu y vois déjà une fin.
-Ça ne t'effraie pas toi ?
-Bien-sûr que non !
Mon ami clos son casier. Il dépose une main sur sa hanche et embrasse l'horizon avec la seconde.
-L'année prochaine, vois-tu, je vivrais mon rêve ! Je serais dans cette école d'art pour laquelle j'ai tout donné, et tu seras impressionnée de voir à quel point je progresserai vite ! Bien-sûr, ce sera un peu rude au début, mais tu sais Joy, différent ne veut pas forcément dire moins bien.
-Si tu le dis...
-Joyce McKenzie?
Je sursaute. Mon cœur ne fait qu'un bond, je me retourne les yeux écarquillés. Celle qui vient juste de tapoter mon épaule est une femme brune d'une vingtaine d'années. Elle porte la blouse de notre ancienne infirmière scolaire. Une remplaçante ?
-Tu es bien Joyce McKenzie?
-Ou-oui, c'est moi ?
Les prunelles noisette de la femme sont envahies pas l'émotion. Elle n'accorde aucune attention aux moqueries de Fred qui rappelle combien je peux être couarde. Ses mains enlacent les miennes, familièrement.
-Waouh, tu es vraiment plus jolie que je ne l'imaginais !
Je partage une œillade avec mon ami aussi incrédule que je ne le suis. Je dégage doucement mes doigts de son étreinte.
-Excusez-moi, mais on se connaît ?
-Non. C'est vrai on ne s'est pas encore présentées.
La femme attache la masse de boucles tombant sur ses épaules. Un badge apparaît alors, "Olivia Geller"
-Excuse-moi de t'avoir effrayée, c'est juste que j'ai travaillé tout l'été sur vos profils alors je suis disons, légèrement, émue de vous rencontrer pour de vrai. Je suis miss Geller, votre nouvelle infirmière scolaire.
-Et moi ?
Samuel rabat son index en sa direction,
-Vous vous souvenez des recherches sur mon profil ?
À son expression, elle ne semblait pas avoir remarqué sa présence jusque-là. La femme le détaille longuement.
-Je suis navrée, ton visage ne m'a pas marqué du tout.
Sa bouche se décroche presque de sa mâchoire, le rouquin est dépité. J'étouffe un rire. Elle se concentre à nouveau sur moi,
-Je suis chargée de prendre rendez-vous avec chacun d'entre vous, ordre de la directrice. Je pourrais commencer par toi ?
Je lui dévoile l'heure apparente sur l'écran de verrouillage de mon portable. Les cours vont bientôt débuter.
-Je te l'ai dit, c'est un ordre de la directrice alors elle n'y verra aucun inconvénient.
-Très bien...
La cloche retenti.
-On se retrouve à l'heure suivante ! déclare précipitamment Sam. Judith a redoublé son année, elle devrait être là !
Son enthousiasme est aussi déplacé que comique.
-Ce n'est pas beau de se réjouir du malheur des autres !
-Son malheur fera peut-être notre bonheur commun, le destin m'accorde une seconde chance de la conquérir !
Il m'adresse un clin d'œil puis se volatilise. Je me retrouve seule avec l'étrange infirmière. Je la suis docilement. L'infirmerie similairement à l'école est exiguë. Elle m'invite à m'asseoir puis nous sert deux verres d'eau.
Miss Geller est une belle femme. Elle porte une paire de lunettes rectangulaires qui ne dissimule pas le léger grain de beauté sous son œil droit. Cette particularité donne, à mon sens, du charme à son visage. Elle le rend unique.
J'accepte la boisson qu'elle m'offre.
-Comment te sens-tu en ce moment Joyce ?
-Je vais bien merci.
Ses sourcils s'arquent spontanément.
-Pas de soucis de santé, aucun vertige ? Aucune nausée ?
-Rien de cela, pourquoi ?
-Je m'intéresse simplement. Tu ne serais pas enceinte ?
Je la dévisage un instant sous la surprise,
-A moins que la force ne m'est enceintée miraculeusement comme la mère d'Anakin skywalker, c'est impossible que je le sois.
La femme ne partage ni mes références cinématographiques ni mon sourire. Elle reporte mes réponses sur son carnet avant de poursuivre,
-Donc rien de physique, je m'en doutais un peu à vrai dire...
Je me penche en avant malgré moi, elle marmonne si bas qu'il m'est impossible de capter ses paroles.
-Que dîtes-vous?
L'infirmière s'empresse d'emplir mon verre vide comme si cela annulait la remarque je viens d'émettre.
-Dis-moi Joyce, comment vas-tu réellement en ce moment ? Ton moral est-il bon ? Pas de rupture amoureuse ? Pas de deuil dans ta famille ? Pas d'intimidation quelconque envers toi ?
Sa franchise me laisse interdite. Le corps professoral est rarement aussi direct avec ses élèves.
-J-je... Non à vrai dire, je dois avoir de la chance. Je pète la forme vraiment, vous pouvez me croire.
-En es-tu certaine ?
Ses iris se confondent dans les miennes avec ardeur. L'intensité est si prononcée qu'elle me met mal à l'aise. Les enjeux de cette discussion semblent bien plus importants pour elle qu'ils ne le devraient. La lourdeur de son insistance sur mon profil est-il normal, est-elle ainsi avec tous ses protégés ou lui a-t-on soufflé quelque chose sur mon profil ?
-Tu n'as pas à être mal à l'aise, je t'écouterai quel que soit le sujet, soit en sûre.
-Je vais bien vraiment, je vous remercie.
Un nouvel affrontement se fait sans bruit. L'échange se résume à une dualité visuelle, cherchant à savoir qui est la plus convaincante. L'atmosphère est pesante, j'en viendrais presque à m'inventer des problèmes pour qu'elle puisse avoir gain de cause.
À ma plus grande surprise, elle bondit soudain de son siège pour annoncer ma liberté,
-Très bien ! Tu sais que ma porte t'est toujours ouverte n'est-ce pas ?
-J'en suis consciente. Puis-je avoir un mot d'absence, enfin vous savez...
-Évidemment! Je serais confuse si tu venais à être puni par ma faute.
Elle griffonne une excuse sur un pense-bête qu'elle signe par la suite
-A une prochaine fois. N'oublie pas...
-votre porte est toujours ouverte, je la complète. Merci beaucoup m'dame.
Ce n'est seulement le soir-même qu'il me vint à l'esprit de raconter cette étrange entrevu à Samuel. La journée avait été éreintante entre nos connaissances qui nous contaient leurs aventures de vacances et les speechs des professeurs sur la dureté des épreuves de fin d'année.
Le téléphone chauffant mon oreille, je lui rapportai le rendez-vous.
"-Bah dis donc, elle t'a à l'œil la nouvelle. Tu penses qu'elle veut quelque chose de toi ? Je veux dire son comportement est tout de même..."
-Mais non bien sûr que non ! Tu n'es vraiment qu'un obsédé.
Son rire rauque s'éveille à l'autre bout du fil.
"-Alors quelqu'un lui aurait demandé de veiller sur toi ? Je parirai dans ce cas sur ton père, il est toujours dans l'excès lorsque cela te concerne."
-Tu n'as pas tort là-dessus.
Un grincement éveilla ma curiosité. Je demandai à Sam de se taire une seconde. Cela venait de l'extérieur.
C'était un soir d'été, je m'en souviens encore clairement. Le temps était humide, je sortais à peine de la douche. Emmitouflée dans mon peignoir, je discutais avec mon meilleur ami lorsque le bois de ma fenêtre craquela. Il était là, ses épaules recouvertes de sa large veste en cuir malgré la chaleur ambiante. Mon âme sœur.
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